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Chirac gagne la présidence française avec 82 pour cent du vote

Le président gaulliste appuyé par le Parti socialiste, le PC et les Verts

par David Walsh à Paris
6 mai 2002

Le président français sortant, le dirigeant gaulliste Jacques Chirac a été réélu pour un mandat de cinq ans. Ce faisant, il a défait le néo-fasciste Jean-Marie Le Pen du Front national lors du deuxième tour de l'élection présidentielle française ce dimanche 5 mai. Il a obtenu environ 82 pour cent du vote et son adversaire 18 pour cent.

Après le premier tour de l'élection qui a eu lieu le 21 avril et avait vu Chirac et Le Pen prendre les deux premières positions devant le Premier ministre et candidat présidentiel Lionel Jospin, l'establishment politique et médiatique, y compris son aile gauche, ont entrepris une compagne concertée pour assurer à Chirac une victoire retentissante. Cette campagne, qui avait à sa tête le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et les syndicats, a eu un impact indéniable. Le taux d'abstention est passé de près de 30 pour cent au premier tour à environ 20 pour cent au deuxième.

Chirac et ses partisans n'ont pas perdu une seconde pour tenter de récolter les fruits politiques de leur victoire à sens unique, avec les élections législatives qui doivent prendre place le 9 et le 16 juin prochain dans leur mire. Ils ont exploité le thème, qui leur a été fourni par la gauche officielle, que Chirac était au-dessus des partis et des classes sociales.

Dans une déclaration faite quelques instants seulement après la fermeture des bureaux de scrutin et l'annonce d'une victoire écrasante par les experts médiatiques, Chirac s'est donné un rôle quasi-bonapartiste, déclarant qu'il exercerait son mandat «dans un esprit d'ouverture et de concorde, avec pour exigence l'unité de la République, la cohésion de la Nation et le respect de l'autorité de l'État». Il s'est aussi engagé à annoncer la formation d' «un gouvernement de mission» dans les prochains jours, dont le «premier devoir sera de rétablir l'autorité de l'État pour répondre à l'exigence de sécurité».

L'ancien premier ministre de Chirac et une des figures de proue du Rassemblement pour la République (RPR), Alain Juppé (chassé du pouvoir par un mouvement de grèves massives au milieu des années 1990), a déclaré à la presse que l'ancien et le nouveau « président de la République est le président de tous les Français. Sa responsabilité historique, c'est de rassembler, d'écouter le message qui nous a été adressé et d'agir. »

La gauche officielle a félicité Chirac presqu'à l'unisson. François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste et dirigeant par intérim de cette formation en remplacement de Jospin qui a démissionné après l'élection, a louangé le vote des Français «qui ont massivement refusé l'extrémisme et l'intolérance», en référence au néo-fasciste Le Pen.

Il a continué ainsi: « Au nom des socialistes, je tiens à remercier les Français et à les féliciter pour cette victoire sans équivoque. La France a retrouvé ses couleurs et le monde a retrouvé la France.» Dominique Strauss-Kahn, l'ancien ministre des finances du gouvernement Jospin a déclaré que «la gauche a fait son devoir» et que «Le Pen a été largement battu par la gauche».

Robert Hue, le chef du Parti communiste français, qui n'a obtenu que 3,7 pour cent des votes au premier tour comme candidat présidentiel, s'est «réjoui profondément» de la défaite de l'extrême droite, ce qui était pour lui l'«enjeu exclusif» du second tour de l'élection.

Chirac a été décrit par la hiérarchie du Parti socialiste comme le défenseur des «valeurs de la République». En fait, il est un politicien de droite de carrière qui défend résolument les intérêts de l'élite dirigeante française depuis plus de trente ans. Il est aussi bien connu pour sa corruption. Seule l'immunité que lui confère la présidence empêche qu'il soit amené devant les tribunaux pour répondre d'accusations d'avoir détourné des centaines de milliers de dollars des fonds publics en frais de voyage pour lui-même, sa femme et son entourage alors qu'il était maire de Paris. Les enquêteurs se penchent aussi sur des accusations selon lesquelles il aurait reçu des millions en pots-de-vin dans les années 1980 et 1990, sommes qu'il a redirigées vers son propre véhicule politique, le Rassemblement pour la République.

La gauche française a aidé à créer la conjoncture politique qui permet à ce réactionnaire discrédité et corrompu, qui a reçu le plus faible vote au premier tour de tous les présidents sortants depuis la fondation de la Cinquième République en 1958 (19.88 pour cent), de se présenter aux masses comme leur sauveur et rempart contre les attaques de la droite. Ceci est frauduleux et mensonger. Plusieurs de ceux qui ont voté pour Chirac le détestent sans doute, mais la gauche a légitimé le cadre réactionnaire bourgeois en France, qui passera vite à un assaut contre les emplois, les conditions sociales et les droits démocratiques des travailleurs.

En vertu de la constitution de la Cinquième République, Chirac possède d'immenses pouvoirs. Le président français, élu pour cinq ans, nomme le premier ministre, le chef du gouvernement, et peut dissoudre le parlement. Il est aussi responsable de la politique étrangère et préside les réunions du cabinet ministériel.

Le gouvernement Jospin démissionnera officiellement le 6 mai et sera remplacé par une administration intérimaire de droite, probablement dirigée par Jean-Pierre Raffarin de Démocratie libérale ou par le gaulliste Nicolas Sarkozy, jusqu'à l'élection législative du 9 et 16 juin prochain. Si le camp Chirac, qui se présentera sous le nom de l'Union pour la majorité présidentielle (UMP), gagne la majorité des 577 sièges de l'Assemblée nationale, la droite continuera à former le gouvernement. Si c'était plutôt le Parti socialiste ou encore la gauche dans son ensemble qui obtenaient la majorité, la France pourrait connaître une autre «cohabitation», c'est-à-dire une situation dans laquelle le président et le gouvernement ne sont pas du même parti.

Au premier tour des élections présidentielles, Chirac a fait campagne pour une politique de droite portant sur la sécurité, à laquelle Jospin a tenté de s'adapter dans sa propre campagne. Les deux ont largement ignoré les énormes problèmes sociaux auxquels sont confrontés de vastes secteurs de la population ouvrière, y compris le chômage chroniquement élevé, la stagnation du niveau de vie, la détérioration du logement, du système de santé et de l'éducation et une insécurité économique envahissante. Le Pen a tenté, avec un succès considérable, de profiter du vide politique créé par le virage à droite des organisations ouvrières traditionnelles, exploitant les demandes sociales, le désenchantement et la désorientation politique de larges couches sociales en lançant des appels démagogiques et populistes. Il a cherché à canaliser ce mécontentement vers un programme nationaliste, critiquant l'intégration capitaliste de l'Europe du point de vue du chauvinisme français et du racisme anti-immigrant.

La seule réponse des partis de l'establishment à la crise sociale a été de proposer une augmentation des forces policières et des mesures plus dures de «sécurité». Au cours de la campagne électorale, Chirac a promis d'être «dur envers les criminels» en créant un conseil spécial de sécurité, en réorganisant les forces policières et en augmentation leur nombre et en menant la lutte aux «groupes criminels». En particulier, il a pris pour cibles les jeunes contrevenants, appelant à la «tolérance zéro» en ce qui concerne le crime et éliminant ce qu'il appelle l'«impunité» dont bénéficieraient ces jeunes.

En plus d'importantes diminutions des impôts, Chirac a promis (sans faire de propositions précises) de renouveler l'assaut sur le système de la sécurité sociale et des pensions qui avait provoqué les grèves de masse en 1995.

Ce n'est pas pour rien que le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, le lobby patronal, a donné son appui entier à Chirac le 29 avril, de même que certains des plus grands capitalistes du pays. Maurice Lévy, Pdg de Publicis, qui fait partie du groupe des cinq plus importantes sociétés en communication et en publicité au monde, a expliqué que «le patronat devrait prendre une position très claire en appelant à voter Chirac ». Michel Pébereau, Pdg de la gigantesque banque BNP Parisbas, a déclaré au quotidien Le Monde: «Jacques Chirac est le seul candidat présent au 2e tour à représenter les valeurs de liberté, de respect et de démocratie qui sont le fondement de notre société. Je voterai pour lui.» En dépit des références à la démocratie, le MEDEF n'a laissé aucun doute sur le fait qu'il fallait surtout condamner Le Pen pour son opposition à l'euro et à une intégration plus poussée de l'Europe sous la domination des banques transnationales et des sociétés.

La gauche officielle s'est vantée de son rôle dans la réélection de Chirac, affirmant qu'il aurait pour effet de modérer la politique du président et de l'obliger à prendre en compte des besoins et des intérêts plus larges. Si elle ne parle que de sa propre position et de ses propres privilèges, et au fond c'est le cas, Chirac ne représente aucun danger. Mais en ce qui concerne les grandes masses de la population, la question est tout autre.

Nicolas Sarkozy, un des aspirants au poste de premier ministre et ancien secrétaire général du RPR, n'a laissé subsisté aucun doute que les forces chiraquiennes avaient l'intention d'aller de l'avant avec leur politique réactionnaire sans hésitation aucune. Il a déclaré au Figaro dans une entrevue publiée le 30 avril: «Le résultat du premier tour n'est pas vraiment un appel à reprendre les propositions de Lionel Jospin ou de Robert Hue Refuser le front Républicain [l'unité de la droite et des socialistes], c'est refuser une fusion des projets. Réélu président de la République, Jacques Chirac mettra scrupuleusement en uvre le projet qu'il a défendu, comme candidat, avant le premier tour.» Il ne peut y avoir de réponse plus cinglante aux charlatans et aux opportunistes du PS et du PC.

Chirac a adopté une attitude olympienne envers Le Pen entre les deux tours de l'élection présidentielle, le décrivant comme un personnage politique indigne de la France. Voulant justifier son refus de débattre avec Le Pen, il a déclaré que «face à l'intolérance et à la haine, il n'y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible.»

Toutefois, le rejet du débat par Chirac offre deux aspects contradictoires. D'un côté, le président sortant ne désire pas se retrouver dans une situation où il pourrait être questionné sur les scandales de corruption. Le Pen dans les derniers droits de la campagne électorale a appelé Chirac «le parrain des clans qui mettent en coupe réglée le pays Ils [Chirac et ses partisans] puent la corruption, ils ruissellent d'argent sale». Le président du Front national était visiblement anxieux d'avoir l'occasion de marquer des points face au président sortant.

Chirac avait une autre raison de garder ses distances de Le Pen. Il désirait ne pas s'aliéner ni les électeurs qui ont voté pour lui, ni l'appareil de son parti, dont le soutien pourrait lui être nécessaire pour obtenir une majorité aux législatives. Avec le système à deux tours, les partis font souvent des pactes soit pour ne pas présenter de candidats l'un contre l'autre dans certaines circonscriptions, soit pour se retirer au deuxième tour. Trois présidents régionaux alliés de Chirac furent élus grâce aux votes du Front national en 1998, et ils étaient présents tout au long de la campagne de Chirac. Un membre du trio, Jean-Pierre Soisson, président de la région de Bourgogne a déclaré à un journaliste qu'il croyait que « le président va un peu trop loin » dans ses critiques de Le Pen. Toutes sortes d'ententes sordides sont sans doute en train d'être négociées entre le camp Chirac et les éléments de l'extrême droite.

Quant à la gauche socialiste, les trois partis qui ont reçu plus de trois millions de voix au premier tour, Lutte ouvrière (LO), la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et le Parti des travailleurs (PT), qui se réclament toutes du trotskysme bien qu'ayant abandonné le programme et les principes auxquels le nom de Trotsky est associé, cette gauche socialiste a complètement échoué le test politique posé par la situation. Devant la responsabilité de rejeter publiquement la mascarade électorale antidémocratique et réactionnaire (les 44 pour cent d'électeurs ayant voté à gauche n'avaient aucun choix aux élections), chacune de ces trois tendances s'est adaptée à sa façon à la campagne pro-Chirac.

Le PT a simplement refusé de prendre position, demandant essentiellement à ses électeurs et à la classe ouvrière de se sortir eux-mêmes de la crise. C'est la LCR qui s'est le plus ouvertement accommodée à la pression de l'opinion publique officielle, demandant à leurs partisans de «voter contre Le Pen » ce qui n'est qu'une autre façon de dire «voter Chirac». LO a fui ses responsabilités en prenant la position défensive de déclarer aux travailleurs qu'elle préférait qu'ils annulent leur vote, alors qu'elle refusait de mener une campagne qui aurait ouvertement demandé un boycott des élections.

Les conséquences, telles qu'elles se reflètent dans les rapports post-électoraux des agences de sondage, sont une condamnation de ces organisations. Les personnes qui avaient voté pour la LCR au premier tour ont voté à 79 pour cent pour Chirac au deuxième tour. Pour les électeurs qui avaient voté pour LO, ce sont 72 pour cent qui ont voté pour Chirac.

Naturellement, aucune de ces organisations ne pouvait forcer ceux qui les avaient appuyées au premier tour à adopter un comportement électoral donné, mais il est inconcevable que si elles avaient entrepris une campagne combative pour le boycott des élections, en expliquant la nécessité d'une telle action, qu'alors leurs électeurs auraient donné leurs voix à un des représentants de la bourgeoisie. Elles ont ainsi contribué à accroître la désorientation politique des travailleurs.

Malgré le rôle politique déplorable de ces partis, le spectre de Trosky et du trotskysme qui est venu hanter les cercles dirigeants par le truchement des votes qui sont allés à LO, à la LCR et au PT, n'a pas été exorcisé. Entre les deux tours, les commentateurs bourgeois ne pouvaient s'empêcher de discuter ou de se lamenter du fait que de telles tendances existaient et pouvaient gagner en influence.

Claude Goasguen, le porte-parole du parti de droite Démocratie libérale d'Alain Madelin, a déclaré lors d'un meeting pro-Chirac tenu le 30 avril à Paris : «Il faut éviter que la jeunesse ait à choisir entre Le Pen et Trotski, qui a inspiré un si grand nombre de candidats.» Écrivant dans le Figaro du 3 mai, Jean d'Ormesson de l'Académie française a déploré l'existence de «trois partis trotskystes en France au début du vingt et unième siècle !» et la croissance d'une «extrême gauche bolchevique et trotskiste».

Il y aura maintenant un effort concerté du Parti socialiste et des staliniens pour tenter de marginaliser ces partis et de blâmer la défaite de Jospin sur la «division de la gauche». Après avoir obtenu les services de la gauche «trotskyste» (surtout la LCR) entre les deux tours pour rallier un appui populaire pour Chirac et pour le cadre politique actuel, le PS et le PC parlent déjà d'une «candidature unique de la gauche» dans chacune des circonscriptions pour bloquer une victoire de la droite. Les trois partis non-gouvernementaux de la gauche, ayant déjà ouvertement ou tacitement accepté l'argument qu'il était nécessaire de se rallier au mouvement pro-Chirac, ou s'étant montrés incapables de résister à ce type de pression, seront dans une position beaucoup plus faible pour appeler une fois de plus leurs sympathisants à voter pour eux.

Le spectacle d'une foule joyeuse qui saluait la victoire de Chirac le soir de l'élection a été diffusé par les réseaux de télévision. Il reste encore à savoir quel était leur nombre et combien joyeux ils étaient vraiment. Mais dans tous les cas, la classe ouvrière française n'a rien à célébrer. Une élection présidentielle dans laquelle 25 millions de personnes ont voté pour le représentant corrompu et discrédité de l'élite dirigeante française et un autre 6 millions a voté pour un néo-fasciste démagogue est très assurément une mascarade antidémocratique et le signe d'une profonde crise de perspective et de direction dans la classe ouvrière. Dans les luttes à venir, il faudra clarifier les questions politiques et historiques et jeter les bases d'un parti socialiste internationaliste en France dans le cadre du mouvement révolutionnaire mondial, le Comité International de la Quatrième Internationale.

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