L’appel téléphonique entre les présidents américain et chinois fait ressortir de dangereuses tensions

Le président américain Joseph Biden et le président chinois Xi Jinping ont tenu leur première conversation téléphonique depuis février jeudi dernier [heure américaine]. La réunion s’est passée dans un contexte de tensions croissantes alimentées par l’attitude agressive de Washington à l’égard de Pékin sur les plans diplomatique, économique et stratégique.

Peu de détails ont été publiés. Les deux parties ont publié de brefs comptes rendus de la discussion de 90 minutes, mais aucune décision n’a été annoncée et aucune déclaration commune n’a été publiée. En résumé, Biden a pris l’initiative de cet appel pour tenter d’obtenir l’aide de la Chine sur des questions qui préoccupent les États-Unis, mais il n’a rien offert en retour et l’impasse entre les deux plus grandes économies du monde se poursuit.

Les tensions étaient évidentes même dans les communiqués officiels limités. Un communiqué de la Maison-Blanche déclarait que les deux dirigeants avaient «discuté de la responsabilité des deux nations de veiller à ce que la concurrence ne dégénère pas en conflit». Un responsable du gouvernement a déclaré aux journalistes que le message de Biden avait été de veiller à ce que «nous ne nous retrouvions pas dans une situation où nous dévierions vers un conflit involontaire».

Xi Jinping [gauche], Joe Biden [droite] (Crédit photo: Alan Santos Wikimedia Commons [gauche], AP Photo/Evan Vucci

Le fait même que la perspective d’un «conflit» entre deux puissances nucléaires soit évoqué dans des déclarations officielles indique qu’il fait l’objet de discussions à huis clos. Pendant toute la dernière décennie, à commencer par le «pivot vers l’Asie» lancé par le gouvernement Obama dont Biden était le vice-président, les États-Unis ont cherché à affaiblir la Chine et à se préparer à la guerre sur le plan militaire.

Selon un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères, Xi a clairement indiqué que «les politiques adoptées par les États-Unis à l’égard de la Chine depuis un certain temps ont plongé les relations sino-américaines dans de graves difficultés».

Xi a mis en garde: «Savoir si la Chine et les États-Unis peuvent gérer correctement leurs relations mutuelles est une question du siècle qui concerne le sort du monde, et les deux pays doivent y répondre».

Un haut responsable de la Maison-Blanche a déclaré aux journalistes vendredi que Biden avait demandé cet appel après avoir été «exaspéré» par le manque de volonté des responsables chinois de rang inférieur de tenir des discussions de fond avec son gouvernement.

La «réticence» des responsables chinois n’est pas une surprise. Le gouvernement Biden a non seulement poursuivi, mais intensifié les politiques anti-chinoises agressives du gouvernement Trump, il a notamment:

  • Perpétué le mensonge du ‘laboratoire de Wuhan’, selon lequel la pandémie de COVID-19 est née à l’Institut de virologie de Wuhan, malgré les preuves du contraire apportées par les experts et une enquête de l’Organisation mondiale de la santé qui a conclu qu’il était «extrêmement improbable» que ce soit le cas.
  • Dénoncé la Chine pour un «génocide» de la minorité musulmane ouïghoure dans la région du Xinjiang, un autre mensonge sans fondement. Pékin utilise sans aucun doute des mesures d’état policier au Xinjiang, comme ailleurs en Chine, mais rien ne prouve qu’elle soit engagée dans l’élimination physique de la population ouïghoure.
  • Renforcé les liens avec Taïwan et sapé ainsi la politique d’une seule Chine qui a été la base des relations diplomatiques entre la Chine et les États-Unis pendant trois décennies. En 1979, les États-Unis avaient mis fin aux liens diplomatiques avec Taipei, reconnaissant de fait que Pékin était le gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan.
  • Maintenu les mesures de guerre commerciale de Trump, qui comprenaient des droits de douane sur plus de 360 milliards de dollars de produits chinois, ce qui a conduit la Chine à riposter par des droits de douane sur plus de 110 milliards de dollars de produits américains. Les États-Unis ont également imposé de manière provocante des interdictions aux géants chinois de la haute technologie, tels que Huawei, visant à limiter leurs ventes et leur accès aux composants.

Le moteur de la dangereuse confrontation entre Washington et Pékin est la détermination de l’impérialisme américain en déclin historique à empêcher tout défi à son hégémonie mondiale, par tous les moyens, y compris la guerre. Tout en ciblant également la Russie et l’Iran, les États-Unis considèrent la Chine comme la principale menace pour leur position. Ils exigent que Pékin se conforme au «système international fondé sur des règles» à travers lequel Washington fixe les règles du capitalisme mondial depuis la Seconde Guerre mondiale.

Peu après son entrée en fonction, Biden a clairement indiqué que son administration maintiendrait les politiques anti-chinoises de Trump. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a ouvert de manière provocante la première réunion de haut niveau entre responsables américains et chinois, en mars en Alaska, par une liste de dénonciations et de griefs américains à l’encontre de la Chine. Cela a déclenché un extraordinaire échange d’invectives devant la presse.

Le haut responsable chinois de la politique étrangère, Yang Jiechi, a répondu en soulignant l’hypocrisie de Washington sur les «droits de l’homme» et en indiquant que les références américaines à un système international fondé sur des règles revenaient à insister pour que Pékin se plie aux intérêts américains. La Chine a défendu le système international centré sur les Nations unies, a-t-il déclaré, «et non ce que préconise un petit nombre de pays de l’ordre international dit “fondé sur des règles”».

Yang a également fait remarquer que, contrairement aux États-Unis, la Chine ne croyait pas «à l’invasion par l’usage de la force, ni au renversement d’autres régimes par divers moyens, ni au massacre de la population d’autres pays».

La seule différence entre l’orientation de Trump et celle de Biden vis-à-vis de la Chine est d’ordre tactique. Biden a cherché à rassembler le soutien des alliés des États-Unis pour sa confrontation avec Pékin en organisant notamment la toute première réunion des dirigeants du Dialogue de sécurité «quadrilatéral» – une alliance quasi militaire avec l’Inde, le Japon et l’Australie, dirigée contre la Chine.

Depuis mars, les réunions entre responsables chinois et américains sont toujours bloquées dans une mutuelle acrimonie. En juillet, la secrétaire d’État américaine adjointe Wendy Sherman s’est rendue en Chine et a rencontré le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, mais est repartie en se plaignant d’avoir été confrontée à une liste de demandes et de griefs. Ce mois-ci, Wang a déclaré à l’envoyé de Biden pour le climat, John Kerry, qui s’est rendu à Tianjin pour des entretiens, que la coopération sur le climat ne pouvait être séparée des autres questions. Il a appelé les États-Unis à prendre des mesures pour améliorer la relation au sens large.

Selon la déclaration américaine sur le récent appel entre Biden et Xi, les «deux dirigeants ont eu une discussion large et stratégique au cours de laquelle ils ont abordé les domaines où nos intérêts convergent et ceux où nos intérêts, nos valeurs et nos perspectives divergent». Outre le changement climatique, les États-Unis cherchaient manifestement à obtenir l’aide de la Chine sur la Corée du Nord et leur débâcle en Afghanistan.

Après avoir revu la politique américaine à l’égard de la Corée du Nord, le gouvernement Biden lance un appel aux pourparlers avec Pyongyang. À ce stade, le régime nord-coréen a rejeté les négociations qui, au cours des deux dernières décennies, n’ont abouti qu’à des promesses américaines non tenues et à des sanctions paralysantes. Washington souhaite à présent que Pékin fasse pression sur Pyongyang pour qu’il vienne à la table des négociations en menaçant de couper son soutien économique.

Le gouvernement Biden craint que l’effondrement ignominieux du régime fantoche américain en Afghanistan n’ouvre la porte à une plus grande influence chinoise et russe dans ce pays stratégique d’Asie centrale. Des responsables chinois se sont entretenus avec de hauts responsables talibans, afin d’obtenir des garanties que le nouveau régime ne permettra pas que son territoire soit utilisé par des groupes séparatistes ouïghours.

Mais alors même qu’il cherche à obtenir la coopération de la Chine, le gouvernement Biden continue d’intensifier sa confrontation avec Pékin. De hauts responsables américains discuteraient de l’opportunité de lancer une enquête sur les subventions industrielles chinoises, en vue d’imposer à Pékin des sanctions commerciales plus importantes.

Quelques heures à peine avant que Biden ne s’entretienne avec Xi, les médias ont rapporté que son gouvernement envisageait d’autoriser Taipei à inclure «Taïwan» dans le nom de son bureau de liaison à Washington – une nouvelle atteinte à la politique d’une seule Chine suscitant la colère de Pékin.

L’appel de Biden à la coopération chinoise sonne creux et hypocrite. Il ne met pas le cap sur «la paix et la prospérité» mais sur le conflit et la guerre.

(Article paru d’abord en anglais le 13 septembre 2021)

Loading