Le Conseil national des relations de travail ordonne un nouveau vote de syndicalisation à l’entrepôt d’Amazon de Bessemer en Alabama

Lundi, le bureau régional du Conseil national des relations de travail (National Labor Relations Board – NLRB) à Atlanta a jugé qu’Amazon avait violé les lois électorales lors d’une campagne de syndicalisation menée au début de l’année dans son centre de traitement des commandes BHM1 à Bessemer, en Alabama. La décision autorise la tenue d’un nouveau vote dans ce centre.

Cette décision n’est pas une victoire pour les droits démocratiques des travailleurs, mais un nouveau développement dans l’intervention de l’État américain pour soutenir l’autorité de la bureaucratie syndicale. Lors des élections du début de l’année, la campagne du syndicat Retail, Wholesale and Department Store Union (RWDSU) pour syndiquer les près de 6.000 travailleurs de BHM1 s’est soldée par une défaite massive, n’ayant obtenu le «oui» que de 13 pour cent de l’ensemble des travailleurs. Et ce, malgré la couverture médiatique de la campagne et le soutien politique de premier plan du président démocrate Joe Biden, de l’aile Bernie Sanders du Parti démocrate ainsi que de représentants du Parti républicain.

Bannière sur l’entrepôt d’Amazon à Bessemer, Alabama (Photo: WSWS Media)

Le RWDSU n’a pas été en mesure, et il a même refusé catégoriquement de faire appel à l’opposition des travailleurs aux terribles conditions de travail du géant du commerce électronique, marquées notamment par les bas salaires, la propagation du coronavirus et la cadence de travail infâme innovée par Amazon dans laquelle les travailleurs se blessent régulièrement en essayant de «respecter les quotas». Tandis que des célébrités et des politiciens démocrates affluaient à Bessemer depuis les quatre coins du pays, les travailleurs de base de l’usine n’ont pratiquement pas participé à la campagne.

Les commentateurs des médias ont émis des doutes quant à la possibilité que le second vote soit différent de la première tentative ratée. Le Washington Post relève les commentaires de Rebecca Givan, professeur d’études sociales à l’université Rutgers, qui estime que «rien ne permet de penser que le résultat sera différent de celui du premier vote».

Dans la décision rendue lundi, la représentante régionale du NLRB a estimé qu’en installant une boîte aux lettres pour recueillir les bulletins de vote sur sa propriété, Amazon avait envoyé un «message dangereux et inapproprié» aux employés de BHM1 en donnant «l’impression qu’elle contrôlait le processus» par lequel les votes étaient recueillis. «J’ai spécifiquement désapprouvé les suggestions de l’employeur pour rendre le vote “plus facile” parce que l’employeur n’est pas responsable de la conduite des élections et qu’il n’a pas la tâche ou le droit de participer au processus», a déclaré la directrice régionale du NLRB Lisa Y. Henderson.

La décision fait écho à la conclusion précédente d’un agent d’audition selon laquelle l’installation de la boîte aux lettres a «détruit les conditions de laboratoire» dans lesquelles l’élection se déroulait. Le NLRB a ordonné une nouvelle élection, avec un avis supplémentaire envoyé à tous les employés qui les informait qu’on avait jugé l’élection précédente invalidée en raison des actions de l’employeur.

Le président du RWDSU, Stuart Appelbaum, a célébré la décision, déclarant que: «la décision d’aujourd’hui confirme ce que nous disions depuis le début: l’intimidation et l’ingérence d’Amazon ont empêché les travailleurs de s’exprimer librement sur la syndicalisation de leur lieu de travail». Le dirigeant du RWDSU a en outre proclamé: «Les travailleurs d’Amazon méritent d’avoir une voix au travail, qui ne peut venir que d’un syndicat». Amazon a indiqué qu’elle ferait appel de la décision de la directrice régionale auprès du NLRB national à Washington DC.

L’affirmation, répétée à l’infini dans la presse libérale et de pseudogauche, selon laquelle la tristement célèbre boîte aux lettres sur site a largement contribué au résultat n’est tout simplement pas crédible. Historiquement, les syndicats, en particulier aux États-Unis, ont été formés non pas dans des «conditions de laboratoire», mais contre l’opposition acharnée de la direction. L’État, presque sans exception, s’est rangé du côté du patronat et a utilisé toute la force des tribunaux, de la police et même de l’armée pour réprimer et contenir les mouvements qui se développaient au sein de la classe ouvrière. Mais les syndicats, fondés sur un nationalisme réactionnaire de «L’Amérique d’abord» et sur l’acceptation du «droit» des sociétés aux profits, se sont depuis longtemps transformés d’organisations défensives de la classe ouvrière en une force de police du travail et en entreprises à part entière, disposant d’actifs de plusieurs milliards de dollars.

C’est pourquoi l’État américain est directement intervenu en faveur du RWDSU pour tenter de lui donner une seconde chance de surmonter l’apathie et l’indifférence générées par sa propre campagne. Biden cherche à utiliser les syndicats pour placer les travailleurs sous une forme de tutelle de l’entreprise et de l’État dans les conditions de la croissance la plus explosive de la colère sociale aux États-Unis depuis 40 ans.

Tout au long de la présidence de Biden, son administration a cherché à soutenir l’autorité de ces organisations corrompues, de plus en plus discréditées parmi les travailleurs eux-mêmes. Cela inclut le soutien de facto de Biden à la RWDSU de Bessemer, mettant en jeu son prestige personnel et celui de son bureau dans une campagne qui s’est terminée par un désastre, ainsi que l’envoi de deux secrétaires de cabinet aux piquets de grève le mois dernier chez John Deere et Kellogg.

Même si le second vote réussissait, le RWDSU cherchera immédiatement à devenir le partenaire de l’entreprise pour faire appliquer conjointement les conditions qui existent déjà, et même pire. Au cours des deux derniers mois, les syndicats de tout le pays ont joué un rôle clé dans l’arrêt de ce que l’on a appelé «Striketober» (la grève d’octobre), empêchant les grèves de 60.000 travailleurs de la production cinématographique du syndicat IATSE, de 32.000 travailleurs de la santé de Kaiser Permanente sur la côte ouest, et isolant et stoppant une grève chez John Deere. Dans chacun de ces cas, les syndicats ont fait fi de la volonté démocratique des travailleurs. Ils ont ignoré les votes d’autorisation de grève et, dans le cas des travailleurs de la production d’Hollywood et de Deere, ils ont imposé des contrats que la majorité des membres avaient rejetés.

Un jour seulement après l’arrêt de la grève de Deere par les Travailleurs unis de l’automobile (UAW), Biden s’est rendu à Detroit pour une séance de photos avec le président de l’UAW, Ray Curry. La haute direction de l’UAW a été décimée par un scandale de corruption qui a conduit à l’inculpation d’une douzaine de hauts responsables, dont deux anciens présidents. La semaine précédant la visite de Biden, on a révélé que Curry lui-même faisait l’objet d’une enquête pour avoir accepté des cadeaux inappropriés de la part d’une entreprise qui travaille pour le syndicat.

Alors que l’UAW est maintenant sous le coup d’un accord de consentement avec le gouvernement fédéral, à aucun moment les enquêteurs n’ont soulevé de préoccupations quant à la destruction des «conditions de laboratoire» des négociations contractuelles de l’UAW avec les trois grands constructeurs automobiles par des pots-de-vin systématiques, et les contrats, négociés par les responsables qui purgent maintenant des peines de prison, qui demeurent en vigueur.

Enfin, les syndicats jouent un rôle essentiel dans le maintien de la production tout au long de la propagation continue de la pandémie. Leur rôle est particulièrement catastrophique dans l’industrie du conditionnement de la viande, où le RWDSU compte de nombreux membres. Lors de la première vague de COVID-19 aux États-Unis, le RWDSU a obligé ses membres à rester au travail, alors même que la maladie mortelle tuait des travailleurs d’une usine Tyson en Géorgie. Au moins 298 travailleurs sont morts dans l’industrie du conditionnement de la viande, selon le Food and Environment Reporting Network, un organisme d’investigation.

De même, alors que le Washington Post affirme que «le RWDSU a maintenu une présence à Bessemer, même après la défaite écrasante du printemps dernier», le RWDSU a gardé le silence radio sur la mort d’un travailleur de BHM1 qui s’est effondré sur le lieu de travail un mois après l’échec de la campagne de vote. Les appels passés par le World Socialist Web Site à ses bureaux locaux et nationaux sont restés sans réponse à l’époque.

Si le RWDSU entrait dans l’entrepôt de Bessemer, il ne ferait rien d’autre que d’appliquer les directives d’Amazon.

La décision du NLRB intervient dans un contexte d’escalade de la campagne des syndicats chez Amazon. L’élection, le mois dernier, de Sean O’Brien à la présidence des Teamsters, un voyou notoire et ancien allié de son prédécesseur James Hoffa Jr., fait partie de la tentative de la bureaucratie syndicale de donner un «nouveau visage» à sa grande initiative qui vise à établir une présence chez Amazon.

La crédibilité d’O’Brien en tant que «réformateur» malgré son bilan réel est due au soutien qu’il a reçu de groupes de pseudogauche tels que Teamsters for a Democratic Union et la publication Labor Notes, qui présentent de manière absurde son élection comme un tournant dans l’histoire mafieuse des Teamsters. O’Brien pourra également compter sur ses liens avec la Maison-Blanche de Biden par l’intermédiaire de Marty Walsh, ancien responsable syndical et maire de Boston.

En opposition à ces diversions réactionnaires, les travailleurs doivent former leurs propres comités indépendants de la base. Ils doivent exiger un contrôle démocratique des conditions de travail ainsi que les précautions de sécurité nécessaires dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Les travailleurs d’Amazon à Baltimore ont déjà commencé à le faire et cherchent à unir leurs luttes avec d’autres travailleurs d’Amazon et du monde entier.

Les comités de la base se battront également pour percer la censure de l’information sur la propagation de la COVID-19 dans les installations d’Amazon. Un rapport du Strategic Organizing Center a révélé qu’Amazon n’a signalé que 27 cas de «conditions respiratoires» liées au travail pour toute l’année 2020, même si l’entreprise a publiquement admis avoir recensé 20.000 cas en octobre 2020. «Cela signifie qu’Amazon a affirmé à l’OSHA que presque aucune des dizaines de milliers d’infections à la COVID-19 parmi ses travailleurs n’était liée au travail. Un exploit si extraordinaire qu’il est tout simplement invraisemblable», conclut le SOC.

(Article paru en anglais le 2 décembre 2021)

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