Lors de sa conférence de presse annuelle jeudi 25 juillet, le directoire de la Deutsche Bahn [la société des chemins de fer allemands] a annoncé des suppressions d’emplois massives. «Nous voulons réduire nos effectifs d’environ 30.000 employés à temps plein au cours des cinq prochaines années», a déclaré son directeur financier Levin Holle, lors de la présentation des résultats semestriels.
La Deutsche Bahn (DB) explique ces suppressions d’emplois par des pertes importantes dans presque tous les secteurs d’activité. Au cours des six premiers mois de l'année, l’entreprise a enregistré une perte de 1,2 milliard d’euros. Cette situation est inacceptable, a déclaré l’entreprise publique. Le PDG Richard Lutz a d’abord invoqué les vagues de grèves des derniers mois, puis les grands chantiers et les conditions météorologiques extrêmes comme facteurs de coûts supplémentaires.
En réalité, le massacre des emplois annoncé est une décision politique délibérée du gouvernement de coalition composé des sociaux-démocrates (SPD), des libéraux-démocrates (FDP) et des Verts. La Deutsche Bahn AG est une entreprise publique à 100 pour cent. Plusieurs secrétaires d’État siègent au conseil d’administration et au conseil de surveillance, et toutes les décisions importantes sont prises par l’intermédiaire du ministère des Transports, où le FDP fait la pluie et le beau temps. «Les chiffres du bilan montrent qu’il est urgent d’agir», a commenté le ministre des Transports Volker Wissing. La Deutsche Bahn devait «devenir plus économique et plus compétitive», a-t-il souligné.
Les suppressions d’emplois annoncées font partie d’un vaste plan de rationalisation, qui prévoit également la fermeture des «lignes non rentables». Les services ferroviaires seront encore réduits, en particulier dans les zones rurales et les régions structurellement faibles. Jeudi, Lutz a déclaré à la presse qu’aucune décision n’avait encore été prise concernant la fermeture de ces lignes. Mais le magazine d’information Der Spiegel fait état d’un «document secret» et il a déjà nommé un certain nombre de lignes spécifiques dont la fermeture est prévue.
Autrement dit: alors que les effets du changement climatique se font de plus en plus sentir et que le ‘Deutschland-Ticket’, un billet mensuel relativement bon marché permettant des déplacements locaux illimités, montre que nombreux sont ceux qui souhaitent voyager en train – également pour des raisons environnementales – le gouvernement allemand et la direction de la DB ruinent le moyen de transport le plus respectueux de l’environnement au nom du profit et de l’enrichissement personnel. Dans le même temps, le plan de rationalisation aggrave la fracture sociale dans le pays en laissant les zones défavorisées encore plus à la traîne et les usagers livrés à eux-mêmes.
De plus, une réduction aussi importante du personnel modifiera les processus de travail, augmentera la charge de travail et accroîtra le risque d’accidents catastrophiques pour les employés et les passagers. Le nombre d’accidents du travail mortels dans les chemins de fer a déjà augmenté de manière significative au cours des derniers mois.
Il ne fait aucun doute que les suppressions d’emplois annoncées et les fermetures de lignes prévues font partie d’une attaque globale contre la classe ouvrière. La gigantesque augmentation des dépenses d’armement est financée à ses dépens.
Le gouvernement de coalition applique à présent aux chemins de fer la même implacabilité que celle qu’il a employée pour faire grimper les prix de l’énergie et poursuivre une politique industrielle ruineuse. Les licenciements annoncés doivent être replacés dans le contexte du massacre des emplois en cours dans tous les secteurs industriels. Rien que ces derniers jours, 14.000 suppressions d’emplois ont été annoncées dans l'entreprise technologique ZF, 500 chez Bosch, 4 000 chez le fabricant de batteries Varta et 10.000 chez la société de logiciels d’entreprise SAP.
Et, comme partout ailleurs, le gouvernement allemand et la Deutsche Bahn s’appuient sur les bureaucraties syndicales pour attaquer les salariés.
Les suppressions d’emplois seront «organisées de manière socialement responsable» et les licenciements pour raisons opérationnelles seront «évités dans la mesure du possible», affirment les responsables syndicaux. Cela signifie que les suppressions d’emplois ont déjà été discutées et convenues avec les syndicats et leurs représentants au comité d’entreprise.
L’annonce que «dans un premier temps, surtout», c’est le secteur des cols blancs qui sera rationalisé fait elle aussi partie d’un dispositif préétabli. Pour les licenciements administratifs, le directoire s’appuie sur le syndicat allemand des conducteurs de train (GDL), qui dénonce depuis longtemps l’appareil administratif comme une «bureaucratie hypertrophiée». Si les licenciements sont ensuite étendus aux conducteurs de train, le Conseil exécutif s’appuiera sur le syndicat des chemins de fer et transports EVG, qui accuse les conducteurs de train de chercher à obtenir des privilèges pour eux-mêmes.
Dans une première déclaration, le GDL a également indiqué qu'il estimait les suppressions d’emplois justifiées. Mais seulement «si elles ont lieu dans l’administration et non dans le secteur direct», a déclaré un porte-parole de la GDL.
L’EVG, quant à lui, a critiqué l’ampleur des licenciements prévus, mais a précisé qu’il n’y avait rien de mal à «mettre à l’épreuve et à remettre en question les processus et les structures de l’entreprise».
Les deux syndicats travaillent en étroite collaboration avec la direction et jouent un rôle clé lorsqu’il s’agit de monter les salariés les uns contre les autres et les diviser afin d’empêcher une lutte commune pour la défense de tous les emplois.
Les cheminots doivent se préparer à une lutte qui soit dirigée contre le conseil d’administration de la DB, le gouvernement allemand et les deux syndicats.
Même si l’introduction en bourse de la Deutsche Bahn a finalement échoué en raison de la crise financière mondiale de 2008, sa transformation en société anonyme à but lucratif a conduit à la désintégration de l’infrastructure et à la crise actuelle.
En 2007, nous avions analysé en détail la transformation des chemins de fer d’une entreprise publique de services en groupe logistique mondial pour le profit. Notre évaluation de l’époque a été entièrement confirmée. Nous écrivions:
Nous avions attiré l’attention sur le fait que la transformation des chemins de fer publics en entreprises privées opérant au niveau international était un développement paneuropéen qui avait été mené sous l’égide de l’Union européenne et avait eu des conséquences désastreuses dans tous les pays.
L’été dernier, le WSWS a soutenu la création du Comité d’action des chemins de fer, fondé pendant la grève de l’EVG et qui a déclaré sa méfiance à l’égard des deux syndicats. Il lutte pour l’unification internationale de tous les cheminots et se fonde sur le principe que les droits et les besoins des travailleurs priment sur les intérêts et les profits des investisseurs, des actionnaires et des spéculateurs.
Nous appelons tous les cheminots et tous ceux qui veulent participer à la mise en place de comités d’action indépendants à nous envoyer des reportages sur les licenciements prévus et les conditions dans leur région et à prendre contact avec nous. Vous pouvez le faire via WhatsApp au +49-163-337 8340. Inscrivez-vous en utilisant le formulaire ci-dessous ou faites part de votre expérience au «World Socialist Web Site».
(Article paru en anglais le 29 juillet 2024)