Des manifestations de masse contre l'austérité et les inégalités sociales ébranlent le régime iranien

L'Iran est secoué depuis une semaine par des manifestations contre la hausse des prix des denrées alimentaires, le chômage de masse, les inégalités sociales toujours plus grandes et le programme brutal d'austérité de la République islamique et sa répression politique.

Les manifestations ont commencé jeudi dernier dans la deuxième plus grande ville d'Iran, Mashhad, et les centres voisins de Neyshabur et de Kashmar, puis se sont étendues à la capitale Téhéran et à plus d'une trentaine d'autres villes et villages à travers le pays.

Selon des sources gouvernementales, 21 personnes, dont plusieurs membres des forces de sécurité, sont mortes dans des affrontements entre manifestants et autorités. Un responsable de Téhéran a avoué que 450 personnes sont détenues dans cette ville depuis samedi et que 70 personnes auraient été arrêtées dimanche soir à Arak, une ville industrielle située à 300 kilomètres au sud-ouest de la capitale.

Le gouvernement limite, quand ce n'est pas le blocage absolu, les applications de médias sociaux Telegram et Instagram, afin de supprimer les informations sur les manifestations à venir et la portée du mouvement.

L'ampleur et l'intensité des manifestations ont ébranlé le régime bourgeois clérical iranien et incitent maintenant ses factions rivales à se rassembler pour réprimer le défi venant d'en bas. Au cours du week-end, le président iranien Hassan Rouhani a déclaré que les Iraniens avaient le droit de manifester pacifiquement et que son gouvernement prendrait bientôt des mesures pour répondre aux revendications socio-économiques des manifestants, ajoutant: «Nous n'avons pas de plus grand défi que le chômage.»

Mais ses ministres et porte-parole pour les agences de sécurité jurent maintenant qu'ils vont éradiquer le mouvement de protestation, et les Gardiens de la révolution islamique (GRI) ont déclaré qu'ils sont prêts à intervenir avec une «main de fer».

Pour justifier la répression, de nombreux dirigeants iraniens – du Guide suprême de la République islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, au Général adjoint Rasoul Sanayee, à l'ancien président «réformiste» et l'allié Vert, Mohammad Khatami – accusent les rivaux stratégiques de l'Iran d'incitation et de soutien logistique aux violences collectives. Ce faisant, beaucoup ont souligné les affirmations démagogiques de «soutien» aux protestations du président américain Donald Trump et du président israélien Benjamin Netanyahou, ainsi que les menaces du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman d'«amener la guerre en Iran». Tous les trois prônent le changement de régime à Téhéran et ont menacé à plusieurs reprises de faire la guerre à l'Iran.

Mais la vague actuelle de protestations a un caractère de classe bien différent de celles qui se sont déroulées en 2009 sous la bannière de la prétendue Révolution verte. Encouragés par Washington, le New York Times, le président français Sarkozy et d'autres dirigeants européens, et soutenus par les couches les plus privilégiées de la société iranienne, les Verts ont cherché à renverser la réélection du président populiste Mahmoud Ahmadinejad, se fondant sur des accusations infondées de fraude électorale, et dans le but d'installer un régime déterminé à conclure un rapprochement rapide avec l'impérialisme américain.

Sur la base des meilleurs reportages disponibles ayant filtré à travers la censure du régime iranien ou étant apparus dans les médias occidentaux, il est évident que la vague actuelle de protestations est, essentiellement, une rébellion naissante de la classe ouvrière.

Certes, les manifestations sont socialement hétérogènes et il y a beaucoup de confusion politique chez les participants. De plus, comme on pouvait s'y attendre, les monarchistes et d'autres éléments de droite alliés à l'impérialisme cherchent à s'attacher à eux et à les désorienter. Mais les manifestations, bien que n'étant pas encore un mouvement de masse, ont été principalement composées de travailleurs, de pauvres et de jeunes. Elles sont alimentées par une colère de classe profondément enracinée dans un pays où 3,2 millions de personnes ou 12,7% de la population active sont officiellement au chômage, le taux de chômage réel des jeunes est de l'ordre de 40% et, selon un récent rapport des GRI, 50% vivent dans la pauvreté. En même temps, la Base de données mondiale sur la richesse et le revenu calcule (selon les données de 2013) que 1% des Iraniens monopolise 16,3% de tous les revenus du pays, soit 0,5 point de pourcentage de moins que les 50% les plus pauvres, tandis que les 10% les plus riches perçoivent 48,5% des richesses.

L'opposition de la classe ouvrière grandit

La vague actuelle de protestations a éclaté après des mois d'agitation ouvrière et de manifestations populaires, notamment sur les suppressions d'emplois, les arriérés de salaires et l'indifférence des autorités envers les millions de personnes dont les épargnes ont été liquidées par l'effondrement de nombreuses institutions financières non réglementées.

En septembre dernier, par exemple, dans la ville d'Arak, les travailleurs de deux usines privatisées dans les années 2000 ont affronté la police deux jours après que les forces de sécurité sont intervenues pour disperser leurs protestations contre les arriérés de salaire et leur prime d'assurance médicale impayés par leur employeur. Selon un reportage de l'Agence France-Presse, «Des manifestations mineures ont commencé à apparaître dans les semaines qui ont précédé les troubles actuels», et «des centaines de travailleurs du pétrole et de camionneurs ont protesté contre le paiement en retard des salaires; les fabricants de tracteurs à Tabriz ont manifesté contre la fermeture de leur usine et les travailleurs de pneus de Téhéran contre les retards de paiement de leurs avantages.»

Ces protestations ont été traitées avec indifférence par les médias occidentaux, tandis que les autorités iraniennes ont fait de leur mieux pour les occulter.

Dans les jours précédant immédiatement la vague actuelle de protestations, une discussion intense et généralisée a fait rage sur les médias sociaux à propos des inégalités sociales grandissantes. Le déclencheur de cette vague de colère a été le dépôt du dernier budget d'austérité du gouvernement. Il augmentera les prix de l'essence jusqu'à 50% de plus, tout en réduisant davantage les petits paiements accordés aux Iraniens au lieu des subventions de prix pour l'énergie, les produits alimentaires de base et les services essentiels qui ont été supprimés entre 2010 et 2014.

Le mouvement des Verts était centré presque exclusivement à Téhéran, en particulier dans ses quartiers les plus riches du nord. En revanche, la vague actuelle de protestations a été beaucoup plus large géographiquement, comprenant les villes plus petites et plus pauvres qui ont constitué la base politique d'Ahmadinejad et la faction dite «dure» de l'élite politique de la République islamique, qui combine l'orthodoxie chiite à des appels populistes aux éléments plébéiens de la société iranienne.

Plus significatif encore: alors que les Verts parlaient pour cette aile de la bourgeoisie iranienne désireuse de parvenir à un compromis avec les puissances impérialistes et mobilisaient leurs partisans égoïstes de la classe moyenne supérieure en dénonçant Ahmadinejad pour avoir «gaspillé» de l'argent sur les pauvres. Le mouvement contre le gouvernement est motivé par l'opposition aux inégalités sociales.

Les Verts, qui ont massivement soutenu l'élection de Rouhani en 2013 et sa réélection en mai dernier, ont évité les manifestations actuelles et d'éminents représentants des Verts expriment leur profonde inquiétude quant au caractère «sans dirigeants» des manifestations.

Quant aux manifestants, ils n'auraient pas lancé d'appel spécifique pour que les principaux dirigeants Verts, les candidats malheureux à la présidentielle de 2009, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karroubi, soient libérés de leur assignation à résidence. Au lieu de cela, ils ont adopté des mots d'ordre qui défient le régime clérical bourgeois dans son ensemble.

Le programme de rapprochement avec Washington et d'austérité de Rouhani

La crise sociale aiguë de l'Iran est le produit d'une pression économique et militaire stratégique incessante des États-Unis, y compris des sanctions économiques draconiennes; la crise économique mondiale et surtout l'effondrement des cours mondiaux du pétrole; l'échec du projet national bourgeois indépendant iranien; et, dernier point, mais pas le moindre, les mesures d'austérité brutales que Rouhani a mises en place dans le but de courtiser l'investissement occidental.

Soulignant les conséquences socialement explosives des sanctions économiques américaines et européennes sur l'Iran, Rouhani et son mentor politique, le défunt président et défenseur de longue date d'une orientation stratégique vers les puissances impérialistes occidentales, Hachémi Rafsandjani, a persuadé l'ayatollah Khamenei et les autres composantes clés du régime islamique à effectuer un changement de cap en 2013 – une nouvelle tentative de recherche d'un compromis avec Washington et l'Union européenne.

Comme dans le cas des Verts, quatre ans auparavant, cette politique était liée à une nouvelle impulsion pour éliminer ce qui restait des concessions sociales faites à la classe ouvrière suite à la Révolution de 1979. Au cours des quatre dernières années et demie, le régime Rouhani poursuit la privatisation et la déréglementation, tout en suivant les prescriptions du FMI en matière d'austérité et en remaniant les règles régissant les concessions pétrolières pour séduire les géants pétroliers européens et américains.

En fin de compte, en janvier 2016, les sanctions américaines et européennes les plus sévères ont été levées ou suspendues en échange du démantèlement par Téhéran d'une grande partie de son programme nucléaire civil. Mais dans la mesure où la levée des sanctions a stimulé l'économie, les avantages ont presque exclusivement profité aux couches les plus privilégiées de la population.

La réponse de Rouhani, comme en témoigne le dernier budget, est de redoubler d'austérité pour les masses, tout en augmentant les budgets des institutions religieuses et dirigées par le clergé.

Comme c'est souvent le cas, la possibilité d'une émergence soudaine de l'opposition sociale a été provoquée par des fissures au sein de l'élite dirigeante. Les protestations antigouvernementales initiales, organisées sous la bannière «Non aux prix élevés», ont été soutenues au moins tacitement par les opposants religieux conservateurs de Rouhani.

Ceci est bien sûr tout à fait hypocrite. Les conservateurs et d'autres factions conservatrices de l'élite dirigeante ont soutenu des politiques commerciales libérales et propatronales similaires et se sont joint à leurs rivaux «réformistes» pour persuader Ahmadinejad de démanteler, dans ses dernières années au pouvoir, de nombreuses politiques populistes qui l'avaient propulsé au pouvoir contre Rafsandjani en 2005.

Une nouvelle étape de la lutte des classes

Les manifestations de la dernière semaine annoncent une nouvelle étape dans la lutte des classes en Iran et à l'international. À travers le Moyen-Orient, y compris en Israël, il y a des signes d'une opposition croissante de la classe ouvrière. Il en va de même en Europe et en Amérique du Nord, où les élites dirigeantes ont intensifié de façon spectaculaire les attaques contre la classe ouvrière au cours de la décennie qui a suivi la crise financière mondiale de 2008.

La question critique est la lutte pour armer l'opposition ouvrière mondiale naissante d'une stratégie socialiste internationaliste.

Les travailleurs et les jeunes iraniens doivent se battre pour la mobilisation de la classe ouvrière en tant que force politique indépendante en opposition à l'impérialisme et à toutes les factions de la bourgeoisie nationale.

Toute force de droite préconisant une orientation vers Washington ou les autres puissances impérialistes au sein du mouvement antigouvernemental doit être exposée et politiquement isolée. C'est l'impérialisme qui, au cours du siècle dernier, a étouffé les aspirations démocratiques et sociales des peuples du Moyen-Orient, dévasté la région par un quart de siècle de guerres prédatrices, et menace aujourd'hui d'entraîner le peuple iranien et toute la région dans une conflagration encore plus sanglante.

La bourgeoisie iranienne, comme en témoigne plus d'un siècle de la révolution constitutionnelle de 1906, est totalement incapable d'établir une véritable démocratie et de s'affranchir de l'impérialisme, car pour cela, il faudrait une mobilisation révolutionnaire des masses de telles dimensions qu'elles mettraient en péril ses propres intérêts et ambitions de classe égoïstes.

Les travailleurs et les jeunes devraient aussi rejeter ceux qui dénigrent la lutte pour un programme et une direction révolutionnaires en affirmant que la montée des masses résout tout. Les leçons de l'histoire doivent être assimilées, y compris celles du «Printemps arabe» de l'Égypte en 2011 et de la Révolution iranienne de 1979.

Il y a trente-neuf ans, le régime soutenu par les États-Unis du Shah, un régime avec du sang plein les mains, a été balayé dans la poubelle de l'histoire par un puissant mouvement de masse dont le fer de lance était la classe ouvrière. Mais la classe ouvrière était politiquement subordonnée par le Parti Tudeh stalinien et diverses forces de gauche petites-bourgeoises à l'aile soi-disant progressiste de la bourgeoisie nationale dirigée par l'ayatollah Khomeini et le clergé chiite. Ayant pris le contrôle de l'appareil d'État, ces derniers ont eu tôt fait de l'utiliser pour réprimer sauvagement toutes les expressions de l'organisation indépendante de la classe ouvrière et restabiliser le régime capitaliste.

Aujourd'hui, un nouvel élan de la classe ouvrière doit régler ses comptes avec l'establishment politique islamique, la bourgeoisie iranienne dans son ensemble et l'impérialisme dans le cadre d'une révolution socialiste internationale.

(Article paru en anglais le 3 janvier 2018)

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