Le Québec ayant brusquement levé en l'espace de quelques semaines en février et en mars la quasi-totalité des mesures de santé publiquevisant à mitiger l’impact de la COVID-19la deuxième province la plus peuplée du Canada traverse actuellement une sixième vagued’infections et de morts, qui est causée par le très contagieux variant Omicron BA.2.
Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) ayant interdit l’accès aux tests PCR à la population générale, le nombre quotidien de nouvelles infections est inconnu. Cependant, les autorités publiques estiment de 40.000 à 60.000 le nombre de Québécois à contracter le virus chaque jour. Ces chiffres sont encore plus élevés que ceux vus durant la vague Omicron en hiver dernier, au cours de laquelle environ 3 millions de personnes, ou 40% de tous les Québécois, auraient été infectées selon le gouvernement.
Les hospitalisations et les décès, des indicateurs tardifs par rapport aux nouveaux cas, donnent aussi un aperçu de l’ampleur de la présente vague. Mardi, la province a annoncé 145 hospitalisations additionnelles, portant le total à 1.938, une augmentation de 31% sur une semaine. 35 décès dus à la COVID ont aussi été enregistrés, portant la moyenne quotidienne calculée sur 7 jours à 20, une hausse de 41% sur une semaine.
Sapé par des décennies d’austérité capitaliste qui ont créé une pénurie permanente de personnel, le système public de santé est encore une fois submergé par une forte hausse des cas de COVID-19. Au 8 avril, environ 13.000 travailleurs infectés par la COVID étaient absents du travail, situation qui a forcé l’annulation de certaines interventions médicales jugées moins urgentes.
Le gouvernement maintient le système à flot à l’aide d’une politique dangereuse qui permet aux établissements du système de santé d’imposer le retour au travail des employés qui ont contracté la COVID après 5 jours, alors qu’ils peuvent être encore contagieux. Il impose également des horaires et des conditions de travail brutales à l’ensemble du personnel.
Le gouvernement de la CAQ, dirigé par le multimillionnaire ancien PDG d’Air Transat François Legault, est bien décidé à continuer sa politique des «profits avant les vies» qui consiste à laisser le virus se répandre librement et à n’imposer aucune mesure de santé publique susceptible d’empiéter sur la capacité de la grande entreprise, des banques et des riches actionnaires d’exploiter la classe ouvrière pour générer des profits gargantuesques.
Lors d’une conférence de presse tenue le 8 avril, le directeur par intérim de la Santé publique du Québec (SPQ), le Dr Luc Boileau a admis qu’il n’entrevoyait pas «d’embellie» avant deux semaines. Malgré cette sombre prédiction, il a réitéré qu’il n’est «pas question» de réintroduire des mesures de santé publique pour combattre le dangereux virus. Adoptant ouvertement le langage de la droite libertaire, Boileau a rejeté l’imposition «des mesures sanitaires qui vont contraindre les gens» au profit de l’adoption de «comportements [individuels] raisonnables».
Les mesures ainsi rejetées par l’élite dirigeante québécoise – les confinements, le dépistage massif et la recherche et l’isolation des contacts – représentent les bases scientifiques de la lutte contre les maladies infectieuses depuis des décennies.
Mais depuis les confinements temporaires du printemps 2020, souvent provoqués par des arrêts de travail et autres manifestations spontanées de la classe ouvrière, la classe capitaliste considère la lutte à la pandémie comme un empêchement à faire des profits. Elle a ainsi contraint les travailleurs d’industries non-essentielles à rester en poste et les écoles à rouvrir les salles de classe pour l’enseignement en présentiel, afin que les parents travailleurs soient forcés de rentrer au travail. C’est ce qui a alimenté une vague après l’autre d’infections de masse et de décès, même après le développement de vaccins anti-COVID.
Au même moment, les gouvernements et les médias à sa solde continuent de promouvoir le mensonge que les mesures élémentaires visant à sauver des vies sont «autoritaires» et qu’elles causent des maux pires que la COVID-19 elle-même.
Le caractère criminel de la politique suivie par le gouvernement de la CAQ pour faire passer les profits avant les vies, avec le plein soutien du gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau, a été mis à nu lors du témoignage du Dr Boileau devant le Comité de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale. Ce comité est chargé de l’étude du projet de loi 28, qui vise en apparence à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire dans la province.
Rappelons qu’au début de la pandémie, le gouvernement Legault a utilisé la Loi sur la santé publique (LSP) pour déclarer une urgence sanitaire et disposer de pouvoirs exécutifs accrus, notamment pour ordonner la fermeture temporaire des commerces et des écoles, octroyer des contrats de fournitures médicales sans appel d’offre, ordonner le port du masque et passer outre les conventions collectives et règlements d’emploi des travailleurs.
Ostensiblement, le projet de loi 28 prévoit la fin de l’urgence sanitaire qui est en vigueur depuis le 13 mars 2020. En réalité, il la prolonge jusqu’au 31 décembre 2022 puisque toutes les décisions prises par le gouvernement en vertu de la déclaration d’urgence sanitaire resteront en vigueur jusqu’à cette date. Par ailleurs, les contrats accordés sans concurrence depuis mars 2020, dont la valeur totale est estimée à 13 milliards de dollars, pourront être prolongés pour une durée maximale de 5 ans.
Comme le gouvernement Legault a déjà levé la quasi-totalité des mesures sanitaires imposées en vertu de la LSP, annoncé l’élimination de celles qui restent comme le port obligatoire du masque d’ici le 1er mai, et promis de tout faire pour éviter de les réimposer, il est évident que s'il veut garder ses «pouvoirs d’urgence» jusqu’à la fin de l’année, c'est pour continuer de violer les droits des travailleurs et de piétiner leurs conditions de travail.
Cela fait partie de ses efforts dangereux pour répondre à la vague actuelle de cas COVID et aux futures vagues que le gouvernement sait inévitables, étant donné sa politique officielle d’«apprendre à vivre avec le virus», sans avoir à fournir au réseau de la santé les ressources massives requises pour augmenter ses capacités, notamment par l’embauche d’infirmières et de personnel soignant en nombre suffisant.
Boileau lui-même l’a admis lors de son témoignage. Il a d’abord confirmé que le gouvernement n’entend plus se servir de ses pouvoirs accrus pour «renouveler ou recommander de nouvelles mesures populationnelles» puisque le Québec se trouve dans «une phase transitoire de [la] pandémie» dans laquelle le gouvernement cherche à implanter «le fameux vivre avec le virus». Conséquemment, la seule raison de maintenir des «pouvoirs transitoires» qu’il a pu énumérée est qu’ils sont nécessaires pour «embaucher du personnel temporaire» et pour «la gestion des ressources humaines dans le réseau de la santé.»
Cette admission a été exploitée par Claire Samson, qui a récemment quitté la CAQ pour rejoindre le Parti conservateur du Québec (PCC) encore plus à droite. Le PPC appuie le mouvement antivax et son chef, Éric Duhaime, a ouvertement encouragé le mouvement d’extrême droite du «convoi de la liberté» qui demandait la fin immédiate de toutes les mesures de lutte à la COVID-19.
Sommé par Samson d’expliquer pourquoi des pouvoirs d’urgence sont encore nécessaires maintenant que le gouvernement appelle à normaliser la COVID, le Dr Boileau s’est écrié «si on arrête tout ça [l’urgence sanitaire et les mesures transitoires], en ce moment, on va aller vers des risques énormes puis on va tuer du monde.»
C’est un aveu remarquable qui met à nu la nature criminelle de la réponse de la classe dirigeante à la pandémie. Le refus d’une stratégie d’élimination de la COVID, et la levée prématurée des mesures limitées de contrôle de la pandémie, ont tué, à ce jour, plus de 14.500 Québécois. Et cette politique continuera de tuer alors que le coronavirus circulera encore plus librement.
En prolongeant l'urgence sanitaire jusqu'à la fin de l'année, tout en levant les mesures de santé publique déjà insuffisantes contre la pandémie, le gouvernement de la CAQ prépare le terrain pour que le système de santé soit amené une fois de plus au bord de l'effondrement. Sa seule réponse sera d'utiliser ses «pouvoirs d'urgence» pour forcer les infirmières et autres travailleurs de la santé, épuisés et psychologiquement éprouvés, à travailler des heures supplémentaires, dans des conditions brutales et dangereuses.
Quant aux partis d'opposition, le Parti Québécois, le Parti libéral du Québec et Québec solidaire, ils ont tous collaboré avec le gouvernement Legault pour mettre en œuvre sa politique des «profits avant les vies» tout au long de la pandémie. Le parti soi-disant «de gauche», Québec solidaire (QS), par exemple, a pratiquement endossé la politique d' «immunité collective» de Legault, qui consiste à laisser le virus se propager dans la population. QS a même exigé par moments un calendrier encore plus agressif pour la réouverture des entreprises et des écoles.
Adoptant un langage peu différent de la droite libertaire, les partis d'opposition se sont attachés ces dernières semaines à dénoncer l'état d'urgence sanitaire comme étant «épouvantable», «dangereux pour la démocratie» et «autoritaire». Au cours du débat parlementaire, ils ont multiplié leurs attaques de droite contre le projet de loi 28, avec une campagne de plus en plus hystérique et véhémente.
Les travailleurs doivent s'opposer au projet de loi 28 par la gauche, en exigeant l'abrogation des pouvoirs d'urgence permettant au gouvernement de piétiner les conventions collectives dans le secteur public. Des mesures d'urgence sont plutôt requises pour mobiliser toutes les ressources disponibles de la société, sur la base de la science, pour mettre fin une fois pour toutes à la pandémie de COVID-19. Il faut combiner les confinements (accompagnés de pleine compensation financière aux travailleurs touchés) avec des tests de masse, la recherche des contacts et l'isolement et le traitement rapides des personnes infectées.