L’Iran aux urnes sous les menaces et les sanctions américaines

Le premier tour des élections présidentielles a lieu ce vendredi alors que le pays doit composé avec des sanctions économiques paralysantes organisées par les États-Unis. L’Iran vit en plus sous la menace continuelle de frappes militaires par les États-Unis et Israël. Six candidats vont se présenter après que deux des huit candidats acceptés par le régime iranien se soient retirés la semaine dernière.

Le régime iranien est déterminé à empêcher que se reproduise un autre mouvement «vert» comme celui qui a émergé après les élections présidentielles de 2009. Ce mouvement, appuyé par les États-Unis et leurs alliés européens, était largement composé des couches supérieures de la classe moyenne. Il affirmait que l’élection avait été truquée pour donner la victoire au président Mahmoud Ahmadinejad contre les soi-disant réformistes Mirhossein Mousavi et Mohammed Karroubi. Le mouvement a orchestré des semaines de protestation destinées à renverser les résultats.

Le mois dernier, le Conseil des gardiens, qui approuve les candidats présidentiels, a exclu Akhbar Hashemi Rafsanjani, l’ancien président et l’entrepreneur milliardaire qui a soutenu et financé la campagne de Mousavi en 2009. Rafsanjani représente des sections de la bourgeoisie iranienne qui favorise un rapprochement avec Washington ainsi qu’une plus grande restructuration pro-marché destinée à promouvoir l’investissement étranger.

Le Conseil des gardiens a aussi exclu Esfandiar Rahim Mashaei, le protégé du président Ahmadinejad, qui ne pouvait se présenter pour un troisième mandat. Même si le chef suprême de l’Iran, l’ayatollah Khamenei, a appuyé Ahmadinejad en 2009, des divisions marquées se sont subséquemment ouvertes parmi les soi-disant conservateurs. La faction fondamentaliste alignée derrière Khamenei a dénoncé Ahmadinejad pour avoir obliquement critiqué l’establishment clérical et ses politiques économiques populistes.

Suite à l’exclusion de Rafsanjani, les réformateurs et les médias occidentaux placent leurs espoirs dans l’ecclésiastique Hassan Rouhani. Un autre candidat, Mohammad Reza Aref, s’est retiré à sa faveur afin d’empêcher la division du vote réformateur. Rafsanjani, tout comme l’ancien président Mohammad Khatami, a publiquement endossé Hassan.

Comme tous les candidats, Rouhani fait partie de l’establishment politique et clérical. Il est membre de l’assemblée des experts, du Conseil de discernement et du Conseil suprême de sécurité nationale. En tant que négociateur en chef sur le nucléaire sous Khatami, il a été critiqué pour avoir accepté la suspension de l’enrichissement de l’uranium lors de négociations avec les puissances européennes en 2003-2004. Ces négociations ont ultimement échoué sous la forte pression de Washington, qui rejetait tout compromis sur la question.

Suite à ces négociations amères, le régime iranien a durci sa position et a défendu avec plus de détermination son droit à enrichir l’uranium garanti par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Chaque candidat dans la présente élection, incluant Rouhani, insiste sur la défense du programme nucléaire iranien. Cependant, Rouhani argumente que c’est possible «d’avoir de bonnes interactions internationales afin de graduellement réduire les sanctions pour finalement les retirer».

L’administration Obama a intensifié la pression sur l’Iran avant les élections, annonçant de nouvelles sanctions la semaine dernière incluant contre la devise iranienne et l’industrie automobile du pays. Les nouvelles mesures vont sans doute affaiblir davantage le rial, qui a perdu 50 pour cent de sa valeur l’année dernière. Il est prévu que l’inflation va encore s’aggraver et que l’Iran subira de nouvelles pertes d’emplois. Les sanctions américaines contre les exportations pétrolières ont déjà fait grimper significativement les prix pour les denrées alimentaires de base et ont produit un chômage massif, particulièrement parmi les jeunes.

Les États-Unis ont aussi envoyé un message selon lequel «l’option militaire» est prête. Des divulgations ont été faites à la presse israélienne à propos du succès de tests d’une nouvelle bombe de grande puissance pouvant être utilisée contre les bunkers, et donc contre les établissements nucléaires iraniens. L’Iran a régulièrement démenti les affirmations non fondées des États-Unis et d’Israël selon lesquelles l’Iran cherche à développer l’arme nucléaire.

Comme en 2009, Washington est sans doute engagé dans des opérations destinées à influencer le résultat de l’élection iranienne et à modeler un régime plus favorable aux intérêts américains. Les États unis et leurs alliés européens sont présentement en train d’augmenter leur appui aux soi-disant rebelles en Syrie dans le but de renverser le seul allié régional de l’Iran, le régime du président syrien Bashar al-Assad.

Suite aux révélations cette semaine de surveillance électronique à très grande échelle, une estimation place le nombre de pièces de renseignements rassemblées sur l’Iran par le programme de l’Agence nationale de sécurité à 14 milliards seulement pour mars 2013, sur un total de 97 milliards de pièces.

Tout en intensifiant des sanctions qui vont avoir un impact sur toute la population iranienne, les États-Unis ont allégé les interdictions contre certains programmes et matériel informatique, calculant que cela va aider à promouvoir la réémergence du mouvement vert.

Même avant que l’élection soit tenue, la sous-secrétaire d’État, Wendy Sherman, a déjà indiqué que les États-Unis défieront le résultat. Elle a décrit les procédures comme étant «inéquitables, injustes et non représentatives» lors d’audiences au Sénat la semaine dernière.

Les cinq candidats restants sont étroitement alignés sur les «conservateurs.» Le négociateur iranien actuel sur le nucléaire, Saeed Jalili, est largement vu comme le candidat favori du chef suprême Khamenei et a l’appui du pur et dur ecclésiastique senior, l’Ayatollah Mohammad Taghi Mesbah Yazdi. Jalili a appelé à la «résistance» aux sanctions internationales et à ne faire aucune concession sur le nucléaire et la politique étrangère.

Le maire de Téhéran, Mohammad Bagher Qalibaf, un ancien commandant de l’unité aérienne des Gardiens révolutionnaires iraniens et de la force policière du pays, est un autre candidat important. Il a été très critique de la «mauvaise gestion économique» d’Ahmadinejad et est connu pour ses mesures budgétaires sévères en tant que maire. Qalibaf aurait apparemment gagné l’appui de couches de la classe moyenne du mouvement vert qui appui de sévères mesures d’austérité qui ajouteront un nouveau fardeau économique sur la classe ouvrière et les gens pauvres des campagnes.

Ali Akbar Velayati, qui est présentement conseiller de Khamenei en matière de politique étrangère a lui aussi concentré son tir sur l’économie et les sanctions américaines. Plusieurs sourcils se sont froncés lorsque, à l’occasion d’un débat télévisé vendredi dernier, il a critiqué Jalili, et par implication Khamenei, qui a le contrôle ultime sur la politique étrangère. Velayati a dit que Jalili n’avait pas réussi à «prendre une seule mesure» dans la bonne direction concernant les négociations internationales sur le nucléaire afin de soulager la pression des sanctions.

L’attention de tous les candidats sur l’économie montre les divisions qui se sont créées dans la classe dirigeante suite au régime de sanctions. Aussi, il y a de grandes craintes dans les cercles dirigeants concernant le mécontentement et l’aliénation répandue dans la classe ouvrière et parmi les gens pauvres de la campagne, qui font face à des difficultés grandissantes. Toutes les factions de la classe dirigeante, les conservateurs, les réformistes et le mouvement vert vont rapidement enterrer leurs différences devant tout mouvement de la classe ouvrière.

Dans le cas où aucun candidat n’obtient la majorité lors de l’élection, comme ça semble être le cas, un deuxième tour entre les deux candidats ayant remporté le plus de voix prendra place le 21 juin.

(Article original publié le 13 juin 2013)

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