Le gouvernement français accusé de commanditer l'assassinat du dirigeant libyen Kadhafi

D'anciens dirigeants du Conseil national de transition libyen (CNT) qui ont combattu l'année dernière comme des intermédiaires de l'OTAN dans la guerre contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi en Libye ont accusé le président français d'alors, Nicolas Sarkozy, d'avoir commandité l'assassinat du dirigeant libyen le 20 octobre 2011.

Dans un entretien le 2 octobre sur le site Médiapart, Rami El Obeidi, ancien coordinateur des services de renseignement étranger du CNT a affirmé que des « des agents français ont directement exécuté Kadhafi.» Il a dit que c'était en raison des menaces que Kadhafi avait proférées, un peu avant que la France ne lance la guerre contre la Libye avec le soutien de l'OTAN, de révéler les dons secrets qu'il avait faits à Sarkozy en 2007 pour financer la campagne présidentielle de Sarkozy.

Obeidi a ajouté, « La menace d’une révélation d’un financement de Sarkozy en 2006-2007 a été suffisamment prise au sérieux pour que quiconque à l’Élysée veuille la mort de Kadhafi très rapidement. »

Peu après que la nouvelle eut fait surface, le 1er octobre, le journaliste du Monde Barbouch Rachid a noté sur un blog que le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères du nouveau gouvernement du Parti socialiste (PS) avait refusé de confirmer ou d'infirmer les allégations de Obeidi et les reportages y afférant. Malgré cela, les responsables et les médias français ont en grande partie enterré l'affaire. Le 2 octobre, Le Parisien faisait remarquer: «Ce weekend les responsables français se sont abstenus de tout commentaire sur ces révélations. »

Le 29 septembre, le quotidien italien Corriere della Sera confirmait les déclarations de Obeidi: « Mahmoud Jibril, ancien premier ministre du gouvernement de transition... a relancé la version d'un complot ourdi par un service secret étranger. 'C'était un agent étranger infiltré dans la brigade révolutionnaire qui a tué Kadhafi' a-t-il dit sur une chaîne de la télévision égyptienne le 27 septembre. »

Le quotidien cite des diplomates occidentaux à Tripoli disant que si un agent étranger était impliqué, «ce ne ne pouvait être qu'un Français. »

Le 1er octobre, Le journal britannique Daily Mail a parlé d'un agent étranger: « Il aurait infiltré un groupe violent en train de mutiler le dictateur libyen capturé et lui aurait tiré une balle dans la tête. »

Le journal ajoute, « Dans un autre épisode sinistre de l'histoire, un jeune homme de 22 ans qui se trouvait dans le groupe qui attaquait Kadhafi et qui, à plusieurs reprises, a brandi son fusil et dit l'avoir tué, est mort à Paris lundi dernier. » Des reportages de presse ont identifié le jeune homme comme étant Omran ben Chaaban, un ancien combattant rebelle de 22 ans qui est décédé dans la nuit du 1er octobre. On le voyait sur plusieurs photos et vidéos de l'assassinat de Kadhafi.

Des informations disponibles suggèrent qu'il avait des liens avec l'Etat français et qu'il pourrait être l'agent auquel Obeidi fait référence. Des responsables français ont recueilli Ben Chaaban après qu'il eut été capturé et torturé par des partisans de Kadhafi et reçu deux balles lors d'une tentative d'évasion. Il a ensuite été transféré dans un hôpital français en septembre où il est décédé.

Obeidi a dit que c'était le président syrien Bashar el-Assad qui avait donné le numéro de téléphone du téléphone satellite Iridum de Kadhafi au service de renseignement français ainsi qu'à l'armée française la première semaine d'octobre, ce qui leur avait permis de le localiser et de suivre ses mouvements. Ensuite, « La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a procédé à l'exécution. »

Selon le quotidien britannique Daily Telegraph,Obeidi a ajouté: « En échange de cette information, Assad a obtenu la promesse d'une période de grâce de la part de la France et de moins de pression politique sur le régime, ce qui a effectivement été le cas. »

Obeidi a ajouté qu'un rapport de son service de renseignement sur le rôle de la France dans la mort de Kadhafi avait été censuré, « parce que M. Sarkozy contrôlait la politique du CNT aux côtés de l’émir du Qatar. Je ne sais pas si ce rapport existe encore. »

Ce n'est pas la première fois que des allégations ont émergé concernant une implication du renseignement français dans l'assassinat de Kadhafi. Le 26 octobre 2011, cinq jours après le meurtre de Kadhafi, l'hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné, rapportait que le mercredi 19 octobre en fin d'après-midi, un colonel du Pentagone avait téléphoné à un de ses contacts du service secret français. L'Américain avait annoncé que le dirigeant libyen, recherché par des drones Predator américains, était piégé dans un quartier de Syrte et qu'il était maintenant impossible de le « manquer. »

Dans le reportage du Le Canard Enchaîné, le responsable américain a ajouté que si Kadhafi s'en tirait, il deviendrait une «véritable bombe atomique. »

Le Canard écrit que la Maison Blanche avait dit, « Il faut éviter de fournir à Kadhafi la tribune internationale que représenterait son éventuel procès. » Il ajoute, « À l’Élysée, on savait depuis la mi-octobre que Kadhafi et l’un de ses fils s’étaient réfugiés à Syrte... Et Sarkozy avait chargé le général Benoit Puga, son chef d’état-major particulier, de superviser la chasse à l’ancien dictateur. ... À la DGSE comme à la DRM on ne se gêne pas d’ailleurs pour évoquer l’ «élimination physique »du chef libyen. »

Le gouvernement Sarkozy avait refusé à ce moment de commenter et l'élite politique et les médias en France avaient gardé le silence. Le gouvernement Hollande continue à étouffer l'affaire.

Néanmoins ces révélations soulignent le caractère criminel de l'exécution extra-judiciaire de Kadhafi, qui avait entretenu des relations étroites avec les chefs d'Etat de toutes les grandes puissances de l'OTAN avant la guerre en Libye, et plus largement le caractère criminel de la guerre elle-même. Cette guerre menée cyniquement au nom de la « démocratie » par les Forces spéciales de l'OTAN et par des bombardements aériens intensifs sur Tripoli et Syrte, a installé au pouvoir un ramassis de milices droitières et a culminé dans l'assassinat de Kadhafi.

La couverture et les commentaires médiatiques de la « gauche » bourgeoise et ex-radicale ont été minimes. Ces forces elle-mêmes sont politiquement impliquées du fait de leur soutien politique à la guerre. Le PS a soutenu la guerre néo-coloniale de Sarkozy en Libye en 2011, tout comme le Nouveau Parti anticapitaliste, le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon et les Verts.

Seul l'ancien ministre de la Défense de Sarkozy, Gérard Longuet a présentement apporté ce démenti défensif dans le Le Parisien: «Kadhafi tué par un espion français? C'est totalement farfelu! Absolument pas crédible. Il n'en a jamais été question. »

En fait, ces allégations sont totalement crédibles, notamment du fait du silence assourdissant du gouvernement français sur la question. Non seulement il était largement reconnu que les Forces spéciales françaises avaient une présence et des contacts très importants au sein de la Libye durant la guerre, qui auraient pu perpétrer l'assassinat, mais Kadhafi avait aussi des avoirs financiers conséquents dans les banques occidentales. Au début de la guerre, ces banques ont gelé entre 100 et 160 milliards de dollars que Kadhafi y avait investis.

Les responsables libyens auraient eu toutes les occasions d'envoyer une partie de cet argent pour financer les élections présidentielles françaises. Il y a eu maintes révélations sur la manière dont les partis conservateurs et ceux de la « gauche » bourgeoise » ont été financés par des dictateurs africains des anciennes colonies françaises tel le Gabon, dans le cadre du néo-colonialisme « Françafrique. »

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Article original publié le 10 octobre 2012

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