Le Premier ministre canadien Justin Trudeau s’est joint à Washington pour dénoncer l’affaire portée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui accuse Israël de génocide à l’encontre des Palestiniens.
«Notre soutien inconditionnel à la CIJ et à ses procédures ne signifie pas que nous soutenons les prémisses de l’affaire présentée par l’Afrique du Sud», a déclaré Trudeau lors d’une conférence de presse vendredi.
Le chef du gouvernement libéral du Canada a allègrement ignoré les preuves que l’Afrique du Sud a présentées à la CIJ dans un document de plus de 80 pages méticuleusement documenté et référencé, ainsi que dans une série de présentations orales devant la Cour jeudi. Trudeau a affirmé que le ministère des Affaires étrangères publierait bientôt une réponse plus détaillée.
La déclaration de Trudeau est une approbation de l’attaque génocidaire du régime d’extrême droite de Netanyahou contre Gaza.
L’action intentée par l’Afrique du Sud est un acte d’accusation dévastateur du massacre que l’armée israélienne inflige aux 2,3 millions d’habitants de la minuscule enclave de Gaza depuis le 7 octobre. Il fait état du nombre effroyable de morts, qui dépasse désormais les 30.000, de la destruction systématique des logements et des infrastructures sociales, et de la souffrance universelle de la population du territoire, dont près de la moitié sont des enfants et qui ont tous été soumis à un blocus brutal qui les prive des produits de première nécessité.
La plainte documente de manière très détaillée les déclarations d’intention génocidaire qui ont été faites par les dirigeants du gouvernement israélien et de son armée, à commencer par le Premier ministre Benjamin Netanyahou lui-même.
Le soutien sans réserve de Trudeau au massacre et au nettoyage ethnique des Palestiniens s’inscrit dans le droit fil des actions de son gouvernement et des gouvernements canadiens précédents. L’impérialisme canadien n’est pas moins complice du génocide israélien que son allié américain, sur la puissance militaire duquel Ottawa s’appuie depuis plus de huit décennies pour affirmer ses intérêts impérialistes dans le monde.
L’élite politique canadienne soutient l’oppression brutale des Palestiniens par Israël depuis des décennies, y compris les guerres sanglantes menées par les Forces de défense israéliennes (FDI) en 2009 et 2014. Les forces armées canadiennes entretiennent des liens étroits avec les FDI et Ottawa est l’un des principaux fournisseurs militaires du régime sioniste. Le Canada a également été l’un des premiers pays à rejoindre la coalition dirigée par les États-Unis qui a mené des frappes aériennes provocatrices sur les Houthis du Yémen tôt vendredi matin : une escalade majeure vers une guerre régionale dans tout le Moyen-Orient visant l’Iran et ses alliés.
Au niveau national, le gouvernement libéral a encouragé une chasse aux sorcières contre les manifestants pro-palestiniens et anti-génocide sous le prétexte fallacieux de lutter contre l’«antisémitisme», tout en affirmant à maintes reprises qu’il soutient le «droit d’Israël à se défendre» et en balayant cavalièrement toutes les preuves de crimes de guerre israéliens.
Avant vendredi, Trudeau, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly et d’autres ministres avaient cherché à éviter de prendre publiquement position sur l’affaire de l’Afrique du Sud devant la CIJ, ce qui avait suscité une consternation croissante dans les grands médias, dans l’opposition officielle conservatrice et chez de nombreux membres du gouvernement et du groupe parlementaire libéraux.
Jeudi, interrogée sur la position du gouvernement dans cette affaire, la vice-première ministre Chrystia Freeland s’est contentée de dire aux journalistes que les fonctionnaires du gouvernement «examinaient attentivement la situation».
Après trois mois de bombardements sauvages et ininterrompus sur Gaza, l’imposition d’une famine délibérée sur ses 2,3 millions d’habitants, et un concert de déclarations incendiaires et fascistes de la part de représentants du gouvernement israélien justifiant le meurtre de masse et le nettoyage ethnique, on ne peut que se demander, en réponse, combien de preuves supplémentaires doivent être «examinées».
Mais en réalité, le gouvernement ne procédait pas à un «examen». Il débattait plutôt de la meilleure façon de présenter publiquement sa défense d’Israël.
L’équivoque du gouvernement Trudeau était liée à des préoccupations concernant les répercussions nationales d’une prise de position. La population s’oppose massivement au génocide israélien. L’élite dirigeante convient que le Canada doit approfondir son partenariat militaro-stratégique avec l’impérialisme américain pour garantir sa «place à la table» dans la redivision impérialiste du monde, mais des divergences tactiques persistent sur la meilleure façon de réaliser cet objectif dans des conditions où les travailleurs sont hostiles au militarisme et à la guerre.
L’opposition populaire au génocide israélien à Gaza s’est exprimée par des manifestations de masse continues dans tout le pays pour exiger la fin de l’assaut, qui a été rendu possible grâce à la fourniture régulière par les États-Unis d’armes de grande puissance. Les manifestants critiquent de plus en plus le refus du gouvernement d’appeler à un cessez-le-feu.
Les divergences au sein du gouvernement libéral minoritaire existent depuis les premiers jours de l’attaque israélienne. Fin octobre, une trentaine de députés, pour la plupart libéraux, ont signé une lettre demandant au gouvernement Trudeau d’appeler à un cessez-le-feu. En ce qui concerne l’affaire de la CIJ, la députée libérale Salma Zahid a exhorté le gouvernement à soutenir la demande de l’Afrique du Sud et à «soutenir le processus de la Cour internationale de justice et les principes du droit international».
Le Nouveau Parti démocratique (NPD), dont le gouvernement libéral dépend pour sa majorité parlementaire et la mise en œuvre de son programme de guerre à l’étranger et d’austérité des dépenses publiques à l’intérieur du pays, exhorte le gouvernement Trudeau à adopter une position officielle de neutralité vis-à-vis de l’affaire portée devant la CIJ.
En début de semaine, Heath McPherson, porte-parole du NPD pour les affaires étrangères, a écrit à Joly pour demander au gouvernement «de ne pas intervenir dans l’opposition à cette affaire et de soutenir la décision du tribunal».
La position adoptée par le NPD l’engagerait, ainsi que le gouvernement, à ne rien faire du tout, étant donné que l’affaire pourrait prendre des années à suivre la procédure juridique de la CIJ. Bien que la décision finale soit contraignante pour Israël, la CIJ ne dispose d’aucun moyen pour la faire appliquer. Les parties peuvent faire appel au Conseil de sécurité des Nations unies pour faire appliquer une décision, mais les États-Unis opposeraient certainement leur veto à toute résolution visant à demander des comptes à Israël pour son attaque génocidaire.
L’attaque du gouvernement contre l’affaire de la CIJ faisant la lumière sur le génocide israélien s’inspirera sans aucun doute des attaques lancées ces derniers jours dans les rangs du parti libéral et des cercles libéraux, ainsi que dans ceux du régime de Netanyahou lui-même, et y fera écho.
Mardi, les députés libéraux Anthony Housefather et Marco Mendicino ont publié une déclaration incendiaire rejetant les accusations de génocide contre Israël, disant qu’elles étaient «sans fondement et inadmissibles» et déclarant qu’il appartenait au Hamas de mettre fin à la crise humanitaire à Gaza.
Housefather et Mendicino ont approuvé un article d’opinion publié dans le Globe and Mail par l’ancienne juge de la Cour suprême Rosalie Abella. Nommée par les libéraux et considérée par l’establishment canadien comme un phare libéral, Abella n’a pas tenté de réfuter l’accusation légale de génocide. Elle a plutôt eu recours à un «plaidoyer spécial». Elle a justifié le massacre et le déplacement délibéré des Palestiniens de Gaza par une réponse légitime à ce qu’elle a appelé l’attaque «génocidaire» du Hamas du 7 octobre ; elle a dénoncé l’utilisation supposée des civils de Gaza comme «boucliers humains» ; et elle a invoqué le mythe national sioniste qui justifie la dépossession des Palestiniens en invoquant l’extermination par les nazis de 6 millions de juifs d’Europe.
Tout comme Abella, Irwin Cotler, ancien ministre libéral de la Justice et jusqu’à récemment envoyé spécial du gouvernement pour la lutte contre l’antisémitisme et la commémoration de l’Holocauste, a dénoncé les preuves scrupuleusement documentées de l’affaire menée par l’Afrique du Sud en les qualifiant de «fausses accusations». Sioniste convaincu et partisan de longue date d’une guerre contre l’Iran, Cotler a justifié la poursuite de l’assaut israélien à Gaza lors d’une interview accordée à l’émission Power & Politics sur la chaîne CBC. «Je ne comprends pas, a-t-il déclaré, l’utilisation par l’Afrique du Sud du droit international, qui non seulement finit par être diffamatoire à l’égard d’Israël, non seulement encourage l’antisémitisme, mais aussi sape l’ensemble de l’ordre juridique international fondé sur des règles.»
La réponse du gouvernement Trudeau et de l’establishment politique canadien à l’affaire de la CIJ contre Israël est une démonstration dévastatrice de la complicité de l’impérialisme canadien dans le génocide de Gaza et du caractère prédateur de ses actions sur la scène mondiale dans son ensemble.
Cette décision intervient dans un contexte d’intensification des efforts visant à criminaliser l’opposition aux politiques pro-génocide du gouvernement canadien. Mercredi, Trudeau a rencontré le chef de la police de Toronto et a déclaré qu’il était nécessaire d’intensifier les efforts pour lutter contre «l’antisémitisme». Jeudi, le chef de la police de Toronto, Myron Demkiw, a annoncé l’interdiction d’une manifestation hebdomadaire pro-palestinienne sur le viaduc d’Avenue Road, menaçant d’arrestation ceux qui s’y rassemblent. Il a qualifié de haineux et de criminels les manifestants pacifiques qui ont été confrontés à des groupes pro-israéliens, déclarant dans un communiqué : «La haine et l’intimidation n’ont pas leur place dans notre ville et nous sommes inébranlables dans notre engagement à rétablir le sentiment de sécurité publique et à ne pas tolérer les comportements qui franchissent la ligne de l’activité criminelle».
Dans le même temps, le groupe de militants pro-palestiniens et anti-génocide de Toronto, connu sous le nom de «Peace 11», continue d’être poursuivi pour des accusations criminelles et risque jusqu’à 10 ans de prison pour des manifestations visant la PDG des librairies Indigo en raison de son soutien financier aux membres des Forces de défense israéliennes. Les manifestants ont été accusés d’antisémitisme, les allégations d’une prétendue vague de haine antijuive étant déployées pour justifier une attaque de grande envergure contre les droits démocratiques de manifester à travers le Canada.
Comme l’a déclaré le Parti de l’égalité socialiste dans une déclaration défendant les «Peace 11» en début de semaine, «la guerre menée par le Canada en alliance avec les États-Unis et ses partenaires de l’OTAN prend la forme d’une troisième guerre mondiale – avec des fronts contre la Russie en Ukraine, au Moyen-Orient, où le génocide a été adopté comme politique d’État en préparation de la guerre contre l’Iran, et contre la Chine dans l’Indo-Pacifique. Cette redivision impérialiste du monde, motivée par les contradictions irréconciliables du système capitaliste, est incompatible avec les droits démocratiques à l’intérieur du pays. Alors que la classe ouvrière entre dans une lutte de masse d’une ampleur inégalée depuis des décennies, les élites dirigeantes ressentent partout le besoin de se tourner vers des formes autoritaires de gouvernement pour maintenir leurs vastes richesses au sommet de sociétés déchirées par des niveaux monstrueux d’inégalité sociale».
Le ralliement du gouvernement Trudeau au gouvernement Netanyahou souligne que la défense du peuple palestinien et la lutte contre la guerre ne peuvent être avancées par des appels aux représentants politiques de la classe dirigeante canadienne. Il faut plutôt se tourner vers la classe ouvrière et lutter pour la mobiliser en tant que force politique indépendante sur un programme anticapitaliste, en liant l’opposition au génocide et à la guerre à la défense des droits démocratiques et sociaux des travailleurs, et à la lutte pour l’égalité sociale.
(Article paru en anglais le 13 janvier 2024)
