Le conte de deux pandémies: Le ministre des Finances de l'Ontario passe ses vacances au soleil alors que les travailleurs sont infectés et meurent

La démission forcée jeudi dernier de Rod Phillips, le ministre des Finances du gouvernement progressiste-conservateur de l'Ontario, a démontré dans une égale mesure le dédain de l'élite dirigeante envers la population et son hypocrisie quant à sa gestion de la pandémie de COVID-19. L'affaire a profondément discrédité les déclarations de la classe dirigeante canadienne, amplifiées par les grands médias et les syndicats, selon lesquelles «nous sommes tous dans le même bateau».

Le premier ministre Doug Ford a été forcé d'accepter la démission de Phillips après qu'il ait été rendu public que le ministre des Finances avait passé plus de deux semaines de vacances dans un luxueux centre de villégiature pour les ultra-riches dans les Caraïbes. Ceci au moment même où son gouvernement appelait tout le monde à rester chez soi pendant les vacances pour combattre la propagation du virus, et devait introduire de nouvelles «mesures de confinement» contre la COVID-19.

Phillips, l'ancien PDG de Morneau-Shepell et président de Postmedia, s'est envolé avec sa femme le 13 décembre pour St-Barts, où les villas les plus chères se louent à 50.000 dollars la nuit. La famille Phillips se serait installée dans un logement plus modeste à un peu plus de 1100 dollars par nuit.

Pendant ses vacances, Phillips a continué à tweeter des photos de lui visitant des petites entreprises en Ontario, et une vidéo de la veille de Noël dans laquelle il a posé sur un fond hivernal tout en louant le travail des travailleurs de la santé de première ligne pendant la pandémie.

L'indignation générale du public face au comportement de Phillips est plus que justifiée. Pendant les 18 jours qu'il a passés à St-Barts, l'Ontario a enregistré plus de 40.000 nouveaux cas de COVID-19. Entre le 13 et le 31 décembre, jour où Phillips est rentré à Toronto et a remis sa démission, 2237 personnes sont mortes du coronavirus au Canada, selon les chiffres officiels.

Mais il faut souligner que les actions de Phillips ne sont pas un exemple de mauvais jugement individuel, comme le prétendent lui et tous les principaux commentateurs des médias. Il s'agit plutôt de l'expression du mépris de la classe dirigeante pour la vie des travailleurs durant la plus grande crise sanitaire et sociale du siècle. Comme l'écrivait le World Socialist Web Site en août, dans des conditions où les marchés boursiers sont en hausse et où les super-riches peuvent acheter des tests COVID-19 pratiquement instantanés en privé et voyager dans le confort et la sécurité à bord de leurs propres jets affrétés, la vie n'a jamais été aussi belle. «Le coronavirus, avons-nous noté, est une maladie de pauvre».

Cela s'applique pleinement à Phillips et à ses semblables au Canada. Les 40 milliardaires du pays ont gagné plus de 50 milliards de dollars en richesse depuis le début de la pandémie. Les grandes entreprises, quant à elles, ont utilisé les fonds de sauvetage du gouvernement pour payer les somptueux versements aux actionnaires et les primes aux dirigeants, alors même qu'elles licenciaient des travailleurs et réduisaient leurs heures de travail. Le vaste transfert de richesse qui s'est produit a été supervisé par le gouvernement libéral de Trudeau, qui a acheminé plus de 650 milliards de dollars aux banques et à l'oligarchie financière presque du jour au lendemain en mars dernier. (Voir: La subvention salariale du Canada pour la pandémie: Une caisse noire pour les riches actionnaires et dirigeants d'entreprise)

De l'autre côté de la fracture sociale, en septembre 2020, un Canadien sur sept, soit plus de 5 millions de personnes, était en situation d'insécurité alimentaire, c'est-à-dire qu'il n'avait pas les moyens de se procurer trois repas corrects par jour. Selon la Banque du Canada, l'emploi parmi les bas salaires a chuté de 20 % depuis le début de la pandémie.

S'il y a quelque chose de plus méprisable que le comportement de Phillips, ce sont les efforts de Ford pour prendre ses distances par rapport au scandale et se poser en allié des travailleurs indignés par les extravagances de son ancien ministre des Finances. Il s'agit d'une fraude à plusieurs niveaux. Tout d'abord, Ford a reconnu qu'il était au courant des vacances de luxe de Phillips au soleil environ deux semaines avant que l'histoire n'éclate. Pourtant, il n'a pas ordonné à son ministre de rentrer chez lui, pas plus qu’il ne l’a discipliné. Ce n'est qu'après que les vacances de luxe de Phillips ont été publiquement révélées que Ford, lui-même un homme d'affaires multimillionnaire, a feint la colère sur le fait que Phillips avait «laissé tomber» les habitants de l'Ontario.

Plus fondamentalement, le mépris flagrant de Phillips pour les recommandations et la réglementation du gouvernement Ford en matière de santé publique est en partie lié au mépris criminel du gouvernement pour le bien-être et la vie des travailleurs. Comme ses homologues au Canada et à l'étranger, le gouvernement conservateur de l'Ontario a donné la priorité aux profits des sociétés plutôt qu'à la vie des travailleurs tout au long de la pandémie.

Après son arrivée au pouvoir en 2018, le gouvernement Ford s'est lancé dans une course à l'austérité, coupant des milliards dans les secteurs de la santé, de l'éducation et des services sociaux. Il a notamment saccagé les inspections des établissements de soins de longue durée et coupé massivement dans les agences de santé publique qui ont été en première ligne dans la lutte contre la pandémie de COVID-19. Ces politiques ont directement contribué à l'impact catastrophique du virus sur les résidents des maisons de soins de la province, dont plus de 2700 ont péri de la COVID-19.

Au cours des deux premières vagues de la pandémie, le gouvernement Ford a mis en place des mesures de confinement comportant d'énormes lacunes afin de garantir que la plupart des activités industrielles et manufacturières restent ouvertes et à plein régime. En conséquence, les taux d'infection ont fait un bond sur les lieux de travail et dans les quartiers populaires.

Au printemps dernier, le confinement initial de l'Ontario comprenait des exemptions pour au moins 73 types d'entreprises jugées «essentielles», dont les usines de montage automobile et les fabricants de jacuzzis. Afin de garantir que l'Ontario soit «ouvert aux affaires», pour reprendre l'une des expressions préférées de Ford, le gouvernement a interdit aux autorités de santé publique de divulguer les détails des lieux où des foyers de COVID-19 se sont déclarés sur les lieux de travail, même lorsqu'il y a avait des dizaines d'infections.

Les infections quotidiennes sont maintenant plus du double de ce qu'elles étaient au plus fort de la première vague de la pandémie au printemps dernier, mais le deuxième confinement, annoncé par Ford le 21 décembre, permet à un nombre encore plus important d'entreprises de rester ouvertes (voir: «L’Ontario laisse la COVID-19 sévir dans les lieux de travail).

L'effort du gouvernement Ford pour rouvrir les écoles s'est également avéré désastreux. Ignorant les avertissements des experts médicaux, le gouvernement a ordonné à toutes les écoles primaires et secondaires de rouvrir pour un enseignement en classe après les vacances d'été, sans pratiquement aucune précaution en matière de santé et de sécurité. Cette mesure imprudente était considérée comme essentielle par l'élite au pouvoir, y compris le gouvernement libéral fédéral, car elle signifiait que les parents pouvaient être libérés de leurs responsabilités en matière de garde d'enfants et obligés de retourner au travail pour générer des profits pour les grandes entreprises. Si le gouvernement a pu imposer cette politique malgré l'appréhension et l'opposition généralisées des enseignants et des parents, c'est avant tout grâce aux syndicats de l'éducation, qui ont rejeté toute grève comme étant «illégale». Il en est résulté qu'en octobre et novembre, les écoles ont été l'une des principales sources d'infection par COVID-19 en Ontario et au Canada.

Alors que les politiques du gouvernement Ford ont conduit à la misère et à la mort des travailleurs et de leurs familles, de larges pans de l'élite dirigeante canadienne les ont accueillis pour avoir protégé «l'économie», c'est-à-dire les profits des sociétés et l'accumulation de richesses par les super-riches. Le Toronto Star et d'autres commentateurs traditionnellement alignés sur les libéraux ont vanté la réponse supposée responsable de Ford à la pandémie, contrastant favorablement les actions du premier ministre populiste de droite de l'Ontario et ancien enthousiaste de Trump avec la mauvaise gestion désastreuse de la COVID-19 par le président américain fascisant.

La promotion de Ford est un élément clé dans la prétention absurde de la bourgeoisie canadienne selon laquelle tous les Canadiens se sont rassemblés en réponse à la COVID-19, mettant de côté les querelles politiques pour le bien commun, et que cela prouve la supériorité de la société et de la gouvernance canadiennes sur les dysfonctionnements au sud.

La bureaucratie syndicale, en plus de son rôle clé dans l'application de la campagne de retour au travail, a fourni une grande partie du ciment idéologique de cette campagne de propagande nationaliste canadienne réactionnaire. Le Congrès du travail du Canada, la plus grande fédération syndicale du pays, affirme dans une bannière en première page de son site web: «Au Canada, nous avons surmonté la pandémie en nous serrant les coudes et en nous soutenant les uns les autres».

Le scandale Rod Phillips a révélé la sinistre réalité qui se cache derrière cette campagne de propagande bidon: le Canada, pas moins que les autres grandes puissances capitalistes, est déchiré par des divisions de classe explosives et dominé par une élite financière ultra-riche qui est totalement indifférente à la santé et à la vie des travailleurs. Tout véritable plan de lutte contre la pandémie doit être basé sur une mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière pour imposer l'arrêt de toute production non essentielle avec un salaire complet pour tous les travailleurs jusqu'à ce que la pandémie soit maîtrisée et pour garantir l'investissement de dizaines de milliards de dollars supplémentaires dans le système de santé publique chroniquement sous-financé. Les ressources financières nécessaires pour payer un tel programme sont disponibles en abondance, mais elles doivent être soutirées à l'oligarchie super-riche et réinvesties pour répondre aux besoins sociaux.

(Article paru en anglais le 4 janvier 2021)

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