Adoption de la loi «anti-séparatiste»: Macron vise à mettre l’université au pas

Le 16 février, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi « anti-séparatiste » du gouvernement Macron, dite loi « pour conforter le respect des principes de la République. » En imposant un strict contrôle étatique du culte musulman et un principe de responsabilité collective aux associations afin de faciliter leur dissolution express par la police, la loi vise à effectuer une transformation drastique et réactionnaire du régime politique.

Macron avec le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées françaises en 2017 [Crédit : Etienne Laurent/Pool Photo via AP, Dossier]

Les groupes La République en Marche et MoDem ont voté pour la loi. Les 17 députés du groupe La France insoumise ont voté unanimement contre la loi, dont ils avaient pourtant voté de nombreux articles dans les commissions parlementaires, tout comme les députés Les Républicains. La plupart des députés des groupes PS et PCF se sont abstenus, ainsi que la députée néofasciste Marine Le Pen. Ainsi, par un vote de 347 contre 151, avec 65 abstentions, l’Assemblée a approuvé la loi qui va à présent au Sénat en vue d’une adoption au courant du mois de mars.

Le caractère foncièrement antidémocratique et fascisante de cette loi émerge dans les remarques faites le même jour par la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal. La loi « anti-séparatiste » va de pair avec une attaque à outrance contre les libertés académiques et celles de la conscience.

Vidal a confirmé que le gouvernement demandera au Centre national de recherches scientifiques (CNRS) de recenser l’acceptabilité idéologique de toutes les recherches universitaires en France: « Oui, je vais demander, effectivement, à ce que l’on fasse un bilan de l’ensemble des recherches qui se déroulent dans notre pays, que ce soit les recherches sur le post-colonialisme par exemple. » Elle a cité la nécessité de combattre «la radicalisation des opinions et des propos. »

Vidal reprenait ses commentaires dimanche sur CNews, où elle avait annoncé qu’elle demanderait au CNRS d’enquêter sur la présence de « l’islamo-gauchisme » dans « l’ensemble des courants de recherche » en France. Elle a appelé à « distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion. »

La Conférence des Présidents d’Université (CPU) a réagi dans un communiqué pour dénoncer les propos de Vidal. Elle y déclare: « La CPU fait part de sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile sur le sujet de l’‘islamo-gauchisme’ à l’université. ‘L’islamo-gauchisme’ n’est pas un concept. C’est une pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser, sinon aux animateurs de CNews, plus largement, à l’extrême droite qui l’a popularisé ».

La CPU a aussi souligné son étonnement face à « l’instrumentalisation du CNRS, dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève ‘du militantisme ou de l’opinion.’ La CPU réclame au minimum des clarifications urgentes, tant sur les fondements idéologiques d’une telle requête, que sur la forme, qui oppose CNRS et universités ».

Néanmoins, le gouvernement et le CNRS agissent rapidement pour mettre en place l’évaluation idéologique des recherches universitaires par l’État. Des représentants du CNRS ont déclaré au Monde que le CNRS est en train de « discuter avec le cabinet pour préciser les attentes de la ministre ». Le Monde a ajouté que le ministère avait confirmé, « sans plus de détails », que « Les objectifs seront définis dans les prochains jours ».

Le professeur de droit Noé Wagener a commenté: « Des députés de la majorité, en plus des députés Les Républicains, croient désormais mordicus que l’enseignement supérieur est devenu un haut lieu du “séparatisme” … L’idée selon laquelle il y aurait des “mauvais” travaux universitaires, car dangereux pour la vie sociale, s’ancre dans les esprits et risque de déboucher sur des modifications législatives restreignant les libertés académiques ».

Acculé par la montée de la colère sociale contre l’austérité et le capitalisme, ainsi que sa politique d’immunité collective menée face à la pandémie, le gouvernement tente d’établir un délit d’opinion. S’il reprend pour évaluer les recherches universitaires des termes utilisés par des polémistes néo-fascistes tels que Michel Onfray ou Eric Zemmour, c’est qu’il vise les mêmes cibles: l’opposition aux guerres menées par Paris dans le monde islamique, ainsi qu’au militarisme et à l’État policier français. Sa cible n’est pas seulement les chercheurs, mais l’ensemble des travailleurs.

Le gouvernement ne dit rien sur les sanctions qu’il voudrait infliger aux universitaires que sa commission d’enquête déclarera avoir des idées « islamo-gauchistes » coupables. Mais une telle évaluation aurait inévitablement le caractère d’une chasse aux sorcières, les universitaires dénoncés par le gouvernement étant assimilés à des criminels complices du terrorisme et donc à des ennemis du peuple. Or, les universitaires visés par l’État n’ont manifestement commis aucun acte terroriste.

La présentation officielle de la loi « anti-séparatiste » en tant que défense de principes républicains est une fraude. Rédigée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, un ancien sympathisant du parti monarchiste d’extrême-droite l’Action française, elle saborde la loi de 1905 sur la laïcité en soumettant le culte musulman à un contrôle étatique strict. Les associations sont menacées de dissolution par cette loi, dont les partis politiques sont également sommés de se conformer aux principes « anti-séparatistes ».

Cela n’a rien d’une défense des principes internationaux de « Liberté, Égalité et Fraternité » énoncés lors de la révolution de 1789 pour les personnes de toutes les races et origines. Cette loi est inspirée par des ennemis conscients des principes démocratiques établis lors des révolutions américaine et française au 18e siècle, qui visent à imposer des politiques antisociales et meurtrières dans l’intérêt de l’aristocratie financière, malgré la montée de l’opposition parmi les travailleurs.

Comme souvent en France, cette mesure réactionnaire est inspirée par des intellectuels liés au pouvoir et formatés par des organisations petite-bourgeoises ayant rompu avec le trotskysme.

La mesure proposée par Vidal reprend un appel au gouvernement pour mettre l’université au pas, dit le « Manifeste des 100 », lancé en novembre 2020 par un groupe d’intellectuels de droite dont Marcel Gauchet, Pierre-André Taguieff, et l’ex-ministre de l’Éducation Luc Ferry. Gauchet a été l’étudiant de Claude Lefort, le co-fondateur du groupe Socialisme ou Barbarie qui a rompu avec la IVe Internationale et avec le marxisme en 1949. Au critère de classe, ces éléments substituent le critère racial et ethnique.

Leur manifeste manie les appels à l’anti-américanisme, au nationalisme français, aux haines colonialistes et à un nationalisme blanc à peine déguisé pour appeler à la censure des universités. Ils y écrivent: « Les idéologies indigéniste, racialiste et ‘décoloniale’ (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des ‘Blancs’ et de la France; et un militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la doxa anti-occidentale et le prêchi-prêcha multiculturaliste. »

Ils ont ajouté : « Alors que le port du voile – parmi d’autres symptômes – se multiplie ces dernières années, il serait temps de nommer les choses et aussi de prendre conscience de la responsabilité, dans la situation actuelle, d’idéologies qui ont pris naissance et se diffusent dans l’université et au-delà. L’importation des idéologies communautaristes anglo-saxonnes, le conformisme intellectuel, la peur et le politiquement correct sont une véritable menace pour nos universités. … Nous demandons donc à la ministre de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes. »

Si l’adoption de telles mesures par le gouvernement témoigne de sa faiblesse et de sa panique face à la colère sociale, ce serait une erreur fatale que de minimiser les dangers de dictature posées par la loi « anti-séparatiste » et la censure proposée par Vidal, Gauchet, Taguieff, et autres. Il est essentiel de mobiliser politiquement les travailleurs et les jeunes contre cette tentative d’étouffer la liberté d’opinion et les principes démocratiques, en menant une lutte socialiste contre l’aristocratie financière et tous ses serviteurs politiques.

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