La série de coups d’Etat en Afrique qui touche les pays de l’ancien empire colonial français est la réaction des milieux militaires africains à une radicalisation des travailleurs et des jeunes. Après une décennie de guerres sanglantes de pillage de l’Otan en Libye, au Mali et maintenant contre la Russie en Ukraine, la colère monte contre des gouvernements impopulaires alliés à la France. Cette radicalisation anti-impérialiste, qui revendique le retrait des troupes françaises d’Afrique, a une vaste portée révolutionnaire.
Ceci révèle le fossé de classe qui sépare le Comité international de la IVe Internationale et sa section française, le Parti de l’égalité socialiste (PES) avec des partis de pseudo gauche comme le groupe moréniste «Révolution permanente» (RP), lié au Nouveau parti anticapitaliste pabliste.
RP réagit au coup d’État au Gabon en niant la colère ouvrière en Afrique contre l’impérialisme français et la guerre française au Sahel. Il présente le coup gabonais comme une question purement de rivalités au sein de la bourgeoisie gabonaise, déconnectée du mouvement de grèves et de manifestations contre les guerres et les interventions françaises au Sahel qui secouent toute l’Afrique de l’Ouest.
Dans l’article de Philippe Alcoy intitulé «Coup d’État au Gabon: ‘Fin de régime’ ou tentative d’éviter une explosion sociale?», RP affirme: «Encore un coup d’Etat dans l’arrière-cour de l’impérialisme français, cependant celui-ci semble répondre davantage à des tensions socio-économiques et politiques internes qu’à un mécontentement directement lié à la présence française.»
Les sociétés pétrolières françaises ont pillé les ressources du Gabon pendant des décennies, mais selon RP ceci n’a rien à voir avec les grèves et les manifestations au Mali, au Niger et au-delà pour exiger le départ des troupes françaises de ces pays riches en or, en uranium et en pétrole. C’est le résultat, poursuit Alcoy, des calculs de la bourgeoisie:
«il est possible qu’une partie de la bourgeoisie nationale ait commencé à voir le gouvernement d’Ali Bongo comme un obstacle, voire un facteur de déstabilisation. En ce sens, certains commencent à parler d’un ‘coup de Palais’ qui permet de canaliser la colère populaire avec le renversement du président tout en préservant l’essentiel du régime. Il reste à voir quelles seront les mesures et la voie que les militaires emprunteront dorénavant et si cela est suffisant pour calmer le mécontentement généralisé.»
Le coup d’État du général Bryce Oligui Nguma, chef de la garde rapproché du dictateur néocolonial gabonais Ali Bongo, vise à étrangler la colère des masses et non pas à lutter contre l’impérialisme. Mais Nguma a choisi de renverser son chef, après que Bongo ait tenté de s’imposer dans une élection présidentielle contestée, parce qu’il voulait étouffer dans l’oeuf le danger d’un soulèvement contre Bongo. C’est donc une réaction des élites dirigeantes face à la radicalisation des travailleurs, des jeunes et des masses rurales opprimées.
Par contre, RP minimise l’hostilité envers l’impérialisme français pour sous entendre qu’il n’y a pas de situation objectivement révolutionnaire en Afrique de l’Ouest. La tâche que se pose RP est d’attendre et de voir si les militaires gabonais arriveront à endiguer le mouvement des travailleurs et des masses dans le cadre national.
Ceci est profondément relié à la position que RP a adopté pendant la lutte contre la réforme des retraites de Macron au printemps. Alors que des millions de travailleurs et de jeunes étaient mobilisés et que deux-tiers des Français voulaient bloquer l’économie et faire tomber Macron, RP a déclaré que «La situation n’est pas révolutionnaire». Ils ont appelé à aider les travailleurs et les jeunes en France et en Europe à «faire l’expérience d’une démocratie représentative bourgeoise».
Ils niaient ainsi la situation objectivement révolutionnaire qui émerge à la fois en Afrique et aussi en France, et notamment la nécessité de mobiliser politiquement les travailleurs en France contre l’impérialisme français.
Le groupe moréniste a pris malhonnêtement comme nom «Révolution Permanente», le nom de la théorie de Léon Trotsky qui a fourni sa perspective à la révolution d’octobre 1917 en Russie. Mais Alcoy et RP ont tiré des conclusions diamétralement opposées à celles de Lénine, de Trotsky et des Bolchéviks. A propos de la théorie de la Révolution Permanente, Trotsky a écrit en juin 1905:
«En liant tous les pays entre eux par son mode de production et son commerce, le capitalisme a fait du monde entier un seul organisme économique et politique…Cela donne immédiatement aux événements qui se déroulent actuellement un caractère international, et ouvre un large horizon. L’émancipation politique de la Russie sous la direction de la classe ouvrière élèvera cette classe à des sommets historiques inconnus jusqu’à ce jour et en fera l’initiatrice de la liquidation du capitalisme mondial, dont l’histoire a réalisé toutes les prémisses objectives».
L’analyse de Trotsky démasque la perspective procapitaliste de RP. L’opposition de la classe ouvrière et des masses africaines contre l’impérialisme français et de l’exportation du conflit entre l’Otan et la Russie en Ukraine vers l’Afrique de l’Ouest, et la mobilisation ouvrière contre Macron en France, ouvre un large horizon révolutionnaire. Mais RP bloque l’unification socialiste et internationaliste des luttes de la classe ouvrière en Afrique, en France et à l’international.
L’analyse d’Alcoy sur l’absence d’opposition à l’impérialisme français au Gabon est fausse, et contredite par une autre analyse, par Claudi Cinatti, publiée quelques jours plus tard sur RP. Cinatti a dû faire l’aveu de l’existence d’une opposition à l’impérialisme français au Gabon, mais elle retape l’analyse d’Alcoy en expliquant que cette opposition se retrouve principalement dans les élites dirigeantes. Elle écrit:
«Cette junte militaire improvisée a dissous le congrès et la Cour suprême. Elle a également placé Bongo, sa famille et les membres de son cabinet en état d’arrestation sous des chefs d’accusation allant de la fraude et de l’irresponsabilité gouvernementale à la trahison. Comme cela a été le cas dans d’autres pays d’Afrique francophone, le Gabon a également connu des scènes de soutien et de joie populaire lors de la chute de Bongo, ainsi que des slogans identiques contre le néocolonialisme français et ses alliés au sein des élites locales.»
Cinatti poursuit en affirmant que la politique des putschistes africains est en train de frayer un chemin pour un mouvement de masse en Afrique:
«Les militaires africains putschistes ne sont pas des ‘anti-impérialistes’, mais cherchent à obtenir de meilleures conditions en s’alignant sur le bloc capitaliste de la Russie et de la Chine. Mais le fait que certains d’entre eux recourent à un langage anticolonial pour se légitimer est un symptôme que les contradictions et les rivalités géopolitiques peuvent ouvrir la voie à l’intervention du mouvement de masse.»
Cinatti encense ici le rôle des officiers putschistes africains. Grâce à une alliance avec Moscou et Pékin, ils seraient en train de mener une politique anti-impérialiste en entraînant derrière eux une population mécontente qui n’a pas d’opposition claire contre l’impérialisme.
Cette falsification des luttes en Afrique est particulièrement absurde quand elle est appliquée au Gabon. En effet, cela revient à affirmer que le chef de la garde de l’ancienne dictature Bongo est en train de bâtir un mouvement de masse contre l’impérialisme.
Cette falsification par RP de la crise au Gabon découle des origines pablistes de RP. Pendant plus d’une décennie après le lancement du NPA pabliste en 2009, les membres de RP ont travaillé au sein du NPA, qui descend des forces petites-bourgeoises dirigées par Michel Pablo et Ernest Mandel qui, il y a 70 ans, ont rompu avec le trotskysme et le CIQI. En 1953, Pablo et Mandel soutenaient que les forces nationalistes staliniennes et bourgeoises, et non le trotskisme, offriraient une direction révolutionnaire à la classe ouvrière qui n’avait plus aucun rôle politique indépendant à jouer.
En réalité, les officiers putschistes en Afrique n’ont rien à offrir aux travailleurs, pas plus que les appareils syndicaux français aux travailleurs en lutte contre Macron. La question décisive est de bâtir, dans la classe ouvrière et parmi les jeunes en Afrique, en Europe et au-delà un mouvement international contre la guerre impérialiste, visant à faire chuter les gouvernements capitalistes et à donner le pouvoir à la classe ouvrière internationale.
