À la clôture du scrutin à Bessemer

Les questions de classe derrière la campagne de syndicalisation chez Amazon

Le vote se termine ce week-end pour près de 6.000 travailleurs d’Amazon à Bessemer, en Alabama, pour savoir s’ils doivent adhérer au «Retail, Wholesale and Department Store Union» (RWDSU – Syndicat des détaillants, grossistes et grands magasins). Les résultats seront probablement rendus publics cette semaine.

Il faut le dire clairement: la campagne qui vise à faire entrer le RWDSU chez Amazon ne découle pas d’une rébellion de la classe ouvrière, mais de calculs stratégiques de la classe dirigeante.

Sur cette photo d'archive du 30 mars 2020, des travailleurs du centre de traitement des commandes d'Amazon à Staten Island se rassemblent à l'extérieur pour protester contre les conditions de travail dans l'entrepôt new-yorkais de l'entreprise [Source: AP Photo/Bebeto Matthews]

La campagne a reçu une attention favorable sans précédent de la part des médias d’entreprise et de l’establishment politique national. Le président Biden est intervenu directement au début du mois en diffusant une vidéo qui préconisait pratiquement un vote en faveur du «oui», une première pour un président en exercice. Un défilé de démocrates parlementaires – dont le sénateur du Vermont, Bernie Sanders – s’est rendu à Bessemer pour soutenir la campagne. Même le sénateur républicain Marco Rubio, anticommuniste de droite notoire, a apporté son soutien, ainsi que des reportages favorables de médias de droite comme le Wall Street Journal et Fox News.

Tous affirment, sous une forme ou une autre, que la RWDSU permettra aux travailleurs d’Amazon de faire pression sur l’une des sociétés les plus puissantes et les plus impitoyables de la planète.

Il ne fait aucun doute que ces travailleurs d’Amazon cherchent un moyen de lutter contre l’entreprise. Les conditions de travail chez Amazon sont intolérables. Les travailleurs sont soumis à des quarts de travail de 10 heures avec seulement 30 minutes de pause, forcés de «respecter les quotas» par des équipements de suivi électronique sophistiqués. Ces conditions poussent les travailleurs à se blesser, et ils sont alors souvent expulsés de l’entrepôt et privés d’indemnisation.

Mais lorsqu’un politicien capitaliste prétend soutenir les «droits» des travailleurs, ces derniers devraient avoir leur porte-monnaie bien en vue. Derrière leurs affirmations de soutien aux travailleurs d’Amazon, des objectifs non avoués sont en jeu, conformément à une stratégie de classe bien définie.

Quelle est la situation à laquelle la classe dirigeante capitaliste fait face aujourd’hui? Avant tout, c’est la menace d’une opposition sociale incontrôlable de la part de la classe ouvrière.

Au cours de l’année écoulée, les deux partis, républicain et démocrate, ont poursuivi des politiques qui ont entrainé la mort de 550.000 personnes aux États-Unis, et de plus de 2,7 millions dans le monde, comme réponse à la pandémie de coronavirus. La classe dirigeante a maintenu des millions de travailleurs au travail pour continuer à maintenir les profits des grandes entreprises. Si l’on ajoute à cela les milliers de milliards de dollars consacrés au sauvetage de Wall Street, les super-riches se portent mieux que jamais. Les milliardaires américains ont gagné à eux seuls plus de 1.300 milliards de dollars au cours de l’année écoulée, Jeff Bezos, PDG d’Amazon, étant en tête du peloton.

Ils savent parfaitement qu’ils payeront cher cette subordination irréfléchie et criminelle des vies humaines au profit. Une fois que les luttes commenceront à éclater parmi les travailleurs n’importe où dans le pays, pensent-ils, elles pourraient rapidement se transformer en une lutte nationale et même internationale de la classe ouvrière.

De plus, les capitalistes se préparent à la guerre dans le monde entier, y compris avec la Russie et la Chine dotées de l’arme nucléaire. Le gouvernement Biden double les dépenses militaires américaines dans le Pacifique et encercle la Chine continentale de missiles à longue portée.

Dans ces conditions, la classe dirigeante a besoin d’un mécanisme pour discipliner la classe ouvrière et canaliser sa colère. Elle dispose de tels mécanismes dans les syndicats. C’est pourquoi les démocrates et certaines sections des républicains interviennent agressivement dans la campagne de syndicalisation à Bessemer. Les syndicats sont des instruments clés de la domination de classe. Ils sont des défenseurs, non pas des travailleurs, mais du système capitaliste. Ils travaillent, non pas pour organiser les travailleurs contre la direction, mais pour organiser la direction contre les travailleurs.

Il y a des générations, les syndicats – tout en subordonnant les travailleurs aux démocrates et en réprimant les travailleurs de gauche et socialistes – menaient tout de même des grèves et supervisaient une hausse générale du niveau de vie. Mais le temps où cette double comptabilité procapitaliste pouvait se poursuivre est depuis longtemps révolu, et les syndicats se sont transformés en organisations de briseurs de grève, à la solde directe des sociétés. Depuis le début des années 1980, les syndicats ont imposé une capitulation après l’autre, en réduisant les salaires, en fermant des lieux de travail et en imposant des conditions de travail dangereuses.

Il y a deux ans, les syndicats eux-mêmes ont défini leur rôle de manière explicite dans leurs arguments devant la Cour suprême des États-Unis. «La sécurité syndicale est le prix à payer pour l’absence de grève», a déclaré un avocat du syndicat des employés du secteur public dans l’affaire Janus contre AFSCME. Sans la sauvegarde des intérêts financiers de la bureaucratie syndicale, a-t-il dit, «vous pouvez provoquer une menace incalculable de troubles du travail dans tout le pays.» Il a avancé ces arguments alors que les enseignants de Virginie-Occidentale se rebellaient contre la tentative du syndicat d’étouffer leur grève par un contrat au rabais, une lutte qui avait déclenché une vague de grèves d’enseignants dans tout le pays.

Au cours des douze derniers mois, les syndicats ont pesé de tout leur poids pour prévenir une «menace incalculable de troubles du travail» pendant la pandémie de coronavirus. Le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (UAW), ébranlé par une grève sauvage en mars qui avait entrainé l’arrêt de la production dans les usines automobiles américaines, a forcé les ouvriers de l’automobile à reprendre le travail en mai. En outre, il a collaboré avec la direction pour dissimuler la propagation des infections et des décès dans l’industrie. L’United Food and Commercial Workers, le syndicat parent du RWDSU, s’est efforcé de maintenir ouvertes les usines de conditionnement de la viande, même si plus de 285 travailleurs de ce secteur sont morts. Le RWDSU lui-même a joué le même rôle dans les usines de conditionnement de la viande dans tout le Sud.

Cette année, le gouvernement Biden s’est appuyé sur Randi Weingarten et la Fédération américaine des enseignants pour briser l’opposition des éducateurs et rouvrir des districts scolaires dans tout le pays. À Chicago, Los Angeles, Philadelphie, Oakland et dans d’autres grands districts du pays, les syndicats ont imposé des accords de réouverture, dans certains cas sans même le prétexte d’un vote des membres.

La campagne de syndicalisation à Bessemer est une opération venant d’en haut, une intervention menée par les démocrates et la bureaucratie syndicale, et non une poussée de la base. En outre, le président du syndicat, Stuart Appelbaum, est un intermédiaire de longue date entre la bureaucratie syndicale et le Pentagone, qui a parcouru le monde dans l’intérêt de la machine de guerre américaine.

Le RWDSU n’a même pas fait de revendications concernant les salaires ou les conditions de travail dans l’usine. Pour tenter d’étouffer l’affaire, et pour renforcer l’attrait apparemment faiblissant des jeunes travailleurs noirs, ils ont fait appel à Black Lives Matter et à des groupes associés pour draper la campagne de couleurs raciales, la présentant comme une continuation du mouvement des droits civils.

La réalité est que les syndicats, loin de se battre pour le principe d’égalité de toutes les ethnicités et nationalités, s’emploient à injecter un nationalisme empoisonné et à diviser les travailleurs de différents pays, ainsi que les immigrants et les gens natifs du pays les uns contre les autres. Ce nationalisme de «l’Amérique d’abord», que les syndicats ont adopté bien avant l’élection de Donald Trump, ne sert qu’à briser l’unité de la classe ouvrière, en la forçant à accepter des coupes au nom du prétendu droit de «leurs» capitalistes à réaliser des profits.

Aux États-Unis, Amazon s’est amèrement opposé aux tentatives de syndicalisation de ses entrepôts. Mais en Europe, ses installations sont pour la plupart syndiquées, et les syndicats travaillent main dans la main avec l’entreprise pour imposer des conditions à peine meilleures qu’aux États-Unis, tout en maintenant les travailleurs en poste pendant la pandémie ou en appelant, tout au plus, à des grèves symboliques d’une journée pour permettre aux travailleurs de se défouler.

Si les travailleurs votent en faveur de la certification de la RWDSU à Bessemer, celle-ci s’efforcera de piéger l’initiative des travailleurs à travers un réseau de lois fédérales sur le travail conçues pour empêcher les travailleurs de mener une lutte. Si l’entreprise tente de contester le résultat du vote, le RWDSU s’en remettra aux tribunaux, tout en exigeant que les travailleurs restent au travail. Et ils viseront à sanctionner, sans aucun changement significatif, les mêmes conditions qui existent actuellement chez Amazon, n’ayant de plus que l’approbation du «représentant» juridiquement sanctionné des travailleurs.

Les travailleurs ont besoin de s’organiser. Ils ne peuvent pas faire face à une entreprise géante comme Amazon seuls, sans coordonner leurs luttes avec le reste des 1,3 million de travailleurs de l’entreprise et avec les travailleurs d’autres industries. Mais cela ne peut être accompli en faisant appel à une organisation qui est hostile à leurs intérêts les plus fondamentaux.

Quelle que soit l’issue du vote, une nouvelle orientation est nécessaire. Là où les syndicats encouragent le corporatisme et la collaboration de classe, les travailleurs ont besoin d’une perspective anticapitaliste. Là où les syndicats encouragent le chauvinisme national, la classe ouvrière doit développer une perspective internationaliste. Là où le syndicat procède à partir de ce que la classe dirigeante est prête à céder, les travailleurs doivent partir de leurs besoins urgents.

L’incarnation organisationnelle de cette perspective est le comité de la base. Avec l’aide du WSWS et du PES, les travailleurs construisent un réseau en pleine expansion de tels comités parmi les enseignants, les travailleurs de l’automobile, les travailleurs de la santé et les travailleurs d’Amazon.

Ces comités ont joué le rôle principal dans la mobilisation des oppositions aux trahisons des syndicats. À Detroit, lorsque l’UAW a forcé les travailleurs à retourner dans les usines l’année dernière, les travailleurs ont formé des comités de sécurité pour dénoncer les conditions dangereuses et mettre à nu la dissimulation des infections par la direction et le syndicat. Dans les districts scolaires de tout le pays, les comités de sécurité de la base mènent l’opposition à la réouverture des écoles que les syndicats d’enseignants ont sanctionnée.

La lutte pour établir et construire des comités de la base doit être développée et étendue. Elle doit être combinée à une nouvelle stratégie politique visant à mobiliser la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde entier dans la lutte pour des politiques socialistes. Cela comprend l’expropriation des profiteurs de la pandémie comme le propriétaire d’Amazon, Jeff Bezos, et la transformation d’Amazon et d’autres sociétés de logistique en services publics, contrôlés démocratiquement et détenus collectivement par la classe ouvrière.

Rejoignez ce combat dès aujourd'hui! Contactez la Voix internationale des travailleurs d'Amazon du WSWS pour plus d'informations.

(Article paru en anglais le 27 mars 2021)

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