Le gouvernement de l’Ontario a dissimulé une éclosion massive de coronavirus dans l’entrepôt d’Amazon à Brampton

L’éclosion massive de COVID-19 au centre de traitement des commandes d’Amazon de Heritage Road à Brampton, l’un des plus grands entrepôts exploités au Canada par le conglomérat multimilliardaire, a été délibérément dissimulée par le gouvernement provincial de l’Ontario avant la fermeture forcée du site le 12 mars. C’est la seule conclusion que l’on peut tirer des reportages médiatiques de cette semaine qui révèlent que des fonctionnaires du ministère du Travail de l’Ontario ont visité le site à 12 reprises au cours de la dernière année et ont émis neuf ordonnances qui n’ont entraîné aucune amélioration appréciable de la sécurité au travail.

Des travailleurs d’Amazon protestent contre des conditions de travail dangereuses à Staten Island, New York, le 30 mars 2020 (Source: AP Photo/Bebeto Matthews)

La dernière visite a eu lieu le 10 mars, deux jours seulement avant que le responsable de la santé publique de la région de Peel n’ordonne la fermeture de l’entrepôt Amazon pour deux semaines. Cette mesure a été prise en réponse à une recrudescence des cas de COVID-19 dans l’entrepôt, avec 240 infections au cours des dernières semaines, dont certains cas du variant B.1.1.7, plus infectieux et mortel, et un taux d’infection supérieur à celui de la communauté environnante, qui est elle-même l’épicentre de la pandémie en Ontario.

Depuis octobre, au moins 617 travailleurs sur un total de 5000 ont contracté la COVID-19. Pour justifier son ordre de fermeture de l’entrepôt, le Dr Lawrence Loh, responsable de la santé publique pour la région de Peel, a souligné que le risque de contracter le virus pour tous les travailleurs de l’usine était «élevé» et que des cas étaient détectés sans lien évident entre eux, ce qui indique que le virus y est endémique.

Pourtant, malgré cette évaluation accablante, le ministère du Travail de l’Ontario refuse de prendre des mesures contre Amazon. Le ministère a annoncé que sa dernière enquête basée sur la visite du 10 mars est désormais close. Après une visite de suivi à l’entrepôt le lundi 15 mars, le ministère a souligné qu’aucune ordonnance contraignant Amazon à prendre des mesures ne résulterait de son enquête.

La publication de détails supplémentaires sur le contenu de l’ordonnance du Dr Loh montre clairement à quel point le comportement d’Amazon, de son actionnaire principal mégamilliardaire Jeff Bezos et des gouvernements canadiens à tous les niveaux a été criminel depuis le début de la pandémie. Le Dr Loh a exhorté Amazon à «revoir ses opérations pour s’assurer que le personnel est regroupé par jour, heure, zone de travail et type de travail» et que «les limites de capacité pour les zones, telles que les toilettes, les entrées et les salles à manger, sont appliquées pour permettre une distanciation physique de deux mètres.» Il a également ordonné à l’entreprise de veiller à ce que les panneaux concernant les protocoles de sécurité concernant la COVID-19 soient affichés dans les langues parlées par son personnel, une mesure vitale étant donné qu’Amazon emploie une main-d’œuvre très exploitée, en grande majorité immigrée, dont beaucoup n’ont qu’une connaissance limitée de l’anglais. Le Dr Loh a ajouté que l’entreprise devrait explorer «les options de transport pour le personnel afin qu’il puisse se déplacer en toute sécurité.»

En d’autres termes, plus d’un an après le début de la pandémie, alors que la fortune personnelle de Bezos a augmenté de plus de 24 milliards de dollars, l’agence locale de santé publique a demandé à Amazon de prendre des précautions élémentaires qui auraient pu et dû être appliquées dans les heures qui ont suivi l’annonce du virus.

On peut se demander ce que les inspecteurs provinciaux ont réellement fait pendant leurs 12 visites distinctes, ce qui équivaut à une inspection par mois depuis l’éruption des cas de COVID-19 au Canada. Il ne pourrait y avoir de démonstration plus dévastatrice de l’indifférence totale de la direction d’Amazon et des autorités gouvernementales apparemment chargées de réglementer les activités de l’entreprise vis-à-vis de la santé et de la vie des travailleurs.

Amazon est connu dans le monde entier pour ses conditions de travail brutales. Aucune dépense n’est épargnée pour surveiller les moindres faits et gestes de chaque travailleur dès qu’il entre dans un entrepôt, pour imposer des objectifs de performance écrasants qui entraînent des niveaux élevés de blessures et de décès au travail, et pour intimider les travailleurs afin qu’ils se taisent sur ces conditions.

Ceci étant dit, l’éclosion catastrophique du virus sur le site de Heritage Road ne fait pas que jeter la lumière sur les horribles conditions de travail chez Amazon, mais aussi sur la réponse de classe meurtrière de toute l’élite dirigeante canadienne à la pandémie. Cette réponse consiste à tolérer et même à encourager des centaines de milliers d’infections et des dizaines de milliers de décès comme prix à payer pour s’assurer que les profits et la richesse des sociétés canadiennes demeurent protégés.

Il y a presque exactement un an, le gouvernement fédéral libéral de Trudeau, en étroite consultation avec les groupes de pression du patronat, la bureaucratie syndicale et le NPD, a accepté de verser plus de 650 milliards de dollars aux grandes banques et aux grandes entreprises pour soutenir leurs bilans financiers.

Dès que cela a été conclu, Trudeau a ouvert la voie en organisant une campagne de retour au travail irresponsable visant à rouvrir l’économie sans tenir compte des risques pour la sécurité des travailleurs, afin que les profits des sociétés puissent recommencer à affluer. La réouverture des écoles a joué un rôle particulièrement important dans cette campagne puisque la classe dirigeante considérait qu’il était essentiel de soulager les parents des responsabilités liées à la garde des enfants afin qu’ils puissent recommencer à faire des profits pour les capitalistes.

Conformément aux exigences des entreprises canadiennes, le discours du Trône du gouvernement Trudeau, en septembre dernier, a exclu tout confinement généralisé en réponse à une augmentation des cas de COVID-19. Il soulignait que toutes les futures mesures de santé publique contre le virus devraient être «à court terme» et mises en œuvre au «niveau local.»

En pratique, cela signifiait que les grands employeurs comme Amazon avaient le champ libre pour faire ce qu’ils voulaient de leur main-d’œuvre, sachant que ni le gouvernement fédéral ni les gouvernements provinciaux ne s’interposeraient pour les empêcher d’intensifier leur production afin de récolter un maximum de profits.

Au niveau provincial, ces politiques meurtrières ont été appliquées par une combinaison de propagande mensongère sur la sécurité des écoles et des lieux de travail et de dissimulation délibérée. Des centaines d’épidémies en milieu de travail en Ontario et au Québec n’ont jamais été rapportées publiquement parce que les gouvernements de droite de Doug Ford et de François Legault, craignant la croissance de l’opposition des travailleurs, ont fermement refusé de nommer les lieux de travail où les épidémies se sont produites, invoquant des «préoccupations de confidentialité.»

Cela a eu un impact majeur sur la région de Peel. Abritant de nombreux grands entrepôts et usines et des quartiers densément peuplés, elle est rapidement devenue un foyer pour le virus. Pour ne citer qu’un exemple de la politique de dissimulation de l’État, l’automne dernier, une épidémie massive survenue sur un lieu de travail dans la région de Peel a infecté 60 travailleurs et rendu malades plus de 40 personnes de la communauté locale, mais à ce jour, le lieu de l’épidémie reste inconnu du public.

La seule raison pour laquelle le site d’Amazon a été publiquement identifié comme la source de l’épidémie actuelle est qu’Amazon a refusé de suspendre ses activités jusqu’à ce que les autorités sanitaires le lui ordonnent, et a menacé de contester juridiquement cette ordonnance. En outre, l’épidémie était devenue tellement incontrôlable que le système de transport local a dû suspendre partiellement certaines de ses activités. (Voir: Les autorités sanitaires canadiennes ferment un entrepôt d’Amazon après une épidémie massive de COVID-19)

La décision des gouvernements à tous les niveaux, quelle que soit leur couleur politique, de laisser le virus se propager sur les lieux de travail et dans les écoles a conduit à un désastre. Selon les chiffres partiels publiés par l’Agence de santé publique du Canada, qui en sous-estiment sans aucun doute le nombre, plus de 10.000 cas de COVID-19 ont été officiellement enregistrés comme des infections sur le lieu de travail. Ce chiffre comprend 4750 cas dans les sites de production et de conditionnement de la viande, 2190 cas dans la production agricole, 1231 cas dans les milieux industriels, 866 cas dans la distribution et la transformation et 652 cas dans les camps de travail.

Dans le seul secteur du conditionnement des viandes, au moins trois travailleurs de l’usine d’Olymel à Red Deer, en Alberta, ont perdu la vie depuis janvier. Trois décès ont également été enregistrés au printemps dernier dans le cadre d’une autre éclosion massive à l’abattoir de Cargill à High River, en Alberta.

Les lieux de travail et les écoles jouent manifestement un rôle décisif dans l’éruption d’une troisième vague d’infections, encore plus meurtrière, alimentée par des variants plus infectieux et plus mortels. En date du début du mois de mars, 24% de toutes les infections enregistrées en Ontario provenaient des lieux de travail.

Les responsables de grandes villes, dont Toronto et Montréal, ont ouvertement reconnu ces dernières semaines que les écoles et les garderies constituent l’un des principaux vecteurs, sinon le principal, de transmission du variant B.1.1.7 découvert pour la première fois en Grande-Bretagne.

Dans la seule région de Peel, où se trouvent trois grands entrepôts d’Amazon, les élèves de 206 classes sont actuellement en quarantaine et cinq écoles sont totalement fermées. Selon un reportage publié jeudi, le conseil scolaire public de la région de Peel et le conseil scolaire catholique de la région doivent envisager de fermer des écoles en raison de l’opposition croissante des enseignants à l’apprentissage en personne.

Les conditions dangereuses et mortelles auxquelles sont confrontés les travailleurs au quotidien soulignent l’urgente nécessité de mener une lutte politique pour fermer toute production non essentielle et tout apprentissage en personne afin d’arrêter la propagation du virus. Les travailleurs d’Amazon à Heritage Road et dans d’autres centres d’exécution des commandes à travers le pays doivent exiger une vaste expansion des tests et de la recherche des contacts, la vaccination de tous les travailleurs, la réintroduction de la prime de risque et le contrôle par les travailleurs du rythme de travail pour permettre la distanciation sociale et mettre fin au détesté régime de travail accéléré qui oblige les travailleurs à violer les règles de sécurité.

Les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs d’Amazon se répètent dans les écoles et autres lieux de travail à travers le Canada. C’est pourquoi la lutte des travailleurs d’Amazon trouvera ses plus grands alliés parmi les travailleurs de la logistique, le personnel scolaire, les travailleurs de la santé, les postiers et autres.

Afin d’organiser la lutte pour ces politiques, les travailleurs d’Amazon à Heritage Road devraient suivre l’exemple de leurs frères et sœurs de classe au sud de la frontière, au centre d’expédition BWI2 d’Amazon à Baltimore, et établir un comité de sécurité de la base (déclaration en anglais) indépendant des syndicats pro-entreprises.

Tout au long de la pandémie, les syndicats sont intervenus pour maintenir la production, mettant en danger la vie même des travailleurs qu’ils prétendent représenter. À l’usine Cargill de High River, ce sont les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) qui ont forcé les travailleurs à reprendre le travail en les avertissant que toute action de grève serait «illégale.» Les syndicats d’enseignants de toutes les provinces répriment l’opposition populaire au dangereux apprentissage en personne.

Les travailleurs d’Amazon devraient lier la lutte de leur comité au Comité de sécurité pancanadien du personnel scolaire de la base, que des enseignants ont créé pour faire pression en faveur de la fermeture des écoles afin de sauver des vies, et au réseau de comités similaires qui s’est déjà constitué dans les secteurs de l’automobile et de l’éducation aux États-Unis, en Europe et en Australie, en opposition à la réponse meurtrière de l’élite capitaliste à la pandémie.

(Article paru en anglais le 19 mars 2021)

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