Des milliers d’acteurs rejoignent les piquets de grève à Los Angeles et à New York

La grève de dizaines de milliers d’acteurs de cinéma et de télévision américains a officiellement débuté vendredi. Les acteurs, membres de la Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA), ont rejoint les 11.000 membres de la Writers Guild of America (WGA), en grève depuis le 2 mai.

Les acteurs et les scénaristes sont en grève contre la cabale des géants de la production cinématographique et télévisuelle regroupés au sein de l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP) pour des questions économiques fondamentales. Chaque groupe de travailleurs a perdu des revenus substantiels en raison de l’introduction des services de streaming, la fin des rémunérations résiduelles décentes et les divers moyens par lesquels l’industrie «précarise» le travail et transforme les professions d’acteur et d’écrivain en des formes d’emploi «à la demande». L’intelligence artificielle, entre les mains des prédateurs de l’industrie, promet des attaques encore plus dévastatrices sur les revenus et les emplois.

Scénaristes en grève à Los Angeles, le 14 juillet 2023

Cependant, de puissants courants sociaux et culturels sont également à l’œuvre dans le débrayage actuel de l’industrie du divertissement, auquel les acteurs se sont joints avec beaucoup d’enthousiasme et d’élan.

À Los Angeles, on a dressé de vastes piquets de grève devant les grands studios. À New York, les grévistes ont défilé devant les bureaux de sociétés telles que Netflix, NBCUniversal, Paramount, Amazon et Warner Bros. Discovery.

Les scènes de piquetage de masse dans les deux villes, auxquelles participaient un grand nombre d’artistes-interprètes et de scénaristes, et des milliers de jeunes en particulier, avaient un caractère généralement rebelle et festif. Les grévistes et leurs sympathisants semblaient dire: «Enfin, nous avons une chance de défier les salauds qui sont au sommet». Les slogans sur la «cupidité des entreprises» et les «patrons cupides», organisés par les syndicats, avaient peut-être leur caractère générique, mais beaucoup les scandaient avec un enthousiasme sincère. Entre les scénaristes et les acteurs, un fort sentiment d’unité et de solidarité s’exprimait.

Des membres de la SAG-AFTRA rejoignent les scénaristes de la WGA sur le piquet de grève, le 14 juillet 2023

C’est déjà évident que la «double grève» des acteurs et des scénaristes est un pôle d’attraction qui suscite l’intérêt et le soutien du public. Elle a attiré l’attention sur des questions que les médias et l’industrie du divertissement elle-même occultent délibérément: la profonde inégalité sociale, l’acharnement des entreprises géantes contre les conditions et les droits des travailleurs, la dure réalité de la vie sociale pour des dizaines de millions de personnes en Amérique.

De nombreux artistes de renom se sont joints au piquet de grève, notamment, selon Deadline, Allison Janney, Timothy Olyphant, Josh Gad, Sean Astin, Charlie Barnett, Joey King, Chloe Fineman, Susan Sarandon, Ginnifer Goodwin, Patton Oswalt, Marg Helgenberger, Jake McDorman, Constance Zimmer, Michelle Hurd et Jason Sudeikis.

Les membres de la SAG-AFTRA rejoignent les scénaristes sur le piquet de grève à New York le 14 juillet 2023

La grande majorité des acteurs ne gagnent pas un salaire décent ou ne trouvent même pas de travail de manière régulière. Seul un petit pourcentage d’entre eux gagne suffisamment par an pour bénéficier du seuil de 26.470 dollars fixé par le syndicat pour les soins de santé. En même temps, ils sont bien conscients qu’un cadre comme Ted Sarandon de Netflix gagne ce «seuil» tous les deux jours.

La parution d’un article le 11 juillet dans Deadline, la publication spécialisée dans le divertissement, révélant que la stratégie de l’AMPTP est d’affamer les scénaristes durant des mois, a suscité l’indignation des travailleurs du cinéma et de la télévision. Selon l’article, «recevant des réactions positives de Wall Street depuis que la WGA s’est mise en grève le 2 mai, Warner Bros Discovery, Apple, Netflix, Amazon, Disney, Paramount et d’autres sont devenus déterminés à “briser la WGA”, comme l’a dit sans ambages un cadre du studio».

Les studios et l’AMPTP «pensent que d’ici octobre, la plupart des scénaristes seront à court d’argent après cinq mois de piquet de grève sans travail. La finalité est de laisser les choses s’éterniser jusqu’à ce que les membres du syndicat commencent à perdre leurs appartements et leurs maisons», a déclaré un cadre du studio à Deadline. Admettant la froideur de l’approche, plusieurs autres sources ont réitéré cette déclaration. Un initié l’a qualifiée de “mal cruel mais nécessaire”». Voilà le vrai visage de la «démocratie» américaine: si les travailleurs utilisent leur droit de grève légal, détruisez-les.

La grève est déjà l’une des plus importantes depuis des années aux États-Unis. Mais les acteurs et les scénaristes eux-mêmes sont bien conscients que d’énormes bataillons de la classe ouvrière attendent dans les coulisses. De nombreux grévistes font notamment référence aux centaines de milliers de travailleurs d’UPS dont le contrat expire le 31 juillet. L’actrice Susan Sarandon a déclaré à un journaliste à New York vendredi: «Nous voyons les enseignants en grève, les travailleurs d’UPS s’apprêtent à débrayer. Les cheminots auraient dû pouvoir débrayer mais Biden a cassé cette grève». Un scénariste, s’adressant au WSWS jeudi à New York, a établi un lien entre la grève des scénaristes et des acteurs et les grèves potentielles d’UPS et d’autres catégories de travailleurs. Il pense que nous pourrions assister à un «été de grèves».

Acteurs et scénaristes sur le piquet de grève, le 14 juillet 2023

Un journaliste du WSWS a présenté ce compte-rendu sur le premier jour de la grève à Los Angeles: «Malgré la chaleur, les scénaristes et les acteurs ont marché ensemble sur les piquets de grève devant Amazon Studios aujourd’hui. Les scénaristes se sont généralement sentis soulagés et revigorés par l’arrivée des acteurs dans la lutte. Bien que les scénaristes soient en grève depuis des mois, on avait l’impression que des renforts attendus depuis longtemps avaient enfin trouvé le chemin de la bataille. Beaucoup des scénaristes étaient des acteurs, et beaucoup d’acteurs étaient des scénaristes, et ils comprenaient facilement les luttes auxquelles les autres étaient confrontés. Ils font face aux mêmes problèmes de rémunération et d’indemnités résiduelles, de précarisation et de menace de remplacement par l’IA, et ils travaillent pour les mêmes studios et sont en grève contre eux. Ils avaient vraiment l’impression que leurs luttes sont indissociables.»

«De plus, c’était facile de parler aux travailleurs de luttes plus larges. Lorsque nous avons évoqué la lutte chez UPS et sur les quais, les travailleurs ont intuitivement soutenu les luttes menées par d’autres secteurs de la classe ouvrière. L’un d’entre eux a déclaré que “le pendule avait oscillé dans une seule direction pendant trop longtemps” et qu’il commençait enfin à s’inverser. Bien sûr, les questions politiques doivent encore être résolues, mais ils sentent définitivement que leur lutte fait partie d’une contre-offensive plus large de la classe ouvrière».

Un journaliste du WSWS a décrit les piquets de grève à New York au siège d’Amazon/HBO dans le quartier ouest de Manhattan et aux studios Paramount au cœur du quartier des théâtres à Times Square: «Il y avait environ 150 grévistes à chaque endroit. Bien qu’on les a maintenus en cercle étroit, l’ambiance était exubérante, en particulier lorsque les voitures, les camions et les bus à impériale transportant des touristes klaxonnaient en signe de soutien. Nos tracts et nos slogans, qui appelaient à un soutien le plus large possible de leur grève, de son importance pour d’autres sections de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde, et de son impact culturel, ont été très bien accueillis».

«Un acteur qui s’est entretenu avec nous a dénoncé avec force l’inégalité entre les producteurs et les acteurs en grève. Il a dénoncé les producteurs, “qui sont multimillionnaires et milliardaires et qui essaient de jouer les pauvres et de ne pas donner aux acteurs leur juste part. Ce n’est pas normal”. Une autre a attiré l’attention sur le “type de personnes auxquelles nous avons affaire ici et qui essaient d’affamer les scénaristes [en référence à l’article de Deadline]”. Elle s’est étonnée de leur insensibilité et a attiré l’attention sur les familles qui dépendent des scénaristes. “Comment pouvez-vous affamer les gens de la sorte”»?

Piquet de grève à New York le 14 juillet 2023

Pour l’instant, les médias américains sont sous le choc. Croyant à leurs propres balivernes sur la société américaine, les experts des médias sont stupéfaits par l’expression d’une hostilité populaire massive à l’égard de l’oligarchie patronale et de manière encore plus menaçante, par implication, de l’ensemble du système de la «libre entreprise».

Les diverses bureaucraties syndicales qui ont conspiré pour isoler la grève des scénaristes dans l’intérêt des entreprises – les Teamsters, l’IATSE et les autres – ont également été placées sur la défensive. Leurs plans ont été perturbés.

Ces forces se regrouperont et lanceront de nouvelles attaques contre les scénaristes et les acteurs. La présidente de SAG-AFTRA, Fran Drescher, a continué à se présenter vendredi comme une féroce opposante à «l’entité très cupide» qu’est l’AMPTP. Lors de la première journée de piquetage, elle a insisté sur le fait que «si nous ne prenons pas le contrôle de la situation au détriment de ces mégalomanes avides, nous risquons tous de perdre nos moyens de subsistance». En fait, ce que Drescher et le Conseil national de SAG-AFTRA recherchent désespérément, ce sont quelques miettes de la part des entreprises qu’ils peuvent présenter à leurs membres comme une victoire «historique».

Les milliers d’acteurs et d’écrivains devraient s’efforcer de s’adresser à la grande masse de la classe ouvrière, qui est également confrontée aux mêmes attaques et qui cherche aussi une occasion de se battre. Il n’y a absolument aucune raison, si ce n’est l’opposition des dirigeants de la SAG-AFTRA et de la WGA, pour que les acteurs et les scénaristes n’expliquent pas leur situation dans les usines, les hôpitaux, les écoles et autres lieux de travail, et qu’ils n’obtiennent pas le soutien d’un mouvement de grève beaucoup plus large. Pour mener le type d’offensive politique, sociale et industrielle qui s’impose, les acteurs et les auteurs doivent prendre le contrôle de leur propre grève par le biais de comités de base organisés démocratiquement, en dehors du contrôle des bureaucraties syndicales.

(Article paru en anglais le 15 juillet 2023)

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