L’assaut sur les droits démocratiques s’accélère partout au Canada

Le gouvernement d’extrême droite de l’Alberta recourt à la « clause dérogatoire » pour la quatrième fois en deux mois

En tapant sur leurs bureaux et en criant « Bravo ! », les législateurs du Parti conservateur uni (PCU) d'extrême droite, au pouvoir en Alberta, ont adopté le projet de loi 9 au milieu de la nuit du 10 décembre, après avoir utilisé leur majorité pour mettre fin au débat et museler l'opposition. Cette mesure porte atteinte au droit des jeunes transgenres de recevoir des soins médicaux appropriés et de participer à des activités sportives, et empêche les professionnels de la santé de leur prodiguer certains traitements.

La manière dont le projet de loi a été adopté était tout à fait appropriée, car il bafoue les droits démocratiques fondamentaux. Le projet de loi 9 invoque la « clause dérogatoire » autoritaire de la Constitution canadienne – l'article 33 de la Charte des droits et libertés – pour soutenir la croisade juridique du gouvernement du PCU contre les jeunes transgenres.

Le projet de loi 9 protège trois lois qui persécutent les jeunes transgenres contre toute contestation constitutionnelle et juridique, que ce soit en vertu de la Constitution canadienne, de la Charte des droits de l'Alberta ou de la Loi sur les droits de la personne de l'Alberta. Son adoption marque la quatrième fois en deux mois que la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, invoque la « clause dérogatoire », qui permet aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada d'imposer des lois qui violent les droits constitutionnels fondamentaux censés être garantis par la Charte des droits et libertés.

Fin octobre, le gouvernement du PCU a utilisé la clause dérogatoire pour rendre illégale une grève de 55 000 enseignants du secteur public et leur imposer un contrat de travail dicté par le gouvernement.

Des milliers d'enseignants des écoles publiques se sont rassemblés devant l'Assemblée législative de l'Alberta le 23 octobre pour s'opposer au projet du gouvernement du PCU d'interdire leur grève en utilisant la « clause dérogatoire ». [Photo: David J. Climenhaga/Rabble.ca]

Jusqu'à récemment, la clause dérogatoire n'avait presque jamais été utilisée par les gouvernements, à l'exception de celui du Québec. Cependant, ces dernières années, alors que la classe dirigeante canadienne s’est de plus en plus déplacée à droite, provoquant une opposition sociale grandissante, surtout de la part de la classe ouvrière, son utilisation a été normalisée de plus en plus. En effet, les dirigeants politiques d'extrême droite, dont Smith, le premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe, le premier ministre de l'Ontario Doug Ford et le chef conservateur fédéral Pierre Poilievre, ont promis d'enterrer une fois pour toutes tout « tabou » entourant son utilisation.

Le gouvernement conservateur de Ford a utilisé à trois reprises la « clause dérogatoire », notamment en 2022, lorsqu'il a interdit de manière préventive une grève de 55 000 employés de soutien à l'éducation sous-payés. En 2023, le gouvernement du Parti saskatchewanais de Moe a invoqué la clause dérogatoire en réponse à une décision de justice qui suspendait l'application de sa « loi sur les pronoms » visant les jeunes transgenres en attendant qu'une décision soit rendue sur sa constitutionnalité.

Le gouvernement autonomiste nationaliste de la CAQ au Québec a invoqué à plusieurs reprises l'article 33 pour protéger des lois chauvines visant les immigrants et les minorités religieuses et renforçant le statut privilégié du français dans la vie publique de la province, notamment le projet de loi 21 qui vise particulièrement les femmes musulmanes.

La nouvelle loi adoptée en Alberta, intitulée « Protecting Alberta's Children Statutes Amendment Act », étouffe les multiples poursuites judiciaires contestant la constitutionnalité de trois lois anti-trans adoptées en 2024 : la loi sur la santé, la loi sur l'éducation et la loi sur l'équité et la sécurité dans le sport. Ces lois interdisent les « soins d'affirmation du genre » pour les jeunes transgenres de moins de 16 ans, interdisent aux filles transgenres de participer à des compétitions sportives féminines et contrôlent l'utilisation des pronoms et des noms des jeunes transgenres dans les écoles publiques de l'Alberta.

Les lois que le gouvernement de l'Alberta a promulguées contre les jeunes transgenres constituent des atteintes flagrantes à la liberté d'expression, d'association et d'opinion, ainsi qu'à la liberté des médecins de prescrire des traitements à leurs patients en se basant sur la science et leur propre conscience.

Elles constituent une discrimination sanctionnée par l'État à l'encontre des personnes transgenres en général et, à ce titre, légitiment l'agitation et la violence de la droite à leur égard.

Les attaques du gouvernement de l'Alberta menacent la vie des travailleurs. Les jeunes transgenres sont exposés à un risque disproportionné de suicide : 82 % d'entre eux auraient envisagé de se suicider et 40 % auraient effectivement tenté de le faire. Des parents de jeunes transgenres déclarent qu'ils se préparent à quitter la province pour assurer la sécurité de leurs enfants.

Le gouvernement de Smith a tenté de justifier l'injustifiable en recourant à des absurdités pseudo-scientifiques et à des mensonges éhontés. Bien que l'Association médicale de l'Alberta ait déclaré que les inhibiteurs de puberté ne rendent pas stériles ceux qui les prennent, Smith a affirmé que « les enfants doivent atteindre un âge où ils peuvent comprendre s'ils prennent des décisions qui auront un impact sur leur capacité à avoir un jour leurs propres enfants [...] » Se vautrant dans des superstitions médiévales, Smith, démagogue d'extrême droite, a pris cette décision à leur place – et à celle de leurs médecins ! – en se basant sur ses propres préjugés et son ignorance scientifique.

Le World Socialist Web Site condamne sans équivoque l'attaque de l'État contre les jeunes transgenres, qui constituent une minorité extrêmement vulnérable dont les droits à l'expression personnelle, que ce soit par le choix de leur propre nom ou par la participation à des activités sportives et à des soins médicaux sûrs, doivent être défendus par l'ensemble de la classe ouvrière.

Mais le recours du gouvernement de l'Alberta à la clause dérogatoire dans le cadre du projet de loi 9 n'est pas seulement une question de droits des transgenres, aussi importants soient-ils. Il s'inscrit dans le cadre d'une tendance plus large de l'ensemble de la classe dirigeante à s'orienter vers des formes de gouvernement autoritaires. Le capitalisme canadien a l’ensemble de classe ouvrière dans son collimateur.

En faisant des minorités vulnérables des boucs émissaires, la classe dirigeante cherche à détourner la colère sociale suscitée par l'insécurité économique croissante et à diviser la classe ouvrière. La promotion du chauvinisme et de la discrimination est également un moyen pour elle de mobiliser politiquement les éléments les plus réactionnaires et les plus arriérés de la population.

Avec le projet de loi 9, le PCU lance à sa base fasciste un os politique.

Smith et son PCU parlent au nom de la fraction la plus impitoyable de la classe dirigeante, y compris, mais sans s'y limiter, les magnats du pétrole de l'Alberta. En leur nom, son gouvernement intensifie l'austérité, exige la privatisation des soins de santé et cherche à restreindre radicalement, voire à supprimer complètement, la péréquation, le programme constitutionnel en vertu duquel Ottawa verse des transferts aux provinces les plus pauvres afin de garantir que les services publics et sociaux dans tout le pays répondent à une norme nationale de base.

La première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, et Donald Trump [Photo: Danielle Smith/X]

Longtemps identifiée au populisme de droite, Smith est devenue plus « radicale » ces dernières années, alors que la classe dirigeante au Canada et à l'échelle internationale a ressuscité l'extrême droite et l'a réintégrée dans la politique traditionnelle. Cela s'illustre par Trump et son mouvement MAGA, mais aussi par le parti néonazi AfD en Allemagne, Meloni en Italie et Marine Le Pen et le Rassemblement national en France.

Smith a courtisé Trump, se rendant à Washington et à Mar-a-Lago pour faire pression en faveur de l'intégration complète de l'Alberta dans sa stratégie impérialiste américaine de « domination énergétique mondiale » ; elle attise ouvertement le mouvement séparatiste d'extrême droite et nationaliste chrétien de l'Alberta. Elle a été une fervente partisane du convoi « de la liberté » fomenté par les fascistes, qui a occupé de manière menaçante le centre-ville d'Ottawa au début de 2022 dans le but de forcer l'abandon de toutes les mesures anti-COVID restantes et le renversement du gouvernement libéral de Trudeau. Son gouvernement PCU démantèle systématiquement les mesures de santé publique essentielles, conformément aux exigences de l'aile anti-vaccination de l'extrême droite.

Son gouvernement a fulminé contre l'immigration « incontrôlée », reprochant aux immigrants la crise des soins de santé publics et de l'éducation provoquée par des décennies de coupes budgétaires et de sous-financement. Dans une évolution inquiétante, le gouvernement du PCU met en place un nouveau système de permis de conduire qui distingue les conducteurs non citoyens par une marque d'identification sur leur carte de permis.

À cet égard, le gouvernement Carney n'est pas en reste. Juste avant que la Chambre des communes ne suspende ses travaux pour les vacances ce mois-ci, elle a approuvé un projet de loi du gouvernement qui restreint davantage le droit d'asile et renforce la sécurité aux frontières afin que le Canada puisse intensifier sa coopération avec la chasse aux sorcières anti-immigrés menée par Trump.

Au Canada comme à l'échelle internationale, le virage de la classe dirigeante vers des formes de gouvernement autoritaires et la promotion de l'extrême droite sont motivés par des inégalités sociales toujours plus grandes, par la nécessité de réduire les dépenses publiques pour financer l'explosion des budgets de guerre et par la crainte que la montée de la lutte des classes ne brise le carcan imposé par la bureaucratie syndicale.

Sous la houlette des gouvernements libéraux de Trudeau et Carney, la classe dirigeante s'apprête à abolir le droit de grève et de négociation collective des travailleurs. Sur la base d'une « réinterprétation » frauduleuse de l'article 107 du Code canadien du travail, Ottawa s'est arrogé le pouvoir de criminaliser les grèves à sa guise et l'a utilisé au cours des 16 derniers mois pour briser les grèves des cheminots, des débardeurs, des employés d'Air Canada et des postiers, entre autres. La CAQ du Québec a emboîté le pas. Sa loi 14 (projet de loi 89) confère au ministre du Travail du Québec des pouvoirs similaires pour déclarer unilatéralement illégales les grèves, tout en élargissant considérablement la définition des « services essentiels » afin de limiter le droit de grève des travailleurs des secteurs public et privé.

Le gouvernement libéral fédéral et ses homologues provinciaux ont systématiquement diffamé et réprimé les opposants au génocide israélien des Palestiniens de Gaza soutenu par l'impérialisme.

Au nom de la réponse à la guerre commerciale et aux menaces d'annexion de Trump, le gouvernement Carney et plusieurs provinces, dont l'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique, ont adopté ou proposé des lois leur donnant le pouvoir de suspendre les réglementations environnementales et autres sur les grands projets de développement économique. Non content de cela, le nouveau projet de loi omnibus sur le budget du gouvernement libéral fédéral cache en son sein une mesure législative qui donnerait aux ministres du Cabinet le pouvoir d'exempter toute personne ou entreprise de toute loi fédérale – à l'exception du Code criminel – pendant une période pouvant aller jusqu'à six ans.

La clause dérogatoire est, d'un point de vue constitutionnel, extrêmement inhabituelle, un artefact juridique qui n'existe dans aucune autre démocratie. Il s'agit essentiellement d'une carte « sortie de prison » pour tout gouvernement qui souhaite restreindre « la liberté de conscience et de religion, de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, de réunion pacifique et d'association » énoncée à l'article 1 de la Charte des droits et libertés. Cette clause est considérée comme un modèle législatif par nul autre que le chef fasciste génocidaire israélien Benjamin Netanyahou, qui convoite une « solution canadienne » pour passer outre les décisions de la Cour suprême d'Israël.

L'État canadien tel qu'il est constitué comporte de nombreuses autres échappatoires antidémocratiques, conformément aux origines politiques réactionnaires de la classe dirigeante canadienne, qui a toujours été une adversaire acharnée du progrès révolutionnaire. Il s'agit notamment des « limites raisonnables » aux droits démocratiques fondamentaux énoncées à l'article 1 de la Constitution canadienne et des « pouvoirs de réserve » étendus de la Couronne, que le gouvernement conservateur minoritaire de Harper a invoqués en 2008 pour fermer le Parlement afin d'éviter une défaite certaine. Même en période de paix sociale, toutes les caractéristiques démocratiques de la Constitution canadienne ont un caractère provisoire.

Dans toutes leurs attaques contre la démocratie, la classe dirigeante et les gouvernements successifs se sont appuyés sur les services politiques de la bureaucratie syndicale et du Nouveau Parti démocratique pour bloquer l'opposition de la classe ouvrière. La bureaucratie a étouffé des grèves telles que celles des travailleurs de Postes Canada et d'Air Canada, pour ne citer que les plus récentes. Le NPD social-démocrate apporte un soutien politique essentiel à la classe dirigeante capitaliste. Il a soutenu le gouvernement Trudeau alors qu'il participait une guerre impérialiste par procuration contre la Russie en Ukraine et a confiné le mouvement anti-génocide à des appels moraux impuissants adressés aux oreilles sourdes de l'impérialisme canadien.

Les travailleurs doivent tirer les conclusions politiques qui s'imposent et mener une lutte pour leur indépendance politique vis-à-vis de tous les camps de la bourgeoisie. La défense des droits démocratiques doit aujourd'hui être menée par une contre-offensive de la classe ouvrière contre l'austérité capitaliste et la guerre, et pour la transformation socialiste de la vie socio-économique.

(Article paru en anglais le 19 décembre 2025)

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