Perspectives

Washington enterre le rapport sur la torture pratiquée par la CIA

Il y a un mois, la Commission du renseignement du Sénat américain rendait public un résumé de 500 pages faisant le condensé de son volumineux rapport sur la torture de prisonniers commise entre 2002 et 2007 dans les installations outre-mer de la CIA. Le rapport documente en détails horribles des pratiques telles que le waterboarding (simulation de noyade), le passage à tabac et des tortures jusque-là inconnues comme l’«alimentation par voie anale». En pratique cependant, le rapport a été enterré et la preuve de la criminalité du gouvernement passée sous silence, les auteurs et organisateurs de la torture s’en tirant impunément.

Le World Socialist Web Site avait déclaré à l’époque: «Deux conclusions irréfutables découlent de la publication du rapport de la Commission du renseignement du Sénat américain sur la torture organisée par la CIA : 1) sous le gouvernement Bush, les Etats-Unis ont commis les actes criminels les plus graves, en violation du droit national et international; et 2) aucun des responsables de ces crimes ne sera arrêté, inculpé ou poursuivi pour ses actes».

Loin d’être couverts de honte ou humiliés par la divulgation détaillée de leur criminalité, ceux qui furent le plus impliqués dans l’établissement et la gestion des chambres de torture ont effrontément défendu leur comportement. À commencer par l’ancien vice-président Dick Cheney, jusqu’aux anciens directeurs de la CIA George Tenet, Michael Hayden et Porter Goss et en passant par Jose Rodriguez, le responsable du programme d’interrogatoire, ils ont tous affiché une confiance dûment justifiée comme quoi le gouvernement Obama les prémunirait contre toute conséquence.

Le gouvernement Obama a officiellement fermé les prisons secrètes de la CIA et adopté une politique consistant à éliminer ses ennemis au moyen de tirs de missiles à partir de drones au lieu de les capturer. Le passage de l’interrogatoire à l’extermination a considérablement augmenté le nombre de victimes innocentes. Alors qu’il a été établi que des dizaines de personnes détenues dans les prisons de la CIA n’avaient absolument rien à voir avec le terrorisme, des frappes de missiles par drones ont tué des milliers de civils au Pakistan, au Yémen et dans d’autres pays.

Deux incidents récents ont montré la complicité du gouvernement Obama avec les tortionnaires. Le 30 décembre, la présidente sortante de la Commission du renseignement du Sénat, la sénatrice Dianne Feinstein, avait envoyé une lettre de neuf pages au président expliquant les projets de mesures législatives et administratives à prendre sur la base du rapport sur la torture.

Les modifications étaient en grande partie superficielles, telle que la transposition en droit de l’interdiction du waterboarding et d’autres formes de torture imposées par décret après l’arrivée au pouvoir d’Obama en 2009. Même ces mesures législatives minimales ne mèneront nulle part au Congrès contrôlé par les Républicains et les mesures administratives proposées seront ignorées par l’appareil militaire et du renseignement. La Maison Blanche n’a même pas pris la peine de répondre à la lettre de Feinstein.

Dans un communiqué publié le 5 janvier, la CIA a annoncé qu’après avoir été quatre années aux commandes, l’inspecteur général de l’agence, David Buckley, allait effectivement démissionner à la fin du mois pour «occuper un poste dans le secteur privé». Buckley a eu des ennuis en juillet dernier au sujet d’un rapport reconnaissant que cinq agents de la CIA avaient fouillé les ordinateurs utilisés par des membres de la Commission du renseignement du Sénat qui préparaient le rapport sur la torture, afin de découvrir comment le panel d’experts du Sénat avait obtenu certains documents internes de la CIA que celle-ci avait décidé de cacher à la Commission chargée du contrôle juridique.

Cette surveillance électronique de l’organe législatif a été d’une criminalité insolente au point d’obliger la sénatrice Feinstein à prononcer en mars dernier une allocution d’une heure devant le Sénat afin de dénoncer les agissements de la CIA. Elle a déclaré que l’agence «a peut-être bien enfreint le principe de la séparation des pouvoir incarné dans la Constitution des Etats-Unis» et aussi «le Quatrième Amendement, la Computer Fraud and Abuse Act (loi relative à la fraude informatique), ainsi que l’Executive Order 12333 (décret présidentiel) interdisant à la CIA de perquisitionner un domicile ou de mener des opérations de surveillance».

Le directeur de la CIA, John Brennan, a rejeté les accusations de Feinstein et l’agence a engagé des poursuites du ministère de la Justice contre le personnel du Sénat pour vol présumé de documents de la CIA – c’est-à-dire de preuves que les responsables de la CIA avaient menti à propos de la torture et dissimulé des informations au panel du Sénat. Après que l’enquête menée par Buckley ait donné raison à Feinstein, Brennan dû présenter des excuses publiques à Feinstein mais il ne fut renvoyé ni pour avoir autorisé l’espionnage du panel du Sénat ni pour avoir menti à ce sujet. Maintenant Buckley a été poussé vers la sortie.

Ceci confirme la tendance du gouvernement Obama à ne punir comme «crime» lié à la torture que le fait de le dévoiler. Des centaines d’agents de la CIA et de mercenaires ont été impliqués sur une période de six ans dans le programme illégal de torture mais un seul a jamais été poursuivi: John Kiriakou, qui avait ouvertement décrit l’utilisation de la simulation de noyade contre des suspects et qui fut condamné à 30 mois de prison pour avoir violé l’Intelligence Identities Protection Act (loi sur la protection des identités du renseignement.) Seul un responsable de haut rang a été limogé à cause du programme de torture: l’inspecteur général qui a sapé les efforts entrepris par l’agence pour l’occulter.

Les médias américains forment un partenaire essentiel dans le camouflage des opérations criminelles du gouvernement. Le rapport avait initialement fait l’objet d’une massive campagne publicitaire et le New York Times était allé jusqu’à publier un éditorial rédigé en termes clairs intitulé, «Poursuivez en justice les tortionnaires et leurs patrons», en exigeant que des accusations soient portées contre Cheney, Tenet, Rodriguez et d’autres anciens hauts responsables. Le WSWS avait écrit à l’époque: «Le quotidien le plus influent des Etats-Unis a déclaré que l'administration Bush était un gouvernement criminel».

Cependant, dans les semaines qui ont suivi, les médias ont abandonné le sujet. Aucune suite ne fut donnée aux articles concernant la plus importante divulgation d’actions criminelles commises par l’appareil militaire et de renseignement depuis la révélation au grand jour des conspirations d’assassinat de la CIA au début des années 1970. L’article de fond du Times exhortant des poursuites contre les tortionnaires a été le dernier râle d’une conscience coupable. L’influent quotidien américain n’a commenté ni la lettre de Feinstein ni la démission de Buckley, un silence auquel se sont associés le Washington Post et les chaînes de télévision.

Comme le limogeage de Buckley et l’appel lancé par Feinstein le montrent, une lutte fait rage en coulisses au sein de l’élite dirigeante américaine. Le silence des médias ne sert pas qu’à protéger les criminels responsables de tortures et d’assassinats. Il vise avant tout à masquer la crise politique permanente et à empêcher que la vaste majorité de la population américaine, la classe ouvrière, joue un rôle dans l’issue de cette crise.

Aucune section de l’élite dirigeante ne prendra la défense des droits démocratiques. Cette tâche incombe à la classe ouvrière qui devra exiger la poursuite en justice de tous les responsables pour les atrocités documentées dans le rapport du Sénat et tous ceux responsables des crimes de l’impérialisme américain qui ont continué, voire augmenté, sous le gouvernement Obama.

(Article original paru le 8 janvier 2015)

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