Le vice-président américain intensifie l’épreuve de force avec la Chine au sommet de l’APEC

Le vice-président américain Mike Pence a effectivement saboté le sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) le week-end dernier avec une dénonciation agressive de la Chine dans un large éventail de domaines allant du commerce à la mer de Chine méridionale en passant par projet d’infrastructure de premier plan de Pékin – la Belt and Road Initiative (BRI, Nouvelles routes de la soie).

Pour la première fois en 29 ans d’existence de l’APEC, le sommet n’a pas publié de communiqué final, les États-Unis et la Chine n’ayant pas réussi à se mettre d’accord ses termes. Selon le Premier ministre de la PNG, Peter O’Neill, les discussions sur les termes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), que l’administration Trump a condamnée pour avoir traité la Chine comme une économie de marché, ont échoué. « Il y avait deux grands géants dans la salle, que puis-je dire », a déclaré O’Neill, en annonçant l’échec de la conclusion d’un accord.

Dans son discours de samedi, le président chinois Xi Jinping a mis en garde contre les conséquences catastrophiques de l’aggravation rapide des tensions avec les États-Unis et des dangers de la guerre. « L’humanité a de nouveau atteint un carrefour », a-t-il déclaré. « Quelle direction devrions-nous choisir ? Coopération ou affrontement ? Ouverture ou fermeture des portes ? »

Se référant au conflit entre les États-Unis et le Japon, Xi a déclaré que les batailles sanglantes de la guerre du Pacifique dans les années 1940 « ont plongé l’humanité dans une calamité non loin de là où nous sommes ». Pour éviter que cette tragédie ne se répète, a-t-il dit, la communauté internationale avait besoin de soutenir la mondialisation et de « rejeter l’arrogance et les préjugés » – une référence à peine voilée aux États-Unis.

« L’unilatéralisme et le protectionnisme ne résoudront pas les problèmes mais ajouteront de l’incertitude à l’économie mondiale », a déclaré Xi. « L’histoire a montré que l’affrontement, qu’il s’agisse d’une guerre froide, d’une guerre chaude ou d’une guerre commerciale, ne produit aucun gagnant. »

Le vice-président américain Pence a toutefois ignoré l’appel de Xi et a lancé un assaut frontal contre la Chine et son influence croissante dans la région Asie-Pacifique. Pence a laissé présager la détermination du gouvernement Trump d’intensifier l’épreuve de force entre les États-Unis et la Chine dans un discours belliqueux prononcé le mois dernier dans lequel il accusait Pékin de provocations militaires en mer de Chine méridionale, de vols de propriété intellectuelle américaine et d’ingérence politique aux élections de moyen terme aux États-Unis.

S’exprimant le week-end dernier, Pence a accusé la Chine de « profiter des États-Unis pendant de nombreuses années » et a déclaré sans ambages que « ces jours sont révolus ». Se référant à l’augmentation des mesures de guerre commercial de l’administration Trump, il a insisté pour dire « les États-Unis ne changeront pas de cap tant que la Chine ne changera pas son comportement » et a averti que les États-Unis pourraient « plus que doubler » les droits de douane imposés à 250 milliards de dollars de produits chinois.

Les commentaires de Pence jettent un ombre supplémentaire aux discussions qui doivent avoir lieu entre le président Trump et son homologue chinois Xi au sommet du G20 qui se tiendra en Argentine à la fin du mois. Bien que la Chine ait récemment proposé une liste de concessions économiques aux États-Unis, Trump a déclaré que cette proposition « n’est pas acceptable ».

L’une des principales exigences des États-Unis est la fin du programme « Made in China 2025 » de Beijing, programme axé sur le développement des technologies de pointe, qui remettrait en question la domination technologique américaine dans divers domaines économiques et stratégiques. Les accusations non fondées de « vol » chinois de propriété intellectuelle invoquées par Washington ont comme but de justifier le renforcement des restrictions imposées à l’investissement et au commerce chinois et à la coopération en matière recherche avec la Chine. Pour que la Chine « change son comportement », il faudrait accepter l’asservissement économique aux États-Unis.

Pence a également ouvertement contesté la « Belt and Road Initiative » de la Chine, qui a fait l’objet de plus en plus de critiques de la part de la presse américaine et internationale pour la mise en place de « pièges de la dette » pour les pays qui acceptent des prêts d’infrastructure chinois. Sans nommer directement la Chine, Pence a déclaré : « Les conditions de ces prêts sont souvent au mieux vagues, les projets qu’ils soutiennent sont souvent non viables […] trop souvent, ils sont assortis de conditions. »

Pence a ensuite vanté les projets d’infrastructure de l’administration Trump pour la région Asie-Pacifique : « Sachez que les États-Unis proposent une meilleure option. Nous ne noyons pas nos partenaires dans une mer de dettes, nous ne contraignons pas, ni ne compromettons votre indépendance […] Nous ne proposons pas de ceinture contraignante ni de route à sens unique. »

Les commentaires de Pence sont absurdes. Pendant des décennies, les États-Unis et leurs alliés ont exploité diverses formes d’aide économique, soit directement par l’intermédiaire de leurs propres agences, soit indirectement par le biais d’organismes tels que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, pour obliger ces pays à accepter les exigences économiques et stratégiques des États-Unis. La capacité de la Chine à fournir de l’aide et des prêts à faible taux d’intérêt préoccupe les États-Unis, car elle compromet la capacité de Washington à imposer ses propres exigences.

Pour souligner la détermination de Washington à lutter contre Pékin, les États-Unis, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont signé dimanche un accord avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée afin de connecter les services électriques et Internet à 70 % de la population du pays d’ici 2030. Des décennies de la domination coloniale australienne ont laissé la PNG sous-développée, avec environ 13 % seulement de sa population actuellement raccordée à une électricité fiable. L’accord vise à bloquer une proposition d’Internet d’une entreprise chinoise.

Dans son discours, Xi a défendu la « Belt and Road Initiative », déclarant qu’elle n’était « pas conçue pour servir des agendas politiques cachés ni afin de cibler qui que ce soit », ni « à des fins géopolitiques ». En réalité, la BRI chinoise et le contre-plan américain sont tous les deux liés à l’intensification de la rivalité géopolitique alors que les deux parties se préparent à une guerre éventuelle.

Le vaste projet BRI vise à consolider les liens de la Chine sur l’ensemble de la vaste masse eurasienne et, en particulier, à garantir l’accès aux approvisionnements en énergie et en matières premières au Moyen-Orient et en Afrique en cas de blocus militaire des États-Unis. Les États-Unis sont quant à eux déterminés à empêcher que l’Eurasie ne passe sous la domination de la Chine ou de n’importe quelle autre puissance rivale, et ses plans d’infrastructure visent à saper la BRI.

Dans une menace alarmante pour la Chine, Pence a salué la coopération militaire entre les États-Unis et leurs alliés en Asie et a averti que le Pentagone poursuivrait ses opérations provocatrices de « liberté de navigation » dans la mer de Chine méridionale, défiant ainsi les revendications territoriales chinoises. Depuis son arrivée au pouvoir, Trump a accéléré l’intrusion de navires de guerre américains à proximité d’îlots sous contrôle chinois dans les zones contestées. M. Pence a également exhorté les pays de l’Asie du Sud-Est, qui négocient un code de conduite avec la Chine dans les eaux litigieuses, à ne pas compromettre « les droits de toutes les nations » à la « liberté de navigation », c’est-à-dire les États-Unis en particulier.

La présence croissante de l’armée américaine dans la mer de Chine méridionale, adjacente aux bases navales chinoises vitales de l’île de Hainan, fait partie intégrante du renforcement massif et de la préparation de la guerre américaine dans l’Indo-Pacifique qui ont commencé avec le « pivot vers l’Asie » du président Obama et ont accéléré sous Trump. Les États-Unis ont engagé 60 % de leurs forces aériennes et navales dans la région d’ici 2020, ont renforcé leurs alliances et leurs partenariats militaires dans toute l’Asie, et ont restructuré et étendu leurs dispositifs de repositionnement.

La récente décision de l’administration Trump de se retirer du traité de 1987 sur les Forces nucléaires de portée intermédiaire avec l’ancienne Union soviétique visait non seulement la Russie, mais également la Chine. Déchirer le traité, donne aux États-Unis la possibilité de développer une série d’armes nucléaires destinées à être placées sur des bases proches du continent chinois qui menacent de détruire l’arsenal nucléaire relativement petit de la Chine.

Au cours du week-end, Pence a annoncé un nouvel engagement militaire américain dans le Pacifique. Les États-Unis participeront à un plan australo-PNG visant à développer une base navale commune sur l’île Manus, au large de la côte nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’île était une base militaire américaine majeure pendant la Seconde Guerre mondiale avec une piste d’atterrissage de 3000 mètres et des installations navales.

La position délibérément provocatrice et conflictuelle de Pence au sommet de l’APEC constitue un avertissement supplémentaire sur le fait que Washington est déterminé à empêcher tout défi de la part de la Chine, ou de toute autre puissance, à ses ambitions économiques et stratégiques mondiales, notamment par le biais d’une guerre désastreuse entre des puissances dotées d’armes nucléaires.

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[8 octobre 2018]

(Article paru en anglais le 19 novembre 2018)

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