Conférence de l’université d’été 2021 du PES (États-Unis)

De l’élection présidentielle américaine au coup d’État de Trump

Cet exposé a été présenté à l’aide d’une série de diapositives et de clips vidéos, dont beaucoup ne peuvent être reproduits ici. Ils seront brièvement résumés le cas échéant.

Une partie de la foule pro-Trump au Capitole le 6 janvier (AP Photo/John Minchillo)

Ce rapport traitera des événements du 3 novembre 2020 au 6 janvier 2021, soit une période de 64 jours. Le World Socialist Web Site a rédigé 12 perspectives dans les 25 premiers jours après l’élection. Je vous invite à les lire, car je ne peux en citer que quelques-unes.

Ces événements, bien qu’ils impliquent un conflit amer au sein de l’élite dirigeante américaine, sont une préoccupation urgente pour la classe ouvrière. Les travailleurs doivent les comprendre, avoir une attitude politique de classe à leur égard, être capables de les expliquer à leurs collègues et de passer à l’action. Ces questions ne sont pas uniquement destinées aux intellectuels, aux professionnels de la politique et aux experts.

Notre approche est diamétralement opposée à la position de la pseudogauche, qui, dans la mesure où elle reconnaît l’existence de la classe ouvrière, la réduit à la forme syndicale la plus élémentaire, qui non seulement est historiquement dépassée, comme nous l’avons expliqué, mais exclut toute intervention de la classe ouvrière dans les grands questions et conflits politiques qui déterminent la vie de la société.

Les cartes des votes du collège électoral en 2016 et 2020 sont bien connues. Cinq États sont passés des républicains aux démocrates: les trois États industriels du Nord, le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, et les deux États de la Sunbelt, l’Arizona et la Géorgie.

Dans le vote populaire, Biden a gagné par 7 millions de voix. En 2016, Clinton l’avait emporté par 3 millions de voix. Le vote démocrate a augmenté de 15,4 millions et le vote républicain de 11,2 millions, faisant passer l’avance démocrate de 2,9 millions à 7,1 millions.

L’avance du vote populaire pour Biden était, selon les normes historiques, une victoire décisive. À titre de comparaison, George W. Bush s’est fait réélire en 2004 avec 3 millions de voix et Barack Obama en 2012, avec un peu moins de 5 millions de voix. Bill Clinton a été élu en 1992 par 5,8 millions de voix. L’avance de Biden est presque exactement égale à l’avance de 7,1 millions de votes de George H. W. Bush sur Michael Dukakis en 1988. Elle est légèrement inférieure aux 8,2 millions de voix qui ont séparé Bill Clinton de Bob Dole en 1996 et aux 8,5 millions de voix qui ont séparé Obama de John McCain en 2008.

Le changement le plus significatif est l’énorme augmentation de la participation électorale pour les deux partis, mais davantage pour les démocrates, qui reflète deux processus liés: une opposition massive au gouvernement Trump et un accès plus facile au vote en raison des ajustements des procédures dus à la pandémie de coronavirus.

Le pourcentage de la population qui a voté, 66,8 pour cent, était le plus important depuis 1900, avant que les femmes et la plupart des Afro-Américains ne puissent voter. On a enregistré les plus fortes augmentations de pourcentage chez les jeunes de 18 à 29 ans, les Américains d’origine asiatique et les personnes qui avaient fait des études supérieures, mais pas de diplôme de quatre ans. Le taux de participation des Afro-Américains a augmenté, atteignant 70 pour cent, soit plus que la moyenne nationale, dans les huit États les plus contestés.

L’examen de ces chiffres a pour but de démontrer ce que savaient, certainement quelques jours avant l’élection, les professionnels des campagnes républicaines et démocrates, les élus et les analystes et experts des médias.

Ils savaient tous, sur la base des chiffres nationaux et par État et des sondages à la sortie des urnes, que Biden avait gagné et ce, de manière décisive. Il y a eu une augmentation colossale de la participation, à la fois en termes de pourcentage et en chiffres absolus. C’est la cause fondamentale de la défaite de Trump. C’était une répudiation populaire de sa présidence.

Rien dans ces résultats n’a véritablement surpris les analystes professionnels des deux campagnes ou les médias. Les analystes de Trump avaient montré qu’il tirait de l’arrière depuis des semaines. C’est l’une des raisons pour lesquelles il avait déclaré avec force, bien avant l’élection, qu’il n’accepterait pas les résultats.

Le décompte État par État n’a révélé aucun chiffre anormal dans les États très disputés. L’élection n’était pas serrée. Aucune base objective n’existait pour les allégations de fraude électorale.

Si la victoire de Biden était douteuse, cela en allait de même pour les victoires de centaines de candidats démocrates à la Chambre et au Sénat et dans les courses aux postes de gouverneur. À une seule exception près, cependant, les perdants républicains se sont abstenus de revendiquer la victoire et ont concédé leur défaite quelques jours, voire quelques heures plus tard, comme le veut la tradition. Mais Trump n’a pas respecté ces règles.

La réponse de Trump aux résultats de l’élection

Bien avant l’élection, Trump avait déclaré qu’il n’accepterait pas nécessairement les résultats du vote. Vous vous souvenez que cela remonte à la campagne de 2016, lorsque lors d’un débat avec Hillary Clinton, il avait refusé d’accepter à l’avance le résultat du vote à venir. Même après avoir gagné en 2016, il a affirmé que la victoire de Clinton au vote populaire était due à des millions de votes illégaux d’immigrants sans papiers.

C’est devenu un thème régulier des remarques de Trump lors des rassemblements de campagne durant l’été 2020. Il a à plusieurs reprises mis en doute les bulletins de vote par correspondance, alors qu’il utilisait lui-même les bulletins de vote par correspondance, que ses candidats dirigeaient la Poste et que les républicains dirigeaient la majorité des gouvernements ou des législatures des États, en particulier dans les États contestés comme la Pennsylvanie, le Michigan, le Wisconsin, la Caroline du Nord, la Géorgie, la Floride et l’Arizona.

Au milieu de la nuit, vers 3h le 4 novembre, Trump s’est rendu à la télévision nationale pour revendiquer la victoire, sur la base du vote du jour même dans de nombreux États contestés. Des millions de bulletins de vote par correspondance étaient encore en cours de dépouillement, et les propres sondeurs de Trump, ainsi que ceux des médias, savaient parfaitement que la tendance était en faveur de Biden. Pendant plusieurs jours, les médias ont lâchement refusé de reconnaître cette tendance et d’annoncer la victoire de Biden, donnant ainsi un coup de pouce aux prétentions de Trump.

Dès que la victoire a été annoncée pour Biden, Trump a commencé à mettre en place des plans pour contester les résultats: une action sans précédent dans l’histoire américaine.

Voici la première grande analyse de la crise postélectorale par le WSWS, écrite par David North et Joseph Kishore et publiée le 7 novembre 2020, sous le titre «Le refus de Trump de concéder prépare le terrain pour la crise postélectorale». Elle expose, alors que les votes étaient encore en cours de dépouillement, les grandes lignes de la situation. Elle est particulièrement remarquable pour ses conclusions sur Trump. Nous avons écrit:

Il semble que le candidat du Parti démocrate, Joe Biden, soit sur le point de remporter suffisamment d’États pour être élu président des États-Unis… Cependant, ce que Biden avait décrit comme son «pire cauchemar» – à savoir que Trump n’accepterait pas sa défaite aux urnes – pourrait en fait être en train de se réaliser.

Dans un discours extraordinaire prononcé à la Maison-Blanche tôt mercredi matin, Trump s’est proclamé vainqueur. «Franchement, nous avons gagné cette élection», a-t-il déclaré. «Nous allons donc nous adresser à la Cour suprême des États-Unis. Nous voulons que tous les votes cessent.» Par arrêt des «votes», Trump entend l’arrêt de la poursuite du décompte des bulletins de vote par correspondance qui ont été déposés légalement....

Qu’il réussisse ou non à court terme à éviter la défaite – par une combinaison de contestations judiciaires, de manifestations de protestation de droite, de menaces et d’usage réel de la violence – Donald Trump, et le mouvement fasciste anticonstitutionnel dont il supervise la croissance, ne va pas disparaître de la scène politique.

Comme le World Socialist Web Site n’a cessé de le répéter depuis la tentative de coup d’État de Trump en juin dernier, sa stratégie politique ne s’est jamais limitée à des calculs purement électoraux. Au cours des trois derniers mois, il a fait campagne davantage pour le rôle de Führer que pour celui de simple président. Cette campagne fascisante n’est pas terminée.

Je ne vais pas faire un compte rendu détaillé des mouvements juridiques et politiques qui ont eu lieu pendant le mois qui a suivi l’élection. La campagne Trump a intenté plus de 60 procès, presque tous dans les six États contestés remportés par Biden. Dans aucun de ces procès n’a-t-on apporté une preuve significative de fraude électorale. Les avocats de la campagne, comme Giuliani, ont parlé haut et fort de fraude lors de conférences de presse et de rassemblements, mais ils se sont montrés beaucoup moins loquaces au tribunal.

Ce n’était pas un simple cas d’une faute professionnelle juridique ou de la démence ou de la folie de certains avocats. C’était une véritable stratégie politique. Les revendications bruyantes de fraude visaient à enrager et à mobiliser les partisans de Trump et à exercer une pression politique sur les législateurs des États pour qu’ils interviennent et annulent le vote populaire dans leurs États. Ils devaient accorder à Trump les votes électoraux de leur État, suivant la théorie notoire du juge de la Cour suprême Antonin Scalia, articulée en 2000, selon laquelle un droit constitutionnel de pouvoir voter pour le président n’existe pas. Ainsi les législatures des États peuvent choisir les grands électeurs présidentiels de leur propre chef, défiant la décision des électeurs. Trump a même convoqué à la Maison-Blanche les chefs législatifs des États et des législateurs individuels du Michigan et de la Pennsylvanie, et il était en contact avec des législateurs de l’Arizona, de la Géorgie et du Wisconsin.

Les contestations juridiques de Trump ont culminé avec le procès intenté par 18 États dont les procureurs généraux sont républicains, qui ont demandé à la Cour suprême d’annuler les résultats du vote dans quatre États contestés, un effort extraordinaire pour que la Cour sanctionne l’ingérence politique des gouvernements des États dirigés par les républicains dans les États qu’ils ne dirigent pas. La Cour a rejeté la demande par un vote de 9-0.

Ces efforts ont finalement échoué, non pas parce que les différents républicains au niveau des États, comme le secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, étaient des défenseurs intransigeants de la démocratie, sans parler de la Cour suprême. Mais cela faisait trop d’États, et l’avance de Biden dans ces États était trop importante pour politiquement rendre possible la répétition de la décision de la Cour suprême en 2000 dans l’affaire Bush contre Gore. Les représentants des États et les juges de la Cour suprême craignaient que leur intervention aux côtés de Trump, alors qu’il avait si clairement perdu, ne déclenche une opposition populaire massive et ne devienne une catastrophe politique.

Trump purge le Pentagone

Les fonctionnaires du Pentagone Christopher Miller, Kash Patel, Ezra Cohen-Watnick et Anthony Tata (Wikimedia Commons)

Le 9 novembre, Trump a pris sa première mesure en réponse à sa défaite électorale, en renvoyant le secrétaire à la Défense Mark Esper, avec lequel il s’était affronté pendant l’été en raison de la réticence d’Esper à déployer l’armée contre les manifestations de masse contre la violence policière. Son remplaçant, Christopher Miller, était une figure largement inconnue, un ancien béret vert avec un dossier militaire de 30 ans, notamment en Irak et en Afghanistan, qui a atteint le niveau de colonel dans les forces spéciales avant de prendre sa retraite en 2014. Il est revenu au gouvernement en tant que fonctionnaire du Pentagone sous Trump, en tant que directeur du National Counterterrorism Center (NCTC).

Kash Patel a été nommé chef de cabinet de Miller. C’est un ancien avocat militaire intégré à des unités des forces spéciales. Il a rejoint le personnel de Devin Nunes, le principal républicain de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants, et est passé de là à la Maison-Blanche. On a appris par la suite que Trump avait l’intention de le nommer directeur adjoint de la CIA, puis de renvoyer la directrice Gina Haspel.

Ezra Cohen-Watnick, également nommé à un poste de haut niveau au ministère de la Défense, était un ancien fonctionnaire civil de la Defense Intelligence Agency qui a ensuite travaillé pour la CIA, le Pentagone à nouveau, et le Conseil national de sécurité sous Trump, où Michael Flynn l’a nommé directeur principal des programmes de renseignement. Cohen-Watnick aurait divulgué des informations sur la surveillance de Trump par la CIA au chef de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants, Devin Nunes.

Anthony Tata était un militaire de carrière à la retraite, un ancien général de brigade, affecté à Haïti, au Panama, au Kosovo et en Afghanistan. Il avait décrit Barack Obama comme un musulman et un «chef terroriste» et il était tellement à droite que sa nomination au poste du Pentagone a été bloquée par les républicains du Sénat. Trump l’a maintenant installé comme sous-secrétaire adjoint par intérim et, le poste de sous-secrétaire étant vacant, il a commencé à exercer les pouvoirs de cette fonction.

Le 11 novembre 2020, le WSWS a publié une déclaration intitulée «Stop à la conspiration de Trump qui vise à annuler les élections de 2020», qui commençait ainsi:

Le président Donald Trump refuse d’accepter sa perte électorale et participe activement à un coup d’État qui vise à annuler les résultats des élections de 2020 et établir une dictature personnaliste.

La situation ne pourrait pas être plus claire: Trump fait maintenant ce qu’il avait annoncé qu’il ferait avant les élections. Il nie la légitimité d’une élection que Biden a gagnée de manière décisive, cherche à créer un récit mensonger selon lequel l’élection a été «volée», et conspire pour rejeter les votes de millions de personnes.

Le Parti républicain s’est joint à cette conspiration qui acquiert de plus en plus le caractère d’un syndicat fasciste et criminel. Les dirigeants républicains au niveau fédéral et au niveau des États soutiennent les mensonges de Trump et refusent de reconnaître la victoire de Biden. Dans un discours prononcé lundi au Sénat, le chef de la majorité sénatoriale, Mitch McConnell, a déclaré que Trump était «entièrement dans son droit d’examiner les allégations d’irrégularités et de peser ses options juridiques.»

Les manœuvres pseudolégales de Trump sont soutenues par l’incitation à la violence des forces d’extrême droite et fascistes, appuyées par des sections de la police et de l’appareil d’État. Des manifestations sont prévues ce week-end à Washington DC pour mobiliser les partisans de Trump sous la bannière «Stop the Steal» (Arrêtez le vol des élections).

Lundi, Trump a renvoyé le secrétaire à la défense Mark Esper, qui avait auparavant critiqué les plans de Trump de déployer des troupes contre des manifestants pacifiques. Le nouveau chef «intérimaire» du Pentagone sera Christopher Miller, un agent des forces spéciales en poste depuis 30 ans et colonel à la retraite. Contrairement à la manière impitoyable de Trump, le Parti démocrate agit avec sa combinaison habituelle d’inconséquence et d’insouciance. Mardi, Biden a qualifié les actions de Trump d’«embarras». Biden a ajouté: «Le fait qu’ils ne soient pas prêts à reconnaître que nous avons gagné à ce stade n’a pas beaucoup d’importance dans notre planification».

Cette déclaration identifie toutes les caractéristiques majeures de la situation politique: les actions sans précédent de Trump, le soutien que lui apporte le Parti républicain, l’incitation à la violence, la purge du Pentagone et la complaisance totale du Parti démocrate. Et ce, quatre jours seulement après que Biden a été déclaré vainqueur de l’élection.

Les co-conspirateurs fascistes de Trump

«I Alone Can Fix It»

Le livre «I Alone Can Fix It» (Moi seul peux arranger les choses) est pour la plupart une reprise de reportages journalistiques sur le gouvernement Trump, mais il donne quelques aperçus vivants de la période du 3 novembre au 6 janvier. Il décrit un appel téléphonique à Milley d’un ami anonyme, probablement Mattis, Gates ou un autre ancien fonctionnaire de très haut niveau. Je cite:

Cet ami était très préoccupé par les acolytes de droite qui venaient d’être élevés et bénéficiaient d’un accès spécial à Trump, avertissant qu’ils faisaient partie d’une plus grande cabale prête à franchir toutes les lignes pour détenir le pouvoir. «Ce qu’ils essaient de faire ici, c’est de renverser le gouvernement», lui a dit l’ami de Milley… «Tu es l’un des rares gars qui se tiennent entre nous et des choses vraiment mauvaises».

L’ami a commencé par décrire Michael Ledeen… Ledeen avait des liens étroits avec Flynn, Cohen-Watnick, Patel, Steve Bannon et Erik Prince, fondateur de la société militaire privée Blackwater USA [et frère de la secrétaire à l’Éducation de Trump, Betsy DeVos]… [Ledeen] était un néoconservateur qui avait étudié le leader d’extrême droite italien Benito Mussolini et la montée du fascisme. Ledeen avait depuis longtemps adopté l’idée que l’Iran était l’épicentre du mal et devait être détruit. Sa femme, Barbara Ledeen, membre de longue date du personnel du Sénat, servait en quelque sorte de mère nourricière lors des sessions de planification des néoconservateurs au domicile de Bannon… où Patel et Cohen-Watnick étaient des invités fréquents. L’ami a rappelé à Milley le mantra de Bannon: «Brûlez les institutions». Milley était secoué. Y avait-il vraiment un plan de coup d’État en préparation?

Michael Ledeen et Steve Bannon (Wikimedia Commons)

Ledeen est bien connu du WSWS, et du Bulletin avant lui, puisqu’il est associé à Reagan et à l’affaire Iran-Contra il y a près de quarante ans.

Cette section d’«I Alone Can Fix It» se termine par la déclaration de Milley qui est peut-être la révélation la plus citée du livre. Après avoir cité les inquiétudes de Milley sur le fait que Trump, après avoir démis Esper de ses fonctions de secrétaire à la Défense, pourrait chercher à remplacer Gina Haspel au poste de directrice de la CIA et Christopher Wray au poste de directeur du FBI, le livre cite Milley sur les perspectives d’un coup d’État pro-Trump.

«Ils peuvent essayer, mais ils ne vont pas réussir», leur a-t-il dit. «Vous ne pouvez pas faire cela sans l’armée. Vous ne pouvez pas le faire sans la CIA et le FBI. Nous sommes les gars avec les armes».

Si les «hommes armés» décident de sauver la démocratie américaine de Trump, alors la démocratie américaine est entre les mains des «hommes armés». Ce sont eux qui décident, pas le peuple. Et cela n’est pas une démocratie.

Plus tard, le livre raconte que Milley a senti qu’il y avait une possibilité que Trump cherche à le démettre de ses fonctions de président des chefs d’état-major interarmées, bien qu’il n’ait été nommé qu’en 2019 et que son mandat statutaire devait durer jusqu’en 2023, sauf s’il était démis. Pour prévenir cette éventualité ou une autre action de Trump à laquelle les généraux s’opposaient, comme un retrait immédiat d’Afghanistan, Milley et les chefs d’état-major interarmées ont discuté d’un plan de démissions en chaîne. Si Milley démissionnait ou était licencié, chaque membre de l’état-major interarmées refuserait à son tour de faire ce que Milley avait refusé de faire, puis démissionnerait publiquement. En d’autres termes, il y aurait une rébellion à grande échelle des officiers, ce qui n’est guère une caractéristique de la démocratie.

À bien des égards, les manifestations pro-Trump organisées à Washington en novembre et décembre ont été les préparatifs les plus importants du coup d’État du 6 janvier. Elles ont rassemblé un grand nombre d’individus et tous les organisations et les dirigeants de première ligne, qui pourraient être considérés comme les sous-officiers et les lieutenants de la tentative de coup d’État, à l’endroit où ils allaient mener leurs opérations.

Le 14 novembre 2020 a eu lieu le premier rassemblement pro-Trump après l’élection, qui a été annoncé comme la «Million MAGA March», attirant environ 15.000 personnes à Washington. Les signes et les gestes de la main des suprémacistes blancs étaient courants. Parmi les intervenants figuraient Alex Jones, du site web conspirationniste Infowars, et la représentante nouvellement élue de Géorgie, Marjorie Taylor Greene. Trump est passé en voiture devant le rassemblement et l’a salué. Milley, selon «I Alone Can Fix It», a dit à des assistants que c’était l’équivalent de «chemises brunes dans les rues».

Le général Mark Milley en octobre 2019 (Wikimedia Commons)

Le 12 décembre 2020, à la veille du vote du collège électoral dans les 50 États et le District de Columbia, une deuxième marche a eu lieu, sous la bannière «Stop the Steal». Elle était nettement moins nombreuse, peut-être moins de 10.000 personnes, ce qui reflétait la démoralisation des partisans ordinaires et non fascistes de Trump après que la Cour suprême ait rejeté ce qui était sa dernière option juridique la veille. Parmi les intervenants figuraient le fasciste Nick Fuentes, Michael Flynn, l’ancien conseiller à la sécurité nationale que Trump venait de gracier, et le PDG de MyPillow, Mike Lindell. Trump a survolé la foule dans son hélicoptère Marine One en signe de soutien. Dans la nuit, de violents affrontements ont eu lieu avec des contre-manifestants, et plusieurs personnes ont été poignardées et gravement blessées.

Des partisans du président Donald Trump qui portent des vêtements associés aux Proud Boys assistent à un rassemblement sur la Freedom Plaza, le samedi 12 décembre 2020, à Washington (AP Photo/Luis M. Alvarez)

Alors que Trump faisait ouvertement appel à ces forces fascistes, nous avons écrit une perspective le 3 décembre 2020, intitulée «Le “Mein Kampf” de Donald Trump». Ce commentaire répondait au discours semi-dérangé de Trump du 2 décembre, que les réseaux ont refusé de diffuser, même Fox News. Il n’est apparu que sur les médias sociaux.

Le discours de Donald Trump publié sur sa page Facebook personnelle mercredi après-midi était une déclaration de guerre à la démocratie américaine. C’était un appel à peine voilé à une insurrection de droite pour renverser les résultats des élections et maintenir à la Maison-Blanche un président qui avait été répudié par la population américaine…

L’objectif principal de ce discours, qui qualifie de criminels le Parti démocrate et la plupart des agents électoraux des États, était d’inciter les plus fervents partisans de Trump à organiser des attaques violentes contre toute personne visée par le futur führer de la Maison-Blanche. Dénonçant ceux qui «désirent faire du mal au président des États-Unis», Trump a exigé que «quelque chose se passe».

Nous nous attardions ensuite sur la réaction des démocrates:

Le Parti démocrate et les sections prodémocrates des médias ont répondu par le silence à la déclaration ouverte de Trump selon laquelle il avait gagné l’élection et continuerait à exercer ses fonctions. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la campagne de Biden n’a publié aucune déclaration, pas plus que les principaux démocrates du Congrès, comme la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, ou les sénateurs Chuck Schumer, Bernie Sanders et Elizabeth Warren…

Les démocrates ne craignent pas les menaces de violence et de dictature de Trump, mais la révolte populaire de masse qui serait déclenchée si Trump tentait effectivement de réaliser le coup d’État électoral dont il parle depuis longtemps. Les démocrates savent très bien que l’Amérique est une poudrière sociale, profondément divisée entre l’aristocratie financière fabuleusement riche, que les démocrates comme les républicains servent, et la grande majorité de la population, qui lutte pour survivre.

Les derniers jours avant le 6 janvier

S’ensuit une série d’événements qui démontrent le tournant de plus en plus fasciste de la Maison-Blanche et des proches de Trump et ses propositions délibérées aux éléments fascistes dans les rues – il a tweeté que le 6 janvier «sera déchainé» – et dans les forces militaires et paramilitaires, comme avec son pardon aux meurtriers de Blackwater. La preuve la plus claire que Trump visait le 6 janvier est apparue dans sa conversation téléphonique avec le procureur général par intérim Jeffrey Rosen, sur laquelle nous avons écrit, sur la base de notes manuscrites récemment rendues publiques. L’une des notes indique que Rosen a dit à Trump que le ministère de la Justice «ne peut pas + ne veut pas claquer des doigts + changer le résultat de l’élection.» Trump a alors répondu qu’il comprenait la position de Rosen, mais qu’il voulait qu’il «dise simplement que l’élection était corrompue + qu’il me laisse à moi et aux membres du Congrès républicain faire le reste.»

Trump a même mentionné les noms de plusieurs des membres du Congrès qui s’opposeraient plus tard à la certification des votes électoraux pour Biden.

Trump a apparemment envisagé de licencier Rosen, mais comme au Pentagone, tous les fonctionnaires immédiatement sous les ordres de Rosen ont déclaré qu’ils démissionneraient en masse plutôt que de le remplacer, ce qui a obligé le président à faire marche arrière.

Il y a eu de nombreux avertissements dans les jours qui ont précédé le 6 janvier 2021. Je ne peux en évoquer que quelques-uns.

Le site de médias sociaux Parler a transmis des menaces de violence au FBI plus de 50 fois dans les semaines précédant l’attentat. L’un des messages, que Parler avait envoyé à un agent de liaison du FBI le 2 janvier, provenait de quelqu’un qui avait publié: «Ne soyez pas surpris si nous prenons le Capitole» et «Trump a besoin que nous provoquions le chaos pour promulguer la loi sur l’insurrection».

Le 3 janvier, une évaluation de la menace par la police du Capitole disait: «Contrairement aux précédentes manifestations postélectorales, les cibles des partisans de Trump ne sont pas nécessairement les contre-manifestants, comme c’était le cas auparavant, mais plutôt le Congrès lui-même qui est la cible le jour du 6… La propension de “Stop the Steal” à attirer des suprémacistes blancs, des membres de milices et d’autres personnes qui encouragent activement la violence peut conduire à une situation considérablement dangereuse pour les forces de l’ordre et le grand public».

Le 5 janvier, le ministère de la Sécurité intérieure a averti la police du Capitole qu’il avait trouvé une carte du système de tunnels du complexe du Capitole publiée sur des forums de discussion pro-Trump. Le 5 janvier également, le bureau local du FBI à Norfolk a fait part de ses inquiétudes concernant des menaces de violence, en citant des forums d’extrême droite.

Selon le compte rendu du New York Times publié le 13 juillet, le FBI a averti la police du Capitole et la police métropolitaine du District de Columbia que des groupes extrémistes participeraient aux manifestations du 6 janvier et «prévoyaient d’utiliser des fréquences radio spécifiques pour leurs communications».

Le bureau des communications d’urgence de la police métropolitaine a alors programmé certaines radios portatives sur ces fréquences et les a remises à la police du Capitole et à la police métropolitaine pour qu’elles les utilisent à des fins de surveillance.

Le 5 janvier, la société d’intelligence artificielle Dataminr a informé les responsables de la sécurité qu’elle avait découvert plusieurs messages inquiétants, notamment des appels à «se rendre à Washington le 6 janvier et aider à prendre d’assaut la capitale». Un message poursuit: «Nous allons prendre d’assaut les bâtiments gouvernementaux, tuer des flics, tuer des agents de sécurité, tuer des employés et des agents fédéraux».

Valerie Hasberry, responsable de la sécurité pour l’architecte du Capitole, a déclaré dans un courriel: «Il y a maintenant des discussions sur Parler à propos de la prise d’assaut du Capitole, veuillez me faire savoir si l’on en apprend plus sur la crédibilité de ces menaces».

Un agent de service au centre de sécurité de la police du Capitole a répondu à Hasberry en disant: «Il n’est pas question de menaces crédibles ou de prise d’assaut du Capitole.»

Dataminr est l’un des sites que Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées, a déclaré qu’il surveillait personnellement avant le 6 janvier.

Les événements du 6 janvier

Des personnes sont vues dans la galerie de la Chambre des représentants alors que des émeutiers tentent de pénétrer dans la Chambre des représentants au Capitole des États-Unis, le mercredi 6 janvier 2021, à Washington (Photo: AP Photo/Andrew Harnik)

On a beaucoup écrit sur la désorganisation de la police du Capitole, son incapacité à déployer des équipements antiémeute et la fragilité des barricades, qui ressemblaient à des supports à vélos. Mais l’aspect le plus important de cette non-intervention était l’insuffisance du nombre. Une foule de milliers de personnes s’est rassemblée devant le Capitole, mais moins de 50 policiers avaient été déployés pour garder tout l’extérieur du bâtiment.

Passons en revue la chronologie des événements les plus importants de la journée:

Les premiers combats ont lieu alors que Trump est encore en train de parler à la foule devant la Maison-Blanche. Il y a déjà une foule au Capitole d’une taille suffisante pour pousser à travers la ligne d’escarmouche initiale de la police sur le côté ouest du bâtiment à 12h50, et les policiers appellent des renforts, à la fois la police du Capitole et la police métropolitaine de Washington.

Les co-conspirateurs de Trump sont à l’œuvre à l’intérieur du Capitole comme à l’extérieur, bien qu’à la dernière minute, à 13h, le vice-président Pence publie une lettre qui confirme qu’il n’a pas le pouvoir d’intervenir dans le processus de certification des votes électoraux, que sa présidence de la session conjointe est purement cérémoniale. Il déclare ensuite la session conjointe du Congrès ouverte et commence à appeler tous les États par ordre alphabétique.

À 13h10, Trump termine son discours au rassemblement devant la Maison-Blanche, exhortant ses partisans à marcher sur le Capitole, où une attaque en règle contre la police est déjà en cours et certainement connue de la Maison-Blanche. Il jette de l’huile sur le feu, envoyant des milliers de personnes supplémentaires vers le bâtiment où au moins un millier d’entre elles ont commencé un assaut frontal.

Deux minutes plus tard, le représentant de l’Arizona Paul Gosar et le sénateur Ted Cruz se lèvent pour s’opposer à la certification des votes électoraux de l’Arizona pour Biden. Cela se produit après que les émeutiers aient déjà débordé la première ligne de police à l’extérieur du Capitole. La session conjointe se sépare en deux chambres pour débattre de la question.

De multiples comptes rendus vidéos existent de l’attaque des émeutiers sur le centre du Capitole, à l’heure où ils vont percer les défenses. La présentation vidéo préparée par le New York Times donne un très bon compte rendu de ce qui se passait à l’intérieur et autour du Capitole, bien qu’elle ne dise rien de ce qui se passait à la Maison-Blanche ou au Pentagone. Voici quelques extraits de la chronologie:

  • 14h10: du côté ouest du Capitole, les Proud Boys mènent une attaque en montant les escaliers dans les échafaudages érigés pour l’investiture prochaine de Biden, et la foule submerge les lignes de police légèrement défendues et atteint le bâtiment du Capitole.
  • 14h11: Dominic Pezzola, un Proud Boy, brise une fenêtre du côté ouest du Capitole en utilisant un bouclier de la police.
  • 14h13: Le premier émeutier, le Proud Boy Michael Sparks du Kentucky, entre dans la partie ouest du Capitole par une fenêtre cassée. D’autres sections de la foule commencent à pénétrer dans le Capitole, poussant à travers les fenêtres et les portes, les Proud Boys et les Oath Keepers en tête.
  • 14h13: les services secrets font sortir le vice-président Pence de la salle du Sénat et le font descendre par un escalier vers un endroit sécurisé.
  • 14h14: Des émeutiers poursuivent Eugene Goodman, policier du Capitole, dans les escaliers de la salle du Sénat, tandis que des sénateurs s’échappent. Des agents font sortir Nancy Pelosi de la chambre des députés.
  • 14h15: Stuart Rhodes, dirigeant des Oathkeepers, transmet un message d’une personne non identifiée responsable de la sécurité des Oathkeepers à un groupe de messages cryptés Signal appelé «DC Ops 1» qui comprend des chefs régionaux arrêtés plus tard pour l’attaque. Ils «occupent une partie du Capitole. Nous devons regrouper tous les membres qui ne sont pas en mission».
  • 14h20: La Chambre et le Sénat lèvent la séance, et les membres commencent à fuir le Capitole ou à se rendre dans des installations sécurisées spécialement préparées.
  • 14h24: Trump tweete: «Mike Pence n’a pas eu le courage de faire ce qui aurait dû être fait pour protéger notre pays et notre Constitution, en donnant aux États une chance de certifier un ensemble corrigé de faits, et non les faits frauduleux ou inexacts qu’on leur avait demandé de certifier auparavant. Les États-Unis exigent la vérité!»
  • 14h25: Après une demi-heure de bousculade, les émeutiers franchissent les portes de l’est du Capitole, lorsque des émeutiers du côté ouest atteignent les portes de l’est et les ouvrent. Un officier de la Marine en service actif, Christopher Warnagiris, tient les portes ouvertes pour la foule.

Nous avons tous vu la vidéo et l’audio des membres du personnel de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qui se barricadent dans une salle de réunion, tweetant des appels à l’aide désespérés, et les émeutiers qui essaient d’enfoncer les portes.

Survient ensuite la mort par balles d’Ashli Babbitt, la seule émeutière tuée par la police au cours de la journée. Les émeutiers arrivent devant la porte d’entrée de la chambre des députés, qu’ils trouvent barricadée par des policiers armés. Les représentants sont déplacés vers une porte arrière, par laquelle ils seront mis en sécurité.

Plusieurs assaillants, dont Babbitt, se détachent de la foule et se dirigent vers l’entrée arrière, où ils voient les représentants s’échapper et attaquent la porte. Un agent de la police du Capitole sort son arme. Alors qu’Ashli Babbitt commence à grimper par une fenêtre brisée, selon la technique que les émeutiers ont utilisée pour forcer le passage par de nombreuses portes à l’intérieur du Capitole, le policier fait feu. Babbitt tombe avec une blessure mortelle.

Au même moment, un groupe de policiers lourdement armés arrive devant la porte arrière, et les émeutiers se retirent.

La campagne de droite qui vise à exiger l’identification publique du policier est motivée en partie par le fait qu’il s’agirait d’un Afro-Américain, le lieutenant Michael Byrd, l’officier supérieur affecté à la Chambre. Il y a un sous-entendu raciste dans les louanges incessantes qu’adresse Trump à Babbitt, qui la qualifie de femme belle et merveilleuse.

Qu’a fait l’armée?

Nous nous tournons maintenant vers ce qui se passait au Pentagone. Les principaux événements ici sont des non-événements, dans le sens de l’inaction. À 13h49, le général William Walker, commandant de la Garde nationale de Washington, demande au secrétaire d’État Ryan McCarthy l’autorisation de déployer ses troupes au Capitole. Il a des soldats déjà dans les bus, s’attendant à une approbation rapide. Au lieu de cela, il attend pendant des heures.

À 14h26 a lieu la première des nombreuses conférences téléphoniques et autres appels, avec la mairesse de Washington, Muriel Bowser, le chef de la police métropolitaine, Robert Contee, et le chef de la police du Capitole, Steve Sund, qui s’adressent à un groupe de généraux. L’un d’eux, le général Walter Piatt, déclare que «nous n’aimons pas l’image que projetterait» la présence de la Garde nationale au Capitole et il recommande de ne pas l’envoyer. Le général Charles Flynn, frère de Michael Flynn, participe à cet appel, bien que l’armée l’ait d’abord nié.

À 15h, le secrétaire à la Défense Miller dit avoir approuvé l’ordre d’activer la Garde nationale de Washington DC, bien qu’elle était déjà activée et prête à être déployée. Il ne donne l’ordre de déploiement effectif qu’à 16h32, et même cet ordre est retardé dans la communication au général Walker. On a finalement donné l’ordre de déploiement 15 minutes après que Trump a tweeté que ses partisans devaient rentrer chez eux.

À 15h46 et 15h55, deux incidents se produisent qui apportent une preuve supplémentaire de la collaboration des militaires avec les émeutiers. Le général Daniel Hokanson, chef du bureau de la Garde nationale, appelle le commandant de la Virginie, le général de division Timothy P. Williams, pour s’assurer qu’aucune force militaire de Virginie ne bougera sans l’autorisation préalable du Pentagone. Neuf minutes plus tard, il appelle le commandant de la Garde nationale du Maryland avec une demande similaire: ne bougez pas sans l’autorisation du Pentagone.

À 17h08, le général Walker reçoit enfin la permission d’envoyer ses troupes au Capitole. Enfin, à 17h22, les premières troupes de la Garde nationale arrivent au Capitole.

Deux incidents dans «I Alone Can Fix It», l’un largement médiatisé, l’autre non, touchent à la question de l’attitude du Pentagone face au coup d’État de Trump.

Avant l’attentat, Milley a exprimé la crainte que Trump n’incite à la violence pour rester au pouvoir. «C’est un moment Reichstag», a déclaré Milley à des assistants. «L’évangile du Führer.»

Le 3 janvier, des officiers supérieurs de l’armée et des assistants du Conseil national de sécurité ont rencontré Trump à la Maison-Blanche pour discuter de l’Iran. À la fin de la réunion, Trump a demandé à Miller: «Vous avez assez de gars, et vous êtes prêts pour le 6 janvier?» «Oh oui, monsieur le président», a répondu Miller. «Nous avons un plan.»

Compte tenu de tout ce qui a transpiré le 6 janvier, des affirmations selon lesquelles le Pentagone n’était pas préparé et de l’ordre donné par Miller le 2 janvier qu’aucune unité de la Garde nationale ne devait être déployée dans le District de Columbia sans son autorisation formelle, cette conversation n’a pas d’explication innocente. C’est une question majeure qui n’a pas fait l’objet d’une enquête. Pour autant que je sache, Miller n’a pas été interrogé à ce sujet lors d’une audience du Congrès.

Le WSWS a analysé le rôle de l’armée dans une perspective publiée plus d’un mois après le 6 janvier, date à laquelle ces détails sont apparus dans un témoignage devant le Congrès, dans un commentaire intitulé «Cent quatre-vingt-dix-neuf minutes en janvier».

Nous expliquons que le titre est un jeu de mots sur le célèbre livre et film, «Sept jours en mai», sur une tentative de coup d’État militaire fictive, mais tout à fait réaliste, contre un président américain. À la différence, bien sûr, qu’il s’agissait d’un coup d’État mené par un président américain. Nous examinons le témoignage du commandant de la Garde nationale, William Walker, selon lequel il a demandé au Pentagone l’autorisation de déployer des troupes au Capitole à 13h49, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu, alors que les émeutiers n’avaient pas encore percé les défenses du bâtiment, mais qu’on lui a refusé cette autorisation jusqu’à 17h08, soit trois heures et 19 minutes plus tard.

Nous expliquons et rejetons les divers prétextes offerts par Miller, McCarthy et d’autres membres du haut commandement pour expliquer pourquoi ils ont attendu alors que la violente prise d’assaut du Capitole se jouait sur leurs écrans de télévision, alors qu’ils regardaient depuis le Pentagone, le centre nerveux de la plus puissante force militaire de la planète.

[Une] décision a été prise de ne pas agir parce qu’une stratégie politique précise était mise en œuvre. Pendant plus de trois heures, les groupes fascistes ont eu pratiquement le champ libre sur le Capitole. Les éléments formés militairement au sein des émeutiers savaient qu’on leur laissait le temps de chercher des otages parmi les sénateurs et les représentants. Trump, quant à lui, était prêt à déclarer l’état d’urgence. Cet acte lui aurait permis de fermer le Congrès. Cela aurait retardé indéfiniment la certification officielle de la victoire électorale de Joe Biden, un retard qui avait le soutien des co-conspirateurs de Trump au sein du Parti républicain.

Des discussions se seraient ensuivies avec les démocrates sur un «compromis», impliquant peut-être le renvoi des résultats électoraux contestés des États aux assemblées législatives contrôlées par les républicains, ce qui aurait entraîné la poursuite de la présidence de Trump. Les démocrates ont fait un «compromis» de ce type en 2000, lorsqu’ils ont accepté le vol de l’élection par l’intervention de la Cour suprême.

En fin de compte, les militaires ne sont intervenus que le 6 janvier lorsqu’il est devenu évident que l’opération n’avait pas atteint ses objectifs…

La vidéo du New York Times donne un aperçu panoramique de l’ensemble de l’assaut contre le Capitole, montrant l’emplacement de chacune des huit brèches distinctes. La plupart d’entre elles ont été réalisées par des colonnes de paramilitaires de droite, comme les Oathkeepers, en tenue militaire, qui étaient organisées et dirigées par leurs «officiers».

La police a fini par expulser les émeutiers le Capitole. Je tiens à souligner que la police du Capitole, la police métropolitaine de Washington DC, la police locale de Virginie d’Arlington et de Fairfax, ainsi que la police d’État de Virginie et du Maryland ont fait tout le travail d’expulsion du bâtiment, prenant le contrôle vers 16 h.

Seule une poignée d’agents fédéraux étaient déployés dans le bâtiment. Aucun soldat de la Garde nationale n’est arrivé avant plus d’une heure après que le bâtiment ait été vidé. Si les forces du gouvernement fédéral avaient été les seules à intervenir, les émeutiers auraient gardé le contrôle du Capitole pendant de nombreuses heures supplémentaires et auraient pu localiser les membres du Congrès et les sénateurs, qui s’étaient réfugiés à quelques centaines de mètres de là.

Un autre parallèle historique existe, outre les analogies avec Hitler, qu’il est essentiel de considérer. Il s’agit de la même période historique: la France en 1934. Le 6 février 1934, une manifestation armée de plusieurs milliers de fascistes a menacé le parlement à Paris, mais la police l’a dispersée, tuant 15 personnes. Le gouvernement n’a pas été renversé, mais est tombé un jour plus tard.

L’entrée de Wikipédia sur cette tentative de coup d’État indique, dans l’un de ses premiers paragraphes, que selon l’historien Joel Colton, «le consensus parmi les spécialistes est qu’il n’y a pas eu de plan concerté ou unifié pour prendre le pouvoir et que les ligues n’avaient pas la cohérence, l’unité ou le leadership nécessaires pour accomplir une telle fin». Cela fait très bien écho aux idées conventionnelles et à la pseudogauche selon lesquelles le 6 janvier n’était pas une véritable tentative de coup d’État.

Un jour plus tard, le 7 février, le premier ministre français Édouard Daladier, issu du Parti radical de la gauche bourgeoise, démissionne et est remplacé par Gustave Doumergue, un représentant de la droite politique au Parlement. Wikipédia indique: «C’est la première fois sous la Troisième République qu’un gouvernement tombe sous la pression de la rue.»

Un analyste de la politique française incomparablement plus important que le professeur Colton, Léon Trotsky, avait ceci à dire: «Le peuple français a longtemps pensé que le fascisme n’avait absolument rien à voir avec lui. Ils avaient une république dans laquelle toutes les questions étaient traitées par le peuple souverain à travers l’exercice du suffrage universel. Mais le 6 février 1934, plusieurs milliers de fascistes et de royalistes, armés de revolvers, de gourdins et de rasoirs, ont imposé au pays le gouvernement réactionnaire de Doumergue, sous la protection duquel les bandes fascistes continuent à se développer et à s’armer.»

La WSWS a répondu à l’attaque du Capitole par une perspective écrite cette nuit-là, alors que le Congrès venait de reprendre ses travaux, et postée avant même que le Congrès n’ait fini de voter la certification de l’élection présidentielle. Elle a été écrite par David North et titrée «Le coup d’État fasciste du 6 janvier à Washington».

L'insurrection fasciste à Washington DC – la prise d'assaut du Congrès américain, la dispersion paniquée de sénateurs et de membres de la Chambre terrifiés, le retard de la validation officielle de la majorité de Joseph Biden au Collège électoral, et même l'occupation des bureaux de la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi – marque un tournant dans l'histoire politique des États-Unis.

Les antiques glorifications de l'invincibilité et de l'intemporalité de la démocratie américaine sont à présent discréditées comme un mythe politique creux. La phrase populaire «It Can’t Happen Here» («Cela ne peut pas arriver ici»), tirée du titre du célèbre récit fictif de Sinclair Lewis sur la montée du fascisme américain, a été définitivement dépassée par les événements. Non seulement un coup d'État fasciste peut se produire ici. Il s'est produit ici, dans l'après-midi du 6 janvier 2021.

Je voudrais attirer l’attention en particulier sur ce qui a été dit à propos de la réponse des démocrates:

Quant au président élu Biden, il a attendu des heures avant de s’exprimer publiquement. Après avoir qualifié l'attaque du Capitole de sédition, Biden a lancé cet appel extraordinaire au chef de cette conspiration: «J'appelle le président Trump à se rendre à la télévision nationale maintenant, pour respecter son serment et défendre la Constitution et exiger la fin de ce siège.»

Normalement, lorsqu'il est confronté à une tentative de renversement du régime constitutionnel, le dirigeant politique menacé par la conspiration doit immédiatement chercher à priver les traîtres de tout accès aux médias. Mais Biden a préféré faire appel à Trump pour qu'il apparaisse à la télévision nationale, dans l’espoir qu’il annulerait l'insurrection qu'il avait lui-même organisée!

Biden a conclu ses remarques par cet appel au clairon: «Alors, Président Trump, montrez-vous à la hauteur.» On se souviendra de cet appel impuissant comme du discours «Hitler, faites ce qu'il faut» de Biden…

Les événements du 6 janvier 2021 retentissent comme un avertissement. La classe ouvrière doit élaborer une stratégie politique et un plan d'action pour contrecarrer les futures tentatives d’imposer une dictature.

Cette analyse a été entièrement justifiée par les actions des démocrates au cours des sept mois qui ont suivi.

(Article paru en anglais le 18 août 2021)

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