Un tribunal russe condamne Alexei Navalny à la prison

Un tribunal de Moscou a condamné l'opposant russe Alexei Navalny à une peine de prison de trois ans et demi. Il a été reconnu coupable d'avoir enfreint les conditions de sa liberté conditionnelle en lien avec des accusations de fraude datant de 2014. Le tribunal a pris en compte plusieurs mois que Navalny avait déjà passés en résidence surveillée pour sa dernière condamnation, de sorte que sa peine d'emprisonnement a été réduite à deux ans et huit mois dans une colonie pénitentiaire. Son équipe d’avocats fera appel de la sentence.

Navalny est rentré en Russie en janvier, après avoir passé cinq mois en Allemagne, où il a été transporté par avion après être tombé malade lors d'un vol de Sibérie à Moscou en août 2020. Navalny, avec les États-Unis et l'Union européenne, insiste pour dire qu'il a été empoisonné avec du Novichok pour le compte du Kremlin. Ces affirmations étaient trufféés de contradictions (article en anglais) depuis le début. Navalny, qui avait été averti par le Kremlin qu'il serait arrêté à son retour en Russie, a été arrêté par la police le 17 janvier à son arrivée à Moscou.

Alexei Navalny s'entretient avec l'un de ses avocats lors d'une audience devant le tribunal municipal de Moscou à Moscou, le mardi 2 février 2021 (Tribunal municipal de Moscou via AP)

Dans la salle d'audience, Navalny a soutenu que les charges retenues contre lui étaient illégitimes. Il a dénoncé Poutine comme «l'empoisonneur des slips», se référant à l'une des dernières versions de l'histoire selon laquelle il a failli être tué par le gouvernement russe. Navalny affirme qu'une unité d'élite du FSB (service secret) a planté Novichok dans ses sous-vêtements.

Le palais de justice où s'est déroulé le procès a été entouré d'un énorme cordon de police et au moins trois cents manifestants ont été arrêtés. Il y avait également une forte présence policière dans d'autres parties du pays, où des manifestations pro-Navalny ont eu lieu.

Les deux week-ends précédents ont vu des dizaines de milliers de personnes à Moscou, à Pétersbourg et dans des dizaines d'autres villes descendre dans la rue pour défendre Navalny. Le Kremlin a réagi par de violentes répressions et des milliers d'arrestations. Plusieurs des principaux alliés de Navalny sont maintenant assignés à résidence.

Après l'annonce du verdict, la Garde nationale a été mobilisée à Moscou et la place devant le Kremlin a été fermée aux visiteurs et aux touristes. Les partis d'opposition libéraux PARNAS et Yabloko, soutenus par les États-Unis, ont annoncé qu'ils organiseraient des manifestations de soutien à Navalny ce week-end.

L'opposant jouit également du soutien de larges pans de la pseudo-gauche en Russie. Selon la presse, le Parti communiste stalinien de Russie (KPRF), longtemps un pilier clé du gouvernement Poutine, est sur le point de faire scission à cause de Navalny, car une aile substantielle du parti le soutient désormais.

Le verdict a provoqué un tollé immédiat de la part des puissances impérialistes. Le président français Emmanuel Macron, dont le gouvernement a brutalement réprimé les manifestations sociales ces dernières années, a déclaré le verdict «inacceptable» car «un désaccord politique n'est jamais un crime».

La ministre allemande de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer et le secrétaire d'État américain Antony Blinken ont tous deux appelé à la libération immédiate de Navalny. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Dominic Raab, a dénoncé sa condamnation comme étant «perverse».

Les tensions politiques qui éclatent au niveau national et international autour de Navalny sont l'expression d'une crise plus large. La pandémie de coronavirus a profondément déstabilisé la société, en Russie et dans le monde. Elle a fait des dizaines de milliers (article en anglais) de morts dans le pays et jeté plus d'un million de personnes dans les rangs des chômeurs et plusieurs millions d'autres dans la misère. L'économie russe s'est contractée de 3,1 pour cent l'an dernier.

Cela fait suite à des années de marasme économique, déclenché par le conflit sur l'Ukraine et les sanctions imposées par les États-Unis et l'UE. L'oligarchie russe a transféré tout le poids de ce conflit sur la classe ouvrière. Les salaires réels étaient en baisse constante depuis six ans avant même que la pandémie ne frappe. Les revenus ont encore baissé de 3,5 pour cent l'an dernier, tandis que l'inflation est à 4,9 pour cent.

Trois décennies après la dissolution de l'Union soviétique, les inégalités sociales (article en anglais) en Russie sont parmi les plus élevées de toutes les grandes économies. En 2017, les 10 pour cent les plus riches détenaient 89 pour cent de la richesse du pays. La grande majorité des travailleurs doivent survivre avec quelques centaines de dollars par mois, tandis que les dix oligarques russes les plus riches possèdent une richesse combinée de 151,6 milliards de dollars.

Navalny a cherché à exploiter ce mécontentement social avec une vidéo dévoilant ce qui serait un palais construit pour Poutine sur la mer Noire. La vidéo a été visionnée plus de 100 millions de fois. Le Kremlin soutient maintenant que le palais appartient à un allié proche de Poutine, l'oligarque Arkadi Rotenberg. Une manifestante de 24 ans a déclaré à Al Jazeera le 23 janvier qu'elle était choquée par la vidéo, compte tenu des salaires de misère perçus par les travailleurs soignants qui ont été en première ligne de la pandémie de coronavirus, commentant sarcastiquement «je peux imaginer quel genre de prime est accordée aux médecins: environ 17 000 roubles (223 $). »

La crise politique qui frappe la Russie et se manifeste dans les tensions qui éclatent autour de Navalny est un symptôme de l'effondrement du capitalisme mondial au sens large. Les conflits intestins amers au sein de l'oligarchie russe sont surtout alimentés par l'escalade des tensions de classe.

Terrifié par la montée de la colère de classe en Russie, Navalny et ses partisans cherchent à canaliser ces sentiments derrière un programme réactionnaire. Navalny, qui entretient des liens bien documentés avec l'extrême droite, parle pour une couche de l'oligarchie orientée vers une coopération plus directe avec les États-Unis. Des couches de la classe dirigeante américaine considèrent qu’attiser les sentiments séparatistes en Russie est un moyen d'étendre la domination américaine sur la région.

C'est pour cette raison que la question de la richesse de Poutine a été présentée comme une question de corruption personnelle, une base sur laquelle les forces les plus réactionnaires, y compris les monarchistes et les ultranationalistes, peuvent être mobilisées. Entre-temps, toute mention du terme «capitalisme» a été interdite par les forces politiques qui dominent les manifestations, de Navalny lui-même à ses partisans du Mouvement socialiste russe pabliste.

Les conflits au sein de la classe dirigeante russe sont également motivés par les tensions géopolitiques auxquelles elle est confrontée et par l'échec de sa politique étrangère. Ayant émergé de la dissolution stalinienne de l'Union soviétique en 1991, menée main dans la main avec l'impérialisme américain et la classe dirigeante allemande, l'oligarchie russe est fortement dépendante de l'impérialisme mondial à la fois politiquement et économiquement.

Pendant de nombreuses années, le régime de Poutine a cherché à contrebalancer l'encerclement croissant de la Russie par l'impérialisme américain en approfondissant ses liens avec une partie substantielle de la classe dirigeante allemande. Les liens économiques entre les deux pays, en particulier dans le secteur de l'énergie, sont restés étroits, malgré que l'Allemagne ait soutenu le coup d'État anti-russe de 2014 en Ukraine, soutenu les sanctions anti-russes et intensifié le renforcement militaire contre la Russie.

Etant donné que le gouvernement Biden, regorgeant de personnalités associées à une politique agressive envers la Russie, les relations germano-russes sont désormais devenues un axe central des tensions croissantes entre les États-Unis et l'Allemagne. L'expression la plus frappante de ceci est le conflit sur le pipeline Nord Stream 2. Le gazoduc devrait livrer plus de gaz russe directement à l'Allemagne, contournant l'Ukraine.

Les États-Unis, qui se sont historiquement opposés à toutes les initiatives de gazoduc germano-russes, ont sanctionné Nord Stream 2 avec un soutien bipartite au Congrès américain, bloquant ainsi sa construction depuis un an. Plusieurs grandes entreprises, dont le Zurich Insurance Group et le groupe allemand de construction et d'ingénierie Bilfinger SE, se sont maintenant retirées du projet.

Clément Beaune, le ministre français des Affaires européennes, a appelé l'Allemagne à mettre fin au projet ce mardi, la première fois que Paris a fait une telle demande. Cependant, le gouvernement allemand insiste jusqu'à présent sur son soutien à Nord Stream 2. Dans la presse allemande, il y a un débat animé sur le projet dans le contexte de l'affaire Navalny.

Pour la classe ouvrière, la question critique est de répondre à la crise du capitalisme mondial en faisant avancer ses propres intérêts, sur la base d'un programme socialiste, et indépendamment des factions belligérantes de l'oligarchie et des puissances impérialistes. Cela nécessite une étude approfondie de l'histoire de la révolution d'octobre de 1917 et de la lutte trotskyste contre la bureaucratie stalinienne, qui a trahi la révolution en Russie et au niveau international et a finalement décidé de liquider l'URSS, créant les conditions d’un désastre qui se déroule maintenant depuis des décennies.

(Article paru en anglais le 3 février 2021)

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