wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

WSWS : Nouvelles et analyses : Économie mondiale

Une analyse superficielle du capitalisme mondial — Deuxième partie

The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism, par Naomi Klein, publié chez Allen Lane, 2007

Par Nick Beams
6 mars 2008

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

Cette deuxième partie conclut la critique du livre de Naomi Klein, « The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism », dont on pourrait traduire librement le titre par « La doctrine du choc : la montée du capitalisme de catastrophe ». La première partie a paru le 5 mars.

Klein insiste que le programme de l’école de Chicago de Milton Friedman est simplement une « idée dangereuse ». S’il en était autrement, si elle tentait d’établir le lien entre ce programme et les tendances objectives du développement de l’économie capitaliste mondiale, alors elle irait à l’encontre de son programme politique de retour à la politique keynésienne du passé.

De puissants facteurs idéologiques et matériels sont ici à l’œuvre. Les crises financières qui frappent aujourd’hui l’économie mondiale ainsi que l’hostilité grandissante envers le programme néoconservateur du libre marché du régime Bush ont sans nul doute créé un « marché » pour une critique de « gauche » de l’ordre actuel — et en conséquence la volonté des maisons de publication de consacrer des ressources pour en faire la promotion. Mais il y a des limites à ce soutien, ce dont Klein est très consciente.

Voilà pourquoi elle est très prudente d’insister qu’elle n’est pas une « fondamentaliste » et qu’elle reprend, au même temps, la fausse accusation qu’il y a une certaine convergence idéologique entre le mouvement marxiste et l’extrême-droite.

Discutant de la thèse de Friedman selon qui seulement une crise peut produire de véritables changements, elle écrit : « L’idée que les effondrements du marché peuvent être des catalyseurs pour des changements révolutionnaires a une longue histoire dans l’extrême-gauche, plus exactement dans la théorie bolchevique que l’hyperinflation, en détruisant la valeur de la monnaie, fait faire un pas aux masses sur le chemin de la destruction du capitalisme. Cette théorie explique pourquoi une certaine mouvance de gauchistes sectaires calcule sans cesse les conditions exactes qui vont jeter le capitalisme dans "la crise", plutôt comme les chrétiens évangéliques jaugent les signes du retour prochain du Christ. Au milieu des années 1980, cette idée communiste a connu un vigoureux réveil, étant reprise par les économistes de l’école de Chicago qui défendaient l’idée que tout comme les crash du marché pouvaient provoquer des révolutions de gauche, ils pouvaient aussi allumer des contre-révolutions de droite, une théorie qui est connue sous le nom de "l’hypothèse de la crise". » [pp. 140-141]

Cet amalgame n’est pas le produit de l’ignorance. Klein a soigneusement pesé ses mots. Elle veut que la population en général, tout comme les promoteurs de ses écrits, sachent clairement qu’elle n’est associée à aucune forme de programme marxiste ayant pour objectif la fin du système capitaliste.

C’est le thème de la conclusion de Klein, où elle souligne qu’il y aura « une montée de la reconstruction du peuple » alors que les effets des « chocs » administrés par le corps politique commencent à ne plus faire effet. En Amérique du Sud, la population revient au projet social-démocrate qui a été brutalement interrompu dans les années 1970. La politique nous est familière : nationalisation de secteurs clés de l’économie, réforme agraire, investissements dans l’éducation. Cette politique n’est pas révolutionnaire en soi, mais est basée sur « une vision sobre d’un gouvernement qui aide à se rapprocher de l’égalité ». [p. 453].

Il est possible, soutient Klein, de revenir au système du capitalisme réglementé du passé, si ce n’est au niveau national, au moins au niveau continental. « Dans un environnement de tourmentes financières, l’Amérique du Sud crée présentement une zone de calme et de relative sécurité économique, une chose dont on dit qu’elle est impossible à l’époque de la mondialisation. » [p. 456].

Rejetant le marxisme comme une autre forme de « fondamentalisme », Klein émerge à la fin de plus de 400 pages en tant que simple défenseur de divers leaders d’Amérique latine — Kirchner en Argentine, Morales en Bolivie, le gouvernement Lula au Brésil et, bien sûr, le gouvernement du Venezuela où, malgré le « culte de personnalité entourant Hugo Chavez, et ses actions pour centraliser le pouvoir », il existe un système de réseaux progressistes décentralisés.

De tels réseaux, selon Klein, constituent le modèle du futur. Ils n’ont pas un programme qui viserait à mettre fin au système de profit. Plutôt, ils sont « fondamentalement le résultat de l’improvisation et tentent de survivre avec ce qui reste, avec les outils rouillés qui n’ont pas été emportés, brisés ou volés. À l’opposé du fantasme du Jugement dernier, l’anéantissement apocalyptique qui permet la fuite éthérée des véritables croyants [elle entend par là les marxistes et tous ceux qui luttent pour la reconstruction socialiste de la société], les mouvements de renouveau des populations locales partent de la prémisse qu’il n’y a pas d’issue aux dégâts considérables que nous avons créés et que l’histoire, la culture et la mémoire ont été suffisamment anéantis ainsi. Ces mouvements n’essaient pas de bâtir à partir de rien, mais plutôt en commençant par les débris, les décombres qui nous entourent. Alors que la croisade patronale poursuit son violent déclin, appuyant sur la gâchette du choc pour éradiquer la résistance grandissante qu’elle rencontre, ces projets nous indiquent une voie de l’avant entre les fondamentalismes » [p. 466].

En d’autres termes, de telles initiatives représentent une troisième voie qui est nécessaire si l’on ne veut pas que « l’orthodoxie et la révolution » en viennent à l’affrontement.

Quelle misérable alternative ! Hostile à la lutte politique menée par le mouvement marxiste pour mobiliser la classe ouvrière — la majorité écrasante de l’humanité — à prendre le contrôle conscient des immenses forces productives, de la science et de la technologie qu’elle a créées et à les utiliser pour l’avancement de la civilisation, la perspective de Klein ressemble à la scène finale d’un film catastrophe de science-fiction où ceux qui sont encore en vie, meurtris et perplexes, tentent de survivre avec ce qu’ils peuvent trouver dans les décombres.

Aucune analyse des tendances politiques

La méthode superficielle avec laquelle Klein approche l’économie est reprise dans le domaine de la politique. À son honneur, étant donné son éloge de Nelson Mandela, elle parle bien de l’impact du programme néolibéral du gouvernement du Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud. Mais son refus de présenter une analyse politique signifie que rien ne sera tiré de ses critiques.

Selon Klein, l’économie sud-africaine est demeurée sous la domination du capital financier mondial — ce qui a eu des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la population — car l’ANC fut trompée dans ses discussions avec les dirigeants de l’apartheid qui minèrent au transfert du pouvoir. Le chef du gouvernement du Parti national, F. W. de Klerk, avait planifié maintenir le pouvoir économique entre les mains du capital mondial, même au moment où l’apartheid prenait fin, tout en s’assurant que la Charte de la liberté de l’ANC ne se concrétise jamais véritablement. 

« Ce plan fut efficacement mené sous le nez des leaders de l’ANC qui étaient naturellement occupés à gagner la bataille pour le contrôle du Parlement. Durant le processus, l’ANC ne parvint pas à se protéger contre une stratégie beaucoup plus insidieuse — essentiellement un plan de garantie pour que les clauses économiques de la Charte de la liberté ne deviennent jamais lois en Afrique du Sud. “Le peuple gouvernera !” allait bientôt devenir réalité, mais l’étendue de ce qu’il allait gouverner diminuait rapidement. »

Alors, selon Klein, les chefs de l’ANC ont été simplement trompés et « manipulés sur une série de questions qui semblaient moins cruciales à ce moment — mais se sont avérées déterminantes en ce qui concerne la véritable libération de l’Afrique du Sud. » Au final, les négociateurs de l’ANC n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils étaient en train de négocier. [pp. 200-202]

En fait, si Klein avait décidé de pénétrer un peu plus profondément dans le sujet, il aurait été évident que les accords conclus par l’ANC étaient en continuité avec les articles essentiels de la Charte de la liberté et la perspective politique du Parti communiste d’Afrique du Sud qui l’avait rédigée.

Aussi loin qu’en 1956, Mandela avait montré clairement que le but de l’ANC n’était pas de renverser le capitalisme en Afrique du Sud, mais de briser l’emprise de quelques-unes des plus grandes entreprises. « L’effondrement et la démocratisation de ces monopoles, a-t-il écrit, va ouvrir de nouvelles avenues pour le développement d’une classe bourgeoise prospère et non européenne. Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, la bourgeoisie non européenne va avoir le droit de détenir en leur propre nom et en leur propre droit des moulins et des usines et le marché et l’entreprise privée vont fleurir comme jamais auparavant. » (voir l’article La biographie de Mandela ne parvient pas à lever le voile sur le mythe du dirigeant de l'A.N.C.)

Développer une véritable compréhension du transfert de pouvoir et du programme néolibéral implanté par l’ANC demanderait d’examiner le rôle du Parti communiste sud-africain et son programme de révolution en deux étapes. Dans ce programme, le pouvoir devait être transféré dans les mains de la bourgeoisie africaine, reportant l’implantation de mesures socialistes à un avenir lointain.

Klein est très au courant de ces questions. Elle choisit de ne pas en parler parce que ça impliquerait d’expliquer le rôle et les doctrines du stalinisme, courant ainsi le risque que son travail reçoive l’étiquette de fondamentaliste. C’est donc beaucoup mieux de maintenir que les leaders de l’ANC ne savaient pas trop ce qui se passait.

Mais, il y a une question plus large. Le thème du livre de Klein est que le programme économique néolibéral a pu être imposé suite à une série de chocs donnés au corps politique. Mais cette prétendue doctrine choc est présentée complètement en dehors du rôle des partis et des tendances politiques.

Le coup d’état chilien de septembre 1973, où le Président du Parti socialiste, Salvador Allende, a été renversé par les forces armées menées par le Général Augusto Pinochet, est décrit par Klein comme la « naissance sanglante de la contre-révolution. »

Mais, le coup d’état n’était pas une surprise. Il était anticipé depuis des mois, ce qui avait mené à des appels pour qu’Allende fournisse des armes à ses partisans. Klein n’explique pas pourquoi il ne l’a pas fait, parce qu’une telle explication demanderait une analyse des tendances politiques présentes dans le mouvement ouvrier chilien — le Parti communiste, le Parti socialiste et les groupes radicaux comme MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) — et réfuterait sa thèse essentielle selon laquelle l’imposition d’un agenda néolibéral serait simplement le résultat d’une campagne réussie de « choc et stupeur ».

La promotion du keynésianisme

Dans une série d’entrevues promotionnelles pour le livre, Klein a encore plus clairement souligné l’argument politique au cœur du livre. Ne ratant aucune occasion d’amalgamer les défenseurs de droite de la « doctrine de choc » et le marxisme « fondamentaliste », elle a insisté que « l’économie mixte » de Keynes et du New Deal représente une alternative réelle.

Lors d’une discussion avec Greg Grandin du Congrès nord-américain sur l’Amérique latine (NACLA) ce dernier déclara : « La droite a été très bonne à imiter le style et la stratégie de la gauche. Mieux que ce que la gauche n’ait jamais réussi, la droite a combiné la discipline et la provocation de crise des léninistes, travaillant à travers les institutions avec une patience à la Gramsci, nourrie par une passion trotskyste », ce à quoi Klein répondit : « Ils ont également beaucoup plus d’argent que ce que la gauche a jamais eu ! »

Dans une entrevue accordée à Kenneth Whyte du magazine d’affaire courante MacLean, elle attribua des caractéristiques communes au « fondamentalisme religieux » et au « marxisme fondamentaliste ».

Questionné à savoir si elle était une tenante de l’économie mixte de Keynes. Klein répliqua : « Je pense que je suis une réaliste. » Mais sa prétention au réalisme n’est basée sur aucune analyse historique ou économique. Son réalisme est plutôt motivé par ce qu’elle croit être acceptable dans le climat politique actuel — un certain mouvement vers la gauche, mais pas trop loin.

L’assertion de Klein, faite au cours d’une entrevue, selon laquelle l’alternative sociale démocrate n’a pas échoué puisqu’elle n’a même pas été tentée, est fausse. Les mesures keynésiennes du New Deal n’ont pas réussi à sortir l’Amérique de la dépression — la crise de 1938 était aussi sévère que toutes les précédentes. Ce n’est qu’avec l’augmentation des dépenses militaires que l’économie américaine a commencé à reprendre vie, et elle a été capable de soutenir l’expansion uniquement à cause de la reconstruction d’après-guerre de l’économie capitaliste mondiale que la victoire militaire des États-Unis a rendu possible.

Si les mesures keynésiennes avaient été une troisième voie viable, elles auraient dû avoir été capables de soutenir le boom d’après-guerre. En fait, elles eurent l’effet contraire.

Et même si un tel programme devait être adopté, comment serait-il mis en œuvre ? Comme Klein le reconnaît elle-même, le keynésianisme a été embrassé aux États-Unis uniquement en raison des « demandes militantes des syndicalistes et des socialistes dont l’influence montante faisait en sorte qu’une solution plus radicale devenait une menace crédible, ce qui, en contrepartie, faisait du New Deal un compromis acceptable. » [p. 252]

Roosevelt a adopté le New Deal dans le but d’éviter une révolution sociale aux États-Unis. C’était nécessaire, insistait-il, pour sauver le capitalisme de lui-même. En dernière analyse, le succès politique du New Deal ne réside pas dans les manœuvres de Roosevelt — et il n’y a aucun doute qu’il était un brillant politicien capitaliste — mais dans le fait que l’Amérique était encore une puissance montante. Comme le démontre la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, elle avait la force de reconstruire l’ordre capitaliste mondiale et était capable de faire les concessions économiques nécessaires pour atteindre cet objectif.

Aujourd’hui, la situation a complètement changé. Le capitalisme américain, pour la première fois de son histoire, est en déclin. Il est mis au défi par les vieilles puissances et par les nouvelles qui se développent rapidement. Imaginer que dans cette situation, un Roosevelt du 21e siècle va émerger et inventer une « troisième voie » est la perspective la plus irréaliste de toutes.

Quels sont donc le rôle et la signification du livre de Klein ? Peu importe qu’elle le reconnaisse ou non, elle est une représentante idéologique d’une section de l’élite dirigeante consciente d’un virage à gauche de larges couches de la population et du fait que ce virage doit être dévié avant qu’il ne prenne des formes plus menaçantes.  Le changement de situation requiert avant tout l’entretien d’écrivains « gauchistes », qui peuvent être utilisés pour essayer de faire la promotion d’une alternative à une véritable perspective socialiste et marxiste.

fin

(Article original anglais paru le 28 février 2008)


Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés