Le Bureau de la sécurité des transports du Canada présente un rapport accablant sur le déraillement d’un train du Canadien Pacifique en 2019

Les travailleurs du CP ont fondé le Comité des travailleurs de la base du Canadien Pacifique pour lutter pour la sécurité au travail et mettre fin aux conditions d’exploitation brutales qui sont responsables d’accidents mortels comme le déraillement de Field. Envoyez un courriel au cpworkersrfc@gmail.compour vous joindre à eux.

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Le rapport final sur le déraillement mortel du train 301 du Canadien Pacifique près de Field, en Colombie-Britannique, le 4 février 2019, a été présenté par le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) jeudi. Les conclusions documentent une litanie de décisions motivées par le profit et de manquements aux avertissements qui ne mènent qu’à une seule conclusion possible: le CP est responsable de la mort du chef de train Dylan Paradis, du mécanicien de locomotive Andrew Dockrell et du chef de train stagiaire Daniel Waldenberger-Bulmer.

Le rapport, dont l’élaboration a pris plus de trois ans en raison des efforts du CP pour saboter l’enquête, tente d’expliquer aux familles des victimes, aux travailleurs et au public ce qui s’est exactement passé ce jour-là. Il formule également des recommandations à l’intention de Transports Canada visant à «rendre l’exploitation des trains par temps froid plus sécuritaire dans les territoires ferroviaires montagneux».

Le déraillement

Dan Holbrook, gestionnaire aux opérations de l'administration centrale et de la région de l'Ouest pour le BTS, a donné un compte rendu détaillé des événements qui ont mené à l’accident.

Le train 301 est parti de Calgary vers 14h30 le 3 février 2019. Son itinéraire suivait la ligne ouest principale du CP jusqu’à Vancouver, ce qui implique de «traverser des montagnes caractérisées par des pentes abruptes et des courbes prononcées», a déclaré Holbrook. «Avant de quitter Calgary, le train a été soumis à l’essai requis des freins à air et l’a passé avec succès. Le train fonctionnait dans des températures extrêmement froides, inférieures à -25 Celsius.»

Locomotive télécommandée de milieu de train du train à traction répartie 301 du CP qui a déraillé (Crédit: Bureau de la sécurité des transports) [Photo: Transportation Safety Board]

«Vers 21h30, le train a entamé la descente de 13,5 miles [environ 21 km] sur Field Hill», poursuit-il. «Lorsque le train entier s’est engagé dans la partie la plus abrupte de la pente, il n’a pas été en mesure de maintenir sa vitesse à ou en dessous de la limite de 15 mph [environ 24 km/h]. Lorsque la vitesse a atteint 21 mph [environ 33 km/h], l’équipe a serré d’urgence les freins comme l’exigent les procédures d’exploitation ferroviaire.

«Le train s’est arrêté à Partridge vers 21h50, alors qu’il restait environ 9 milles [environ 14 km] de pente montagneuse avant Field. Après l’arrêt du train, la décision a été prise de régler à la position haute pression les robinets de retenue de pression des freins de 84 des 112 wagons, plutôt que les robinets de retenue et les freins à main. Cela faciliterait la mise en route du train en desserrant les freins et en permettant au système de freinage pneumatique du train de se recharger pendant que le train poursuit sa descente, une opération appelée desserrage et resserrage des freins en descente ou «release and catch»

L’équipe ayant atteint la fin de son quart, une équipe de relève, composée de Paradis, Dockrell et Waldenberger-Bulmer, a été appelée. «Lorsqu’ils sont arrivés à Yoho, le point d’accès routier le plus proche du train, vers 22h45, la température était de -28 Celsius», a confirmé Holbrook.

Un véhicule sur rail a transporté l’équipe jusqu’au train. Cependant, Holbrook a expliqué que «des retards, dont un aiguillage gelé, ont fait que l’équipe n’est pas arrivée au train avant 0h20. Pendant ce temps, le système de freinage pneumatique du train perdait de la pression dans les cylindres de frein, ce qui réduisait sa capacité à maintenir le train arrêté sur la pente».

Holbrook a ensuite détaillé comment le déraillement s’est produit: «L’équipe de relève a pris le contrôle et s’apprêtait à reprendre le voyage lorsque le train a commencé à avancer très lentement vers 0h42. Le train a progressivement accéléré de façon incontrôlée en descendant la pente abrupte de la montagne, atteignant 53 mph [environ 85km/h], une vitesse bien supérieure à la vitesse maximale autorisée pour ce tronçon de voie.

«À cette vitesse, le train n’a pas été en mesure de négocier la courbe prononcée de 9,8 degrés immédiatement avant le pont de la rivière Kicking Horse. Deux locomotives et 99 wagons ont déraillé et les 3 membres de l’équipe de relève ont été mortellement blessés.»

Négligence de l’entreprise et réglementation inexistante

Les événements qui ont conduit au déraillement de Field constituent une mise en accusation dévastatrice de ce que l’on appelle dans l’industrie le PSR «precision-scheduled railroading – système de planification de précision des chemins de fer». Pour résumer cette politique favorable aux entreprises, qui a été adoptée par les chemins de fer de toute l’Amérique du Nord, un employé du CP a déclaré, lors d’une récente entrevue avec le WSWS, que «L’idée de base est qu’ils s’attendent à ce que la plus grande quantité de travail soit faite avec le moins de ressources humaines possible.»

Le Field Hill est l’un des tronçons de voie ferrée les plus dangereux au Canada. De nombreux déraillements s’y sont produits. En mars 2021, un wagon intermodal d’un train de marchandises du CP a déraillé à Field. En janvier de la même année, un train de céréales a déraillé à 6,5 kilomètres à l’ouest de Field, provoquant une panne d’électricité temporaire dans la ville. Aucune blessure n’a été signalée à ces deux occasions.

En raison du danger que représente ce tronçon abrupt de la voie ferrée, le CP appliquait autrefois une règle selon laquelle aucun train ne devait être autorisé à descendre Field Hill lorsque la température descendait en dessous de -25 degrés Celsius. Cette politique était due au fait bien connu que les freins sont moins efficaces par temps extrêmement froid. En réponse à la question d’un journaliste lors de la conférence de presse de jeudi, le BST a confirmé que le CP a abandonné cette politique après la saison 2015-16, sans fournir d’explication sur la raison.

Le BST a constaté que des problèmes courants, comme la défaillance des freins par temps froid, avaient été «normalisés» par le CP et que de nombreux rapports avaient été déposés par les équipes sur les dangers des terrains montagneux année après année, mais «aucune évaluation des risques n’a été effectuée et les mesures correctives prises étaient insuffisantes.»

De façon choquante, les enquêteurs ont également révélé que la veille de son décès, Dockrell avait descendu la même section de voie ferrée à bord d’un train de céréales dans des températures tout aussi froides et qu’il avait dû utiliser la puissance de freinage maximale disponible. Il avait rempli un rapport de sécurité sur ce dangereux tronçon de voie ferrée, mais n’avait pas pu le soumettre par voie électronique en raison d’une panne de courant au dortoir. Une copie papier a été retrouvée sur le lieu de l’accident.

L’enquête a permis de déterminer que, plus tôt dans le trajet du train 301 en provenance de Calgary, et juste avant l’arrêt d’urgence à la gare de Partridge, on avait observé une demande accrue d’air de la part des locomotives après le serrage des freins. Bien que cette observation ait été discutée lors d’une réunion de travail après l’arrêt d’urgence à Partridge, elle n’a pas été reconnue comme problématique à ce moment-là.

L’une des principales raisons de cette décision est l’expérience insuffisante du coordonnateur de trains, dont «la formation et l’expérience ne l’ont pas préparé adéquatement à évaluer les circonstances ou à prendre les décisions qui lui incombaient», a constaté le BST.

De nombreux médias de la grande entreprise se sont appuyés sur cette conclusion pour présenter le chef de train non identifié, plutôt que le Canadien Pacifique, comme étant le problème. Mais comme un ancien travailleur de CP l’a expliqué au World Socialist Web Site, la compagnie place sciemment des personnes mal formées à ces postes de bureau.

«Des employés très juniors, fraîchement sortis de leur formation de chef de train, sont placés dans ces emplois de bureau à la place de gars qui sont là depuis 40 ans et qui ont tout vu», a-t-il déclaré. «Ils ont tout fait, ils ont vu des choses bizarres. Mais ces employés verts n’ont aucune expérience du monde réel. Puis ils sont placés à des postes de direction et ne peuvent même pas mettre un frein à main. C’est tellement frustrant. Mais si vous proposiez une approche différente, ils rejetteraient votre proposition dans 99% des cas. Ainsi, au lieu d’écouter un mécanicien de locomotive ou un chef de train ayant 30 ans d’expérience, vous devez écouter un gars qui n’a qu’un an à son actif. Les gars de Field étaient dans une situation de perdant-perdant.»

Le travailleur a ajouté: «Je reconnais le mérite de l’équipe de cette subdivision. Ils savaient ce qu’il fallait faire. Si quelque chose n’allait pas, ils en auraient parlé à la direction. Mais bien souvent, on vous dit simplement : «Faites descendre le train, nous devons le faire sortir. Nous ne voulons pas entendre vos excuses.»

La présidente du BST, Kathy Fox, a fait remarquer que la technologie du freinage automatique est peu coûteuse et existe depuis une décennie, mais qu’elle n’a pas été largement «adoptée» par les compagnies ferroviaires. Elle a plaidé en faveur de son utilisation en tant que «solution de rechange» aux freins à main, qui améliorerait la sécurité tout en étant «beaucoup moins longue à appliquer». Aucune exigence pour cette mesure de sécurité la plus élémentaire n’a été introduite par le gouvernement libéral dirigé par le premier ministre Justin Trudeau.

Le BST a formulé trois recommandations à l’intention de Transports Canada: des normes d’essai plus rigoureuses et un entretien échelonné dans le temps pour les cylindres de frein des wagons de marchandises qui descendent des pentes abruptes par temps froid; l’installation de freins de stationnement automatiques sur les wagons de marchandises, en donnant la priorité à ceux qui sont utilisés dans les trains de marchandises en vrac dans les régions montagneuses; et la démonstration par le CP à Transports Canada qu’il peut identifier efficacement les dangers et évaluer et atténuer les risques en utilisant toutes les informations disponibles.

Ces recommandations ne sont qu’un autre geste purement symbolique de la part d’un chien de garde édenté qui permet aux chemins de fer autoréglementés de continuer à générer des profits. Comme l’a rapidement souligné Fox au début de la conférence de presse, «le BST n’applique pas la loi, n’attribue pas de faute et ne détermine pas les responsabilités criminelles ou civiles.» Les recommandations elles-mêmes ne sont pas contraignantes, puisqu’il appartient à Transports Canada, un ministère du gouvernement fédéral, d’introduire des règles pour les exploitants ferroviaires.

Malgré cela, le CP a réagi avec fureur aux recommandations. Sa déclaration officielle dénonce les conclusions du BST en les qualifiant d’«extrêmement décevantes», d’«inappropriées» et de «dénaturées».

La réponse générale aux recommandations du BST est le silence. Les problèmes de freinage sont sur le radar du Bureau depuis des décennies. De son propre aveu, Fox a déclaré que «les mouvements non planifiés et non contrôlés sont une préoccupation depuis de nombreuses années» et que 189 événements de ce type ont été signalés au BST entre 2010 et 2019.

En 2013, un train stationné transportant des dizaines de wagons pétroliers a commencé à se déplacer tout seul et a déraillé à Lac-Mégantic, au Québec, tuant 47 personnes et incinérant le centre de la ville. Ce n’est qu’à ce moment-là que la «question des freins» a été ajoutée à la liste de surveillance du BST.

Pourtant, même cette tragédie n’a pas réussi à inciter Transports Canada à agir. Il a fallu la mort de trois autres cheminots dans le déraillement de Field pour que le gouvernement fédéral adopte un changement de règlement exigeant l’utilisation des freins à main sur les pentes montagneuses, changement qui a été rapidement contesté par le Canadien Pacifique.

Les travailleurs du rail doivent lutter pour la sécurité sur les lieux de travail et la fin de l’exploitation par les entreprises

Les conditions de travail brutales sur les chemins de fer, tout droit sorties du 19e siècle, sont une forme extrême de la détérioration générale, depuis des décennies, de la protection des travailleurs et de leur niveau de vie qui a permis à des sociétés géantes comme le CP, avec l’aide des gouvernements et de leurs laquais syndicaux au Canada et aux États-Unis, d’engranger des profits records pendant la pandémie mortelle de la COVID-19.

Comme le dit une déclaration de la famille de Paradis envoyée au World Socialist Web Siteen réponse au rapport du BST: «Nous avons perdu confiance dans la capacité du gouvernement à tenir les entreprises responsables de leur négligence. Les profits continuent de grimper en flèche aux dépens de la classe ouvrière. La politique est «montée lente. Descente rapide. Les profits d’abord, la sécurité ensuite.» On dit que les règles sont écrites dans le sang, et malheureusement, tant que notre gouvernement ne prendra pas des actions mesurables et concrètes pour assurer la sécurité des opérations et tenir les entreprises responsables, cette pratique se poursuivra. Le système de planification de précision des chemins de fer devrait être interdit.»

Les résultats de l’enquête sur le déraillement de Field soulignent l’urgence de la lutte menée par le Comité des travailleurs de la base du Canadien Pacifique. Pour mettre fin à la domination du profit privé sur les chemins de fer, qui subordonne tout – y compris la vie des travailleurs – à l’accumulation d’immenses richesses, il faut une rébellion dirigée par les travailleurs contre les conditions de travail qui mettent leur vie en danger, et ceux qui les président, c’est-à-dire, la direction de l’entreprise, le gouvernement fédéral et les syndicats.

Le Comité a affirmé dans sa déclaration fondatrice: «Organisons une lutte commune contre les profits effrénés et la dictature patronale-syndicale imposée actuellement dans toutes les compagnies de chemins de fer nord-américains! Si Creel et ses amis des grandes entreprises prévoient construire un chemin de fer multinational pour transporter des marchandises et exploiter les travailleurs de l’Arctique canadien jusqu’au Mexique tropical, nous devons alors lancer une contre-offensive multinationale dirigée par les travailleurs des chemins de fer canadiens, américains et mexicains pour mettre un terme aux profits de ces entreprises aux dépens de notre santé, de notre sécurité et de nos vies.»

Tous les cheminots qui souhaitent se joindre à cette lutte doivent contacter le Comité à l’adresse cpworkersrfc@gmail.com.

(Article paru en anglais le 2 avril 2022)

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