États-Unis : des dizaines de milliers d’acteurs de cinéma et de télévision en grève rejoignent le mouvement des 11.000 scénaristes

Le syndicat des acteurs de l’écran et de la radio SAG-AFTRA (Screen Actors Guild – American Federation of Television and Radio Artists) a voté à l’unanimité jeudi après-midi un appel à la grève à partir de vendredi minuit pour des dizaines de milliers d’acteurs de l’industrie du cinéma et de la télévision membres de ce syndicat.

Les acteurs de cinéma et de télévision rejoindront les 11.000 scénaristes, membres de la Writers Guild of America (WGA), en grève depuis le 2 mai. Votant avec leurs pieds, de nombreux acteurs ont rejoint les piquets de grève des scénaristes ces dernières semaines.

Piquets de grève devant Netflix, le 13 juillet

Il s'agit de la plus grande grève de l'histoire de la production cinématographique et télévisuelle américaine. La dernière fois que les scénaristes et les acteurs, alors membres de la Screen Actors Guild (la fusion avec l'AFTRA eut lieu en 2012), ont fait grève, en 1960, le SAG ne comptait que 13.000 membres.

La détermination des scénaristes et des acteurs à affronter certaines des entreprises les plus grandes et les plus prédatrices du monde – Disney, Amazon, Netflix, Fox, Apple, Warner Bros – reflète les sentiments et les préoccupations de dizaines de millions de gens aux États-Unis et ailleurs. La grève s’inscrit dans le cadre d’un mouvement de plus en plus large de la classe ouvrière.

C’est là un développement politique, social et culturel majeur. Pour l’élite dirigeante et l’oligarchie financière, cette «double grève» est un coup dur. Elle révèle brutalement qu’est en train de s’effondrer leur capacité à contenir depuis des décennies le mécontentement des masses par l’intermédiaire des bureaucraties syndicales en particulier, face à la destruction des emplois et des avantages sociaux, à la flambée des prix, à l’attaque incessante des droits démocratiques et à la guerre sans fin,

L’association des producteurs AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers) a publié une déclaration mensongère et hypocrite affirmant que le syndicat avait «décidé de quitter les négociations. C’est le choix du syndicat, pas le nôtre... Plutôt que de continuer à négocier, SAG-AFTRA nous a mis sur une voie qui aggravera les difficultés financières de milliers de personnes qui dépendent de cette industrie pour leur subsistance». C’est la voix de l’aristocratie financière, de l’élite des entreprises qui détruit des milliers d’emplois et des communautés entières pour augmenter ses bénéfices sans le moindre état d’âme.

Interviewé jeudi matin, le PDG de Disney, Bob Iger, s’est plaint amèrement que les acteurs et les scénaristes avaient «un niveau d’attente […] qui n’est tout simplement pas réaliste». Iger est à la tête d’une entreprise dont le chiffre d’affaires s’élevait à 82 milliards de dollars en 2022, ce qui ne l’a pas empêché de licencier des milliers de salariés. Iger a personnellement encaissé 209.780.532 dollars sur la période 2018-2022. Il a dénoncé avec arrogance les acteurs et les scénaristes jeudi pour avoir «ajouté à l’ensemble des défis auxquels cette entreprise fait déjà face» et pour avoir été, «franchement, très perturbateurs».

Le statu quo est généralement «perturbé» lorsque les travailleurs commencent à exiger ce qui leur revient de droit d’oligarques qui ont l’habitude de faire les choses à leur manière. Mais les temps changent. La classe ouvrière est en mouvement et la réprobation d’Iger n’arrêtera pas cette évolution.

La direction du SAG-AFTRA a été obligée d’appeler à la grève, après avoir ajourné près de deux semaines suite à l’expiration du contrat le 30 juin, de manière tout à fait autoritaire et anti-démocratique. Les membres du syndicat avaient voté la grève à 98 pour cent début juin. Les acteurs souffrent aux mains des entreprises qui ont utilisé l’introduction du streaming et d’autres moyens pour faire baisser leurs revenus; ils sont encore plus menacés par l’intelligence artificielle et d’autres technologies. De plus, les acteurs, également touchés par l’inflation, ont été irrités par le traitement infligé par les sociétés aux scénaristes, en grève depuis plus de deux mois, qui risquaient de se retrouver seuls face aux sociétés de production.

Les Teamsters, l’IATSE et les autres syndicats du spectacle ont cherché à isoler et à saboter la grève des scénaristes. Ils ont fait en sorte que le syndicat des metteurs en scène DGA (Directors Guild of America) signe d’abord un accord pourri, ce qu’il a fait. Cela aurait dû ensuite être approuvé par les responsables du SAG-AFTRA, qui montraient tous les signes de vouloir suivre la même voie. Cette situation n’a été «perturbée» que par une semi-révolte des membres.

Une lettre ouverte, signée par plus de 2.000 acteurs et adressée à la direction du SAG-AFTRA fin juin avertissait essentiellement le syndicat de ne pas trahir ses membres. La lettre reconnaissait qu’une grève entraînerait des difficultés, «mais nous sommes prêts à faire grève s’il faut en arriver là». Les signataires insistaient pour dire que ce n’était pas le moment de «faire un compromis». Face à «l’inflation et à la croissance continue de l’offre, nous avons besoin d’un réalignement radical», affirme la lettre, rien moins que d’un «accord transformateur». Elle s’adressait aux problèmes des «acteurs de la classe ouvrière».

Cette action de principe a mis à mal les plans des différents syndicats. Cette « force perturbatrice » n'est rien d'autre que la classe ouvrière agissant dans son propre intérêt et déjouant les plans les mieux conçus des bureaucrates syndicaux et des PDG milliardaires.

Piquets de grève le 13 juillet 2023

La direction du SAG-AFTRA a été affaiblie dans ses efforts pour bloquer une grève par sa propre indifférence sociale et son crétinisme bureaucratique. Un message vidéo, envoyé par la présidente Fran Drescher et le directeur exécutif national et négociateur en chef Duncan Crabtree-Ireland, se vantant de discussions «extrêmement productives» avec les producteurs, a été l’un des signaux d’alarme qui ont provoqué la lettre ouverte protestant contre une capitulation imminente. Le fait que Drescher ait passé le week-end qui précédait la date limite de signature du nouveau contrat, le 12 juillet, à «se faire remarquer par les caméras» lors d’un défilé de mode en Italie, n’a pas aidé à la crédibilité du syndicat. On l’a en substance forcé à déclencher une grève.

Lors d’une conférence de presse tenue jeudi après-midi, Drescher a endossé un nouveau rôle, prononçant des paroles de colère à l’encontre des «employeurs [qui] font de Wall Street et de la cupidité leur priorité et [qui] oublient les contributeurs essentiels qui font tourner la machine… Nous sommes les victimes ici. Nous sommes victimes d’une entité très cupide. Je suis choquée de la façon dont les gens avec qui nous avons fait des affaires nous traitent… Ils sont du mauvais côté de l’histoire en ce moment même… Le peuple finit par faire tomber les portes de Versailles, et nous en sommes à ce moment-là».

Il ne fait aucun doute que la conduite des sociétés de production est choquante. Mais cela ne veut pas dire que la direction du SAG-AFTRA s’est transformée en organisation de combat. Comme indiqué, elle a été entraînée dans un conflit qu’elle n’a jamais voulu et qu’elle a tout fait pour éviter. La direction du syndicat a peut-être été secouée par les événements, mais elle est tout aussi politiquement en faillite qu’elle l’était il y a quelques semaines, lorsqu’elle prétendait que tout allait pour le mieux.

Le SAG-AFTRA a été forcé d’admettre jeudi dans un message à ses membres que l’AMPTP «n’est toujours pas disposée à offrir un accord équitable sur les questions clés que vous avez dites être importantes pour vous». Durant la dernière décennie, poursuit le message du syndicat, «votre rémunération a été sévèrement érodée par la montée en puissance de l’écosystème du streaming. En outre, l’intelligence artificielle représente une menace existentielle pour les professions créatrices… Malgré le dévouement de notre équipe à défendre vos intérêts, l’AMPTP a refusé de reconnaître que d’énormes changements dans l’industrie et l’économie avaient eu un impact préjudiciable sur ceux qui travaillent pour les studios».

La grève conjointe des scénaristes et des acteurs est un puissant développement dans la lutte de classe internationale. Les acteurs et les scénaristes prennent place aux côtés des dockers en Colombie-Britannique, des travailleurs de l’hôtellerie à Los Angeles, des millions de manifestants en France et au Sri Lanka, des postiers au Royaume-Uni. En outre, une grève contre Disney et consorts revêt également le caractère d’une révolte culturelle contre la mainmise des grandes sociétés sur la production cinématographique et télévisuelle. Des séries comme «Succession», «The Dropout» et «Dopesick» devraient être la règle et non l’exception. Pour cela, la société américaine doit être réorganisée selon des principes socialistes. Pour cela, il faut lutter contre les deux partis du grand patronat et leur programme de pauvreté, de guerre et d’autoritarisme.

L’opportunité pour les scénaristes et les acteurs de se tourner largement vers la grande masse de la classe ouvrière n’a pas été aussi favorable depuis de nombreuses décennies. L’Amérique est un véritable chaudron où bout la colère. Les syndicats feront tout en leur pouvoir pour limiter et supprimer le mouvement de grève. Les acteurs et les auteurs, en créant leurs propres comités de la base contrôlés démocratiquement, doivent battre le fer tant qu’il est chaud et prendre des mesures indépendantes des responsables du SAG-AFTRA et de la WGA, en faisant notamment appel directement à la base des Teamsters et de l’IATSE. Une mobilisation de masse et la fermeture complète de l’industrie du divertissement sont à la portée des dizaines de milliers de scénaristes et d’acteurs.

(Article paru d’abord en anglais le 14 Juillet 2023)

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