La conférence du parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne), tenue le week-end dernier à Essen, a été dominée par les récentes élections européennes et les prochaines élections régionales dans trois Lands de l’est de l’Allemagne. Bien que le parti n’ait pas atteint aux élections européennes les prévisions des sondages du printemps, il est néanmoins devenu deuxième parti en Allemagne et même le premier à l’Est. L’AfD espère maintenant remporter en septembre les élections des Lands en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg.
Le congrès a donc cherché à créer une image d'unité et d'harmonie. Il n'y a pas eu de conflits. L'exécutif du parti a été réélu en temps record. Les deux présidents, Tino Chrupalla et Alice Weidel, ont été confirmés dans leurs postes avec environ 80 % des voix. Les motions controversées ont été retirées par leurs auteurs après d'intenses pressions en coulisses.
Des fascistes notoires comme Björn Höcke, chef du parti en Thuringe, sont restés en retrait et n’ont pas fait de déclarations provocatrices. Le principal candidat européen, Maximilian Krah, mis à l’écart par la direction du parti après sa banalisation des SS d’Hitler, n’est même pas apparu au congrès.
Les précédents congrès de l’AfD avaient été marqués par des affrontements virulents et parfois par des changements de direction style coup d’État, le parti se déplaçant de plus en plus vers la droite. Par exemple, au congrès de 2015 également tenu à Essen, le fondateur du parti, Bernd Lucke, avait été renversé et remplacé par Frauke Petry et Jörg Meuthen, qui ont tous deux quitté le parti depuis.
Alexander Gauland, le père spirituel de l’AfD, avait ainsi une fois qualifié le parti de «tas en fermentation». Entre-temps, le processus de fermentation s’est achevé et le tas s’est transformé en boisson alcoolisée toxique à fort pourcentage. Les néonazis et les fascistes, qui avaient l’habitude de provoquer des troubles, sont fermement ancrés dans ses structures de direction.
L’AfD a appris de Giorgia Meloni et de Marine Le Pen. La cheffe du gouvernement italien a déclaré que Mussolini était de l’histoire ancienne, sans jamais se départir de son admiration pour le Duce ni se séparer des membres de son parti qui continuent à lui rendre hommage. Marine Le Pen s’efforce de «dédiaboliser» le Rassemblement national.
Mais cela n’a pas modifié l’orientation d’extrême droite des deux partis. Meloni et Le Pen sont simplement arrivés à la conclusion qu’elles ne pouvaient pas arriver au pouvoir avec des slogans nazis ouvertement affichés. Elles doivent leur succès électoral non pas à un mouvement de masse radicalisé et fasciste, mais à la colère et à la frustration suscitées par la politique des autres partis et par le fait qu’ils leur ouvrent la voie en adoptant leur politique xénophobes et autoritaire.
Si Meloni et Le Pen sont plus modérées en apparence, elles poursuivent la stratégie de consolider leur contrôle de l’État et de l’appareil de sécurité, du système judiciaire, de l’éducation et de la vie culturelle et de mettre les médias au pas. Là aussi, les autres partis préparent le terrain aux extrémistes de droite en réprimant les manifestations sociales et en censurant les opinions dissidentes, en particulier l’opposition à la guerre en Ukraine et au génocide de Gaza.
Derrière la façade d’unité, le noyau fasciste de l’AfD était clairement visible à Essen. Alors que les réseaux fascistes avaient l’habitude d’entrer en conflit avec les éléments plus modérés, ils dominent désormais l’ensemble du parti.
L’aile d’extrême droite a été officiellement dissoute il y a quatre ans pour des raisons tactiques et son dirigeant, Björn Höcke, qui a été condamné à deux lourdes amendes ces derniers jours pour avoir utilisé des slogans nazis interdits, s’est abstenu lors du congrès. Höcke reste toutefois le chef de file de l’AfD et son principal candidat en Thuringe. Il espère faire une percée aux élections régionales de septembre, ce qui lui permettrait d’accroître son poids au sein du parti fédéral.
Une motion initialement soutenue par Höcke qui vise à remplacer la double direction actuelle par un seul chef de parti – lui-même – a été retirée afin de ne pas compromettre l’image d’unité. Mais Höcke a clairement indiqué qu’il ne s’agissait que d’une retraite temporaire. «Pour le moment, je ne vois pas encore le leader unique qui pourrait réussir en tant que force d’intégration et personne à ce stade, pour mener ce parti vers l’avenir de façon stable sur de nombreuses années», a-t-il déclaré. Toutefois, dans deux ans, ce serait probablement le cas.
L’«Aile» de Höcke n’est plus le seul réseau d’extrême droite au sein du parti. Maximilian Krah, actuellement mis à l’écart, a également rassemblé un nombre considérable de partisans autour de lui. Lors du congrès du parti, la présidente, Alice Weidel, a rassuré ses partisans en colère en insistant pour dire que l’avenir de Krah au sein du parti n’était pas nécessairement bloqué. Elle a ici comparé l’AfD à une équipe de football: «Même les joueurs les plus talentueux peuvent perdre l’orientation. Si quelqu’un doit aller sur le banc des remplaçants, il n’est pas encore exclu de l’équipe».
Le réseau autour de Sebastian Münzenmaier, membre du Bundestag (parlement allemand), joue également un rôle important au sein du parti. Selon les médias, il a dirigé l’organisation du récent congrès. Il a négocié à huis clos la liste des candidats aux postes de direction, qui a ensuite été largement approuvée.
Le quotidien Taz a écrit à propos de ce réseau: «Les jeunes carriéristes ne sont en rien inférieurs à l'aile ethnique en termes de radicalisme, ils ont non seulement de bonnes relations à l’Est mais aussi avec les dirigeants dans les Lands de l’Ouest, qui préfèrent donner une image plus modérée vers l’extérieur.
Münzenmaier est membre d’une fraternité de nervis d’extrême droite et a été condamné comme hooligan de football. Il a rejoint l’AfD en 2013 via le parti islamophobe Die Freiheit (Liberté) et a été élu au Bundestag en 2017, où il est membre de plusieurs commissions et de la direction du groupe parlementaire AfD. Selon les recherches de la Radio bavaroise, il emploie John Hoewer, qui en tant que membre du conseil d’administration de l’association Un Pourcent, a des liens étroits avec l’Institut de politique d'État [boîte à idées de la Nouvelle Droite], le magazine Compact, le Mouvement identitaire, le parti néonazi NPD (Parti national-démocrate d'Allemagne), les fascistes italiens et d’autres forces d’ultra-droite.
Le large soutien apporté aux fascistes s’est également manifesté à maintes reprises au congrès lors des élections et des votes. Par exemple, Stephan Brandner, homme de confiance de Höcke, a été confirmé à la vice-présidence du parti avec 90 pour cent des voix, après avoir demandé l’arrestation du gouvernement dans son discours, ainsi: «Transformez les bulletins de vote en mandats d’arrêt»! Il a obtenu plus de voix que les deux leaders du parti.
Brandner avait été démis de ses fonctions de président de la commission judiciaire du Bundestag après l’attaque de la synagogue de Halle, en raison de coups de gueule antisémites, un événement sans précédent dans les 70 ans d’histoire du Bundestag. Il avait été initialement proposé à la présidence de cette commission par le chef du groupe parlementaire social-démocrate, Thomas Oppermann.
Christina Baum, négationniste radicale du COVID, a obtenu 43 pour cent des voix lors de l’élection de l’exécutif, mais a été battue par l’idéologue en chef du parti, Marc Jongen. Le président de la Junge Alternative, Hannes Gnauck, que la Bundeswehr a interdit de caserne et de port d'uniforme en raison de ses activités d’extrême droite, a été élu à la direction du parti.
La Junge Alternative affiche ouvertement ses positions fascistes. Dans ses stands au congrès on pouvait trouver des articles de fans de Krah et les mots d’ordre d’extrême droite ayant été braillés dans un club de l’île de Sylt, des paquets d’autocollants portant le slogan «remigration», ainsi que de nombreux ouvrages d’extrême droite. Ils ont également pris à partie l’équipe nationale allemande de football parce qu’elle comptait trop d’immigrés. «Diversité au lieu de patrie», a déclaré Höcke avec amertume.
À Essen, environ 100.000 personnes ont protesté et manifesté contre le congrès de l’AfD. Le WSWS a fait un reportage à ce sujet. La plupart sont venus parce qu’ils voulaient empêcher un retour du fascisme et rejetaient le racisme de l’AfD. Mais les organisateurs, une large alliance d’organisations et de partis, n’ont offert aucune perspective pour y parvenir. Au contraire, avec leurs politique droitière de démantèlement des services sociaux, de réarmement, de guerre et de déportation, ils renforcent les fascistes.
La lutte contre l’AfD «n’est pas une question d’arithmétique parlementaire, mais de lutte des classes», disait un tract distribué par le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste) à ces manifestations. «La politique du SPD, des Verts et du Parti de gauche ont renforcé l’AfD et continueront à le faire si personne ne s’y oppose. La lutte contre l’AfD nécessite le développement d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière et de la jeunesse, qui associe la résistance à la guerre, au fascisme et à l’inégalité sociale à la lutte contre leur cause, le capitalisme».
(Article paru en anglais le 5 juillet 2024)
