La dynamique lancée avec l’accord américano-iranien sur le nucléaire prend de l’ampleur

Des parties importantes de la classe dirigeante américaine ont signalé leur soutien à l’“accord provisoire” auquel sont parvenus le gouvernement Obama, ses alliés de l’Union européenne, la Chine et la Russie avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire.

D’après cet accord annoncé tôt dimanche matin, Téhéran va faire reculer et geler l’essentiel de son programme nucléaire et ouvrir ses installations nucléaires à un régime d’inspections très intrusives. En retour, les États-Unis et l’UE réduiraient légèrement les sanctions économiques très fortes qui ont divisé par plus de deux les revenus pétroliers de l’Iran et isolé le pays du système bancaire mondial.

Avec cet accord provisoire en place, l’Iran et le P-6 (Etats-unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine et Allemagne) vont passer à la négociation d’un accord final sur les actions supplémentaires que l’Iran doit entreprendre pour que les sanctions restantes soient levées.

Le changement de politique américaine vers la négociation d’un accord avec Téhéran était en préparation depuis un certain temps. Hier, des reportages indiquaient qu’en mars, les responsables américains - avec à leur tête le vice-ministre des affaires étrangères William Burns et le principal conseiller du vice-président Joe Biden en matière de politique étrangère, Jake Sullivan – s’étaient rendus secrètement dans l’émirat d’Oman dans le Golfe persique pour négocier avec les responsables iraniens.

Cela a été suivi d’une visite secrète en mai de la part de John Kerry, ministre des Affaires étrangères, aux responsables iraniens en poste à Oman, avant les élections présidentielles iraniennes de juin. Cette élection a eu pour résultat la victoire d’Hassan Rohani sur un programme consistant à tenter d’obtenir un accord avec les États-Unis, après que d’autres candidats majeurs aient été exclus du Conseil des gardiens du régime.

Ces longues négociations indiquent certaines des considérations qu’il y avait derrière la décision d’Obama de ne pas lancer une attaque directe en septembre dernier contre le président syrien Bashar el-Assad, un allié essentiel des iraniens, contre lequel Washington menait une guerre par procuration depuis deux ans en s’appuyant sur des forces islamistes sunnites liées à Al Qaïda.

Washington a calculé qu’il pouvait obtenir des concessions importantes de l’Iran - qui chancelle sous l’impact des sanctions et dont l’élite dirigeante est terrifiée par la montée du mécontentement de la classe ouvrière - et peut-être aligner le régime iranien sur sa politique étrangère.

L’économie de l’Iran a été ravagée par ce qui sont certainement les sanctions les plus extrêmes jamais imposées à un pays en dehors d’une guerre. Téhéran ne reçoit que 7 milliards de dollars de soulagement des sanctions au cours d’une période de six mois. Cela comprends un accès sous surveillance à 4,2 milliards de ses propres fonds - soit tout juste cinq pour cent des 80 milliards de dollars de fonds iraniens gelés dans le système bancaire mondial - et la suspension des sanctions sur l’importation de dérivés du pétrole et le commerce de l’or et des pièces détachées automobiles.

Téhéran a signalé qu’il était prêt à ouvrir tout grand l’économie iranienne, y compris son industrie pétrolière, aux investissements américains et européens. De plus, il a indiqué sa volonté d’assister les États-Unis dans la stabilisation du Moyen-Orient au sens large, de l’Afghanistan à la Syrie, mentionnant le rôle qu’il avait joué en aidant les États-Unis à installer leur marionnette Hamid Karzai à la tête de l’Afghanistan lors de la conférence de Bonn en 2001.

L’objectif à long terme de la politique américaine est d’imposer un régime néo-colonial en Iran aligné sur la politique mondiale des États-Unis comme c’était le cas avant que la révolution iranienne de 1979 ne fasse tomber le régime brutal du Shah.

Washington espère sans aucun doute intégrer l’Iran dans son « pivot vers l’Asie » - l’initiative marquante d’Obama en politique étrangère, qui vise à isoler la Chine.

Exultant sur cet accord avec l’Iran qui « ouvre les portes à toute une liste d’opportunités géopolitiques qui n’étaient plus offertes aux dirigeants américains depuis Jimmy Carter, » le New York Times a écrit : « M. Obama voulait faire rentrer l’Iran dans son jeu depuis qu’il était candidat , déclarant en 2007 qu’il mènerait « une diplomatie personnelle agressive » auprès des dirigeants iraniens, et excluant la notion de changement des dirigeants, qui était populaire à l’époque. Mais le président a cherché à éviter d’être absorbé par le Moyen-Orient, en partie pour pouvoir porter le regard de l’Amérique sur l’Asie. »

Au moment où l’accord initial avec l’Iran était annoncé dimanche, Washington a lancé une menace de guerre très claire à la Chine au sujet du conflit avec le Japon pour les îles Senkaku/Diaoyu. Dénonçant les plans de la Chine d’établir une zone de défense aérienne autour de ces îles, le ministre de la défense Chuck Hagel a déclaré : « cette action unilatérale augmente le risque d’incompréhension et d’erreurs. [...] Nous sommes en consultation étroite avec nos alliés et partenaires de la région, y compris le Japon. Nous restons fidèles à nos engagements. »

D’après les termes du Traité de sécurité américano-japonais, les États-Unis s’engagent à entrer en guerre contre la Chine si un conflit éclate entre la Chine et le Japon à propos de ces îles.

Ce premier accord avec l’Iran a été généralement bien reçu par les médias américains et européens, bien qu’il y ait quelques voix discordantes. Dans un éditorial intitulé « Le triomphe nucléaire de l’Iran, » le Wall Street Journal a incité le Congrès à imposer immédiatement de nouvelles sanctions - ce qui est interdit par l’accord provisoire - afin d’empêcher l’accord avec Téhéran.

Lundi, Robert Menendez, le démocrate qui préside la Commission des relations étrangères du Sénat et un “sceptique” auto-proclamé sur tous les projets de rapprochement entre l’Iran et les États-Unis, a déclaré qu’il s’attendait à ce qu’une loi de ce genre « donne une fenêtre de six mois, » correspondant à la durée de l’accord d’intérim, « pour parvenir à un accord final avant d’imposer de nouvelles sanctions. »

La semaine dernière, deux “sages” de l’élite du monde de la sécurité nationale américaine, le démocrate Zbignew Brzezinski et le républicain Brent Scrowcroft, ont publié une lettre ouverte soutenant les ouvertures du gouvernement Obama en direction de Téhéran.

Le changement de la politique américaine en faveur de l’Iran a initialement causé de la consternation parmi les alliés de Washington au Moyen-Orient, en particulier Israël et l’Arabie saoudienne. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a qualifié l’accord provisoire d’« erreur historique, » annonçant dimanche qu’Israël ne serait pas tenu par celui-ci - une menace implicite de monter une attaque unilatérale contre l’Iran. Le Sunday Times de Londres a récemment rapporté que l’Arabie saoudite avait offert de fournir une assistance logistique à une attaque israélienne contre l’Iran.

Lundi, cependant, les deux alliés des États-Unis semblaient indiquer qu’ils évoluaient vers une acceptation à contre-coeur de cet accord. Le Premier ministre israélien a annoncé qu’il avait accepté la proposition d’Obama que les responsables israéliens commencent des consultation la semaine prochaine avec leurs homologues américains sur quelles concessions supplémentaires pourraient être obtenues de la part de l’Iran comme prix de l’accord final.

Dimanche, le régime saoudien n’a rien dit. Hier, il a publié un communiqué laconique de soutien, disant que « s’il y a de bonnes intentions, » l’accord provisoire pourrait constituer « un premier pas vers une solution globale pour le programme nucléaire iranien. »

Les inquiétudes des régimes saoudien et israélien ne portent pas sur le programme nucléaire iranien, mais sur le risque qu’un rapprochement américano-iranien ne réduise leur propre importance stratégique pour les états-unis.

Les ouvertures diplomatiques en direction de Téhéran « pourraient altérer les autres calculs américains dans la région, » a expliqué le New York Times, « depuis la Syrie, où le Hezbollah soutenu par l’Iran lutte aux côtés du gouvernement du président Syrien Bashar el-Assad, à l’Afghanistan, où les Iraniens pourraient être utiles pour négocier un accord sur la fin du conflit avec les Talibans. La perspective d’un tel réalignement stratégique est précisément ce qui a tellement alarmé les alliés des américains, comme l’Arabie saoudite, les émirats du golfe persique et Israël. »

Le gouvernement iranien, avec le soutien de l’Ayatollah Khamenei, le chef suprême de la République islamique, a présenté l’accord du week-end dernier comme une « victoire, » et affirmé que le droit de l’Iran à enrichir de l’uranium a été reconnu.

Le ministre des Affaires étrangères Kerry a formellement nié cette affirmation, il a noté que l’accord stipule que les paramètres de tout programme nucléaire iranien doivent être « acceptés mutuellement » entre Téhéran et le P-6.

 

(Article original paru le 26 November 2013)

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