Allemagne: échec des négociations salariales à la Deutsche Post

Les négociations contractuelles entre le syndicat Verdi et Deutsche Post/DHL ont échoué lors d’un troisième cycle de négociations. C'est ce qu'a annoncé la commission de négociation de Verdi à Düsseldorf le 10 février, après deux jours de négociations. Dans le même temps, Verdi a annoncé un vote en faveur d’une grève parmi ses membres à la Deutsche Post. Le syndicat recommande de rejeter la dernière offre de la direction de Deutsche Post et de voter pour une grève illimitée.

Verdi réagit au mécontentement des livreurs et postiers des centres de tri et à la volonté de lutte des travailleurs. La négociatrice en chef de Verdi, Andrea Kocsis, a tout essayé pour arranger les choses avec la direction de la Deutsche Post et éviter une grève, et continuera à le faire. Ce ne serait pas la première fois à la suite d'un vote de grève haut la main de ses membres qu'un syndicat allemand renonce à faire grève et accepte un accord au rabais.

Des postiers en grève à Francfort

Plus récemment, Kocsis n'a parlé publiquement que d'une «offre acceptable» qui devait être faite, sans mentionner la revendication spécifique de 15 pour cent. Une revendication imposée par la base syndicale de Deutsche Post contre la volonté de la direction de Verdi lorsqu'elle a rejeté la proposition initiale du syndicat de 10,5 pour cent, dans un scrutin à la majorité des deux tiers, 90 pour cent déclarant leur volonté de faire grève.

Près de 100 000 postiers ont participé à des grèves d'avertissement dans toute l'Allemagne ces dernières semaines. La veille des dernières négociations, des milliers de postiers ont pris part à des grèves et des rassemblements à Hambourg, Dortmund, Sarrebruck, Nuremberg, Stuttgart et Francfort-sur-le-Main. Lundi dernier, de grands rassemblements de grève ont eu lieu dans 10 villes, dont Berlin, Munich et Rostock, dans des conditions où, à l'échelle nationale, les enseignants, les soignants, les travailleurs des crèches, de l'assainissement et l'ensemble du secteur public sont actuellement en négociation collective.

Les postiers se battent contre des salaires misérables et des conditions proches de l'esclavage. Près de 90 pour cent des 160 000 employés sont organisés en groupes de rémunération 1 à 3, ce qui signifie qu'ils doivent travailler dans une fourchette de bas salaires allant de 2 100 € à 3 090 € bruts mensuels. Leur dernière augmentation remonte à plus d'un an, en janvier 2022, et ne s'élevait qu'à 2 pour cent. Depuis lors, à cause de la guerre en Ukraine, des sanctions contre la Russie et d'une inflation sans précédent, les prix de l'électricité et du gaz, de la nourriture et de l'essence ont atteint des sommets vertigineux.

Un livreur de colis de la ville chère de Wiesbaden a déclaré au WSWS que son loyer seul, avec les charges, était passé de 1 100 € à 1 500 € depuis l'année dernière, et qu'il devait désormais ajouter 50 € par semaine pour l'essence. Il envisageait de prendre un deuxième emploi le dimanche mais ne savait pas s'il le pourrait puisque son travail pour la Deutsche Post signifiait livrer environ 200 colis par jour, dont au moins 10 pour cent pesant plus de 30 kilos. Au rassemblement syndical, il portait une affiche écrite à la main: « Mucho trabajo – poco dinero/Beaucoup de travail – peu d'argent ». Une autre pancarte disait : « Nous trimons par tous les temps, mais seuls vos comptes bancaires [d'actionnaires] grossissent de plus en plus.

Le conseil d'administration de Deutsche Post a rejeté avec arrogance la demande de 15 pour cent, qui ne compenserait même pas l'inflation réelle, comme « déconnectée de la réalité », et a insisté sur un accord d’une durée de 24 mois, pendant laquelle tout mouvement de grève serait interdit. Sa dernière offre comprend une augmentation de 340 € des salaires, mais seulement à partir de 2024 et en deux étapes. Pour l'année 2023 en cours, Deutsche Post ne souhaite verser que la prime d'inflation non-imposable (subventionnée par le gouvernement) de 3 000 €, également en deux étapes. Celle-ci aurait déjà dû être versée aux salariés l'année dernière!

Dans le même temps, Deutsche Post/DHL a généré un bénéfice d'exploitation de 8,4 milliards d'euros en 2022. Ce fut grâce au travail éreintant des facteurs et des livreurs. Quant aux membres du conseil d'administration et aux négociateurs de la direction, ils n'hésitent pas à se servir: le PDG de Deutsche Post, Frank Appel, a empoché dans l'année de crise 2020 plus de 10 millions d'euros comme PDG le mieux payé d'une société cotée au DAX. Le directeur des ressources humaines Thomas Ogilvie, négociateur en chef de la direction, empoche également environ 2 millions d'euros pour les services qu'il fournit à Deutsche Post.

Les revenus perçus par Andrea Kocsis, la négociatrice en chef de Verdi, signifient qu'elle aussi vit sur une planète complètement différente de celle des postiers dont elle est censée représenter les intérêts. Rien que pour son siège au conseil de surveillance de Deutsche Post/DHL, elle a perçu plus d'un quart de million d'euros (264 000 €) en 2021, en plus de ses revenus habituels de vice-présidente de Verdi.

Lorsque Verdi déclare maintenant que les négociations sont un échec, c'est dans un effort désespéré pour ne pas perdre le contrôle d'un mouvement social grandissant. Il est de plus en plus évident que la lutte des postiers fait partie d’un mouvement à l'échelle européenne. En France , des millions de travailleurs sont à nouveau descendus dans la rue la semaine dernière contre la tentative du gouvernement Macron d’attaquer les retraites. En Grande-Bretagne aussi, le mouvement de grève grandit de jour en jour; les soignants du NHS [article en anglais] sont engagés dans le plus grand conflit social de leur histoire. Un mouvement de grève de masse se développe également en Belgique, en Finlande et ailleurs.

Ulrich Rippert lors d’une manifestation de 5 000 grévistes du secteur public à Berlin, jeudi 9 février : « Votre grève fait partie d’un mouvement de grève grandissant en Europe » [version française, cliquer sur paramètres]

S'il y a maintenant une grève illimitée des postiers en Allemagne, elle coïncidera avec des conflits dans le secteur public, dans les écoles et les crèches, ainsi que dans les industries de l'automobile et des équipementiers. Partout, les travailleurs se battent pour de meilleures conditions ou tentent de se défendre contre les licenciements et les fermetures d'usines. Rien qu'en Allemagne, pas moins de 11 millions de salariés sont engagés dans des négociations collectives et des conflits sociaux. Dans toute l'Europe, ce sont des dizaines de millions.

De plus en plus, les travailleurs luttent non seulement contre l’attaque des emplois et des prestations sociales et contre les mauvaises conditions, mais aussi contre la politique de réarmement et de guerre de leurs gouvernements. Que ce soit à Francfort ou lors des grèves d'avertissement à Berlin, partout où le WSWS en parlait aux travailleurs, ils réagissaient avec dégoût, rejetant la politique de guerre de la coalition «tricolore» des sociaux-démocrates (SPD), des libéraux (FDP) et des verts.

« Ils sont capables de financer des chars d’assaut et des armes de guerre, mais il n'y a pas d'argent pour nous », a déclaré une postière d'Aschaffenburg. Elle a mentionné sa grand-mère, qui se souvenait encore très bien de la Seconde Guerre mondiale : « On n'a vraiment plus besoin de ça. »

D'autres travailleurs portaient des affiches pour les victimes du tremblement de terre en Turquie. A Francfort, les postiers avaient écrit sur leur banderole: « Nous nous battons pour 15 pour cent, mais nos pensées vont à la Turquie et à la Syrie ». Alors qu'ils collectaient des dons parmi les grévistes pour les victimes de cette épouvantable catastrophe, le gouvernement Scholz et l'Union européenne renforçaient sans vergogne les frontières autour de la « Forteresse Europe » et intensifiaient leur politique d'expulsion des réfugiés.

Face à la profonde fracture entre «ceux d’en-haut» qui marchent vers une troisième guerre mondiale et s'enrichissent de manière insensée – comme le conseil d'administration et les actionnaires de la Deutsche Post – et les millions de travailleurs contraints de vivre avec des salaires de plus en plus bas et confrontés à une pression de travail croissante et à la perspective de la guerre, la résistance grandit dans toute l'Europe. Mais la lutte ne peut plus être laissée entre les mains des syndicats comme Verdi, qui collaborent avec le patronat et dont la direction appartient aux mêmes partis que les fauteurs de guerre au parlement. Si Verdi ne peut éviter une grève illimitée à Deutsche Post, il fera tout ce qu’il peut pour qu’elle tourne au ralenti et pour la conduire dans une impasse, afin que les conditions actuelles ne changent pas foncièrement et que les profits soient garantis.

Pour changer cette situation, des comités d'action de la base indépendants sont nécessaires sur tous les lieux de travail pour que les travailleurs prennent le contrôle de leur lutte. De tels comités établiraient une coopération internationale entre les travailleurs au-delà des frontières nationales et feraient avancer un programme socialiste. Ce qu'il faut avant tout, c'est une nouvelle direction: un parti des travailleurs qui mette par principe la vie avant les profits. Ce parti, c’est le SGP (Sozialistische Gleichheitspartei – Parti de l'égalité socialiste).

(Article paru en anglais le 13 février 2023)

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