Les Etats-Unis menacent les entreprises françaises de sanctions au sujet de l’Iran

Une délégation de patrons français venue à Téhéran cette semaine a été « mise en garde » par des responsables américains que des sanctions seraient infligées en cas d’infraction au régime de sanctions américain contre l’Iran. Cette menace directe souligne la détermination du gouvernement Obama de faire en sorte que les intérêts économiques et stratégiques des Etats-Unis prévalent au moment où la perspective d’un rapprochement semble émerger dans les pourparlers internationaux avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire.

En novembre, un accord intérimaire avait été trouvé entre le groupe P5+1 (les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l’Allemagne) et l’Iran et qui comportait le gel et la réduction du programme nucléaire civil de Téhéran en échange d’une levée « limitée, ciblée et réversibles » des sanctions. L’accord était entré en vigueur le mois dernier lorsque le premier versement d’à peine 550 millions de dollars, issus des avoirs gelés de l’Iran a été débloqué.

La délégation de patrons français qui est arrivée lundi à Téhéran, cherchait manifestement à positionner les entreprises françaises dans la perspective où un accord exhaustif levant toutes les sanctions serait conclu d’ici juillet. Un responsable du Medef, l'association patronale qui a organisé le voyage, a dit à la presse que bien que le récent accord nucléaire n’offre qu’une levée restreinte des sanctions, il y a une dynamique nouvelle. La possibilité d’un accès à un marché comptant 80 millions de consommateurs potentiels est très attractif.

La délégation comportait 116 représentants d’entreprises, dont le géant de l’énergie Total et les principales compagnies automobiles Peugeot et Citroën, ainsi qu’Airbus, Lafarge, GDF, Suez et Alstom. Avant les sanctions, la France effectuait déjà des investissements substantiels et faisait des affaires avec l’Iran. Renault vendait en Iran près de 100.000 véhicules par an et a déjà repris les livraisons. En 2011, Citroën avait vendu 458.000 véhicules à l’Iran soit près d’un tiers des parts du marché et s’apprête à y retourner.

Le gouvernement Obama a réagi à l’arrivée à la délégation française avec une hostilité à peine déguisée. S’exprimant mercredi sur CNN, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré : « L’Iran n’est pas ouvert aux affaires et l’Iran sait qu’il n’est pas ouvert aux affaires… Nous avons clairement dit à tous les autres pays que le régime des sanctions restait en place. »

Kerry a ensuite explicitement prévenu que: « Si les Français peuvent envoyer des hommes d’affaires là-bas, ils ne peuvent pas violer les sanctions. Ils seront sanctionnés s’ils le font et ils le savent. Nous les avons avertis. »

Selon le journal britannique The Telegraph, l’ambassade américaine à Paris a « convoqué » les patrons français avant leur départ pour Téhéran pour les avertir des conséquences de toute violation des sanctions. Un dirigeant non désigné du Medef a indiqué que les Etats-Unis entretenaient leurs propres ambitions commerciales en Iran. Il a dit que les Américains n’ont commencé à appliquer rigoureusement les sanctions à l’encontre de futurs concurrents qu’après avoir envisagé de retourner en Iran.

Les remarques de Kerry ont été faites après celles de Wendy Sherman, sous-secrétaire d’Etat des Affaires politiques, qui a déclaré mardi lors d’une audition au sénat américain que la levée des sanctions contre l’Iran était « assez provisoire, assez limitée et assez ciblée. » Elle a expliqué que Kerry avait parlé avec le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, sur la délégation commerciale… et combien ceci n’arrangeait pas les choses. »

Le ministre français de l’Economie et des Finance, Pierre Moscovici, a cependant répliqué en disant que la délégation de patrons français était « un pari » sur l’avenir et non pas « business as usual (le quotidien des affaires). » Il a dit qu’il lui semblait que le signal donné par cette visite était exactement le contraire, autrement dit – respectez vos engagements et si un jour vous y parvenez, tout ira bien.

Le Medef a défendu le voyage en disant que les Autrichiens, les Allemands, les Portugais, les Italiens et les Chinois avaient tous tâté le terrain en Iran à la recherche d’opportunités pour faire des affaires. « Nous avons respecté la convention de Genève, signée en novembre dernier, » a dit le responsable de l’organisation. « Nous connaissons ce cadre. Il y a d’autres délégations de pays européens qui se sont rendus en Iran. »

A la fin du mois dernier, un important contingent turc mené par le premier ministre Rahip Tayyap Erdogan s’est rendu à Téhéran où des responsables des deux pays ont prédit que les échanges commerciaux bilatéraux passeraient de 22 milliards de dollars en 2013 à 30 milliards de dollars en 2014. Juste avant le départ d’Erdogan, le sous-secrétaire américain au Trésor chargé du terrorisme et du renseignement financier, David Cohen, était arrivé à Ankara, la capitale turque, pour souligner le caractère provisoire de la levée des sanctions.

Les objections du gouvernement Obama reflètent les préoccupations des cercles dirigeants américains qui craignent que leurs rivaux européens et asiatiques ne bénéficient d’une levée permanente des sanctions en Iran. Contrairement à la France et à d’autres pays européens, les Etats-Unis n'entretiennent pratiquement aucun lien économique avec l’Iran depuis le renversement, lors de la révolution de 1979, de la dictature brutale, soutenue par les Etats-Unis, du shah Mohammed Reza Pahlav.

Dans les années 1990, les puissances européennes avaient établi en Iran une considérable présence économique sous les gouvernements soi-disant réformistes du président Akbar Hashemi Rafsanjani et Mohammad Khatami. Suite à l’invasion menée par les Etats-Unis en Irak en 2003, le gouvernement Bush avait rejeté l’offre iranienne d’un « compromis général » (« grand bargain ») en vue d’un rétablissement des relations. Au lieu de cela, il intensifia les menaces américaines à l’encontre de l’Iran au sujet d’allégations non fondées de vouloir construire des armes nucléaires.

Dans une tentative de protéger ses propres intérêts en Iran, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne (UE-3) avaient tenté en 2004 de conclure un accord avec l’Iran en vue de la fermeture de ses installations d’enrichissement de l’uranium et en échange d’une série de mesures d’incitation économique et politique. Le gouvernement Bush avait efficacement saboté les pourparlers en refusant de participer ou de fournir des garanties de sécurité sur lesquelles tout accord devait reposer. Les pourparlers avaient échoué après que l’UE-3 eut présenté un paquet final qu’un négociateur iranien avait qualifié de « trop ridicule pour être appelé une offre. »

Après son arrivée au pouvoir en 2009, le gouvernement Obama a multiplié les menaces militaires et imposé un régime de sanctions qui a efficacement paralysé l’économie iranienne en bloquant toutes les exportations cruciales de pétrole et en coupant le pays du système bancaire et financier mondial. Obama n’a poursuivi l’année dernière les négociations du groupe P5+1 et l’accord avec l’Iran qu’aux fins de garantir aux Etats-Unis une position dominante en Iran pour ne pas permettre aux autres puissances de devancer Washington.

Au cours de ces dix dernières années, la confrontation des Etats-Unis avec l’Iran n’a jamais eu pour objet principal les programmes nucléaires de l’Iran. Les querelles diplomatiques de cette semaine entre les Etats-Unis et la France montrent clairement que l’objectif de la confrontation prolongée de Washington avec Téhéran a toujours eu pour objet d’assurer la poursuite de l’hégémonie économique et stratégique américaine en Iran et de par la région, aux dépens de ses rivaux, y compris les alliés proches européens.

(Article original paru le 7 février 2014)

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