Lettre au «Chronicle of Higher Education» à propos du World Socialist Web Site, Nikole Hannah-Jones et le Projet 1619

La lettre qui suit a été envoyée le 13 juin par David North, président du comité de rédaction international du WSWS, au bureau de rédaction du «Chronicle of Higher Education» et à Jack Stripling, auteur de l’article publié le 11 juin dans le Chronicle, «“Mais que s’est-il donc passé?” Dans l’affaire de la titularisation de Nikole Hannah-Jones».

Ni le Chronicle of Higher Education ni Stripling n’ont accusé réception de la lettre ni donné d’indication que le Chronicle avait l’intention de la publier. Le WSWS la publie donc ici.

13 juin 2021

Aux rédacteurs en chef:

Re: «Mais que s’est-il donc passé?»

Je vous écris en ma qualité de président du comité de rédaction du «World Socialist Web Site» (wsws.org) et de rédacteur et coauteur de «The New York Times’ 1619 Project and the Racialist Falsification of History».

Dans le compte-rendu de Jack Stripling sur le refus de titularisation de Nikole Hannah-Jones, on trouve le passage suivant:

«“J’ai lu ce qu’il y avait sur le World Socialist Web Site”, a déclaré Hussman au Chronicle, semblant effaré de constater sur quoi il était tombé [en anglais, l’expression «rabbit hole», littéralement «terrier du lapin», a été utilisée pour qualifier le contenu du WSWS, NDT], “et ce qu’ils critiquaient. J’ai bien essayé de tout lire”».

Le dictionnaire Oxford définit un «rabbit hole» comme «une situation ou un environnement bizarre, absurde ou qui porte à confusion, typiquement une situation dont il est difficile de s’extirper».

L’implication claire de ce passage est que le World Socialist Web Site est une source peu recommandable, qui ne devrait pas être citée et qui n’a pas sa place dans un examen des qualifications d’Hannah-Jones. Par conséquent, selon Stripling, le fait qu’Hussman ait lu la critique du Projet 1619 du WSWS discrédite son opposition à la nomination d’Hannah-Jones.

En fait, la critique du Projet 1619 par le World Socialist Web Site comprenait des entretiens approfondis avec plusieurs des plus grands spécialistes de l’histoire de la révolution américaine et de la guerre civile. Parmi eux il y avait les lauréats du prix Pulitzer Gordon Wood et James McPherson; les lauréats du prix Lincoln, James Oakes et Richard Carwardine; et d’autres historiens respectés comme Victoria Bynum (auteure du livre «The Free State of Jones»); Adolph Reed Jr. et Clayborne Carson. Tous ces universitaires ont été interviewés par le WSWS non pas en raison de leurs opinions politiques personnelles, mais en raison de leurs travaux universitaires exceptionnels.

Les interviews et les contributions d’autres auteurs, y compris celles du corédacteur Thomas Mackaman et les miennes, ont démontré de manière exhaustive la falsification de l’histoire dans l’essai principal du Projet 1619 écrit par Hannah-Jones: en particulier les affirmations selon lesquelles la Révolution américaine a été menée pour maintenir l’esclavage et que la lutte afro-américaine pour les droits civils a été menée en grande partie seule.

Le travail du World Socialist Web Site a attiré l’attention de tous, non seulement en raison du caractère détaillé, fiable et exhaustif de sa critique. Beaucoup ont également été surpris que cette réfutation du Projet 1619 provienne d’une source ouvertement de gauche et socialiste. Cela a remis en question le récit communément accepté selon lequel l’opposition au Projet 1619 provenait exclusivement de la droite politique. De plus, de nombreux essais publiés dans le «New York Times’ 1619 Project and the Racialist Falsification of History» documentent la source historiquement réactionnaire des efforts du Projet 1619 Project visant à faire de la «race» et du racisme anti-noirs la force motrice de l’histoire américaine. Le World Socialist Web Site a particulièrement critiqué la suppression par le New York Times de la lutte des classes de son récit historique.

Sachez que «The New York Times’ 1619 Project and the Racialist Falsification of History» comprend un chapitre qui démolit la tentative de Trump de contrer le Projet 1619 avec les mythes xénophobes qu’on lui connait.

À la lumière de la sérieuse contribution du World Socialist Web Site à l’analyse du Projet 1619, la référence désobligeante de Jack Stripling est très inappropriée.

Tout d’abord, l’essai de Stripling soutient implicitement et sans critique le récit selon lequel il n’y a tout simplement aucun motif intellectuellement respectable qui pourrait justifier le refus de titularisation d’Hannah-Jones et qu’il était nécessaire pour Hussman de descendre «très profondément» dans le «rabbit hole» socialiste peu recommandable pour trouver des raisons de s’opposer à sa nomination.

Deuxièmement, cela ne semble pas être venu à l’esprit de Stripling qu’il aurait dû examiner les essais et les interviews du WSWS qui ont apparemment influencé Hussman. L’impact du WSWS sur la controverse qui entourait le Projet 1619 a été souligné par des publications de l’establishment aussi connues que The Atlantic et le Wall Street Journal.

L’objectivité journalistique aurait dû conduire Stripling à examiner si les interviews et les essais du WSWS constituaient une base légitime pour l’opposition de Hussman à la nomination de Hannah-Jones. Au lieu de cela, Stripling va jusqu’à dépeindre Hussman comme étant «effaré» de devoir descendre dans les profondeurs du «terrier» du World Socialist Web Site.

La référence grossière de Stripling au World Socialist Web Site est un exemple révélateur de la présence persistante de la haine «anti-rouges» de l’ère maccartiste sur le journalisme et la vie intellectuelle aux États-Unis. Son hypothèse tacite est que les arguments des marxistes et des socialistes sont illégitimes et ne devraient pas faire partie du discours public. Stripling n’est apparemment pas conscient du fait que ce point de vue a été contesté par les étudiants et le corps enseignant de l’université de Caroline du Nord lors des manifestations historiques contre la «loi sur la réglementation des conférenciers invités», adoptée par la législature de l’État en juin 1963 pour empêcher les universitaires et les conférenciers jugés sympathiques au Parti communiste et à d’autres organisations de gauche de s’adresser aux étudiants du campus. La loi a été annulée en 1968.

Un examen de la lutte contre la «loi sur la réglementation des conférenciers invités» aurait fourni un contexte plus large aux affirmations actuelles selon lesquelles le refus de titularisation d’Hannah-Jones constitue une grave atteinte à la liberté universitaire. Le corps enseignant et les étudiants des années 1960 de l’Université de Caroline du Nord (UNC) ont mené une lutte importante contre la suppression de la liberté d’expression sur le campus. Leurs protestations ont soulevé des questions démocratiques de caractère fondamental, ancrées dans la Constitution américaine, qui ne sont guère présentes dans les arguments avancés pour défendre la demande de titularisation d’Hannah-Jones à l’UNC.

L’attitude de Stripling à l’égard du World Socialist Web Site illustre le problème de base qui sous-tend la défense du Projet 1619 et du travail d’Hannah-Jones. Elle se fonde non pas sur une étude objective des faits historiques, mais sur un récit racial à caractère idéologique.

Ainsi, Jack Stripling présente son histoire comme celle «d’une femme noire nommée Nikole Hannah-Jones, qui attend que les administrateurs majoritairement blancs de l’une des plus anciennes universités publiques du pays lui accordent un honneur que ses nouveaux collègues disent qu’elle mérite amplement».

Mais c’est justement la question qu’un journaliste consciencieux aurait dû explorer soigneusement. Hannah-Jones, sur des bases objectives, «mérite-t-elle» cette nomination? Son travail de journaliste résiste-t-il à un examen sérieux? Est-il correct de supposer que l’opposition d’Hussman à sa nomination est dépourvue de toute légitimité intellectuelle et qu’elle est fondée, malgré ses dénégations, sur des préjugés raciaux? Pourquoi le travail d’Hannah-Jones a-t-il été vivement critiqué par des historiens très respectés dont l’engagement en faveur des droits civils et de l’égalité raciale est incontestable?

Si Stripling avait pris le temps d’examiner la critique du World Socialist Web Site, plutôt que de la rejeter de manière aussi méprisante, il aurait pu découvrir des informations qui remettent sérieusement en question le récit racial avancé par Hannah-Jones et sa légion de défenseurs.

Bien à vous,

David North

Président

Comité de rédaction international du World Socialist Web Site

(Article paru en anglais le 18 juin 2021)

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