7200 dockers de Colombie-Britannique votent la grève, tandis que les travailleurs américains perturbent les ports de la côte ouest

Quelque 7200 dockers des ports de Vancouver, Prince-Rupert et d’autres localités de la Colombie-Britannique, au Canada, ont voté le week-end dernier pour autoriser une grève contre l’Association des employeurs maritimes (AEM) à partir du 24 juin. Membres de l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU), les travailleurs ont voté à 99,25 % en faveur de la grève.

Le port de Vancouver est de loin le port le plus actif du Canada. [Photo: Port of Vancouver/Twitter]

Les membres de l’ILWU qui travaillent dans les ports de la côte ouest des États-Unis n’ont pas non plus de contrat. Cette situation place les travailleurs des deux côtés de la frontière dans une position extrêmement puissante pour défendre leurs revendications. Une lutte commune des débardeurs canadiens et américains de la côte ouest paralyserait rapidement l’activité économique des deux puissances impérialistes d’Amérique du Nord et perturberait les réseaux de transport utilisés pour financer la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie.

Les deux plus grands ports américains – Los Angeles et Long Beach – sont situés en Californie. Le port de Vancouver est le plus grand du Canada.

Chaque année, des marchandises d’une valeur de plus de 300 milliards de dollars canadiens transitent par les ports de la côte ouest du Canada. Selon les analystes du secteur, une grève des débardeurs de la Colombie-Britannique aurait des conséquences majeures sur les chaînes d’approvisionnement du Canada et des États-Unis. Environ 15 % des conteneurs américains entrants et sortants transitent par le port de Vancouver.

Ces faits expliquent pourquoi les responsables corporatistes de l’ILWU des deux côtés de la frontière, ainsi que leurs alliés de l’administration Biden et du gouvernement fédéral libéral dirigé par Justin Trudeau, manœuvrent pour empêcher toute fermeture des ports.

Bien que l’ILWU soit l’agent négociateur légal des débardeurs au Canada et aux États-Unis, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir les deux luttes contractuelles hermétiquement closes sur les lignes nationales. De même, les bureaucrates de l’ILWU ne disent rien sur la menace d’une intervention de l’État pour criminaliser la grève des travailleurs.

Si les 7200 dockers de Colombie-Britannique veulent l’emporter, ils doivent briser la tentative de la bureaucratie syndicale d’isoler leur lutte et se battre pour en faire le fer de lance d’une contre-offensive de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste. Cela doit inclure un appel spécial à une action commune avec leurs 22.000 collègues américains du port de Los Angeles et d’autres ports de la côte ouest américaine qui sont forcés de travailler sans contrat depuis juillet dernier.

Les principaux enjeux pour les travailleurs dans les négociations contractuelles avec la MEA, basée en Colombie-Britannique, sont l’augmentation des salaires dans le contexte de la pire crise du coût de la vie depuis des décennies et la sécurité de l’emploi alors que les opérateurs portuaires s’efforcent de mettre en œuvre une plus grande automatisation. Lorsque la convention collective précédente a expiré en mars, l’ILWU Canada a rapidement demandé la médiation du gouvernement fédéral. Les négociations ont été rompues le mois dernier, bien qu’aucune des deux parties n’ait fourni de détails supplémentaires.

Le vote de grève au Canada coïncide avec les grèves du zèle des débardeurs dans les ports de la côte ouest des États-Unis. Les travailleurs sont indignés par l’augmentation salariale de 1,56 dollar US de l’heure proposée par la Pacific Maritime Association (PMA), bien inférieure au taux d’inflation, qui a atteint 6,5 % l’année dernière, et par le fait que le syndicat n’a pas appelé à un vote de grève, bien que le contrat ait expiré il y a 11 mois.

Samedi, les dockers du port de Seattle se sont joints à la protestation de la base, ce qui a provoqué la colère de la PMA. Bien qu’elle n’ait pas organisé les ralentissements de travail, l’ILWU les a sanctionnés à contrecœur, après coup, mais uniquement dans le but de mieux contrôler la base.

D’ores et déjà, les grandes entreprises lancent des appels furieux au gouvernement pour qu’il intervienne. La Chambre de commerce des États-Unis a exhorté le président Joe Biden à nommer un médiateur chargé d’élaborer un accord de capitulation entre la PMA et l’ILWU. La Chambre de commerce et d’autres groupes d’employeurs ont indiqué que si aucune solution rapide n’était trouvée, ils s’attendaient à ce que le gouvernement impose un accord. Washington a réagi en annonçant que la secrétaire d’État au travail par intérim, Julie Su, s’employait à négocier un accord.

Un arrêt de la lutte des débardeurs américains par l’administration Biden, avec l’aide cruciale de la bureaucratie de l’ILWU, serait conforme à ce qui est essentiellement une interdiction de grève dans des secteurs clés appliquée aux États-Unis depuis le début de la guerre avec la Russie. L’année dernière, le Congrès américain a voté selon des lignes bipartisanes pour imposer un accord de capitulation soutenu par les syndicats à plus de 100.000 travailleurs des chemins de fer, qui avaient voté à une large majorité pour faire grève afin d’obtenir des salaires plus élevés, des conditions de travail plus sûres et des indemnités de maladie, mais qui en avaient été empêchés par les bureaucraties des syndicats des chemins de fer.

Le gouvernement Trudeau, qui, à l’instar de Biden et de ses collègues démocrates, s’appuie sur un partenariat étroit avec les syndicats, n’a pas été moins impitoyable dans la suppression des droits des travailleurs. Il a criminalisé une grève des travailleurs du port de Montréal en 2021 et a menacé à plusieurs reprises, de manière voilée, les travailleurs des chemins de fer d’une législation d’urgence de retour au travail. Au printemps dernier, il a collaboré avec l’Alliance de la fonction publique du Canada pour étouffer la grève de 120.000 travailleurs du gouvernement fédéral et imposer des accords de capitulation contenant d’importantes réductions de salaire en termes réels.

Après avoir travaillé sans relâche pendant les trois premières années de la pandémie et avoir été cyniquement qualifiés de «héros» par les patrons des ports, les dockers se font dire aujourd’hui, bien que les employeurs engrangent d’énormes bénéfices, qu’il n’y a pas d’argent pour leur accorder des augmentations de salaire qui suivent l’inflation.

La dégradation des conditions de travail des débardeurs est pratiquement identique, quel que soit le pays ou la région. Des salaires qui ne suivent pas la flambée du coût de la vie, des quarts de travail brutalement longs, la précarisation du travail et la menace de licenciements dus à l’automatisation sont l’expérience quotidienne des dockers en Amérique du Nord et dans le monde entier.

Les ports nord-américains, et ceux de la côte ouest en particulier, ont été le théâtre de luttes ouvrières au cours des dernières années. À chaque fois, des syndicats comme l’ILWU ont tenu les travailleurs dans l’ignorance des négociations contractuelles ou des luttes menées par d’autres groupes de débardeurs. Ils ont fait fi des votes d’autorisation de grève quasi unanimes. Et lorsque des actions tardives se sont avérées insuffisantes pour contenir la colère des travailleurs, l’ILWU a rapidement mis fin aux grèves en coordination avec les employeurs et l’État.

Le dernier contrat des débardeurs de Colombie-Britannique a été une capitulation orchestrée en 2019 par le président de l’ILWU Canada, Robert Ashton. Malgré un mandat de grève de 98 %, Ashton a déclaré: «Notre objectif est de maintenir les ports ouverts en perturbant le moins possible le commerce». En conséquence, l’ILWU a empêché ses membres de faire grève, leur demandant simplement de respecter l’interdiction de faire des heures supplémentaires.

Cette grève a été suivie d’une grève majeure au port de Montréal en 2021, lancée par 1 150 débardeurs représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). Malgré le fort soutien du public aux travailleurs et les mandats de grève répétés de la base, la direction du SCFP a mené en bateau les travailleurs pendant plus d’un an en organisant une série de protestations éphémères conçues pour saper leur volonté de se battre. Ils ont ensuite laissé le gouvernement Trudeau légiférer sur le retour au travail des débardeurs et imposer un accord truffé de reculs.

Depuis lors, d’autres grèves et des persécutions de la part du patronat ont eu lieu dans les ports de la côte ouest du Canada:

- La suspension en 2021 de 94 débardeurs du port de Prince Rupert pour avoir honoré un piquet de grève mis en place par des manifestants anti-israéliens.

- En septembre dernier, 200 débardeurs et magasiniers de l’ILWU ont fait grève dans les terminaux Deltaport et Westshore de Vancouver, spécialisés dans le transport de charbon.

- L’été dernier, 165 capitaines et ingénieurs de remorqueurs de Seaspan à Vancouver ont fait une grève de plusieurs semaines pour obtenir une augmentation de salaire, ce qui a déclenché une grève de solidarité de 1000 autres débardeurs représentés par l’ILWU.

- Le débrayage, au printemps dernier, des inspecteurs et techniciens portuaires fédéraux employés dans le cadre du programme de surveillance des grains du port de Vancouver, dans le cadre de la grève des 100.000 travailleurs du gouvernement fédéral dont l’AFPC est l’agent négociateur.

Le haut niveau de militantisme des dockers au Canada et aux États-Unis souligne que les 7200 membres canadiens de l’ILWU peuvent compter sur un soutien puissant de la part des travailleurs des deux côtés de la frontière. Un appel à élargir la lutte à d’autres catégories de travailleurs rencontrerait également un fort appui. Dans trois mois, les contrats de plus de 150.000 travailleurs canadiens et américains du secteur automobile de Detroit arriveront à échéance. Au Québec, plus de 600.000 travailleurs du secteur public sont en conflit avec le gouvernement provincial de droite de la CAQ, qui, comme d’autres gouvernements au Canada, cherche à imposer d’énormes réductions de salaires réels et à sabrer les services publics.

Mais le militantisme seul ne suffit pas. Les travailleurs sont confrontés à une lutte politique contre le gouvernement et l’État capitaliste dans son ensemble: le principal exécutant du programme de guerre de classe des grandes entreprises, qui consiste à intensifier l’exploitation des travailleurs, la privatisation et l’agression impérialiste.

Pour monter une offensive industrielle et politique unie de la classe ouvrière contre les patrons des ports et les gouvernements qui les soutiennent, les débardeurs doivent prendre leur lutte en main. Cela nécessite la création de comités de la base, indépendants de la bureaucratie de l’ILWU et en opposition à elle; le rejet de l’alliance des syndicats avec Biden et les démocrates aux États-Unis et avec le gouvernement libéral soutenu par le NPD au Canada; et une mobilisation commune des travailleurs de l’industrie portuaire aux États-Unis et au Canada.

(Article paru en anglais le 14 juin 2023)

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