Canada: Lors de l’enquête publique, le chef des services de renseignement de la police ontarienne tente de dissimuler la politique fasciste du Convoi de la «liberté»

Lors de son témoignage la semaine dernière devant la Commission d’enquête sur les situations d’urgence et l’ordre public, Pat Morris, chef du bureau du renseignement de la Police provinciale de l’Ontario (PPO), a fait tout son possible pour dissimuler la politique d’extrême droite du Convoi de la «liberté».

Dirigée par le juge Paul Rouleau de la Cour d’appel, l’enquête publique est une exigence juridique suite à l’invocation par le gouvernement Trudeau de la Loi sur les mesures d’urgence, jamais utilisée auparavant, pour mettre fin aux 23 jours d’occupation du centre-ville d’Ottawa par le Convoi.

Le bureau du renseignement de la police provinciale de l’Ontario s’occupe de la gestion des informateurs, de la surveillance sur Internet et des opérations secrètes dirigées principalement contre la classe ouvrière et la gauche.

Le témoignage de Morris, le 19 octobre, était en soi une intervention des services de renseignements soigneusement préparée. Elle visait à promouvoir le mensonge selon lequel le Convoi n’était pas une menace pour la démocratie, à dissimuler la façon dont des éléments importants de la classe dirigeante et des forces répressives de l’État ont encouragé le développement d’un mouvement extraparlementaire d’extrême droite, et à accroître la pression de la droite sur le gouvernement fédéral dirigé par Justin Trudeau.

Manifestation en faveur du Convoi de la liberté lors de son passage le 27 janvier à Vaughan, en Ontario, en direction d’Ottawa [AP Photo/Arthur Mola/Invision/AP] [AP Photo/Arthur Mola/Invision/AP]

Si le témoignage de Morris pouvait être résumé en quelques mots, ce serait le vieux refrain du flic sur une scène de crime: «Circulez, il n’y a rien à voir ici!»

Selon Morris, alors que «tout le monde s’interrogeait sur l’extrémisme» pendant l’occupation d’Ottawa, «nous n’en voyions pas beaucoup de preuves.» Il a accusé Trudeau et son gouvernement libéral de «politiser» le Convoi. C’est une absurdité extraordinaire. D’abord, parce que les participants au Convoi eux-mêmes ont proclamé haut et fort leur violente hostilité au gouvernement et à Trudeau personnellement. Ensuite, et surtout, parce que la seule raison pour laquelle le convoi a atteint une notoriété nationale est qu’il a été encouragé et organisé par le Parti conservateur de l’opposition officielle et une partie importante de l’élite dirigeante. Ce sont ces forces qui ont «politisé» le Convoi afin d’intimider le public pour qu’il accepte la fin de toutes les mesures de santé publique pour stopper la pandémie de COVID-19 et pour pousser la politique loin à droite.

Morris – donnant clairement libre cours à sa propre politique et à celle d’une grande partie de la police et des forces de sécurité chargées de mettre fin à l’occupation illégale d’Ottawa – a qualifié d’«hyperbole» toute critique de la politique d’extrême droite du Convoi, qui comprenait un appel explicite de ses instigateurs au renversement du gouvernement et à son remplacement par une junte autoritaire. Il a tenté de semer la confusion en rejetant des «explications» fantaisistes et a utilisé le nationalisme canadien pour qualifier de diffamation toute analyse de la politique d’extrême droite des dirigeants du Convoi, largement documentée.

«Quand je lis des récits, a déclaré le chef du renseignement de la PPO, selon lesquels l’État russe a quelque chose à voir avec cela, ou que c’est le résultat de l’influence américaine, que ce soit financièrement ou idéologiquement, ou que Donald Trump est derrière cela, ou que c’est non canadien, ou que les gens qui participent sont non canadiens, qu’ils n’ont pas d’opinions canadiennes et qu’ils sont extrémistes, c’est problématique.» Comme preuve, Morris a poursuivi en vantant le «large degré de soutien» dont le Convoi aurait bénéficié.

Tout ceci est un mensonge. Le Convoi a été organisé par un petit noyau de quelques centaines de militants d’extrême droite endurcis, comme en témoignent les biographies de ses figures de proue. Même lors de sa plus grande manifestation du week-end, le Convoi a mobilisé tout au plus 10.000 à 20.000 personnes à Ottawa. Sa force ne provenait pas du soutien populaire, mais du fait que des sections clés de l’élite dirigeante – les conservateurs, les médias de droite et certaines parties de l’appareil de sécurité de l’État – l’ont parrainé et instrumentalisé.

Des éléments de la police, des services de renseignements et de l’armée ont participé à l’organisation et au financement du Convoi, notamment «Police on Guard for Thee» et «Mounties for Freedom». Le don le plus important au Convoi provient d’un stand de tir qui se décrit comme un «fier partisan et employeur de l’armée et de la police canadiennes.»

L’aspirant dictateur Donald Trump et ses principaux alliés dans son projet de coup d’État du 6 janvier 2021, comme le sénateur du Texas Ted Cruz, ont publiquement soutenu le Convoi presque dès le début de l’occupation d’Ottawa. Des centaines de policiers ont donné de l’argent aux campagnes de financement en ligne. Des policiers ont posé pour des photos souriantes avec des membres du Convoi.

Le Parti conservateur fédéral a évincé Erin O’Toole au cours de la première semaine d’occupation du Parlement par le Convoi pour ne pas l’avoir suffisamment soutenu et l’a remplacé, à titre intérimaire, par Candice Bergen, qui avait exhorté ses collègues à soutenir l’occupation du centre-ville d’Ottawa afin d’en faire «le problème de Trudeau».

Les gouvernements provinciaux ultraconservateurs de l’Alberta et de la Saskatchewan ont également apporté leur soutien inconditionnel au Convoi, du moins jusqu’à ce que les blocages de la frontière canado-américaine commencent à avoir un impact sérieux sur l’économie canadienne. Le gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario a adopté une position hypocrite, le premier ministre Ford exprimant à plusieurs reprises sa sympathie pour la colère des manifestants d’extrême droite face aux mesures anti-COVID et manœuvrant pour forcer le gouvernement Trudeau à assumer la responsabilité politique de l’expulsion de la foule des rues d’Ottawa.

Morris n’a pas été sérieusement interrogé sur aucune de ces associations.

Le National Post, le Toronto Sun et d’autres médias de droite se sont rapidement emparés de son témoignage pour ressusciter l’affirmation des conservateurs selon laquelle les militants d’extrême droite étaient des «Canadiens patriotes», dont l’opposition aux mesures de santé publique anti-COVID fondées sur la science donnait une voix aux sentiments étouffés des «travailleurs ordinaires». «L’affirmation selon laquelle les manifestants étaient des insurgés violents... a tout simplement été falsifiée», jubilait une chronique du National Post.

Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité.

Au contraire, le témoignage de Morris a mis en lumière le soutien croissant et généralisé à la politique d’extrême droite au sein de la police et de l’appareil de sécurité nationale: un appareil auquel toutes les sections de l’establishment politique donnent et permettent d’acquérir des pouvoirs toujours plus grands.

Le projet Hendon: un nouvel outil d’espionnage étatique de la gauche

Le témoignage de Morris contenait toutefois une révélation importante concernant une opération d’espionnage de l’État policier jusqu’alors inconnue.

Morris a révélé que la Police provinciale de l’Ontario avait mis en place en 2019 un filet de renseignements appelé «Projet Hendon» pour espionner et perturber les groupes de protestation des Premières Nations et leurs sympathisants de gauche. Les manifestations des Premières Nations ont balayé le Canada en 2019, alors que des militants bloquaient des lignes ferroviaires et des routes en Colombie-Britannique et à Tyendinaga, en Ontario, pour protester contre le gazoduc Coastal Gas Link de la Colombie-Britannique, qui traverserait les terres traditionnelles du peuple Wet’suwet’en. Hendon a bénéficié de l’entière coopération du SCRS, la police secrète de l’État canadien, de la GRC, du ministère de la Défense nationale et des services de police de tout le pays.

Morris a témoigné: «En 2019, la Police provinciale de l’Ontario a été témoin d’une quantité importante de protestations, de dissensions, dont certaines nous ont donné des motifs raisonnables de soupçonner que certains de ces problèmes constitueraient une activité criminelle, ou une activité illégale qui aurait un impact sur la sécurité publique... La raison d’être d’Hendon était de traiter les questions de protestation à grande échelle qui avaient un impact sur la sécurité publique... il y avait des activités en cours, sous le couvert du slogan “Shut Down Canada”... il y avait des activités auxquelles des activistes participeraient pour avoir un impact négatif sur l’économie canadienne, et le système démocratique canadien.»

Les blocages des Premières nations et le Convoi ont tous deux été traités dans le cadre du projet Hendon, mais de façon très différente.

Dans des documents internes de la GRC, l’expulsion des manifestants des Premières nations en Colombie-Britannique est qualifiée de «stérilisation du site», ce qui fait écho à la rhétorique fasciste et raciste de nombreux membres dirigeants du Convoi. La GRC a réprimé la manifestation des Wet’suwet’en vêtue de treillis militaires, brandissant des armes et arrêtant violemment 14 personnes le 7 janvier 2020. Le blocus mohawk des lignes ferroviaires du Canadien Pacifique à Tyendinaga, en Ontario, établi en 2019 en solidarité avec la manifestation des Wet’suwet’en a été traité avec une brutalité similaire le 27 février 2020.

Malgré le fait que la raison de l’établissement de Hendon ait cessé d’exister il y a près de trois ans, Hendon a pris une vie propre. Qu’est-ce que les «opérations Hendon» ont espionné pendant ces deux années? Les médias bourgeois et l’enquête sont silencieux sur cette question.

Ce programme préexistant, et jusqu’ici inconnu, contre l’opposition sociale de gauche a ensuite été déployé avec beaucoup moins d’enthousiasme et une efficacité quasi nulle contre les éléments d’extrême droite avec lesquels des éléments significatifs de la police sont en sympathie politique.

Le 21 janvier 2022, la Police provinciale de l’Ontario a commencé à diffuser des «rapports Hendon» concernant le convoi à divers services de police provinciaux. Des téléconférences ont été organisées quotidiennement à partir du 24 janvier avec plus de 300 participants dans les services de police de tout le pays. Il y avait tellement de participants à ces appels que Morris a admis que tous les participants n’ont pas pu être identifiés.

Selon Morris, la police était «préoccupée par la perturbation du trafic sur les autoroutes canadiennes et par la perturbation des activités du gouvernement». Le pont Ambassador entre Windsor, en Ontario, et Detroit, au Michigan, a été bloqué. Un blocus à Coutts, en Alberta, a été perquisitionné et des armes d’assaut ont été saisies chez des militants de droite. Pourtant, dans le même souffle, Morris a déclaré: «En dehors des scènes, de la musique, etc., nous n’avons pu voir aucun plan spécifique...» Morris nous demande de croire que des conférences téléphoniques d’urgence de la police avec plus de 300 participants ont été organisées pour discuter des plans de l’équivalent d’un festival rock en plein air sans permis!

La Police provinciale de l’Ontario revient sur sa position concernant la menace posée par le Convoi de la liberté

La PPO a changé de discours depuis début février. Elle a alors qualifié le Convoi de «menace pour la sécurité nationale».

En mars, lors de son témoignage devant le Comité de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, la Police provinciale de l’Ontario a affirmé que l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement fédéral l’avait aidée à «être efficace». Le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, Thomas Carique, a déclaré au comité permanent que la loi donnait à la police des outils importants pour aider à démanteler la manifestation, y compris la capacité d’empêcher les gens d’entrer dans certains secteurs, de geler les comptes bancaires et plus encore, a rapporté le Toronto Star.

Le changement de cap de la Police provinciale de l’Ontario a été si marqué que, cette semaine, le même comité a pris note des évaluations de la menace que représente le Convoi de la Police provinciale de février et de mars derniers, qui sont «très différentes», et a demandé à l’unanimité que la Police provinciale fournisse une explication.

La tentative de la Police provinciale de l’Ontario de légitimer le convoi et les efforts d’une faction puissante de la classe dirigeante d’utiliser les forces fascistes comme une matraque politique pour pousser la politique et les politiques du gouvernement vers la droite sert à discréditer le gouvernement Trudeau. Cependant, elle vise avant tout la classe ouvrière.

Avec le déclenchement de la guerre entre les États-Unis et l’OTAN contre la Russie, dans laquelle l’impérialisme canadien joue un rôle de premier plan, et la recrudescence des luttes de la classe ouvrière au pays, illustrée très clairement par la confrontation qui se développe entre le gouvernement Ford et un quart de million de travailleurs de l’éducation, l’oligarchie financière se précipite vers la droite.

Pierre Poilievre, qui s’est fait connaître au niveau national comme l’un des plus fervents défenseurs du Convoi au sein du Parti conservateur, dirige désormais l’opposition officielle. Danielle Smith, une militante d’extrême droite de l’organisation «Alberta First», s’est imposée comme chef du gouvernement de droite du Parti conservateur uni de l’Alberta.

Le gouvernement libéral de Trudeau, qui s’est servi de son partenariat étroit avec les syndicats pour mettre en œuvre le programme des grandes entreprises, subit des pressions incessantes pour prouver au capital financier qu’il a la détermination politique nécessaire pour réprimer une classe ouvrière de plus en plus militante qui s’efforce de se libérer de l’emprise étouffante des syndicats.

La semaine dernière, la vice-première ministre Chrystia Freeland a annoncé que tout nouveau programme de dépenses sociales devrait être financé par des coupes dans les programmes existants, annonçant ainsi une nouvelle «ère d’austérité». L’État canadien n’a qu’un seul nouveau programme de dépenses en tête: la guerre impérialiste. Le chef d’état-major de la défense du Canada, Wayne Eyre, a exigé que l’ensemble de l’économie canadienne soit mise sur le «pied de guerre» afin de faire la guerre à la Russie en Ukraine et de se préparer à la guerre avec la Chine. Une telle politique nécessitera la répression impitoyable de la classe ouvrière, et une réduction forcée de son niveau de vie, tâches pour lesquelles les forces fascistes mobilisées dans le Convoi de la liberté sont cultivées.

Ce sont les syndicats et leurs alliés du NPD social-démocrate qui offrent une ouverture politique à des gens comme Poilievre. En s’associant systématiquement au gouvernement libéral et aux grandes entreprises pour garder la classe ouvrière sous contrôle, ils créent les conditions dans lesquelles un Parti conservateur qui se métamorphose de plus en plus en une formation d’extrême droite, comme les républicains de Trump, peut se présenter comme l’adversaire le plus déterminé de Trudeau. Cela inclut le fait de s’afficher cyniquement comme les défenseurs des «libertés civiles» contre «une surenchère autoritaire du gouvernement» représentée par la vaccination obligatoire et l’utilisation de pouvoirs d’urgence contre le Convoi.

Le NPD et le Congrès du travail du Canada ont appuyé l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement Trudeau, créant ainsi un précédent qui sera utilisé à l’avenir contre la classe ouvrière et confiant la défense du régime démocratique à la police et aux services de sécurité de l’État qui sont eux-mêmes au centre de l’attaque contre les droits démocratiques des travailleurs.

Un mois plus tard, alors que les libéraux de Trudeau supervisaient l’application du programme du Convoi avec le démantèlement de toutes les mesures de santé publique restantes contre le COVID, le NPD, avec le soutien total des syndicats, a franchi la prochaine étape logique et a accepté une alliance gouvernementale officielle avec les libéraux. Au nom de la «stabilité», le NPD s’est engagé à maintenir le gouvernement libéral minoritaire au pouvoir jusqu’en juin 2025, alors qu’il fait la guerre en Ukraine, qu’il augmente massivement les dépenses militaires et qu’il impose – pour reprendre les mots de Trudeau – la «responsabilité fiscale» et des réductions des salaires réels dans un contexte de forte inflation.

(Article paru en anglais le 26 octobre 2022)

Loading