Québec prépare un «tribunal spécialisé» en crimes sexuels qui minerait la présomption d’innocence

Poussé par les couches privilégiées des classes moyennes qui animent le mouvement #MoiAussi, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) cherche à établir un tribunal spécialisé en matière d’agressions sexuelles qui pourrait ouvrir une brèche importante dans la présomption d’innocence.

Le 8 février dernier, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barette, a annoncé la formation d’un groupe de travail visant à préparer la mise en place d’un tel tribunal.

Dans une lettre ouverte publiée le 11 février, l’Association des avocats de la défense de Montréal et l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense ont révélé qu’elles ont été écartées du groupe de travail par le gouvernement, même si ce projet risque d’avoir des «impacts significatifs sur la défense des droits fondamentaux de [leurs] clients».

Les deux associations déploraient également que deux lettres transmises à Jolin-Barette pour «discuter de façons d’améliorer le système de justice – tout en gardant en tête la présomption d’innocence» soient restées sans réponse.

De toute évidence, le gouvernement cherche à donner le moins de place possible à toute voix discordante qui pourrait critiquer la mise en place de ce tribunal spécialisé et les dangers qu’il représente pour la présomption d’innocence.

La formation de ce comité de travail est le résultat d’une longue campagne menée conjointement par le mouvement #MoiAussi et toute la classe politique. Un comité transpartisan composé de Véronique Hivon (Parti Québécois), Isabelle Charest (CAQ, ministre de la Condition féminine), Isabelle Melançon (Parti libéral) et Christine Labrie (Québec Solidaire) œuvre depuis janvier 2019 pour la création de ce tribunal spécialisé.

En mars 2019, Sonia LeBel, alors ministre de la Justice dans le gouvernement de la CAQ avait annoncé la création d’un comité d’experts pour étudier la question de l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles.

Il était alors admis qu’il s’agissait d’une réponse du gouvernement aux «récriminations» du mouvement #MoiAussi. Ce rapport, publié le 15 décembre dernier, recommande la création d’un tribunal spécialisé, mais ne mentionne la présomption d’innocence qu’une seule fois en plus de 230 pages – et ce, dans une simple note de bas de page qui cherche à en minimiser l’importance sous le prétexte que «la grande majorité des personnes dénoncées sur les réseaux sociaux ont rapidement reconnu leurs torts».

Flanquée des membres du comité transpartisan, LeBel a évoqué le renversement du fardeau de la preuve – au lieu d’être présumée innocente jusqu’à ce que l’État puisse démontrer sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, une personne accusée d’agression sexuelle serait présumée coupable jusqu’à ce qu’elle présente une preuve disculpatoire. Elle a ensuite écarté cette option en disant que ce n’était pas à l’ordre du jour «pour le moment».

Cette défense timide d’un principe démocratique élémentaire est loin d’être rassurante, venant d’un gouvernement caquiste de droite qui a brutalement attaqué les droits des immigrants et des minorités religieuses avec ses lois 9 et 21.

Loin d’exprimer un attachement aux droits démocratiques, les remarques de LeBel étaient motivées par des considérations pragmatiques. Au Canada, c’est le gouvernement fédéral qui a compétence pour adopter des lois concernant le droit criminel. Tout renversement du fardeau de la preuve en matière d’agressions sexuelles nécessiterait des négociations entre Québec et Ottawa.

Rappelons qu’en 2018, lors du dépôt des accusations de viol contre le producteur Gilbert Rozon, qui vient d’être acquitté par la Cour supérieure du Québec, le chef du service de police de la Ville de Montréal avait déclaré qu’il faudrait peut-être «revoir» le «fardeau de la preuve» en matière d’agressions sexuelles.

Le premier ministre du Québec et le premier ministre fédéral, François Legault et Justin Trudeau, avaient tous deux refusé de condamner ces propos, affirmant respectivement qu’une «bonne discussion s’imposait» et qu’il faudrait écouter «les avis des gens qui s’y connaissent».

Ayant encouragé l’agitation réactionnaire du mouvement #MoiAussi contre la présomption d’innocence après les acquittements de Rozon et d’Éric Salvail, la classe dirigeante refuse maintenant de donner la parole aux associations qui veulent protéger ce principe démocratique essentiel. Elle met ainsi en place le terrain idéologique pour un assaut généralisé contre les droits démocratiques de toute la classe ouvrière.

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