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Syndicat et gouvernement forgent une entente pourrie: la grève des infirmières québécoises torpillée

Par Guy Leblanc
20 juillet 1999

Les 600 délégués de la Fédération des Infirmières et Infirmiers du Québec ont accepté à 62% samedi soir la dernière entente de principe intervenue entre la direction syndicale et le gouvernement du Québec. Les termes de l'entente ont provoqué une immense colère au sein de la base, plusieurs infirmières affirmant ouvertement que leur syndicat les avait vendues. Sur certaines lignes de piquetage, des infirmières ont marqué de X noirs le nom du syndicat sur leurs pancartes. Pour démobiliser au maximum les infirmières et les forcer à accepter l'entente, la direction de la FIIQ a ordonné un retour immédiat au travail tout en reportant à mercredi un vote des membres de la base sur l'entente.

Celle-ci a cependant été dénoncée par plusieurs syndicats locaux un peu partout dans la province, et son acceptation par la base est loin d'être acquise. Dans l'Outaouais, les délégués s'y sont dissociés, tandis qu'à l'Hôpital Sacré-Coeur de Montréal, les infirmières continuent la grève et n'offrent toujours que les services essentiels.

L'entente acceptée samedi prévoit que les infirmières auront le 5% sur trois ans que le gouvernement a proposé au départ et toujours refusé de négocier, alors que les infirmières demandaient 6% d'augmentation salariale pour les deux premières années, et un rattrapage global de 10%. Le gouvernement n'a fait qu'une concession insignifiante : une étude sur la " relativité salariale " à être complétée avant le 15 novembre, pourrait conclure qu'un ajustement est nécessaire, auquel cas, le gouvernement offrirait la première année une hausse supplémentaire maximale de 5% aux infirmières bachelières et de 2% aux infirmières munies d'un diplôme collégial, tout solde éventuel devant s'étaler sur les deux années subséquentes. Toutefois il existe bien des façons d'évaluer un retard salarial, et la parole du gouvernement est loin d'être fiable : dans le cas des pharmaciens par exemple, Québec a maintes fois recommencé les études qu'il considérait comme lui étant trop défavorables.

L'entente ne comprend aucun protocole de retour au travail, ce qui signifie que les amendes et pénalités de la loi 160 et de la loi 72 restent en vigueur. Le gouvernement a clairement indiqué qu'il était hors de question qu'il absolve les infirmières à cause des négociations dans le secteur public qui sont en cours. En conséquence des lois antisyndicales, les infirmières, les dirigeants syndicaux et les organisations syndicales sont passibles de plusieurs dizaines millions de dollars en amendes et diverses pénalités.

La présidente de la FIIQ, Jennie Skene, a déclaré que l'entente représentait des gains importants quant aux conditions de travail, ce que plusieurs infirmières ont contesté, en déclarant que les clauses en question (fardeau de tâche, temps supplémentaire, période de vacances) étaient soit conditionnelles, soit trop restrictives.

La très à droite Gazette a jubilé devant ce qu'elle considérait être un tour de force de Lucien Bouchard, le premier ministre québécois. "Du point de vue des infirmières, l'entente que leur propose Lucien Bouchard est ridicule", peut-on lire dans un article récent. Cet éditorial explique comment les infirmières n'ont obtenu qu'une fraction de leurs demandes salariales, montant qui serait d'ailleurs plus que financé par les amendes et les économies liées à la grève.

L'entente de principe intervient après 22 jours d'une grève courageuse. Le gouvernement a utilisé toute la force de la loi pour tenter de mater les infirmières et toutes ses ressources en communication pour tenter de mobiliser l'opinion publique contre elles. Mais un déferlement de sympathie pour la grève a montré à quel point la politique sociale du gouvernement est impopulaire.

Après des années de compressions budgétaires, la fermeture de nombreux hôpitaux y compris sept dans la région de Montréal, la mise à la retraite de milliers de travailleurs de la santé dont une fraction à peine a été remplacée, le geste de défi posé par les infirmières était instinctivement associé par de larges couches de la population à une première brèche majeure dans la politique sociale régressive pratiquée par le gouvernement, politique qui met en danger non seulement la santé, mais aussi l'éducation et les autres services vitaux.

Le cri d'opposition lancé par des milliers de grévistes, " Assez c'est assez ", a eu un puissant écho au sein d'une population mécontente, qui entrevoyait dans ce mouvement, quoique de manière inconsciente et politiquement inarticulée, la possibilité de lancer une contre-offensive pour la défense des programmes sociaux et du niveau de vie général. Ainsi, le gouvernement du Parti Québécois faisait face à une crise politique majeure.

C'est juste à ce moment que la direction de la FIIQ, poussée par la crainte du "désordre social", a décidé qu'il fallait passer à l'attaque, non pas contre le gouvernement mais contre les membres de la base. De connivence avec le premier ministre Lucien Bouchard, sa présidente Jennie Skene a commencé par proposer une trêve de 48 heures. Depuis le début le gouvernement disait qu'il ne négocierait pas avec des infirmières dans l'illégalité, il fallait lui permettre de sauver la face.

Après les deux jours de trêve pour fin de " négociations ", les infirmières revenaient sur les lignes de piquetage, plus optimistes que jamais qu'elles feraient céder le gouvernement. Mais l'entente de principe était fort loin de leurs attentes. On peut mesurer la crise dans laquelle était la direction de la FIIQ par le simple fait qu'il a fallu toute la journée de jeudi pour tenter de mater l'opposition en son sein même, et pour trouver une façon de présenter l'entente aux délégués.

Lorsque Jennie Skene est finalement arrivée vers 20h30 à l'assemblée qui devait débuter le matin, les déléguées l'ont accueillie en triomphe. Deux heures plus tard, elles quittaient une salle en état de choc devant les résultats de la négociation, la décision sur l'acceptation de l'entente étant reportée au lendemain.

Il y avait de quoi! Les infirmières étaient dégoûtées de voir que le gouvernement n'avait pas bougé de son offre initiale de 5% d'augmentation salariale et que l'ensemble des amendes et mesures légales entreprises contre les infirmières restaient en place. À mesure qu'était connue la teneur de l'entente, l'enthousiasme cédait la place au désarroi sur les lignes de piquetage.

Les déléguées se sont réunies le lendemain matin comme prévu pour discuter de l'entente de principe. Toute la journée, des délégations d'infirmières de la base, de l'Hôpital général de Montréal et St-Mary's notamment, sont passées au conseil fédéral pour exprimer leur opposition à l'entente. Elles sont reparties en brandissant des pancartes qui disaient "We've been shafted" ( On s'est fait avoir ). Le quotidien La Presse rapportait les propos d'une d'entre elles : " Les infirmières sont en colère, pour rester polies. Ce matin, à l'hôpital, la moitié des infirmières étaient tellement choquées qu'elles n'avaient pas dormi de la nuit après avoir vu l'interview de Michèle Boisclair (une vice-présidente de la FIIQ), disant que c'était une entente acceptable. C'est faux Nous avons perdu confiance en la FIIQ parce que le comité de négociation et l'exécutif ont choisi de présenter une entente qu'ils auraient dû rejeter après la trêve parce qu'elle n'offrait rien de plus. J'espère qu'elles vont dire non."

Sur les lignes de piquetage, la colère contre l'exécutif syndical était palpable et la situation était comparée à la grève de 89. "Nous avions été désappointées de l'exécutif d'alors, parce que les amendes étaient restées en place. (...) On dirait que la même chose est encore en train de se passer, mais juste pire."

L'opposition à l'entente était très grande. Pour tenter de se sortir de la nouvelle crise, la direction de la FIIQ a demandé une trêve de huit heures à la grève pour reprendre encore une fois les négociations, ce qui fut accepté par un vote d'environ 75%. Les délégués des 5 hôpitaux du centre universitaire de santé McGill ont refusé de se soumettre au vote de l'assemblée et ont décidé de poursuivre la grève, diminuant même le nombre des infirmières qui assuraient les services essentiels.

Une déléguée de l'Hôpital pour enfants de Montréal, Enid Patry, a déclaré: "Nous n'avons pas de protocole de retour au travail, nous pas d'augmentations, par de rétroactivité et nous avons des amendes!"

Conscient de la grande opposition de la base, le gouvernement a accepté de rencontrer de nouveau la direction de la FIIQ pour tenter de trouver une façon d'appuyer l'exécutif syndical, qui est train de lui faire sa "job de bras".

Le gouvernement Bouchard a toujours reconnu le rôle clé que joue la bureaucratie pour traiter avec les travailleurs. Bouchard expliquait, il y a une semaine, qu'il n'était " pas évident " de retirer l'accréditation de la FIIQ, à cause de raisons légales, mais plus encore parce que " dans l'ordre pratique des choses, si on décertifie l'association, il ne nous reste plus personne avec qui négocier. On négocie avec la rue? On ne pouvait pas faire ça. "

La nuit a été consacrée à rebrasser l'entente, sans en changer la substance. Le seul changement a consisté à ce que le gouvernement accepte de terminer en quatre mois , plutôt qu'en deux ans, l'étude qu'il voulait faire pour déterminer si un rattrapage était nécessaire. Toutefois, il retirait du même coup l'offre d'une augmentation ponctuelle globale de $35 millions. Une grande partie de la journée de samedi a été consacrée à discuter de la possibilité de négocier un protocole de retour au travail, ce qui a été rejeté par l'exécutif. C'est finalement à la fin de cette journée que la direction de la FIIQ réussissait à faire accepter son entente, au grand dam de plusieurs déléguées.


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