Comité International de la Quatrième Internationale
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme

La fondation du Workers Revolutionary Party

La campagne pour transformer la SLL en parti révolutionnaire fut lancée en 1973. C’était un événement qui avait une importance historique pour le Comité International de la Quatrième Internationale. Mais ce n’est pas ainsi que la direction de la SLL envisagea cette décision et c’est bien différemment qu’elle l’expliqua à ses membres.

La fondation du Socialist Workers Party en 1938, qui fut supervisée par Léon Trotsky, avait été précédée par un énorme travail préparatoire : des centaines de pages de documents furent produites exposant avant toute chose les fondements historiques de la section américaine de la Quatrième Internationale et de ses perspectives internationales. Toutes les questions cruciales de programme et de principes furent élaborées dans ces documents. La création d’un nouveau parti révolutionnaire était conçue comme une conquête historique des sections les plus avancées du prolétariat et non comme une manœuvre tactique passagère destinée à faciliter le recrutement. Elle fut présentée comme le résultat d’une lutte internationale de longue haleine dans le mouvement communiste et dans les sections les plus avancées du prolétariat.

On expliqua toutefois la fondation du WRP d’une façon toute différente. Une résolution du Comité central, datée du premier février 1973, avançait une perspective pour la transformation de la SLL en parti, sans même mentionner la stratégie centrale du trotskysme, la révolution socialiste mondiale. De plus, elle ne réaffirmait pas les positions programmatiques de base de la Quatrième Internationale et ne reliait pas la décision de fonder le parti aux conquêtes théoriques réalisées par la lutte contre le révisionnisme pabliste.

Rien, dans la résolution sur les perspectives, ne laissait entendre que la transformation de la SLL en Workers Revolutionary Party était fondée sur autre chose que des considérations pratiques liées à la croissance du mouvement anti-Tory dans la classe ouvrière. Le document était manifestement écrit pour s’adapter au niveau général de la conscience syndicale et le programme qu’il ébauchait se limitait donc presque entièrement à des revendications à caractère démocratique. La question de la dictature du prolétariat, en tant que but stratégique de la révolution socialiste en Grande-Bretagne, n’était absolument pas mentionnée. Les perspectives n’expliquaient pas et ne démasquaient pas la nature de classe de la démocratie bourgeoise, nécessité requise à l’élaboration de tout programme révolutionnaire pour la classe ouvrière britannique.

Le document ne disait rien ni sur la lutte contre l’impérialisme britannique, ni sur la relation entre la classe ouvrière britannique et les luttes de libération nationale et anti-impérialistes à travers le monde. La section du document traitant du programme n’appelait pas à l’autodétermination de l’Irlande.

De par son contenu et de par sa conception fondamentale, le programme de fondation du WRP n’avait rien de commun avec le trotskysme. Pas un seul passage de ce document n’allait au-delà des limites du centrisme. Ceci était lié aux perspectives essentiellement nationalistes sur lesquelles le WRP était fondé. En appelant à la transformation de la SLL, la direction de Healy déclarait qu’elle n’avait qu’un but : l’élection d’un gouvernement travailliste pour remplacer les Tories !

« La Socialist Labour League, une fois transformée en parti révolutionnaire, aura une tâche politique spécifique à accomplir : unifier la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste pour renverser le gouvernement conservateur et le remplacer par un gouvernement travailliste ; mener la lutte pour démasquer et remplacer les dirigeants travaillistes qui servent le capitalisme ; amener le mouvement anticonservateur de masse à lutter pour une politique socialiste sous un gouvernement travailliste ; dans cette lutte, gagner au marxisme des milliers de personnes et chasser les dirigeants réformistes des syndicats et du mouvement ouvrier.

« Un tel parti révolutionnaire travaillera dans les usines, les syndicats, le mouvement de jeunesse, le mouvement des locataires, parmi les chômeurs, parmi les étudiants – et partout où on lutte contre le gouvernement Tory– afin de donner à ces forces la véritable alternative socialiste.

« Les membres du parti seront les combattants les plus actifs à la tête de chacune de ces luttes pour les salaires, les emplois, les loyers, les programmes sociaux et les droits démocratiques. Mais, dans ces luttes, ils combattront avant tout afin de construire le mouvement politique pour chasser les conservateurs, mouvement dont le pivot est le rassemblement et l’entraînement des forces du parti révolutionnaire lui-même. » (traduit de Fourth International, Hiver 1973, p. 132)

Pour la première fois dans l’histoire, un parti trotskyste était fondé dans le but spécifique d’élire un gouvernement social-démocrate ! Difficile d’imaginer perspective plus provinciale. Dans sa Critique du programme de l’Internationale Communiste L. Trotsky avait écrit : « A notre époque, qui est l’époque de l’impérialisme, c’est-à-dire de l’économie mondiale et de la politique mondiale, dirigées par le capitalisme, pas un seul Parti communiste ne peut élaborer son programme en tenant essentiellement compte, à un plus ou moins haut degré, des conditions et tendances de son développement national. » (L’Internationale Communiste après Lénine, PUF, p. 85-86)

Or, en 1973 la SLL proposait d’établir un parti sur la base d’un programme électoral ! De plus, en affirmant son droit de former un parti révolutionnaire, la SLL ne se présentait plus que comme le combattant le plus conséquent contre les Tories et pour la défense des droits démocratiques. Il expliquait la nature du parti révolutionnaire presque entièrement par la nécessité de défendre les droits « de base » dont le contenu de classe n’était pas spécifié :

« En appelant aujourd’hui à soutenir sa transformation en un parti révolutionnaire, la SLL se réclame de sa propre tradition de défense de ces droits fondamentaux et de lutte pour une direction d’alternative...

« L’actuelle SLL est issue de toute la lutte menée pour une politique fondamentale et pour la défense des droits élémentaires tel que le droit au travail. » (Fourth International, Hiver, 1973, p. 130)

Pendant un certain temps, Healy jongla avec l’idée d’appeler la nouvelle organisation le « Basic Rights Party (Parti pour les droits fondamentaux) » ! Heureusement, il abandonna cette proposition. Mais la perspective politique qui avait donné naissance à cette idée apparaissait en filigrane tout au long du document de fondation. Dans la section concernant le programme, qui semblait avoir été empruntée à la politique du T&GWU (le syndicat des routiers), on énumère les droits fondamentaux de la façon suivante : le droit de travailler, le droit démocratique de faire grève et de s’organiser dans un syndicat, le droit de défendre les acquis du passé et de changer le système [!]), le droit à un niveau de vie plus élevé, le droit à des prestations médicales et le droit à un logement décent.

La transformation de la ligue en parti fut précédée, sur le plan organisationnel, d’une campagne de recrutement massif, qui invitait tous ceux qui étaient d’accord avec ce programme, à adhérer à la section britannique. Mais ce programme était rédigé de telle sorte que l’adhésion était possible même à ceux qui faisaient tout juste preuve de vagues tendances social-démocrates. Aussi, la transformation de la SLL en WRP alla-t-elle de pair avec une baisse dangereuse des exigences de qualifications politiques à une adhésion au parti. Le recrutement était organisé non pas pour la révolution prolétarienne, mais pour l’élection d’un gouvernement travailliste et la réalisation d’un programme social-démocrate.

En outre, le document parlait à peine du fait que la Socialist Labour League était une section du Comité international de la Quatrième Internationale. Il y avait en tout et pour tout quatre petits paragraphes consacrés à l’histoire du mouvement trotskyste. Quant au révisionnisme, on n’y faisait référence que sous sa forme britannique, l’International Marxist Group. Ainsi donc, il ne contenait aucune allusion aux luttes historiques de la précédente décennie. Ceux qui furent par conséquent recrutés sur la base de ce programme ne savaient pas nécessairement qu’ils devenaient membres d’une organisation communiste internationale, et ils n’avaient donc pas à être d’accord avec les perspectives du CIQI et avec son autorité sur leur travail politique. Dans son explication de la croissance et du développement politique de la SLL au cours de la décennie précédente, le programme ne mentionnait pas la lutte pour l’internationalisme prolétarien contre les trahisons du révisionnisme pabliste.

La décision de fonder le Workers Revolutionary Party ne fut pas discutée au Quatrième congrès du Comité international. Elle fut abordée comme s’il s’agissait d’une question nationale sans lien avec la lutte internationale contre le révisionnisme. La lutte pour transformer la SLL en WRP n’avait pas été menée consciemment pour en faire le point culminant d’une longue lutte contre le liquidationnisme pabliste et contre le centrisme de l’OCI, grâce à laquelle la continuité du trotskysme fut défendue et préservée. Au lieu de cela, cette « transformation » devint un moyen de rabaisser le programme et d’obscurcir les principes historiques pour lesquels la SLL avait combattu. C’est ainsi que le fait que la section britannique se soit détournée de la construction du Comité International se manifesta dans la fondation même du parti.

Prétendre que la fondation du WRP en 1974 était une erreur, serait toutefois incorrect. Il ne serait pas juste non plus de dire que le caractère centriste du programme signifiait que le parti n’était pas trotskyste. Une série de documents incorrects et inadéquats ne change pas à elle seule le caractère d’un mouvement qui est le produit de plusieurs décennies de lutte dans la classe ouvrière. Mais la façon dont fut fondé le WRP portait la marque d’une déviation opportuniste reflétant les pressions grandissantes du mouvement de masse sur le parti – en particulier, une adaptation à son niveau de conscience syndicaliste. La forme de cette adaptation était directement liée au manque de lutte contre le centrisme à l’intérieur de la Quatrième Internationale. Une fois de plus, cette vieille vérité se révélait exacte : ceux qui se lancent à la hâte dans une scission, sans mener jusqu’au bout la lutte théorique contre les centristes, finissent par adopter leur programme.