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Metaleurop - « après nous le déluge ! »

Socialisation des pertes, privatisation des profits

Françoise Thull, Marianne Arens
Le 2 mai 2003

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La chambre commerciale du tribunal de grande instance de Béthune a décidé vendredi 11 avril de ne pas placer en liquidation judiciaire la société Metaleurop SA, maison mère de Metaleurop Nord, la fonderie de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais) qui avait fermé ses portes le 10 mars en licenciant sans préavis ses 830 salariés.

Les représentants des salariés de Metaleurop Nord avaient demandé à ce que la procédure de redressement judiciaire qui l'avait frappée soit étendue à l'ensemble du groupe Metaleurop afin d'engager la responsabilité de la maison mère en l'obligeant à faire face à ses engagements, à savoir rembourser les factures des 35 entreprises sous-traitantes, assumer la dépollution du site ainsi que l'ouverture d'un plan social aux salariés licenciés.

La décision, prise le 17 janvier dernier par une poignée d'actionnaires, de fermer sans préavis l'usine de Metaleurop Nord avait été publiée par voie de communiqué de presse précisant que « Le conseil d'administration de Metaleurop SA a décidé de ne pas octroyer de nouveaux financements à sa filiale Metaleurop Nord de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais). Cette décision a été prise afin d'assurer la stabilité financière du groupe... ». Ceci signifie en fait un dépôt de bilan qui exonère le groupe de mettre en place un plan social prévoyant le versement d'indemnités de licenciement, le reclassement des salariés.

Après moultes actions spectaculaires organisées par les salariés de l'usine dans le cadre des luttes syndicales - manifestations diverses devant le siège social à Paris, devant les bâtiments administratifs dans le département et occupation d'usine - les responsables syndicaux ont signé le 4 avril un protocole d'accord concernant le plan social avec les représentants des différents ministères concernés.

En conséquence les salariés devront se contenter d'un plan social minimum financé par les pouvoirs publics et l'assurance garantie sur les salaires (AGS). Une indemnité de 15.000 euros seulement sera versée par personne au lieu des 50.000 euros par personne réclamés par les salariés. Et pourtant, le ministre des Affaires sociales, François Fillon s'est empressé de qualifié l'accord de « plan exceptionnel et dérogatoire justifié par un préjudice exceptionnel ». Jean-Paul Delevoye, le ministre de la Fonction publique, en parlant du montant de la prime a précisé qu'«il y a des limites que l'Etat ne peut franchir. (...) Le plan social de Metaleurop est mieux que celui de Moulinex et il correspond à l'effort maximum que peut consentir l'Etat.»

La fermeture de la fonderie Metaleurop Nord fait partie d'une vague déferlante de plans sociaux qui se poursuit en France. Les entreprises touchées sont, entre autres, Air Lib, Péchiney, Daewoo, ACT Manufacturing, Arcelor, Matra Automobile, Testut, Alcatel, Moulinex, Alstom, Hewlett-Packard France, le groupe d'armement Giat Industries ou l'entreprise de messagerie Grimaud logistique, qui ont toutes annoncé des licenciements de masse et des fermetures d'usine.

Il y a un an, juste après le retour triomphal de la droite au pouvoir, le gouvernement Raffarin avait fait comprendre au patronat qu'il ne lui mettrait pas de bâtons dans les roues à cet égard.

Le baron Seillière, patron du Medef, passa très vite pour le « troisième homme » du gouvernement et toute une série de mesures prises par le gouvernement précédent furent abrogées ou restreintes. C'est ainsi que la loi sur la Réduction du temps de travail (RTT), les 35 heures et le Smic furent dilués. De nombreuses dispositions anti-licenciement de la Loi de modernisation sociale (LMS) furent suspendues et de nouveaux allégements de l'impôt sur la fortune (ISF) en faveur du patronat furent adoptés.

Cette bonne entente qui règne entre le camp du patronat et le gouvernement fut finalement scellée par la poignée de mains entre Raffarin et Seillière lors de l'assemblée générale du Medef le 14 janvier dernier à Tours. Il y a 155 ans, Karl Marx n'avait-il pas écrit dans le Manifeste du Parti communiste que « Le gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. »

Les pratiques financières de Glencore

La fermeture de Metaleurop Nord ne constitue un cas particulier que dans le sens où elle est le résultat des pratiques d'un actionnaire tout particulièrement crapuleux, en l'occurrence de Glencore International AG.

L'usine de Metaleurop Nord à Noyelles-Godault est la plus grosse fonderie de plomb et de zinc d'Europe avec une production de 170.000 tonnes. Elle avait démarré en 1894 et, après une interruption pendant la première guerre mondiale, fut relancée en 1920 par la société espagnole Penarroya (groupe Imetal). Metaleurop SA était né en 1988 de la fusion entre Penarroya et une branche de la société allemande Preussag. Elle compte 17 usines en Europe dont 7 en France.

En 1996, suite au désengagement partiel des actions détenues par le voyagiste allemand TUI (ex-Preussag) dans Metaleurop SA, c'est le groupe suisse Glencore qui les racheta à hauteur de 33% du capital, devenant ainsi l'actionnaire majoritaire du groupe. Glencore qui a son siège dans le canton de Zoug, un havre fiscal en Suisse, brasse un chiffre d'affaires annuel de quelque 70 milliards de francs suisses. Le trader mondial possède, de plus, sous différents noms, des usines de traitement de métaux, plomb, zinc et cadmium partout dans le monde: Japon, Roumanie, Inde, Angleterre, Allemagne, Etats-Unis, et Kazakhstan.

Sitôt entré dans le groupe, Glencore met en place un système financier qui tôt ou tard devait dépouiller la filiale Metaleurop Nord. Aussi bien ses avoirs en caisse, ses stocks de matières premières que ses clients attitrés finirent par passer à Glencore. Le traitement de ses métaux fut délocalisé en Chine. Le 31 juillet dernier, lors d'un incident dont l'enquête n'a toujours pas abouti, pas moins de huit tonnes d'or et d'argent disparaissaient mystérieusement.

Selon le quotidien La Voix du Nord, l'avocat d'affaires, Me Letarte, démontre la méthode mise en place par Glencore : « On crée une entité à cette époque, en ajoutant le mot Nord à l'appellation de la société [Metaleurop], en y logeant tous les risques. Le risque social puisque les 830 salariés représentent la quasi-totalité des employés du groupe; le risque industriel: l'usine est vieillissante, et le risque environnemental connu de tous déjà à cette époque. Noyelles devient un simple site de production sans aucune prérogative ni autonomie. Un exemple: il lui faut l'aval du siège pour toute dépense supérieure à 100.000 F (15 244 euros), une broutille pour une usine de cette taille. Il est clair qu'il n'y avait donc aucune raison particulière de créer Metaleurop Nord sauf à y loger tous les risques.»

Avec la fermeture soudaine de la fonderie de Noyelles-Godault, le groupe revenait sur l'ensemble de ses engagements pris dans le courant de l'année passée - financement d'un plan social, investissement pour la reconversion de l'usine et convention de partenariat signée en janvier 2002 par laquelle l'entreprise s'engageait à investir pour la dépollution de son site.

La fermeture a également permis aux dirigeants du groupe non seulement de se soustraire à la plainte déposée en octobre dernier par les riverains de la commune avoisinante d'Evin-Malmaison auprès du tribunal de Béthune pour « empoisonnement et non-assistance à personne en danger » mais également de se débarrasser d'un effectif qui, durant toute l'année précédente, n'avait cessé de se battre pour une amélioration de ses conditions de travail.

Comme pour le naufrage du Prestige

La faillite subite, provoquée par un actionnaire sans scrupule, a fait pousser des cris d'orfraie aux politiciens de tout bord, y compris le patron du Medef. C'est ainsi que le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a dénoncé les « pirates de l'économie » et que le président de la République, Jacques Chirac, a condamné les « patrons voyous ». Cet acte de banditisme n'a fait que révéler d'autant plus au grand jour le vrai caractère du système capitaliste avec l'impuissance de ses lois et règlements internationaux, ses vides juridiques et ses paradis fiscaux.

Il n'est donc pas étonnant de voir que Glencore, ne soit pas seulement l'actionnaire principal du groupe Metaleurop, mais également étroitement lié au scandale environnemental du Prestige, le pétrolier naufragé au large des côtes de la Galice en Espagne au début du mois de novembre dernier et qui continue de déverser ses tonnes de fioul lourd dans l'Océan Atlantique.

En effet, le fondateur de la firme suisse Glencore, un courtier international spécialisé dans les produits pétroliers, ne serait personne d'autre que Marc Rich, l'homme d'affaires tristement célèbre et patron de Crown Resource, affréteur du Prestige. Marc Rich condamné aux Etats-Unis à 300 ans de prison pour évasion fiscale, racket et fraude jusqu'à ce que Bill Clinton lui accorde son « pardon » durant les derniers jours de son mandat. L'épouse de Rich avait versé un million de dollars de don au Parti démocrate.

Le tribunal de grande instance de Paris a d'ailleurs déjà débouté le 21 mars, le ministère de l'Ecologie et du Développement durable qui avait demandé la désignation d'un expert pour vérifier les comptes et les conditions de cessation de financement de Metaleurop Nord. Les coûts liés à la dépollution du site et de ses environs sont évalués à quelque 300 millions d'euros auxquels s'ajoutent les 43 millions d'euros pour le plan social ; le tout devant, de toute évidence, être laissé à la charge de la collectivité.

Après sa quasi défaite juridique, le gouvernement essaie à présent de rentrer dans ses fonds en entamant des tractations avec l'actionnaire suisse en vue d'un marchandage : une participation financière à la note du gouvernement contre l'abandon des procédures judiciaires en cours.

Le saturnisme

L'activité à haut risque de Metaleurop Nord est classée Seveso 2 et l'usine est considérée comme le site industriel le plus pollué de France.

Trois communes représentant quelque 60.000 habitants sur une superficie de 45 kilomètres carrés sont hautement contaminées. Pendant des décennies, Metaleurop Nord a craché du plomb et du cadmium dans l'atmosphère. Au moment de sa fermeture, l'usine rejetait encore quotidiennement 50 kg de plomb. Les poussières de plomb qui recouvrent les routes, les maisons et les jardins sont dues à un rejet de 400 kg il y a vingt ans voire même une tonne par jour - et ce durant des années. Dans la cour de l'école d'Evin-Malmaison un taux de plomb 40 fois supérieur à la norme fut relevé. Selon la Drire (Direction régionale de l'industrie de la recherche et de l'environnement) entre 5.000 et 10.000 années seraient nécessaires pour décontaminer les zones polluées !

La contamination par le plomb ou saturnisme est la maladie dont souffrent dix pour cent des élèves de maternelle des communes riveraines de la fonderie. A Evin-Malmaison, la commune située sous les vents dominants, ce sont même 27 pour cent des enfants qui sont touchés. Il est interdit de consommer les produits des jardins et des champs et l'eau non plus n'est pas potable. Selon les nouvelles normes européennes, l'élevage devrait être interdit dans la région.

Depuis une dizaine d'années des campagnes de dépistage du saturnisme sont menées durant lesquelles 260 cas de saturnisme furent relevés chez les enfants. Entre 1996 et 2001, 36 cas de saturnisme furent relevés chez 3.836 salariés de l'usine. Reconnu comme maladie professionnelle le saturnisme entraîne une inaptitude de travail. 172 autres salariés furent déclarés temporairement inaptes en raison d'un taux de plombémie trop élevé.

Bien que l'usine fonctionne depuis 1894, ce n'est que cette année que le gouvernement a fait adopter, dans le cadre du projet de loi sur les risques technologiques et naturels, des mesures plus strictes et des sanctions pénales pour éviter « un nouveau Metaleurop ». Mais cette décision ne fait que jeter de la poudre aux yeux, si l'on tient compte de l'attitude irresponsable du gouvernement envers les exploitants de longue date de l'usine et des actionnaires du genre de Glencore en leur permettant de se défiler en empochant les profits. Les ouvriers et les riverains sont livrés à eux-mêmes - malades, chômeurs et sans la moindre perspective.

Ce n'est qu'en dernière minute que le gouvernement a envisagé de rajouter, en guise de lutte contre le chômage, une 41ème zone franche urbaine (ZFU) dans les environs de Noyelles-Godault. Dans un secteur comme le Nord/Pas-de-Calais où le taux de chômage est de 25 %, avec des pointes de 46 % en longue durée par endroits, il ne peut s'agir de réindustrialisation mais plutôt d'implantation de petites entreprises, de petits commerces et d'artisanat.

Les perspectives d'avenir que le gouvernement pense offrir à la population de Noyelles-Godault sont parfaitement bien illustrées dans son dernier projet : la décision de construire à Vendin-le-Vieil, près de Lens, une nouvelle prison haute sécurité pour 150 prisonniers. Le 28 mars, Pierre Bédier, le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, a annoncé que les ex-salariés de Metaleurop Nord pourront bénéficier d'une formation pour passer le concours de gardien de prison. Dominique Perben, le ministre de la Justice, a donné son feu vert pour ce projet. La mise en service de la prison est prévue pour 2007.

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