Raphaël Lévesque, un néo-nazi Québécois notoire et le fondateur du groupe d’extrême droite Atalante, vient d’être condamné par trois juges de la Cour d’appel du Québec pour entrée par effraction lors d’un acte de provocation commis dans les bureaux du magazine Vicele 23 mai 2018. Le dossier sera maintenant retourné à la Cour du Québec qui tiendra une audition pour déterminer la peine de Lévesque.
Lévesque a formé Atalante en 2015, disant vouloir ainsi combattre la «subversion migratoire» au Québec, c’est-à-dire l’arrivée de migrants fuyant la misère, la violence et la destruction apportées aux quatre coins du monde par l’impérialisme américain, avec la pleine complicité du Canada.
Atalante s’inspire ouvertement d’auteurs fascistes européens qui sont admirés par l’ancien conseiller de Donald Trump, Steven Bannon, et qui prônent la théorie xénophobe du «grand remplacement» des peuples européens par les immigrants. Les membres d’Atalante sont des néo-nazis qui s’opposent de façon virulente à l’immigration, proposent la «rémigration» (le retour de tous les immigrants dans leur pays d’origine) et dénoncent la mondialisation et les socialistes. Ils sont encouragés à pratiquer la boxe pour «défendre leurs idées dans la rue».
Lévesque était associé aux mouvements néo-fascistes québécois et européens bien avant la fondation d’Atalante. En 2009, sous le nom de Raf Stomper, il a fondé le groupe de musique Légitime violence, dont il est le leader et chanteur. Les chansons composées et/ou interprétées par Lévesque/Stomper sont remplies d’appels explicites à la violence, l’anti-communisme et l’anti-sémitisme. On y retrouve des exhortations à «prépar[er] le Zyklon B!» [le gaz utilisé par les nazis pour tuer les juifs dans les camps d’extermination] ou à «poignarder» les «p’tits gauchistes efféminés».
Le 23 mai 2018, Lévesque et six autres membres d’Atalante avaient envahi les locaux montréalais du groupe de médias Vice Québecaprès s’être fait ouvrir la porte sous un faux prétexte. Les hommes portaient tous, à l’exception de Lévesque, un masque aux couleurs du drapeau québécois. Lançant des tracts et des nez de clown, ils avaient remis un prix dérisoire pour le «média poubelle 2018» au journaliste Simon Coutu. Ils reprochaient à ce dernier – auteur d’un reportage sur les activités des groupes ultra-nationalistes au Québec – de faire partie de l’«extrême gauche» et d’inciter, par ses articles, à «une guerre» entre Atalante et des soi-disant «Antifas».
Le message de cet acte d’intimidation était clair: couvrir l’extrême droite dans la presse québécoise est une activité dangereuse pour un journaliste.
Accusé d’introduction par effraction, de harcèlement, d’intimidation et de méfait, Lévesque a été acquitté le 10 juin 2020par la juge Joëlle Roy de la Cour du Québec. Dans son jugement, empreint de sympathie pour Lévesque, la juge Roy a déclaré «qu’aucun acte criminel n’avait été commis» puisque le geste de Lévesque était «justifié et légitime», l’accusé étant venu «livrer un message et communiquer de l’information» sans «intention de menacer ou d’intimider».
Pour pouvoir rendre un tel jugement, Roy a banni de la procédure judiciaire toute référence au contexte plus large de l’incident – y compris le fait que Lévesque est un néo-nazi, l’auteur de chansons puant le fascisme et le fondateur d’une organisation dont le logo s’inspire de celui de l’infâme organisation nazie, les SS.
Bien que tous ces éléments soient clairement pertinents dans un procès criminel pour intimidation, la juge Roy a interdit à l’accusation – dans un langage hostile plutôt remarquable pour une salle d'audience – de les présenter comme pièces à conviction ou même de simplement les évoquer.
En juillet 2020, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), un organisme du ministère de la Justice du Québec qui agit comme procureur de la Couronne, a décidé de porter le jugement de Roy en appel, mais en se limitant exclusivement à la déclaration de non-culpabilité aux chefs d’accusation de méfait et d’introduction par effraction.
Malgré le fait que le jugement Roy banalise l’activité d’un groupe violent d’extrême droite et excuse ce qui était clairement une tentative d’intimidation d’un journaliste, le DPCP a refusé de faire appel de l’acquittement de Lévesque sur les chefs d’accusation d’intimidation et de harcèlement. Le DPCP a également refusé de contester la décision de la juge de bannir toute référence aux antécédents de Lévesque et aux activités d’Atalante.
La Cour d’appel du Québec a accueilli en partie cet appel limité le 12 avril dernier. Elle a conclu que la juge Roy avait fait plusieurs erreurs de droit dans son analyse juridique des éléments composant les crimes dont Lévesque était accusé. Elle a reconnu Lévesque coupable d’introduction par effraction, mais a déclaré l’arrêt des procédures en regard du méfait en invoquant une formalité du droit: cette deuxième infraction ayant été commise «dans la même transaction criminelle», elle constituerait une condamnation multiple pour un même évènement, ce qui est prohibé par les règles du droit criminel.
Malgré la condamnation, le jugement de la Cour d’appel s’inscrit en continuité des efforts du système judiciaire pour camoufler le contexte du crime et les liens de Lévesque avec l’extrême droite. Les trois juges passent complètement sous silence ce qui a motivé le crime. Ils reprennent la description d’Atalante donné par Lévesque au procès, écrivant qu’il s’agit d’«un groupe qui se décrit comme étant nationaliste, révolutionnaire et indépendantiste». Les mots «néo-nazi» et «extrême-droite» ne figurent pas dans le jugement et la raison pour laquelle Coutu a été ciblé par Atalante n’est pas expliquée.
Une personne qui apprendrait les évènements du 23 mai 2018 par la lecture du jugement de la Cour d’appel conclurait qu’une simple entrée par effraction a été commise dans les bureaux d’un média par un individu appartenant à un groupe nationaliste, sans motif particulier autre que de lancer des tracts et des nez de clown – la situation demeurerait, pour ce lecteur, entièrement inexpliquée et inexplicable.
Le jugement démontre que les travailleurs ne peuvent pas compter sur les tribunaux bourgeois et autres institutions de l’État capitaliste – y compris les partis traditionnels – pour lutter contre la montée de l’extrême droite. Ces forces de l’establishmentsont plutôt amenées à camoufler les crimes et autres actes violents des groupes d’extrême droite, à leur donner un vernis de respectabilité, à en faire la promotion lorsque cela sert leurs objectifs et à s’en servir le moment venu contre la résistance montante de la classe ouvrière.
En juin 2020, le World Socialist Web Siteavait analysé la signification du jugement de la Cour du Québecet avait conclu que «[l]e jugement et le comportement de la juge Roy résultent avant tout du contexte politique et social actuel. Au Québec et dans l’ensemble du Canada, comme partout dans le monde, la classe dirigeante cultive l’extrême droite comme arme contre la classe ouvrière parce qu’elle craint que les immenses tensions sociales provoquées par les inégalités sociales, et exacerbées par la catastrophe sanitaire et socio-économique déclenchée par la pandémie de COVID-19, n’émergent en un mouvement anti-capitaliste de masse».
La situation décrite dans cette analyse n’a fait que s’intensifier depuis la publication de l’article. Des sections importantes de la classe dirigeante au Québec et dans tout le Canada cultivent aujourd’hui l’extrême droite, y compris avec la promotion de l’islamophobie et du chauvinisme anti-immigrants. Elles s’en servent notamment pour soumettre la classe ouvrière à sa politique pandémique qui fait passer les profits avant les vies.
Le «convoi de la liberté», le mouvement d’extrême droite qui a occupé la capitale canadienne d’Ottawa et menacé ses résidents pendant plusieurs semaines en janvier et en février dernier, exigeait la levée immédiate de toutes les mesures de santé publique. Il avait pour objectif politique plus large la déstabilisation, voire le renversement, du gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau. Tout ceci a été encouragépar une faction puissante de l’élite dirigeante canadienne – y compris les conservateurs de l’opposition officielle, une grande partie des médias bourgeois et des sections de la grande entreprise.
Les demandes du «convoi de la liberté» ont d’abord été utilisées comme prétexte par les gouvernements fédéral et provinciaux pour démanteler brusquement la presque totalité des mesures anti-COVID.
Puis, lorsque des gestes extrêmes du convoi – comme le blocage du pont Ambassadeur entre le Canada et les États-Unis – ont menacé les intérêts économiques et géo-stratégiques de la classe dirigeante canadienne, le gouvernement Trudeau a invoqué, avec le plein appui du NPD social-démocrate et des syndicats, la Loi sur les mesures d’urgencequi donnait des pouvoirs arbitraires à l’État et représentait une menace directe pour les droits démocratiques de la classe ouvrière.
La montée de l’extrême droite est un phénomène international.
Le 6 janvier 2021, le président américain Donald Trump a utilisé des milices fascistes (Proud Boyset autres) en tant que troupes de choc pour prendre d’assaut le Capitole afin d’empêcher la certification de l’élection présidentielle qu’il avait clairement perdue face à son rival démocrate, Joe Biden. Bien que le parti démocrate ait qualifié les événements du 6 janvier d’«insurrection», il s’efforce d’en minimiser la portée en les présentant comme la seule action de Trump et en passant sous silence le soutien accordé par de larges sections du parti républicain et de l’appareil militaro-policier à cette tentative de coup d’État.
En Europe, les forces d’extrême droite comme l’AfD en Allemagne ont acquis une influence démesurée avec la complicité de l’État et des partis bourgeois traditionnels, qui ont adopté des pans entiers de leurs politiques réactionnaires, particulièrement en matière d’immigration.
En France, la néo-fasciste Marine Le Pen a atteint dimanche, pour la deuxième fois consécutive, le second tour d’une élection présidentielle où elle affrontait le «président des riches» Emmanuel Macron. Ce dernier a passé une bonne partie de son premier quinquennat à cultiver l’extrême droite: il a violemment réprimé le mouvement des «gilets jaunes» contre les inégalités sociales, salué la mémoire du dictateur fasciste Phillipe Pétain et le régime pronazi de Vichy, et attaqué Le Pen sur sa droitepour sa «mollesse» sur la question de l’islam.
Partout dans le monde, l’axe de la politique bourgeoise se déplace résolument vers la droite à mesure que la crise du système capitaliste s’accentue. Seul un mouvement politique indépendant des travailleurs peut vaincre la menace constituée par les groupes d’extrême droite qui sont cultivés, encouragés et soutenus par l’État capitaliste et la classe dirigeante.