Conférence de l’université d’été 2021 du PES (États-Unis)

Le Projet 1619 et l’attaque contre la révolution américaine

Le rapport suivant a été présenté lors de l’université d’été 2021 du Parti de l’égalité socialiste (É.-U.) qui s’est tenue du 1er au 6 août, par Tom Mackaman, journaliste pour le World Socialist Web Site. Mackaman est coéditeur avec David North du «Projet 1619 du New York Times et de la falsification racialiste de l’histoire» (The New York Times’ 1619 Project and the Racialist Falsification of History), qui est disponible chez Mehring Books.

Vidéo du rapport de Tom Mackaman (en anglais)

Il y a deux ans ce mois-ci, le New York Times publiait son «Projet 1619».

Le Times a fait des déclarations grandioses sur son projet phare. Nikole Hannah-Jones, la journaliste-célébrité qui en était le visage public, a déclaré que le Projet 1619 recadrerait toute l’histoire américaine comme une lutte raciale menée par les Blancs contre les Noirs. Ce «nouveau récit» supplanterait les programmes d’études sociales destinés aux étudiants qui, prétendument, n’ont pas eu accès à l’histoire réelle en raison du monopole raciste des historiens blancs. Il était enfin temps de dire la vérité: l’année 1619, lorsque les premiers esclaves ont été amenés en Virginie coloniale, a été la «véritable fondation» des États-Unis, et non la Révolution de 1776, qui était en fait une contre-révolution menée pour défendre l’esclavage contre l’Empire britannique abolitionniste. Depuis ce «péché originel» de 1619, le racisme anti-noir est logé «dans l’ADN» des «Américains blancs». À un tel point où, aujourd’hui, le racisme inéluctable des Blancs est la cause profonde de tous les maux sociaux imaginables en Amérique, de l’obésité aux embouteillages.

Commençons par balayer avec le mépris qu’elle mérite l’affirmation du Times selon laquelle il a lancé une réécriture de l’histoire américaine et de la réalité sociale d’une telle ampleur qu’il s’agit d’un acte de service public pour les écoliers.

Le Times ne se soucie pas le moins du monde des enseignants et des enfants, comme il l’a montré dans son plaidoyer en faveur de réouvertures meurtrières d’écoles en pleine pandémie de COVID-19. Le Times n’est pas une organisation caritative, mais un empire médiatique de plusieurs milliards de dollars pour lequel les profits et les valeurs d’actions sont de la plus haute importance. En effet, le Projet 1619 engendre déjà divers types de franchisages et de programmes médiatiques, en collaboration avec le magnat milliardaire du divertissement, Oprah Winfrey.

Mais le Times est plus qu’un simple groupe de médias. C’est l’organe médiatique central du Parti démocrate et du libéralisme américain et, il faut le souligner, de la CIA. Il est plongé jusqu’au cou dans la crasse de la politique américaine: par exemple, dans la chasse aux sorcières sexuelles néo-victorienne #MeToo qu’il a organisée et dirigée; et dans le sang de l’impérialisme américain, ayant le plus tristement promu comme un fait le casus belli des «armes de destruction massive» pour la guerre en Irak; et s’étant plus récemment joint à la persécution du journaliste Julian Assange pour avoir osé mettre à nu les mensonges impérialistes que le Times a propagés. Lorsque les masses du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, ainsi que les familles des soldats américains tués et mutilés, pourront enfin témoigner devant les tribunaux, nous nous attendons à ce que quelques éditeurs, rédacteurs et journalistes du Times soient assis sur le banc des accusés aux côtés de Bush, Blair, Obama et Clinton.

En publiant le Projet 1619, le Times est en fait motivé par une préoccupation bien concrète. Son objectif est la balkanisation raciale de la classe ouvrière américaine. J’utilise le mot «balkanisation» délibérément. Quelles que soient les intentions de Hannah-Jones, la position selon laquelle les êtres humains sont engagés dans une lutte sans fin fondée sur la catégorie mythologique de la race a fourni, au cours du siècle dernier, la justification idéologique du meurtre de dizaines de millions de personnes dans le monde entier. Les bons amis du Times à la CIA sont très expérimentés dans ce domaine. Au cours des dernières décennies, Murder Incorporated a utilisé la méthode de la division communautaire avec une efficacité mortelle en Yougoslavie, en Irak, en Libye, en Syrie et en Ukraine.

Pour commencer, mettons-nous d’accord sur une prémisse: le racisme est une idéologie construite sur une catégorisation sociale, la «race», qui n’a aucun fondement scientifique. La race et le racisme sont apparus historiquement avec le capitalisme pour justifier et naturaliser l’exploitation. Avec le capitalisme, ils seront anéantis.

Ce qui est le plus important – et ce que je souhaite aborder dans mes remarques aujourd’hui – est que la campagne pour la division raciale prend maintenant la forme d’une attaque généralisée contre l’histoire américaine, et en particulier ses révolutions: la Révolution américaine et la guerre civile. Cela va de pair avec les efforts de l’historien allemand Jörg Baberowski pour réhabiliter Hitler et ceux des historiens britanniques pour diffamer le plus grand révolutionnaire du siècle dernier, Léon Trotsky: toutes des manifestations de falsification historique contre lesquelles notre mouvement est intervenu de manière décisive.

Le Times a compris à un moment donné en 2018 que sa promotion mur-à-mur de l’identité raciale, qui n’a cessé depuis l’élection de Trump en 2016, n’était pas suffisante. Dans les conditions explosives de la plus grande polarisation de la richesse de l’histoire, il était non seulement nécessaire de falsifier la réalité contemporaine, supplanter toute discussion sur le capitalisme ou les classes par des concepts populaires dans les milieux universitaires tels que la «blancheur», le «privilège blanc» et «l’écart de richesse racial», mais aussi de falsifier l’histoire des États-Unis.

Nous n’avons pas le temps ici de faire un compte-rendu détaillé de l’intervention de notre mouvement contre le Projet 1619. Ce compte-rendu est fourni par notre livre récemment publié, «Le Projet 1619 du New York Times et la falsification racialiste de l’histoire» (The New York Times’ 1619 Project and the Racialist Falsification of History).

Le point essentiel est le suivant: en dehors du Comité international de la Quatrième Internationale, le mouvement trotskiste mondial, il n’y aurait eu aucune défense sérieuse de la Révolution américaine ou de la guerre civile.

Après la publication du Projet 1619 en août 2019, bien peu de critiques ont en effet été formulées. On ne pouvait prendre au sérieux les personnalités de la droite anti-égalitaire, comme l’ancien président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, qui condamnaient le Projet 1619 en acceptant, bien que négativement, la fiction qu’il représentait une «vérité sans fard» précédemment supprimée.

Puis, dans la première semaine de septembre 2019, le WSWS a publié sa réponse en deux parties, «Le Projet 1619 du New York Times: Une falsification racialiste de l’histoire américaine et mondiale». L’analyse complète de cet article, qui a été développée et approfondie dans des conférences, articles et polémiques ultérieurs – sans jamais nier l’importance de l’esclavage ou du racisme dans l’histoire américaine – a réfuté chacune des affirmations du Times.

Notre intervention a gagné le soutien d’une couche d’historiens. Ils sont peu nombreux, mais il se trouve qu’ils comptent parmi les chercheurs les plus réputés et les plus influents dans leur domaine. Ils n’ont pas fait d’interviews avec nous parce qu’ils étaient d’accord – ou en désaccord – avec nous sur le plan politique. Leur collaboration était fondée sur un accord concernant une approche honnête de l’histoire et une opposition à la falsification de la révolution américaine et de la guerre civile. Ils se sont tournés vers le World Socialist Web Site parce que nous constituions la seule résistance au Times. Ces entretiens, ainsi que les articles et les conférences du WSWS, sont rassemblés dans le livre susmentionné.

L’intervention du WSWS a eu un impact immense, transformant la célébration médiatique du Projet 1619 en une action défensive d’arrière-garde. Notre travail s’est répandu dans les médias bourgeois: y compris le Wall Street Journal, l’Atlantic, Politico, l’American Historical Review, le Financial Times, le National Review, le Washington Post, et d’autres. Même le Times a été obligé de reconnaître que le World Socialist Web Site avait mené l’opposition au Projet 1619. En effet, à cause du World Socialist Web Site, le rédacteur en chef du New York Times Magazine, Jake Silverstein, a été contraint de faire marche arrière, de manière humiliante, sur l’affirmation clé selon laquelle 1619 était la véritable fondation des États-Unis – bien qu’il l’ait fait, comme c’est l’habitude au Times, de manière très malhonnête.

Le rôle important – on pourrait même dire prédominant – joué par le World Socialist Web Site dans ce débat est en soi un développement significatif. Les médias capitalistes des États-Unis ont toujours dépendu de la fiction selon laquelle le socialisme n’existe pas au pays de la tarte aux pommes et des opportunités illimitées. Toutes les couches des médias américains, y compris les géants de la technologie, se sont acharnées à nier l’existence même du WSWS, allant jusqu’à la censure pure et simple. Pourtant, dans cette lutte, le principal organe d’information de l’aile libérale de la classe dirigeante américaine, le Times, s’est retrouvé en lutte avec l’organe de la classe ouvrière internationale, le World Socialist Web Site.

Bien sûr, on fait tous les efforts maintenant pour remettre le chat dans le sac, pour prétendre que toute opposition au Projet 1619 et à la Théorie critique de la race et autres vient de l’aile droite. Cette fiction vise à désorienter la population et fournit une couverture politique aux manœuvres fascistes du Parti républicain. Notre livre est effectivement mis à l’index par les rédacteurs en chef des différents journaux et revues universitaires. Néanmoins, ces rédacteurs savent certainement que notre livre est l’un des volumes les plus importants publiés sur l’histoire américaine de mémoire récente. Les ventes ont été fortes, et nous nous battrons pour notre livre parmi les enseignants et les étudiants, et dans la classe ouvrière dans son ensemble.

Deux questions essentielles découlent de notre expérience: comment expliquer que le libéralisme américain, par l’intermédiaire du New York Times, ait lancé une attaque en règle contre les événements déterminants de leurs émergences, la révolution américaine et la guerre civile? Et comment cela se fait-il que seul le mouvement socialiste défende ces révolutions?

Les réponses à ces questions ne se trouvent pas dans l’histoire réelle des révolutions, mais dans la crise croissante du capitalisme américain à notre époque. Une étape importante a été franchie, à cet égard, à la fin de l’année 2000. Dans l’élection de Bush contre Gore de cette année-là, la Cour suprême des États-Unis, dans une décision de 5-4, est intervenue pour arrêter le comptage des votes et donner l’élection à Bush. Le Parti démocrate et ses organes, dont le Times, s’y sont conformés.

Le 3 décembre 2000, neuf jours avant le prononcé de cette décision, David North, président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site et président national du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis), a donné une conférence lors d’une réunion publique du Parti de l’égalité socialiste d’Australie à Sydney, dans laquelle il a déclaré:

La décision rendue par le tribunal révélera jusqu’où la classe dirigeante américaine est prête à aller dans son rejet des normes démocratiques bourgeoises et constitutionnelles traditionnelles. Est-elle prête à sanctionner la fraude électorale et la suppression des votes pour installer à la Maison-Blanche un candidat qui y ferait son entrée par le biais de méthodes carrément illégales et antidémocratiques? [1]

L’arrêt Bush contre Gore a démontré qu’il n’y avait plus de base sociale significative au sein de l’établissement politique et patronal américain pour la défense des droits démocratiques. La défense et l’expansion des droits démocratiques – qui, dans l’État démocratique bourgeois, sont toujours inégaux et souvent entièrement révoqués pour les travailleurs, les pauvres, les minorités et les socialistes – incombaient désormais à la classe ouvrière.

La publication du Projet 1619 a marqué une nouvelle étape dans le processus de dégénérescence de la classe dirigeante qui a été révélé par l’intervention de la Cour suprême dans les élections de 2000. Même si les droits démocratiques étaient attaqués aux États-Unis au cours des dernières décennies, la classe dirigeante continuait à faire l’éloge de la Révolution américaine et de la guerre civile, qui ont donné naissance à ces droits. Certes, la déférence de la classe dirigeante à l’égard des révolutions a toujours été malhonnête, comme l’a fait remarquer James P. Cannon, en tant que «bénéficiaires de privilèges… imposteurs, faux et profanateurs d’un noble rêve».

Mais aujourd’hui, de puissantes sections de la classe dirigeante, s’exprimant par le biais du New York Times, se sont tournées de manière décisive contre les révolutions démocratiques qui ont formé les États-Unis dans les années 1770 et 1860.

L’attaque du Times contre la Révolution américaine et la guerre civile ne va pas à l’encontre du coup d’État fasciste de Trump et du Parti républicain. Elle émerge de la même putréfaction historique, et en fait nourrit et encourage le fascisme. Tout comme la défense et l’expansion des droits démocratiques incombent à la classe ouvrière, la défense du patrimoine révolutionnaire de la Révolution américaine et de la guerre civile incombe également à la classe ouvrière. Ce sont les pièces d’un tout. La lutte historique est la condition préalable au développement au sein de la classe ouvrière d’une perspective et d’une culture internationales et révolutionnaires. Elle est liée à notre défense de la vérité historique en relation avec Trotsky, qui a passé les dernières décennies de sa vie à minutieusement mettre à nu les mensonges staliniens. Le mensonge, disait Trotsky, est le ciment de la réaction politique. C’est pourquoi notre mouvement est intervenu contre l’attaque des révolutions américaines avec une telle vigueur.

Le véhicule particulier de l’attaque contre la révolution américaine est ce que nous avons appelé la falsification racialiste. Comme toutes les formes de falsification historique – pour citer le grand historien de la dégénérescence stalinienne de l’Union soviétique, Vadim Rogovin – la méthode du Times implique «la dissimulation de certains faits historiques ou l’exagération tendancieuse et l’interprétation déformée d’autres».

De telles méthodes menacent, en tant que champ d’investigation, l’histoire elle-même. Il est donc profondément troublant que si peu d’historiens professionnels ont levé le petit doigt contre le Projet 1619. Cela démontre à quel point, comme David North et moi-même l’avons écrit dans une réponse à Alex Lichtenstein, rédacteur en chef de The American Historical Review:

… la mythologie racialiste, qui fournit le fondement «théorique» de la politique identitaire de la classe moyenne, a été acceptée, et même adoptée, par une partie importante de la communauté universitaire comme base légitime de l’enseignement de l’histoire américaine. [2]

En outre, nous avons écrit que l’attaque contre les historiens de premier plan qui ont critiqué le Projet 1619 – Gordon Wood, James McPherson, James Oakes, Victoria Bynum, Sean Wilentz et d’autres – «exprime le rejet d’une tendance démocratique progressiste dans l’historiographie américaine. Les historiens qui ont souligné le caractère mondial historique et progressiste des deux révolutions américaines (1775-83 et 1861-65) ont eu tendance à légitimer, même si ce n’était pas leur intention, la perspective d’une troisième révolution américaine, socialiste».

Il est triste de constater que les historiens qui se sont ralliés à la défense de la mythologie racialiste du Projet 1619 sont plus nombreux que ceux qui l’ont critiquée. Et des efforts sont actuellement déployés pour fournir une couverture scientifique au Projet 1619, qui devrait sortir sous forme de livre cet automne sous le nom du «1619 Project: A New Origin Story». Le titre «l’histoire de l’origine» convient bien à ce qu’est réellement le Projet. L’étude scientifique de l’histoire ne s’occupe pas des «histoires d’origine», sauf pour les mettre à nu. Les histoires d’origine ont traditionnellement été l’entreprise des politiciens racistes, l’exemple le plus notable étant la théorie d’Hitler d’une nation aryenne éternelle.

Récemment, dans des articles d’opinion distincts publiés dans le Washington Post, le New York Times et le magazine Time, les historiens Woody Holton et Robert Parkinson ont rejoint le Projet 1619 du Times dans son affirmation que la Révolution américaine était une contre-révolution menée pour défendre l’esclavage.

Les essais ont été programmés pour coïncider avec le week-end du 4 juillet, jour de la fête de l’Indépendance. L’essai de Holton a été publié dans le Post le 2 juillet «La dette de la Déclaration d’indépendance envers l’Amérique noire» (The Declaration of Independence’s debt to Black America). Les deux essais de Parkinson ont été publiés le 4 juillet, l’un dans le Times: «La peur des révoltes d’esclaves a-t-elle conduit à l’indépendance américaine?» (Did a Fear of Slave Revolts Drive American Independence?) et l’autre dans le magazine Time: («On ne peut raconter l’histoire de 1776 sans parler de la race et de l’esclavage» (You Can’t Tell the Story of 1776 Without Talking About Race and Slavery).

Holton, de l’Université de Caroline du Sud, et Parkinson, de SUNY-Binghamton, et des universitaires comme eux sont régulièrement présentés comme étant «de gauche». Ces historiens, cependant, sont profondément opposés à la conception marxiste selon laquelle la Révolution américaine était un événement d’importance historique mondiale qui, malgré ses nombreuses contradictions – c’est-à-dire malgré le fait qu’il s’agissait d’une révolution démocratique bourgeoise – a contribué immensément à la lutte pour l’égalité humaine, au nom de laquelle elle a été menée.

En fait, ces historiens ne présentent pas du tout la guerre d’indépendance comme une révolution, mais comme une éruption réactionnaire de racisme menée contre le véritable participant progressiste dans la lutte… l’Empire britannique! Holton et Parkinson affirment que la révolution n’a eu lieu que parce que l’Empire s’était opposé à l’institution de l’esclavage. C’est la même thèse que celle du Projet 1619 et de l’historien Gerald Horne, dont le livre bourré d’erreurs, «The Counter-Revolution of 1776», est une influence évidente.

Toute l’argumentation de Holton repose sur la proclamation de Dunmore, émise en novembre 1775 par le dernier gouverneur royal de Virginie (John Murray, quatrième comte de Dunmore), offrant la liberté aux esclaves et aux serviteurs qui prenaient les armes contre des maîtres déjà en révolte contre la couronne.

Holton écrit dans le Post: «La fureur des Blancs à l’égard des Britanniques pour avoir jeté leur dévolu sur les esclaves a conduit beaucoup d’entre eux à l’étape fatidique de l’adhésion à l’indépendance.» Il poursuit: «Jusqu’en 1775, la plupart des Américains blancs avaient résisté aux innovations parlementaires telles que le Stamp Act et la taxe sur le thé, mais avaient montré peu d’intérêt pour l’indépendance. Pourtant, lorsqu’ils apprirent que les Noirs avaient forgé une alliance informelle avec les Britanniques, les Blancs devinrent furieux.» [3]

La première réaction à la lecture d’un tel passage est une combinaison de choc et de révulsion face à son niveau intellectuel exécrablement bas. Cet historien universitaire titulaire a dissout toutes les myriades de divisions sociales, géographiques, ethniques et politiques des colonies – qui étaient toutes dans un état de profonde mutation en 1775 – en deux catégories anachroniques et supra-historiques: «Blancs» et «Noirs». «Les Noirs avaient forgé une alliance» «Les Blancs étaient furieux», et ainsi de suite. Holton n’est pas un fasciste. On suppose qu’il est un démocrate en règle: son père était gouverneur de Virginie et son beau-frère est le sénateur Tim Kaine, candidat à la vice-présidence d’Hillary Clinton en 2016. Mais, quelles que soient ses intentions, la réduction par Holton de la réalité sociale à un conflit racial est une approche de l’histoire partagée par les nazis et le Ku Klux Klan.

Parkinson part également de la Proclamation de Dunmore et des efforts similaires de l’Empire pour enrôler à la fois les esclaves et les Indiens. La réaction coloniale à Dunmore, dont Parkinson a pris connaissance dans les dernières pages des journaux patriotes, prouve que «la séparation d’avec la Grande-Bretagne était autant, sinon plus, une question de peur et d’exclusion raciales qu’une question de droits inaliénables». Et dans son essai pour le magazine Time, Parkinson a déclaré ce qui suit:

Nous avons laissé faire les pères fondateurs en ce qui concerne la race… Pendant trop longtemps, nous avons pris au mot un John Adams âgé sur ce qui avait réuni les treize colonies. Il avait oublié – délibérément – comment, quarante ans plus tôt, il avait mobilisé les préjugés des Américains à l’égard des Noirs (ce que nous appellerions aujourd’hui du racisme) pour amener les colonies à se réunir en une seule union. Cet effort a permis à l’Amérique d’être indépendante, mais il a également enfouit la race profondément dans la pierre angulaire de la République américaine… [4].

La combinaison d’ignorance et de moralisation sans fondement historique est stupéfiante. Les historiens «ne laissent pas faire» les personnages historiques. Ils situent les acteurs historiques, concrètement, dans un contexte historique donné qui, à son tour, fait partie d’un arc plus large de développement historique. Parkinson semble penser que la tâche de l’historien est de passer le passé au crible et de trier les acteurs en bons et mauvais tas, sur la base de la moralité bourgeoise douteuse de l’Amérique de 2021. Notez que cette dernière proclame le droit du président de procéder à des assassinats par drone à volonté, et qui donne la priorité aux profits sur les vies humaines dans une pandémie qui a tué plus de 600.000 personnes. Les reproches de Parkinson à l’encontre du passé rappellent la mise en garde d’E. P. Thompson contre l’histoire écrite comme «l’énorme condescendance de la postérité», mais encore plus la critique d’Engels à l’encontre de l’écriture de l’histoire qui «divise les hommes qui agissent dans l’histoire en nobles et en ignobles et qui constate ensuite qu’en règle générale, les nobles sont escroqués et les ignobles sont victorieux» [5].

Comme Rogovin l’a également souligné, la falsification de l’histoire ne peut être «réfutée qu’en rétablissant la vérité historique: la présentation honnête des faits réels et des tendances du passé.» David North et Eric London ont déjà démantelé les affirmations concernant Sa Seigneurie Dunmore, qui a vécu ses jours en tant que gouverneur royal de la Barbade, riche en esclaves.

Quelques brèves remarques s’imposent néanmoins: 1) la proclamation de Dunmore est survenue six mois après le début des combats de la guerre d’indépendance, plus d’un an après la formation du Congrès continental, et dans une situation de double pouvoir où l’autorité impériale s’était pratiquement désintégrée, y compris en Virginie; 2) Dans ce contexte de guerre, la proclamation était un expédient militaire, et rien de plus, qui maintenait spécifiquement l’esclavage chez les loyalistes. En ce sens, si l’objectif primordial des Patriotes avait été de conserver leurs esclaves, ils auraient peut-être été plus avisés de choisir Dunmore; 3) Le commerce d’esclaves dirigé par les Britanniques a continué à importer des esclaves dans les Indes et les possessions américaines, soit au total 1,5 million d’hommes, de femmes et d’enfants pendant les années de la crise impériale et les débuts de la République américaine; 4) Le Parlement britannique n’a mis fin à l’esclavage dans les Indes qu’en 1833. Cela s’est fait très différemment de la révolution sanglante de la guerre civile américaine, soit en remettant 40 millions de livres aux maîtres, dont beaucoup ne mettaient que rarement, voire jamais, les pieds aux Indes. Il s’agissait du plus grand sauvetage de l’histoire britannique jusqu’au grand transfert de la richesse de la classe ouvrière au secteur bancaire de la City de Londres par le premier ministre travailliste Gordon Brown en 2009.

Nous avons ici une autre «histoire d’origine». Tandis que Nikole Hannah-Jones soutenait que la «véritable fondation» des États-Unis était le jour où les corsaires hollandais ont débarqué les premiers esclaves en 1619, Holton et Parkinson pensent que la proclamation de Dunmore était «la véritable fondation», et qu’elle était en fait bien plus importante que la Déclaration d’indépendance, qu’ils méprisent. Si l’on en croit Holton, il a révélé en Lord Dunmore l’auteur de l’un des plus grands manifestes révolutionnaires de l’histoire. Au même titre que les 95 thèses de Luther, la Déclaration des droits de l’homme et le Manifeste communiste. Cette découverte a été inexplicablement omise par toutes les générations précédentes d’historiens américains – et aussi par tous les contemporains de la guerre d’indépendance, britanniques et américains. Hélas, malheureusement pour Holton, Dunmore était un réactionnaire jusqu’au bout des ongles. Et il était un personnage mineur, l’un des nombreux fonctionnaires interchangeables de la Couronne dans un coin éloigné de l’empire.

Comme nous l’avons expliqué ailleurs, la Révolution américaine a fait de l’esclavage une question politique pour la première fois dans l’histoire du monde. Les premières sociétés antiesclavagistes du monde ont vu le jour dans les colonies immédiatement après la révolution. Les États du nord, où l’esclavage était moins crucial sur le plan économique, ont immédiatement entrepris de mettre fin à cette institution barbare.

Ces développements ont insufflé un sentiment antiesclavagiste en Grande-Bretagne et ailleurs, et l’abolitionnisme est devenu un mouvement transatlantique. Sur le plan économique, la Révolution américaine a sapé le système mercantiliste britannique, faisant pencher l’équilibre des forces dans la politique britannique en faveur de la classe industrielle montante, comme l’a expliqué il y a longtemps l’historien afro-caribéen Eric Williams. Mais de façon perverse, la croissance même de l’industrie britannique est devenue de plus en plus liée à l’économie esclavagiste du Sud américain, qui s’est développée à pas de géant après l’invention de l’égreneuse de coton en 1793.

Cependant, dans le Nord, la Révolution américaine a également déclenché un développement économique dynamique fondé sur ce que l’on a appelé, de manière révélatrice, le «travail libre». La révolution a éliminé ou affaibli les formes de dépendance personnelle, de la couronne à la base de la société, en supprimant l’esclavage et la servitude sous contrat et en élevant «la dignité du travail». Les visiteurs européens aristocratiques étaient horrifiés par le manque d’humilité chez les Américains ordinaires des États du nord qui se reflétait dans le développement de l’anglais américain: le mot «employé» a remplacé «serviteur», et «patron» a supplanté «maître». Mais dans le Sud, pour la première fois dans l’histoire, une défense idéologique positive de l’esclavage – le racisme – fut invoquée et promue dans toute l’union par le Parti démocrate. La grande divergence du Nord et du Sud a conduit inexorablement à la guerre civile américaine.

Holton et Parkinson font un certain nombre d’affirmations et de suppositions fausses, mais une autre mérite une attention particulière. Ils supposent que parce que certains esclaves et Indiens ont soutenu le camp britannique dans la Révolution américaine, et que parce que les esclaves et les Indiens étaient opprimés, il s’ensuit que l’Empire britannique était le participant progressiste dans la lutte.

Tout d’abord, en fait, ni les Indiens ni les esclaves n’ont répondu de manière unifiée à la Révolution américaine. Certaines nations et bandes indiennes se sont rangées du côté des Britanniques, mais d’autres non. La Fédération des Iroquois était divisée. Les Creeks l’étaient aussi. Les Catawbas ont soutenu les colons. Les Cherokees ont largement soutenu les Britanniques. Il est probable que la plupart des Noirs libres se soient rangés du côté de la révolution, et certains esclaves ont gagné leur liberté en servant dans l’armée continentale ou dans les diverses milices. D’un autre côté, de nombreux esclaves ont fui vers les lignes britanniques, et 20.000 d’entre eux ont servi. Mais personne à l’époque ne pensait que cette émancipation militaire était autre chose que conforme aux lois de la guerre, qui reconnaissaient comme légitime la saisie des biens de l’ennemi.

Nous ne nions ni la brutalité de l’esclavage ni l’horrible dépossession des Indiens d’Amérique. Mais cela ne s’ensuit pas qu’en raison de ces horreurs indiscutables, la cause impériale britannique était progressiste et la cause américaine réactionnaire. Pendant la guerre civile américaine, les Sioux du Minnesota se sont soulevés, profitant de la guerre pour se venger des mauvais traitements criminels infligés par les gouvernements des États et de la nation. Renae Cassimeda traite très habilement de cet épisode dans un essai inclus dans notre livre. Nous compatissons à la détresse des Sioux face à l’État frontalier. Il est facile de comprendre pourquoi leur soulèvement a eu lieu en 1862. Les États-Unis avaient volé leurs terres et leur refusaient les droits issus des traités, y compris la nourriture. Mais cela ne s’ensuit pas que la cause confédérée, avec laquelle les Sioux se sont retrouvés en alliance de fait, était de ce fait progressiste. Dans le même sens, cela ne rendait pas celle de l’Union réactionnaire. L’histoire est pleine d’épisodes de ce genre. On pense aux nationalistes indiens qui se sont alliés au Japon impérial et à l’Allemagne nazie contre le Raj britannique pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’enjeu historique plus important ici est la tentative de présenter l’impérialisme britannique comme une force progressiste, émancipatrice, voire révolutionnaire. Cet argument rend incompréhensible non seulement l’histoire américaine, mais aussi l’histoire mondiale. L’Empire britannique aux 18e et 19e siècles, comme les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, était le cockpit de la réaction mondiale. Les crimes du pillage impérial sont trop longs à énumérer. Mais ils s’étendent de l’Irlande, où les lois anticatholiques avaient été imposées au début du 18e siècle, et où, dans les années 1840 et 1850, lors de la Grande Famine, plusieurs millions de paysans sont morts de faim, et où, alors même que le bœuf était exporté vers les riches d’Angleterre, Lord Russell refusait toute aide en cas de famine, s’inquiétant de voir les Irlandais devenir des «pupilles de l’État»; à la Chine, où, par manque d’un marché pour les produits britanniques, Londres a déclenché l’épidémie d’opium qui a rendu des dizaines de millions de personnes dépendantes et provoquant deux guerres, ce qui a permis de résoudre le déséquilibre commercial; et à l’Afrique où, pendant 150 ans, la Grande-Bretagne a dominé le commerce des esclaves, s’assurant ainsi le capital nécessaire à son industrialisation qui, comme Marx l’a dit, dégoulinait de sang et de saleté par tous les pores; jusqu’au «joyau de la couronne» de l’Empire», l’Inde, dont les richesses ont été pillées impitoyablement par la Grande-Bretagne, et qui a été abandonnée dans les années 1940 qu’après avoir été divisée entre hindous et musulmans; en passant par les usines et les mines d’Angleterre, où les travailleurs ont eu leurs premières expériences cruelles avec les capitalistes, des horreurs qui ont été documentées par Engels dans ses «Conditions de la classe ouvrière en Angleterre».

Le trotskiste sri-lankais Colvin de Silva l’a bien dit lorsqu’il a déclaré, en réponse au slogan «le soleil ne se couche jamais sur l’Empire britannique»: «C’est parce que même Dieu ne fait pas confiance aux Britanniques dans l’obscurité.» Holton, Parkinson, Horne et les autres ignorent-ils tout simplement tout cela?

Ce n’est pas seulement de la mauvaise histoire. Dans la politique et la culture américaines existe une attirance claire et croissante pour l’aristocratie. En partie, la classe dirigeante américaine souhaite se débarrasser de l’héritage gênant de la Révolution américaine et de la guerre civile, avec tous les discours sur les droits inaliénables tels que la liberté de parole et de réunion, etc. Elle gravite en partie autour du fantasme de transformer sa richesse capitaliste mal acquise en une forme immuable, héréditaire, divinement sanctionnée, bref, féodale. Ces aspects de la tentative de réhabilitation de l’Empire britannique sont les deux faces d’une même pièce. La classe dirigeante américaine souhaite que les roturiers s’adressent à elle à genoux et aimerait bien se passer de toutes les absurdités de l’égalité. Ce n’est pas parce que Jefferson était un esclavagiste ou un hypocrite que les insultes se multiplient à son égard – il y a eu, après tout, beaucoup d’esclavagistes dans l’histoire, et encore plus d’hypocrites – mais parce que c’est Jefferson qui a écrit:

Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes: tous les hommes sont créés égaux; ils sont doués… de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but… le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. [6]

En tant que marxistes, ne nions pas que des intérêts matériels ont motivé les patriotes dans les années 1770. Mais l’idéologie des premières révolutions démocratiques bourgeoises a écrasé les motivations individuelles et dissimulé les motivations de classe de telle sorte qu’elles étaient obscures même pour les participants, dissimulées, pour citer une phrase utilisée jadis par Engels, «par une excroissance d’idéologie». Les classes possédantes s’imaginaient parler au nom du «peuple» en rédigeant la Constitution de 1787. En 1789, leurs équivalents français parlaient au nom de la «nation». Partout, l’idéologie républicaine bourgeoise proclame l’égalité, la fraternité, les droits de l’homme. Pourtant, les révolutions ont invariablement substitué de nouvelles formes de domination de classe aux anciennes. Si elles ne l’avaient pas fait, l’histoire en tant que telle aurait pris fin. Mais l’histoire ne s’est pas terminée. Et l’histoire n’est pas une histoire de moralité. Elle avance précisément à travers la contradiction: en dernière analyse, à travers la lutte des classes sociales opposées. Comme Trotsky l’a observé plus tard, «l’Amérique s’est développée économiquement non pas en accord avec les principes de Jefferson, mais en accord avec les idées de Marx».

En effet, Marx et Engels ont développé le socialisme moderne à travers l’analyse la plus approfondie et la critique la plus féroce – économique, historique et politique – de ce nouvel ordre capitaliste, révélant la contradiction explosive entre ses déclarations d’égalité et l’existence réelle d’une exploitation brutale, y compris l’esclavage.

Pourtant, malgré cela, les marxistes ont toujours insisté sur l’impact progressiste et historique mondial de la Révolution américaine.

Au nom de la Première Internationale, Marx a écrit à Lincoln en pleine guerre civile, que la Révolution américaine avait été le moment où «l’idée d’une grande République démocratique avait germé pour la première fois, où la première Déclaration des droits de l’homme avait été publiée, et où la première impulsion avait été donnée à la révolution européenne du dix-huitième siècle». Les socialistes européens étaient «sûrs que, de même que la guerre d’indépendance américaine a ouvert une nouvelle ère d’ascension pour la classe moyenne, la guerre antiesclavagiste américaine le fera pour les classes ouvrières».

Lénine, dans sa lettre de 1918 aux ouvriers américains, écrivait: «L’histoire de l’Amérique moderne et civilisée s’est ouverte sur l’une de ces grandes guerres réellement libératrices, réellement révolutionnaires, dont il y a eu si peu — en comparaison du grand nombre de guerres de conquête qui, comme la guerre impérialiste actuelle, ont été provoquées par des querelles entre rois, propriétaires terriens ou capitalistes sur le partage des terres usurpées ou des gains mal acquis. C’est la guerre que le peuple américain a menée contre les brigands britanniques qui opprimaient l’Amérique et la tenaient en esclavage colonial…» [7]

L’évaluation marxiste selon laquelle la Révolution américaine était progressiste n’était pas nouvelle. Tous ses contemporains la considéraient comme une révolution. Certes, la Révolution américaine avait ses adversaires parmi les aristocrates européens. Mais même eux reconnaissaient qu’elle était démocratique. Mais ils détestaient la démocratie, tout simplement. Pourtant, du point de vue ami ou ennemi, il n’y a jamais eu aucun doute sur le fait que la Révolution américaine était le premier grand événement d’une concaténation de révolutions démocratiques qui se sont succédé de part et d’autre de l’Atlantique de 1776 jusqu’à la guerre civile américaine, y compris bien sûr les révolutions française et haïtienne.

Cela rend d’autant plus révélatrice la haine palpable de la Révolution américaine qui s’est installée dans les milieux universitaires et de la pseudogauche, des staliniens comme Gerald Horne au provocateur pabliste Louis Proyect, dont le misérable site web, «The Unrepentant Marxist» (le marxiste impénitent), devrait s’appeler plus justement «le menteur invétéré». Cette hostilité aux révolutions démocratiques ne peut être comprise que comme l’expression du gouffre de classe béant qui sépare les travailleurs des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure.

Revenons à Jefferson, qui, après Tom Paine, était la figure la plus à gauche de la Révolution américaine, et qui est maintenant devenu la bête noire de la pseudogauche américaine. David North, dans son important essai intitulé «Les deux révolutions américaines dans l’histoire du monde», a écrit:

C’est bien sûr un fait historique indéniable que la possession d’esclaves par Jefferson et ses compromis avec l’esclavage représentent la grande ironie et même la tragédie de sa vie. Ils étaient l’expression, dans sa biographie personnelle, des conditions sociales et des contradictions du monde où il est né: un monde où fleurissaient l’esclavage, le servage et de nombreuses formes de servitude sous contrat dont la légitimité n’était guère remise en question. Les philistins moralisateurs du monde universitaire continueront sans aucun doute à condamner Jefferson. Mais leurs condamnations n’altèrent en rien l’impact révolutionnaire de la Déclaration d’indépendance. [8]

Il convient donc peut-être de laisser le dernier mot à Jefferson. Dans sa dernière lettre, datée du 26 juin 1826, il décline une invitation à assister aux festivités qui marquent le 50e anniversaire de la Déclaration d’indépendance. Par une remarquable ironie du sort, Jefferson et John Adams, qui avait siégé avec Benjamin Franklin au comité qui avait rédigé le document, moururent tous deux le jour même de cet anniversaire, le 4 juillet 1826. Les derniers mots d’Adams dans sa maison de Braintree, dans le Massachusetts, furent: «Thomas Jefferson vit encore», alors qu’il ne pouvait pas savoir que son ami et rival politique était mort quelques heures plus tôt, dans la lointaine Virginie.

Jefferson a vécu comme un esclavagiste et il est mort comme tel. Pourtant, dans sa dernière lettre, il était encore capable d’évoquer la signification révolutionnaire de la Déclaration d’indépendance. Il a écrit:

puisse-t-il être pour le monde, ce que je crois qu’il sera (pour certaines parties plus tôt, pour d’autres plus tard, mais finalement pour tous,) le signal d’éveiller les hommes à briser les chaînes sous lesquelles l’ignorance et la superstition monacales les avaient persuadés de se lier… tous les yeux sont ouverts, ou s’ouvrent, aux droits de l’homme. La diffusion générale de la lumière de la science a déjà exposé à tous les regards la vérité palpable, celle que la masse de l’humanité n’est pas née avec des selles sur le dos et qu’un petit nombre de privilégiés ne pas sont apparus bottés et éperonnés, prêts à les monter légitimement, à la grâce de Dieu. [9]

Notes:

[1] David North, «Les leçons de l’histoire: les élections de 2000 et le nouveau “conflit irrépressible”».

[2] David North, Tom Mackaman, Lettre à l’American Historical Review, World Socialist Web Site, 31 janvier 2020.

[3] Woody Holton, «The Declaration of Independence’s debt to Black America», Washington Post, 2 juillet 2021.

[4] Robert G. Parkinson, «You Can’t Tell the Story of 1776 Without Talking About Race and Slavery», Washington Post, 4 juillet 2021.

[5] Frederick Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande.

[6] Déclaration d’indépendance (Texte traduit de l’anglais par Thomas Jefferson, 1776)

[7] V.I. Lénine, Lettre aux travailleurs américains, Pravda, n° 178, 22 août 1918.

[8] David North, «Les deux révolutions américaines dans l’histoire du monde», World Socialist Web Site, 6 juillet 2020.

[9] Thomas Jefferson à Roger Weightman, 24 juin 1826.

(Article paru en anglais le 4 septembre 2021)

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