Pourquoi Taïwan est un poudrière explosive pour ce qui est d’une guerre entre les États-Unis et la Chine

Alors que le gouvernement Biden intensifie sa confrontation agressive avec la Chine, Taïwan en particulier est en train de devenir la poudrière la plus immédiate et la plus dangereuse pour une guerre entre les deux plus grandes économies du monde, toutes deux dotées d’armes nucléaires.

Le statut de Taïwan est depuis longtemps très controversé et potentiellement explosif. Cependant, pendant quatre décennies, après que les États-Unis et la Chine ont établi des relations diplomatiques en 1979, les tensions à propos de Taïwan ont été largement gérées et contenues dans le cadre d’accords délicatement équilibrés.

Avec le gouvernement Trump, ces accords, protocoles diplomatiques et ententes tacites ont été de plus en plus supprimés, un processus que Biden a accéléré. La mesure la plus flagrante jusqu’à présent a été la provocante nouvelle fuitée, ce mois-ci, par le biais du Wall Street Journal, que les forces spéciales américaines sont à Taïwan depuis plus d’un an pour y former des troupes.

En 1979, les États-Unis, dans le cadre de leurs arrangements avec la Chine, avaient retiré toutes leurs forces militaires de Taïwan, rompu leurs relations diplomatiques avec Taipei et mis fin à leur traité militaire avec lui. Le stationnement de troupes américaines à Taïwan est une violation flagrante de ce qui a été le statu quo pendant des décennies et remet en question le fondement des liens diplomatiques entre les États-Unis et la Chine.

Pour comprendre les grands dangers que représentent les actions délibérément incendiaires du gouvernement Biden, il est nécessaire d’examiner le contexte historique. Pour justifier leur renforcement militaire menaçant dans la région et l’embrasement de ce point chaud sensible, les États-Unis présentent Taïwan comme une démocratie florissante confronté à une menace croissante d’agression chinoise.

En réalité, l’impérialisme américain ne s’est jamais soucié de la démocratie à Taïwan ou ailleurs dans la région. Après la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale en 1945, les États-Unis ont aidé à installer le régime dictatorial du Kuomintang (KMT) de Chiang Kai-shek au pouvoir en Chine. En octobre 1945, la marine américaine a transporté des troupes du KMT à Taïwan, qui avait été une colonie japonaise suite à la défaite de la Chine dans la guerre sino-japonaise de 1895.

Le régime brutal du Kuomintang soutenu par les États-Unis

Le gouvernement du KMT, sous la direction du général Chen Yi, a été brutal dès le début, alors que l’aggravation de la crise économique tendait les relations entre les Taïwanais et les Chinois nouvellement arrivés du continent. La mort d’un manifestant civil tué par balle le 28 février 1947 a provoqué des troubles dans toute l’île, qui ont été violemment réprimés par l’armée du KMT. Les estimations du nombre de tués varient entre 18.000 et 30.000.

Cette répression sauvage faisait partie de la crise plus large du régime de Chiang Kai-shek, qui est devenu gangrené par la corruption. Le régime a eu recours à des mesures d’État policier contre l’opposition croissante, notamment un mouvement de grève dans la classe ouvrière, et a relancé à partir de 1947 une guerre civile contre le Parti communiste chinois (PCC). À la suite de la victoire du PCC en 1949 et de la proclamation de la République populaire de Chine, le KMT et ses partisans se sont réfugiés à Taïwan.

Chiang Kai-shek passant les troupes en revue en 1966 [Source: Wikimedia Commons].

L’exode massif de quelque deux millions de personnes comprenait les dirigeants du KMT, les soldats, les fonctionnaires et les riches élites commerciales. Les réserves d’or et de devises étrangères de la Chine, ainsi que de nombreux trésors culturels nationaux, ont été emportés à Taïwan. Le gouvernement du KMT a proclamé Taipei capitale temporaire de la République de Chine (ROC) et déclaré que son objectif était de reprendre le continent.

Le Taïwan d’aujourd’hui, séparé de la Chine, est la création de l’impérialisme américain. Après le déclenchement de la guerre de Corée en 1950, le président Truman a placé l’île sous la protection de la septième flotte américaine. Le KMT ne pouvait se présenter comme un gouvernement en exil de toute la Chine qu’avec le soutien des États-Unis. Avec l’appui de Washington, le siège de la Chine au Conseil de sécurité des Nations unies a été attribué à la ROC et Taipei, et non Pékin, fut reconnu comme capitale de la Chine.

Tout comme ils ont soutenu des régimes dictatoriaux et autocratiques dans toute l’Asie, les États-Unis ont apporté leur plein soutien à la dictature du KMT. Ce dernier a imposé un régime martial en mai 1949, qui a duré près de quatre décennies, jusqu’en 1987. Le KMT a impitoyablement réprimé toute opposition politique, dans le cadre de ce que l’on a appelé la Terreur blanche. Selon une estimation, 140.000 personnes ont été emprisonnées ou exécutées en raison de leurs prétendus sentiments anti-KMT ou procommunistes.

Les provocations du KMT contre Pékin, avec le soutien des États-Unis, y compris un blocus aérien et naval des côtes chinoises, ont été une source constante de tension. Taipei contrôlait, et contrôle toujours, un certain nombre d’îlots fortifiés situés à quelques kilomètres du continent chinois et à proximité des grandes villes chinoises.

Deux crises majeures éclatent dans les années 1950. En août 1954, le KMT installe des dizaines de milliers de soldats sur les îlots de Matsu et de Kinmen. Il commence à construire des installations militaires, ce à quoi l’Armée populaire de libération (APL) répond en bombardant Kinmen. Au plus fort de la crise, le Congrès américain autorise le recours à la force militaire contre la Chine et le Pentagone préconise des frappes nucléaires.

Une deuxième crise du détroit de Taïwan éclate en août 1958 après le bombardement de Matsu et de Kinmen et des affrontements entre les forces du KMT et de l’APL près de l’île de Dongding. Les engagements aériens et maritimes et les échanges d’artillerie se poursuivent pendant trois mois, avec des pertes s’élevant à des centaines de morts des deux côtés. Les États-Unis ont renforcé l’armée du KMT, ils ont escorté des navires du KMT vers les îlots assiégés et le Pentagone a de nouveau évoqué la nécessité d’utiliser des armes nucléaires.

L’impasse hostile entre la Chine et le régime KMT de Taïwan, soutenu militairement par les États-Unis, se poursuivit tout au long des années 1960.

Le rapprochement de Washington avec Pékin

La visite du président américain Nixon en Chine en février 1972 marque un changement majeur dans les relations géopolitiques. Ce voyage fut annoncé l’année précédente sur la base de discussions secrètes que le conseiller à la sécurité nationale de Nixon, Henry Kissinger, avait eues avec de hauts dirigeants du PCC. Nixon et Kissinger avaient calculé que les États-Unis pourraient exploiter la scission sino-soviétique du début des années 1960 et les vives tensions entre Moscou et Pékin qui se traduisaient notamment par des affrontements frontaliers, pour forger une quasi-alliance avec la Chine contre l’Union soviétique.

La rencontre de Nixon avec le dirigeant chinois Mao Zedong et la publication du communiqué commun de Shanghai ont ouvert la voie à l'établissement de relations diplomatiques. Il s'agissait d'un partenariat réactionnaire dans lequel le régime du PCC soutenait des Alliés américains de droite tels que la dictature de Pinochet au Chili et le régime iranien répressif du Shah Mohammad Reza Pahlavi. Le pacte a également ouvert la porte à la réintégration de la Chine dans le marché capitaliste mondial en tant que plate-forme de main-d'œuvre bon marché.

Mao Zedong avec le président américain Richard Nixon en 1972 [Source: Wikimedia].

La brusque volte-face de Washington a eu des conséquences considérables pour la dictature du KMT à Taïwan. Le statut de Taïwan était une question centrale dans les longues négociations qui ont finalement abouti à l’établissement de liens diplomatiques officiels entre les États-Unis et la Chine en 1979. Le PCC a insisté pour que les États-Unis reconnaissent la «Chine unique», avec Taïwan comme partie intégrante de la Chine, et mettent fin à leurs liens militaires et diplomatiques avec Taipei.

Dans le communiqué de Shanghai, les États-Unis ont reconnu: «Tous les Chinois, de part et d’autre du détroit de Taïwan, affirment qu’une seule Chine existe et que Taïwan fait partie de la Chine. Le gouvernement des États-Unis ne conteste pas cette position. Il réaffirme son intérêt pour un règlement pacifique de la question de Taïwan par les Chinois eux-mêmes». En outre, il affirmait «l’objectif ultime du retrait de toutes les forces et installations militaires américaines de Taïwan».

En 1979, lorsque des liens diplomatiques ont été établis, Washington a rompu ses relations diplomatiques avec Taipei, retiré ses forces et abrogé son traité militaire. Washington a reconnu ainsi, de manière effective, mais non formelle, la «Chine unique» avec le régime du PCC à Pékin comme gouvernement légitime. Taipei avait déjà perdu son siège à l’ONU en 1971 lorsque Pékin a pris la place de la Chine en tant que membre permanent du Conseil de sécurité – une décision que les États-Unis n’ont pas bloquée.

En même temps, le Congrès américain a adopté la loi sur les relations avec Taïwan, qui s’opposait à toute tentative de réunification de Taïwan par la force de la part de Pékin. La loi autorisait également la vente d’armes militaires «défensives» à Taïwan et créait l’Institut américain à Taïwan, grâce auquel des liens non officiels pouvaient être maintenus. Washington a adopté une position d’«ambiguïté stratégique» à l’égard d’un conflit entre la Chine et Taïwan, c’est-à-dire qu’il n’a pas donné de garantie quant à une éventuelle intervention. Cette attitude visait à freiner à la fois l’agression chinoise et les actions provocatrices de Taïwan.

La fin de la dictature du KMT

Tout au long des années 1960 et 1970, les États-Unis ont soutenu Taïwan sur le plan économique. Ils lui ont apporté une aide financière, des investissements et un accès au marché américain qui ont contribué à son industrialisation soutenue par l’État. Au cours des années 1970, Taïwan était l’économie à la croissance la plus rapide d’Asie après le Japon. Avec le passage à la production mondialisée à partir de la fin des années 1970, Taïwan est devenue l’une des principales plate-formes de main-d’œuvre bon marché en Asie. Taïwan, Hong Kong, la Corée du Sud et Singapour – les quatre tigres asiatiques – ont été présentés comme un nouveau modèle de développement économique.

La dictature du KMT reposait sur une économie réglementée au niveau national, associée à une corruption impliquant les «copains» du KMT – les «continentaux» – aux dépens des élites taïwanaises autochtones. Sous la pression des États-Unis, le régime a commencé à ouvrir son économie dans les années 1980, en privatisant les sociétés d’État et en éliminant la réglementation économique de l’État – des mesures qui ont conduit à un affaiblissement de la base de soutien politique du KMT.

L’opposition politique est restée illégale sous la loi martiale, mais elle s’est de plus en plus exprimée par des protestations contre les mesures antidémocratiques du régime. L’expansion économique rapide de Taïwan a également entraîné une croissance considérable de la classe ouvrière, de plus en plus militante, qui a mené une vague de grèves pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail.

En réponse, le KMT a concédé une série de réformes démocratiques limitées. L’opposition politique bourgeoise dirigée par les élites taïwanaises autochtones a pu former le Parti démocratique progressiste (DPP) en 1986 et, l’année suivante, la loi martiale a été levée sur l’île principale de Taïwan. Les principaux organes législatifs – le Yuan législatif et l’Assemblée nationale – avaient été noyautés avec des représentants non élus du KMT pour les provinces de la Chine continentale, sur la base de la fiction que le gouvernement représentait toujours toute la Chine. Une élection complète pour une Assemblée nationale réformée a eu lieu en 1991 ainsi qu’un Yuan législatif réformé en 1992. La première élection directe du président et du vice-président a eu lieu en 1996.

Le statut de Taïwan, qui est inextricablement lié aux relations avec la Chine continentale, a de plus en plus dominé la politique taïwanaise. Le président Lee Teng-hui, qui a initié les réformes démocratiques limitées, est devenu le premier président né à Taïwan. Bien que membre du KMT, il a cherché à promouvoir une identité taïwanaise pour contrer l’influence du DPP et projeter Taïwan sur la scène internationale.

Lee a défié les protocoles diplomatiques américains de longue date interdisant les visites de haut niveau de responsables taïwanais aux États-Unis. Il a accepté en 1995 une invitation de l’université Cornell à prononcer un discours sur «l’expérience de démocratisation de Taïwan». Si le gouvernement Clinton a rejeté sa demande de visa, le Congrès a lui, soutenu la visite. Elle eut lieu et provoqua une réaction furieuse de Pékin, qui a dénoncé Lee comme un «traître» qui tentait de diviser la Chine.

Pour sa part, le régime du PCC de Deng Xiaoping a poussé à la réunification de Taïwan sur la base de la formule «Un pays, deux systèmes» – c’est-à-dire que Taïwan conserverait un degré important d’autonomie en matière de politique, de structures étatiques et d’économie. Pékin était hostile à toute suggestion de déclaration officielle d’indépendance de Taïwan et considérait la visite de Lee aux États-Unis comme une violation des engagements pris par Washington en 1979.

Cette visite avait provoqué la troisième crise du détroit de Taïwan en 1995-1996, ce qui montre les dangers des violations délibérées actuelles par les États-Unis de leurs accords avec la Chine. Pékin avait alors annoncé des essais de missiles et un renforcement des forces militaires dans le Fujian – la province chinoise adjacente à Taïwan de l’autre côté du détroit de Taïwan. Le gouvernement Clinton a répondu par la plus grande démonstration de puissance militaire en Asie depuis la guerre du Vietnam. Il a envoyé deux groupes de combat de porte-avions dans les eaux proches de Taïwan et il a envoyé l’un des deux dans l’étroit détroit de Taïwan. Pékin a fait marche arrière.

La polarisation de la politique taïwanaise entre un DPP pro-indépendance et un KMT tourné vers la Chine est enracinée dans l’économie de l’île. D’une part, l’absence de reconnaissance diplomatique constitue un obstacle à l’entrée de Taïwan dans les instances internationales, y compris les institutions économiques, et rend les relations économiques et commerciales plus difficiles. L’élection en 2000 du premier président du DPP, Chen Shui-bian, partisan d’une plus grande autonomie de Taïwan, a avivé les tensions avec Pékin. Ce dernier a prévenu qu’il répondrait par la force à toute déclaration formelle d’indépendance de Taïwan.

D’autre part, la restauration capitaliste en Chine à partir de 1978 a ouvert d’énormes opportunités économiques aux entreprises taïwanaises. Les entreprises taïwanaises ont investi 118 milliards de dollars en Chine entre 1991 et début 2020 et la valeur du commerce entre les deux rives du détroit s’est élevée à 149,2 milliards de dollars en 2019. Le KMT a cherché à faciliter les relations avec la Chine. Sous la présidence du KMT, Ma Ying-jeou, élu en 2008, un accord commercial a ouvert des vols directs et des expéditions de fret entre Taïwan et la Chine, et les relations économiques se sont renforcées.

En 2015, la toute première rencontre entre les présidents taïwanais et chinois – Ma et Xi Jinping – a eu lieu à Singapour. Ils ont soigneusement contourné toute suggestion de deux présidents de deux pays différents en se disant l’un à l’autre «Monsieur». Ils ont fait référence aux «deux côtes» plutôt qu’à la République populaire de Chine et à la République de Chine. Tous deux ont adhéré à ce que l’on appelle le consensus de 1992. Selon cet accord, le PCC et le KMT conviennent qu’il n’existe qu’une seule Chine, mais ne s’accordent toujours pas sur la question de savoir qui la dirige.

Les États-Unis exacerbent les tensions à propos de Taïwan

L’arrivée d’Obama à la présidence en 2009 a marqué un tournant décisif vers la confrontation avec la Chine. Cela reflétait les critiques des démocrates à l’encontre du gouvernement Bush précédent, qui avait ignoré l’Asie en menant des guerres en Afghanistan et au Moyen-Orient. Avec le «pivot vers l’Asie» officiellement annoncé en 2011, le gouvernement Obama a lancé une vaste offensive qui visait à renforcer la position des États-Unis en Asie. Le but était d’affaiblir la Chine sur le plan économique et à renforcer la présence militaire américaine et les alliances dans toute la région. Entre 2011 et 2020, 60 pour cent des moyens navals et aériens américains devaient être positionnés dans la région Inde-Pacifique, conformément à la stratégie AirSea Battle du Pentagone pour une guerre contre la Chine.

Le gouvernement Obama a délibérément attisé les tensions en mer de Chine méridionale en déclarant qu’il avait un «intérêt national» dans les conflits territoriaux discrets entre la Chine et ses voisins. Il n’a rien fait pour mettre fin aux tensions qui s’envenimaient dans la péninsule coréenne en raison des programmes nucléaires de la Corée du Nord. En même temps, cependant, Obama s’est tenu à l’écart d’une déstabilisation du statu quo sur Taïwan, reconnaissant sa centralité pour les relations des États-Unis avec la Chine et les conséquences potentiellement explosives.

Trump n’a pas eu de tels scrupules. Avant même son investiture officielle, il a répondu de manière provocante à un appel téléphonique de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, membre du DPP, qui avait pris ses fonctions à la mi-2016. Bien que l’appel téléphonique eut été nominalement destiné à féliciter Trump d’avoir remporté l’élection, il enfreignait les protocoles établis.

Tsai Ing-wen parlant au téléphone avec le président américain Trump en décembre 2016 [Source: Wikimedia]

Trump a également mis Pékin en garde en faisant une déclaration publique dans une interview avec Fox News en décembre 2016 : «Je ne sais pas pourquoi nous devons être liés par une politique d’une seule Chine, à moins que nous ne passions un accord avec la Chine sur d’autres sujets, notamment le commerce.» Cette déclaration a effectivement transformé la politique d’«une seule Chine» ; elle a fait de la base des relations entre les États-Unis et la Chine qu’elle était une monnaie d’échange dans la guerre commerciale et économique que Trump allait déclencher.

Le gouvernement Trump comprenait un certain nombre de hauts responsables ayant des liens de longue date avec Taïwan et profondément hostiles à la Chine, notamment son premier chef de cabinet Reince Priebus et le conseiller commercial de la Maison-Blanche Peter Navarro. Sous Trump, les États-Unis ont intensifié les ventes d’armes à Taïwan, augmenté le nombre de navires de guerre américains passant par le détroit de Taïwan. Washington a soutenu la position anti-chinoise de la présidente taïwanaise Tsai et stimulé les contacts entre les responsables américains et taïwanais – tout cela malgré les objections chinoises. En août 2020, le secrétaire à la santé Alex Azar est devenu le plus haut responsable américain à se rendre à Taïwan depuis 1979.

En attisant délibérément et de manière provocante la question de Taïwan, Trump a considérablement accru le danger de guerre. La propagande américaine met sans cesse en garde contre une potentielle «agression chinoise». Mais un nouveau livre, «Peril», de Bob Woodward et Robert Costa, publié au début de l’année, révèle que le général Mark Milley, le chef d’état-major interarmées, a été contraint de prendre des mesures extraordinaires pour contrer les efforts de Trump visant à déclencher une guerre avec la Chine dans le cadre de sa tentative de renverser sa défaite électorale. Milley a dû profiter de sa position dans la chaîne de commandement pour s’y opposer.

Loin de tenter d’apaiser les relations avec la Chine, le gouvernement Biden a encore accru les tensions, notamment au sujet de Taïwan. Biden a signalé son intention de développer des relations étroites avec Taïwan en étant le premier président à inviter l’ambassadeur taïwanais de fait à Washington, Hsiao Bi-Khim, à assister à son investiture. Dans les derniers jours du gouvernement Trump, le secrétaire d’État, Mike Pompeo, avait annoncé qu’il mettait fin à toute limitation des contacts entre les responsables américains et taïwanais, civils et militaires, à tous les niveaux. Avec des modifications mineures, le gouvernement Biden a poursuivi cette politique. En juin, avec la bénédiction de Biden, un groupe de sénateurs américains s’est rendu à Taïwan nominalement pour annoncer un don de vaccins COVID-19.

Menaces militaires et économiques américaines

Le différend entre la Chine et les États-Unis au sujet de Taïwan ne porte pas simplement sur les protocoles diplomatiques. Le renforcement des liens entre les États-Unis et Taïwan constitue une menace précise pour la Chine, tant sur le plan stratégique qu’économique. Le déploiement secret d’entraîneurs des forces spéciales américaines à Taïwan coïncide avec une possibilité plus sinistre, révélée par l’agence de presse japonaise Nikkei, celle que les États-Unis envisagent de stationner des missiles offensifs à moyenne portée en Asie, y compris à Taïwan.

L’île de Taïwan occupe non seulement une position stratégique à proximité du continent chinois, elle fait encore partie de la ‘première chaîne d’îles’ s’étendant du Japon aux Philippines. Les planificateurs stratégiques américains considèrent cette chaîne d’îles comme vitale pour contenir les forces navales chinoises en cas de guerre. Pendant la guerre de Corée, le général Douglas MacArthur avait déclaré que Taïwan était «un porte-avions insubmersible» capable de projeter la puissance américaine le long de la côte chinoise dans le cadre d’une stratégie d’endiguement.

Sur le plan économique, Taïwan abrite la Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), qui représente 55 pour cent de la production internationale de puces et 90 pour cent des puces les plus sophistiquées destinées à un usage industriel et militaire. Trump a déjà porté un coup dur au géant technologique chinois Huawei en faisant pression sur TSMC pour qu’il cesse de lui fournir des puces.

Dans les milieux militaires américains, une discussion intense est en cours sur le danger d’une guerre avec la Chine au sujet de Taïwan. Le Commandement américain pour l’Inde-Pacifique serait en première ligne en cas de conflit avec la Chine. En mars, l’amiral Phil Davidson, chef sortant de ce commandement a prévenu que les États-Unis pourraient être en guerre contre la Chine dans moins de six ans. Il a demandé une augmentation considérable du budget de son commandement. Soulignant les avancées de la Chine en matière de technologie militaire, Davidson et d’autres ont appelé à l’accélération du développement de nouveaux systèmes d’armes à utiliser dans un conflit avec la Chine.

Derrière la campagne de guerre de l’impérialisme américain contre la Chine il y a la crainte de Washington d’être dépassé sur le plan économique, mais aussi sa crainte de la profonde crise politique et sociale qui sévit dans le pays. Face à d’énormes tensions sociales et à des luttes croissantes de la classe ouvrière américaine, la classe dirigeante pourrait recourir à la guerre comme moyen de détourner ces tensions sociales vers un ennemi extérieur, et en même temps pour inverser son déclin historique et réaffirmer l’hégémonie régionale et mondiale obtenue après la Seconde Guerre mondiale.

Malgré toutes leurs affirmations que la Chine envisagerait d’envahir Taïwan, ce sont bien les États-Unis qui sapent la politique de la Chine unique, renforcent progressivement leurs liens avec Taipei et l’intègrent dans leurs plans de guerre, incitant ainsi Pékin à prendre des mesures militaires. Toute guerre entre les deux plus grandes économies du monde – toutes deux dotées d’armes nucléaires – serait catastrophique pour la classe ouvrière en Chine, à Taïwan, aux États-Unis et dans le monde.

Il faut que les travailleurs et les jeunes du monde entier considèrent les tensions croissantes à propos de Taïwan comme un appel sérieux à l’action, à lutter pour construire un mouvement international anti-guerre de la classe ouvrière, basé sur une perspective socialiste, pour mettre fin au système capitaliste, la cause première de la guerre.

(Article paru d’abord en anglais le 16 octobre 2021)

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