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L'Alliance canadienne en désarroi : La droite frustrée s'en prend à l'électorat

Par Jacques Richard et Keith Jones
6 janvier 2001

Le nouveau parti de la réaction politique au Canada, l'Alliance canadienne, a été ébranlée par la défaite qu'elle a subie, lors de la récente élection fédérale, aux mains des Libéraux, le parti traditionnel de gouvernement de la classe dirigeante.

L'Alliance a bénéficié d'une campagne très favorable des média dans les mois ayant précédé l'élection du 27 novembre. L'élite des affaires du Canada, qui avait gardé ses distances par rapport au prédécesseur de l'Alliance, le parti réformiste, a fait couler des millions de dollars dans les coffres du parti. Mais le jour de l'élection, l'Alliance n'a pu atteindre aucun de ses objectifs. Elle n'a pas réussi à réduire les Libéraux à un gouvernement minoritaire. Elle n'a gagné que 2 des 103 sièges de l'Ontario à la Chambre des Communes, bien que l'Alliance ait été créée dans le but précis de faire une percée électorale dans la province la plus peuplée et la plus industrialisée de l'Ontario. L'Alliance a aussi échoué dans son objectif d'"unir la droite" en éliminant le parti conservateur en tant que rival parlementaire.

Le chef du parti Stockwell Day a interprété l'élection comme un pas en avant pour l'Alliance, car elle a gagné six sièges de plus, et six pour cent de plus du vote populaire national, par rapport au parti réformiste en 1997. Cet argument n'a pas cependant été bien reçu parmi les membres de base du parti, ou parmi les sections de la grande entreprise qui avaient vu en l'Alliance le moyen de faire pression pour de nouvelles coupures massives dans les services sociaux et publics et la levée de toute réglementation restrictive sur le capital. La plupart admettent que le résultat électoral constitue un ferme rejet populaire de l'Alliance.

Craignant que le leadership de Day soit vite remis en question, ses partisans ont annoncé leur intention de présenter une résolution réaffirmant son rôle de chef lors du conseil national de l'Alliance qui aura lieu ce mois-ci. Fondamentaliste chrétien et architecte de l'impôt à taux unique socialement régressif de l'Alberta, Day a cherché à calmer les craintes suscitées par l'orientation de droite de l'Alliance et ses liens avec la droite religieuse en passant sous silence ou en reformulant une bonne partie du programme de son parti durant la campagne électorale. Une partie importante de l'électoral a considéré cette tentative crue de manipulation électorale comme étant la confirmation des accusations libérales que l'Alliance avait des projets secrets. La performance maladroite de Day a par ailleurs amené la grande entreprise à s'interroger pour savoir si un gouvernement de l'Alliance serait capable de faire face aux troubles sociaux que ses projets de droite allaient inévitablement provoquer.

Certains journalistes "experts" ont prédit que Day et l'Alliance répondraient à leur piètre résultat électoral en abandonnant ou en modifiant plusieurs des propositions les plus controversées mises de l'avant par le parti. Une analyse du débat qui se déroule à l'heure actuelle dans les milieux politiques de la droite révèle cependant de tout autres sentiments. Même si des ambitions meurtries pourraient finalement coûter son leadership à Day, la profonde déception électorale ne fait qu'alimenter l'extrémisme des idéologues de droite qui fournissent à l'Alliance ses munitions intellectuelles.

La droite s'en prend aux masses "bornées"

Fait significatif, le revers électoral de l'Alliance a inspiré toute une série d'articles par des partisans de ce parti où ils laissent éclater leur rancoeur contre l'électorat. Au lieu de prôner la nécessité de raffiner et de remodeler leurs arguments dans la bataille pour gagner l'appui des Canadiens, des porte-paroles en vue de la droite dénoncent l'électorat et songent tout haut au besoin de trouver un mécanisme quelconque, en dehors du cadre politique-constitutionnel établi, pour contourner l'opposition populaire à leur programme.

Citant le "rejet par le Canada central" du "point de vue politique dominant en Colombie-Britannique", Gordon Gibson, ancien dirigeant du parti libéral de la C-B, a mis de l'avant la position que la droite sur la côte ouest canadienne devrait répondre au résultat électoral en faisant pression pour la sécession. "Nous satisfaisons facilement aux critères pour l'indépendance", a-t-il fait remarquer sur un ton sarcastique. Stephen Harper, ancien député du parti réformiste et l'actuel président du Conseil national des citoyens, soutient que l'Alberta devrait exiger plus de pouvoirs provinciaux. "Il est temps de rechercher un nouveau rapport avec le Canada.... L'Alberta et une bonne partie du reste du Canada ont pris des voies divergentes et potentiellement hostiles." Harper appelle le gouvernement provincial conservateur de l'Alberta, l'un des plus fervents promoteurs de l'Alliance, à tirer des leçons de l'exemple du Québec. "Dans un domaine après l'autre, la province du Québec ... a pris les initiatives nécessaires pour garantir que celle-ci soit contrôlée par sa propre culture et sa propre majorité".

Quant à Conrad Black, co-propriétaire du National Post et conservateur notoire, il fonde ses espoirs sur l'éventuelle absorption du Canada par une Amérique menée par les Républicains. Dans un article publié dans le Wall Street Journal, Black déplore le fait que "les Canadiens ont à peine abordé les vraies questions" durant la campagne électorale et que "la droite est fragmentée et intimidée". Il termine en proposant "une solution à la 'Helmut Kohl': la partié pour les dollars américain et canadien dans le cadre d'une union fédérale".

L'Alliance et la droite religieuse

Un thème majeur du débat sur l'avenir de l'Alliance porte sur la place qu'occupe l'orientation sociale conservatrice de la droite religieuse dans le programme de ce parti. Des éléments au sein de l'Alliance et du parti conservateur ont dit souhaiter une nouvelle campagne en vue de fusionner les deux partis, parce que ce serait entre autres une façon de se "limiter au conservatisme fiscal/économique sans tomber dans le conservatisme social", comme l'a expliqué un dirigeant conservateur en vue.

Plusieurs membres dirigeants de l'Alliance pensent que la campagne électorale de leur parti a été minée par l'incapacité de Day à prendre ses distances par rapport aux questions chères à la droite religieuse, telle que l'utilisation de référendums pour bannir l'avortement, restaurer la peine de mort et permettre à l'état de financer les écoles religieuses.

Cependant, l'appel en faveur d'une marginalisation des questions chères à la droite religieuse est plus souvent qu'autrement associé à un appel en faveur d'une promotion beaucoup plus agressive du "conservatisme fiscal", c'est-à-dire un réalignement radical de la politique fiscale, économique et sociale du Canada selon les exigences des sections les plus voraces et politiquement bornées de la grande entreprise.

Ce sentiment a été exprimé le plus ouvertement par le chroniqueur du National Post, Andrew Coyne, dans un article intitulé "Perte de sang-froig fatale pour l'Alliance".

"Il faut se différentier radicalement du statu quo, aller là où aucun rival ne pourra aller. Telle était la motivation fondamentale de l'Alliance telle qu'enregistrée dans sa 'solution 17', pierre angulaire du programme adopté à son congrès de fondation: il s'agit d'un impôt sur le revenu au taux unique de 17 pour cent, soit à peine la moitié du taux le plus élevé existant jusqu'ici.... La décision, prise peu après l'appel pour une élection, d'abandonner le taux unique, en faveur d'un deuxième créneau plus élevé pour les payeurs de taxe à revenus élevés, a marqué le premier pas fatal de la campagne de l'Alliance.... Elle a permis aux [Liébraux] de présente leurs propres coupures de taxes moins ambitieuses ... comme un substitut adéquat."

Coyne continue sur sa lancée. "Sur une question après l'autre, l'Alliance a plié sous la pression, atténuant ou rejetant des positions qui faisaient parti depuis longtemps du programme du parti lorsqu'il était encore le parti réformisme."

S'en prenant à la notion, mise de l'avant par "certains commentateurs", que "les mesures prônées par l'Alliance sont déphasées par rapport aux 'valeurs' ontariennes", Coyne soutient: "Si c'était vrai, Mike Harris [un conservateur de droite] ne serait pas premier ministre aujourd'hui." Mais un simple survol de l'histoire politique récente de l'Ontario apporte un démenti à la suggestion de Coyne, très courante d'ailleurs dans les médias et la 'gauche' ontarienne, voulant que la réelection de Harris en 1999 soit un signe de la force politique et de la popularité de son féroce régime.

Harris a été élu pour la première fois en 1995 sur la base d'un programme populiste de droite, grâce surtout à la confusion politique créée par le gouvernement NPD (social-démocrate) précédent de Bob Rae, qui avait violé ses promesses électorales de timides réformes sociales et imposé des coupures drastiques tant au niveau des dépenses soiales que des emplois et salaires des travailleurs du secteur public. Le gouvernement Harris a ensuite fait face à une opposition populaire de masse, qui a atteint son point culminant en1997 avec une grève provinciale de deux semaines des professeurs, qui a complètement paralysé le gouvernement. C'est la trahison de cette grève, et le sabotage subséquent du mouvement anti-conservateur, par les dirigeants des syndicats et du NPD, qui ont créé les conditions politiques pour la réélection de Harris.

Quoi qu'il en soit, le plan de Coyne visant à refaire l'Alliance en purgeant son programme de tout conservatisme social, ne peut pas marcher, et non seulement parce que la droite religieuse constitue une fraction importante du membership de l'Alliance. Pour trouver une base sociale pour ses projets réactionnaires, la grande entreprise est inévitablement poussée à encourager la réaction politique et la rétrogression culturelle.

En outre, comme Coyne lui-même le reconnaîtrait, il existe dans de nombreux domaines un chevauchement des projets liés au conservatisme social et au conservatisme fiscal. Les deux veulent un état fort, autoritaire. La promotion des valeurs familiales servent de couverture et de base politique au démantèlement de l'état-providence et au transfert des responsabilités vers les individus et les familles dans tout ce qui touche au soutien à accorder aux pauvres, aux personnes âgées, aux infirmes, etc.

Le conservatisme social représente un appel pour un niveau extraordinaire de contrôle social sur tous les aspects, même les plus intimes, de la vie des gens. Il a trouvé un écho, particulièrement dans les régions rurales plus arriérées de l'Amérique du Nord, et apporté beaucoup d'eau au moulin de la droite politique montante. L'appel à la tradition et à l'ordre, imposé par un état autoritaire et sanctionné par un être divin, a un attrait bien défini pour certaines couches moyennes de la société qui se sentent ballotées par les rapides changements socio-économiques et de plus en plus sans contrôle sur leurs vies.

Ces couches sociales sont cependant très instables. L'une des grandes craintes de la grande entreprise c'est que la promotion ouverte du type de société impitoyable et anti-démocratique prôné par les conservateurs sociaux ne provoque une opposition de masse qui viendrait entraver la poursuite de ses propres objectifs.

Les conflits de classe ouverts approchent

Le débat post-électoral sur la "crise de la droite" est une expression des problèmes politiques posés à la bourgeoisie canadienne alors qu'elle est poussée par la compétition globale de plus en plus féroce à intensifier son assaut sur la position sociale de la classe ouvrière.

Des sections importantes de la grande entreprise ne sont pas satisfaites des Libéraux. Au même moment, elles ont été forcées de reconnaître durant la campagne électorale qu'elles n'ont jusqu'à présent aucun autre instrument politique viable pour appliquer leurs demades pour le démantèlement de ce qui reste de l'état-providence et l'abolition de toute réglementation restrictive sur la chasse aux profits de la grande entreprise.

La pression va se faire sentir sur les Libéraux pour qu'ils appliquent ce programme et les Libéraux ne vont pas se faire prier, tout comme ils l'ont fait juste avant de déclencher les élections lorsqu'ils ont adopté le programme de coupures de taxes de l'Alliance en sa quasi-totalité. Mais s'étant fait réélire en se faisant passer pour le défenseur du réseau de la santé et des services publics et en dénonçant les positions anti-démocratiques de l'Alliance sur l'avortement et d'autres questions sociales, le gouvernement libéral n'a aucun mandat populaire pour de telles mesures.

Comme l'a noté Linda McQuaig dans une récente chronique, contrairement au grand patronat, la grande majorité des Canadiens n'a pas encore compris les implications du mini-budget de coupures de taxes déposé par les Libéraux. "Le reste du pays ne va que graduellement réaliser ce qu'il a fait en votant pour un parti libéral qui s'apprête à dépenser presque tout le surplus budgétaire en coupures de taxes, laissant très peu pour les programmes publics qui constituent, pour la plupart des Canadiens, un élément vital de leur bien-être économique et social....

"Le marché répartit les revenus de façon très inégale; le cinquième le plus riche en termes de revenus, reçoit à peu près 27 fois plus que le cinquième le plus pauvre. Mais en ajoutant les taxes et les transferts sociaux (pensions de vieillesse, prestations d'assurance-chômage), ... le groupe du haut ... ne reçoit que 8,5 fois plus de revenus que celui du bas. En ajoutant finalement les avantages financiers fournis par les services publics comme les réseaux de la santé et de l'éducation, ... le groupe du haut ... ne reçoit plus que 3,9 fois plus de 'revenus' que celui du bas....

"J'ai l'impression que la plupart des Canadiens ne réalisent tout simplement pas qu'ils viennent de voter pour une redistribution importante des ressources -- à leurs dépens."

Quand ils vont le réaliser, une opposition populaire de masse va inévitablement se développer.

Les coupures libérales dans les dépenses sociales et les taxes, associées à l'impact dévastateur qu'aura la prochaine récession, préparent le terrain pour une éruption des tensions sociales à la surface de la vie politique canadienne.

L'émergence de l'Alliance était un signal de la grande entreprise qu'elle trouvait les anciennes formes politiques inadéquates. C'est maintenant au tour de la classe ouvrière de reconnaître la nécessité de s'armer d'un nouveau parti qui articule un programme socialiste.

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