Grande-Bretagne: le Parti travailliste interdit à Corbyn de se représenter comme député

On a interdit à l'ancien chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, de se présenter à nouveau pour être député travailliste.

Mercredi dernier, le Comité exécutif national (NEC) du Parti travailliste a refusé par 22 voix contre 12 de l’approuver comme candidat travailliste aux élections législatives. La motion mise au vote affirmait que les chances électorales du parti seraient « considérablement diminuées » s’il se présentait.

Jeremy Corbyn prend la parole lors d’un rassemblement à Londres le 5 novembre 2022

L’actuel chef du parti, Sir Keir Starmer, a précisé ensuite que le NEC avait effectivement approuvé la calomnie qui traite Corbyn d’antisémite. « Les premiers mots que j'ai prononcés en tant que leader travailliste sont que j'éliminerais l'antisémitisme dans mon parti et j'ai été absolument impitoyable à cet égard [...] J'ai dit que je l'éliminerais et je respecte cet engagement » a-t-il déclaré à Sky News.

Wes Streeting, le secrétaire fantôme travailliste à la Santé et l'adjoint de fait de Starmer, a été on ne peut plus clair sur Times Radio: « S'il avait accepté le verdict accablant de la Commission pour l'égalité et les droits de l'homme sur l'antisémitisme au Parti travailliste, qui place le Parti travailliste à côté du Parti national britannique [fasciste], et en fait le deuxième parti politique de l'histoire à avoir enfreint la loi en matière de lutte contre le racisme dans ses rangs […] les choses auraient pu être différentes ».

C'est là un tissu de mensonges. De fausses allégations d'une crise d'antisémitisme au sein du Parti travailliste dirigé par Corbyn (2015-2019) ont été la pointe d’une campagne de la droite blairiste, des conservateurs, des sionistes et des médias pour éliminer toute trace de sentiments de gauche au Parti travailliste.

Starmer a été plus honnête lorsqu'il a déclaré à Sky News: « Qu'il s'agisse d'éradiquer l'antisémitisme, d'être absolument clair que nous sommes pro-business, pro-OTAN, [ou] de jouer franc-jeu avec les électeurs et d’être apte à servir le pays, je ne m'excuse pas pour ça. »

Comme Janice Turner du Times l'a écrit en se réjouissant mercredi dernier à propos du « piège » que Starmer avait tendu à Corbyn, l'obligeant à choisir entre rester député ou devenir simple membre du Parti travailliste, « un filet plus large pourrait piéger les partisans de Corbyn » si ces derniers devaient le soutenir en tant que candidat indépendant contre le Parti travailliste.

La paternité du «piège» revient entièrement à Corbyn ; il a été préparé par son refus de combattre la droite lorsqu'il était au pouvoir. Cette lâcheté politique continue aujourd'hui, à la fois par son le refus, même maintenant, de lancer un véritable défi au Parti travailliste et par le refus de ses alliés théoriques de le soutenir s'il le faisait.

Corbyn a répondu à la décision du NEC par une déclaration condamnant une « attaque honteuse contre la démocratie du parti, les membres du parti et la justice naturelle », qui montrait « du mépris pour les millions de gens ayant voté pour notre parti en 2017 et 2019 et décourage[rait] ceux qui croient encore à l'importance d'un gouvernement travailliste transformateur ».

Starmer avait rompu « sa promesse de construire un parti uni et démocratique qui fait progresser la justice sociale, économique et climatique ».

La seule réponse de Corbyn a été de déclarer qu'il « ne serait pas intimidé et ne se tairait pas. J'ai passé ma vie à me battre pour une société plus juste en tant que député des habitants d'Islington North, et je n'ai pas l'intention de m'arrêter maintenant ».

Cela a été largement reconnu comme une déclaration d'intention de se présenter comme candidat indépendant à Islington North, ce qui signifierait son expulsion du Parti travailliste. Mais Corbyn n'a donné aucune indication supplémentaire de ses intentions. Sa loyauté envers le Parti travailliste est telle qu'il ne peut se résoudre à le défier que dans la circonscription d'Islington North – tout en insistant toujours sur «l'importance d'un gouvernement travailliste transformateur » pour le reste du pays.

Ce que Corbyn cherche à dissimuler, c'est que la décision anti-démocratique de Starmer de bloquer sa candidature, associée à ses insultes d’antisémitisme, exprime l'hostilité totale du Parti travailliste à toute tendance politique de gauche, si inoffensive soit-elle. Cela confirme, tout comme les cinq années de Corbyn à la tête du parti, qu’il est impossible de réformer un parti de vas-t-en guerre, de la grande entreprise, des super-riches et de l'austérité en instrument « transformateur » pour la classe ouvrière.

Corbyn présente toujours son expulsion en tant que député travailliste, fait inévitable depuis l'entrée en fonction de Starmer, comme un vilain choc, tout comme le font ses principaux alliés. L'ex-ministre de l’Intérieur fantôme de Corbyn, Diane Abbott, s'est plainte de ce que « le jour où Starmer a remporté la direction du Parti travailliste, il a décrit Jeremy Corbyn comme un ami et un collègue. Maintenant, il veut le chasser du parti. »

Momentum, une organisation interne du Parti travailliste, créée à l'origine pour soutenir la direction travailliste de Corbyn, écrit: « Il y a trois ans jour pour jour, Keir Starmer a remercié Jeremy Corbyn pour son service au Parti travailliste et l'a appelé un ami. »

Zarah Sultana, Richard Burgon, Nadia Whittome, Apsana Begum, Jon Trickett, Beth Winter, Andy McDonald, Ian Lavery, Ian Byrne et Kate Osborne du Socialist Campaign Group (SCG) se sont également prononcés contre la décision du NEC travailliste, leur plus grande apparition collective depuis plus d'un an.

En revanche, le SCG est resté uniformément silencieux (article en anglais) sur la guerre OTAN-Russie en Ukraine et sur la persécution par Starmer de Corbyn et de la Coalition Stop the War pour s'y être opposés – à l'exception de la demi-douzaine de membres qui soutiennent activement (article en anglais) l’effort de guerre de l'OTAN.

Les corbynistes vitupèrent contre la suspension de Corbyn parce qu'elle porte atteinte au mythe sur lequel repose leur carrière politique : celui qu'il y aurait un espace au Parti travailliste pour faire avancer un programme de gauche. Mais pour la même raison, leur opposition à l'exclusion de Corbyn est formulée en termes d'appels à Starmer et au NEC, et d’appels à défendre les meilleurs intérêts du Parti travailliste.

Abbott écrit dans le Morning Star: « Le Parti travailliste s'est tiré une balle dans le pied au sujet de Corbyn » arguant, « il existe une alternative. Cela doit commencer par notre tâche principale, qui est d'unir notre parti en vue des prochaines élections générales et de combattre les conservateurs. »

Le ministre des Finances fantôme de Corbyn, John McDonnell, a résumé leur attitude en expliquant à TalkTV dans un langage mystique sa «grande croyance dans les pouvoirs de conversion», c'est-à-dire de Starmer et Cie , ajoutant «je pense que nous pouvons revenir sur cette décision».

L'intervention la plus lâche est venue de Jon Lansman, le fondateur et ex-président de Momentum, qui a élaboré un plan pour que Corbyn prenne sa retraite et joue le grand cacique travailliste, à l’instar du mentor politique de Corbyn, feu Tony Benn.

Il écrit :« j'espère vraiment qu'il suivra la ligne de conduite de Tony Benn plutôt que de se présenter comme indépendant contre le Parti travailliste alors que nous voulons tous un gouvernement travailliste ». Il ajoute, « j'imagine que c'est ce que tout député du groupe de campagne socialiste aimerait qu'il fasse car, en dehors de toute autre considération, ils souhaitent rester députés travaillistes. »

Lansman est particulièrement inquiet quant à la réaction générale si Corbyn devait se présenter aux élections, car il sait qu'aucun membre du SCG ne le soutiendrait. Il a dit lui-même à Sky News qu'il ne ferait « certainement pas » campagne pour Corbyn puisque « je veux voir Keir Starmer élu [en tant que premier ministre]. Ce que les corbynistes veulent avant tout, c'est éviter un conflit avec Starmer tout en préservant leur lieu de parlotte « de gauche » au parti travailliste.

Le Telegraph écrit: « Des sources travaillistes ont averti les députés de gauche que le soutenir [Corbyn] dans de telles circonstances [s'il se présentait comme indépendant] ‘franchirait une ligne’ et pourrait signifier qu'ils s'exposent à des mesures disciplinaires. »

« Des initiés ont également déclaré que Momentum, le groupe de campagne pro-Corbyn, serait proscrit s'il le soutenait à la place du candidat du parti. »

Streeting a menacé ouvertement: « Si ses alliés et amis sont déçus, ils devront partager leur déception avec Jeremy Corbyn. »

En réponse à cela le Guardian rapporte: « Un grand nombre de gens de gauche pensent qu'il est inutile de 's'incriminer' dans les médias audiovisuels s'ils comptent rester dans le Parti travailliste. ‘‘Nous n'avons pas peur, mais qui veut suivre Corbyn et prendre la porte ?’ Nous avons des électeurs à représenter ici au parlement’’, a déclaré un député de gauche. »

Les corbynistes continueront, en bref, à percevoir leurs 84 000 livres de salaire annuel et leurs généreuses retraites tout en faisant des commentaires de plus en plus creux au Parlement afin de fournir une couverture politique au parti de droite de Starmer et de s'opposer à ce que la classe ouvrière rompe politiquement avec le parti.

Jeremy Corbyn (à gauche) et Sir Keir Starmer à un événement lors des élections générales de 2019 lorsque Corbyn était chef du parti. [AP Photo/Matt Dunham, File]

La déroute de la gauche corbyniste est claire pour tout le monde. La question est maintenant de savoir quelles conclusions doivent en tirer les travailleurs et les jeunes.

Les partis de la pseudo-gauche Socialist Workers Party (SWP) et Socialist Party (SP) continuent de semer des illusions à propos d’un Corbyn chef de fait de la classe ouvrière et alternative politique au Parti travailliste. C'est le plus évident dans le cas du SP qui appelle «les syndicats à constituer leur propre liste de travailleurs pour les élections générales, comprenant Jeremy Corbyn et d'autres députés travaillistes de gauche exclus ». Le SP le fait tout en reconnaissant que trois syndicats représentés au NEC travailliste ont voté pour écarter Corbyn – le GMB, Usdaw et le Musician's Union – plus un, Unison, qui s'est abstenu.

De manière absurde, le SP affirme que ce « bloc de députés […] pourrait assez rapidement devenir un pôle d'opposition à un nouveau gouvernement dirigé par Starmer ». Ils ne fait référence qu'à trois personnes: Corbyn lui-même, Claudia Webbe, expulsée après avoir été reconnue coupable d'avoir harcelé l'amant de son mari; et Chris Williamson, qui a été expulsé sur de fausses accusations d'antisémitisme avec la collusion active de Corbyn.

L’organe du SWP, Socialist Worker, admet: « Si Corbyn s'oppose aux travaillistes lors des prochaines élections, il est peu probable que les députés travaillistes de gauche le soutiennent publiquement. » Par contre il promet de son côté que « Socialist Worker lui, le fera ».

Les travailleurs ne peuvent commencer à construire un mouvement socialiste qu'en rejetant tout ce que Corbyn et ses alliés – sans cesse disposés à capituler devant la droite et à voir des millions de travailleurs payer le prix de leurs trahisons – représentent politiquement.

En novembre 2020, le Parti de l'égalité socialiste (SEP) a tenu une réunion publique en ligne sous le titre « La chasse aux sorcières contre l'antisémitisme et l'échec du corbynisme » (article en anglais).

Dans la discussionà cette réunion, le secrétaire national du SEP, Chris Marsden, a identifié Corbyn comme le «représentant moderne déguenillé d'une école de pensée, d'une tendance politique, le fabianisme, basée sur l'art du possible, la collaboration de classe, un culte de la procédure parlementaire, une variante libérale d'une approche religieuse de la politique «de tendre l’autre joue » … des soporifiques pour émousser la lutte des classes, pour réprimer toute initiative de la classe ouvrière, pour encourager sa subordination à la bureaucratie travailliste et syndicale, pour la lier à tout prix à une perspective parlementaire ».

Marsden a conclu que les leçons du corbynisme « devraient être ancrées dans la classe ouvrière. Les travailleurs ont traversé suffisamment d'expériences amères pour savoir que la classe dirigeante ne leur donnera rien, ne cédera pas un pouce en dehors d'une lutte politique. Et que si vous vous battez pour le socialisme, qui est le renversement de l'ordre capitaliste, alors ce genre de choses, cette passivité, cette complaisance, ce défaitisme et cette lâcheté doivent être bannis du mouvement ouvrier. Cela devrait être un anathème pour quiconque se considère comme un véritable socialiste. »

Les travailleurs et les jeunes qui sont d'accord avec cela devraient contacter le Parti de l'égalité socialiste aujourd'hui.

(Article paru en anglais le 3 avril 2023)

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