Les États-Unis ont effectué une frappe de drone manifestement illégale dans la capitale irakienne, Bagdad, mercredi dernier, tuant deux membres de la milice Kata'ib Hezbollah et provoquant des manifestations de colère dans les rues de la ville. Des cartes d’identité trouvées à proximité les auraient identifiés comme étant Arkan al-Elayawi et Abu Baqir al-Saedi.
L’attaque de ce drone des Opérations spéciales fait partie des représailles exercées par les États-Unis après la mort de trois soldats américains lors d’une attaque contre une base militaire américaine en Jordanie. Le Pentagone a affirmé qu’al-Saedi était responsable de la direction des opérations du Hezbollah Kata’ib, y compris de l’attaque en Jordanie.
Comme lors d’une première série de frappes en Irak et en Syrie le vendredi précédent, l’armée américaine n’a fourni aucune preuve de ses affirmations. Au contraire, Washington s’est arrogé le droit de mener des attaques meurtrières dans tout le Moyen-Orient, en attisant délibérément les tensions et en élargissant la guerre déjà en cours, conséquence du génocide israélien à Gaza.
Sky News rapporte que des gens ont rapidement entouré le véhicule en flammes, scandant des slogans anti-américains. Des témoins ont déclaré aux journalistes qu’il y avait beaucoup de colère face au mépris flagrant des Américains pour la vie des civils. Les États-Unis ont admis avoir mené une «attaque unilatérale» qui a détruit une voiture dans une rue civile très fréquentée de l’est de la capitale.
«L’Amérique doit faire l’objet d’une enquête pour violation du droit international», a déclaré un homme à Sky News.
«Comment peuvent-ils attaquer un autre pays et tuer des gens en toute immunité?
Quelques heures après la frappe, des foules se sont rassemblées à l’entrée de la zone verte de Bagdad, lourdement fortifiée, pour protester contre les assassinats. Les manifestants ont scandé «Mort à l’Amérique» et «Amérique, sors de notre pays», tandis qu’un grand nombre de policiers anti-émeutes lourdement protégés bloquaient l’entrée.
La zone verte, construite à la suite de l’invasion criminelle de l’Irak par les États-Unis en 2003, abrite l’immense ambassade américaine et les infrastructures connexes d’où fut dirigée l’occupation militaire du pays, qui a entraîné la mort d’environ un million de civils.
Le lendemain de l’attaque, le porte-parole militaire irakien Yehia Rasool a dénoncé la frappe comme «un assassinat flagrant» qui avait ignoré «toute considération pour les vies civiles ou les lois internationales».
Rasool a lancé cet avertissement: «La trajectoire oblige plus que jamais le gouvernement irakien à mettre fin à la mission de cette coalition [dirigée par les États-Unis], qui est devenue un facteur d’instabilité et menace d’entraîner l’Irak dans le cycle des conflits».
Les États-Unis ont environ 2.500 soldats en Irak sous prétexte de combattre ce qui reste de combattants de l’État islamique d’Irak et de Syrie (ISIS en anglais). Neuf cents autres soldats américains occupent certaines parties de la Syrie sans même un semblant d’autorisation de la part du gouvernement syrien.
Le bureau du Premier ministre irakien Mohamed Shia al-Sudani a également suggéré que les troupes américaines et d’autres membres de la coalition anti-ISIS dirigée par les États-Unis quittent l’Irak. Un message sur les réseaux sociaux «a mis en évidence les capacités renforcées de l’Irak dans la lutte contre le terrorisme, ce qui a conduit à la décision de mettre fin à la mission de la coalition, car les restes terroristes de l’ISIS ne constituent plus une menace pour l’Irak».
Le général de division Tahsin al-Khafaji, porte-parole des services de sécurité irakiens, a qualifié la frappe d’«agression» qui «viole la souveraineté irakienne et risque d’avoir des répercussions dangereuses dans la région».
La réponse du gouvernement irakien souligne l’impact profondément déstabilisateur de la guerre barbare menée par le régime israélien contre les Palestiniens, soutenue par les États-Unis et toutes les puissances impérialistes, et la guerre régionale plus large que les États-Unis et Israël sont en train de lancer. Si les frappes américaines et israéliennes ont été jusque-là limitées aux milices soutenues par l’Iran au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, c’est l’Iran même qui est principalement visé.
Le gouvernement de Bagdad formé en octobre 2022 est un amalgame très instable de partis chiites plus ou moins alignés sur Téhéran, ainsi que de partis sunnites et kurdes. Le Premier ministre, al-Sudani, a été nommé par le Cadre de coordination chiite soutenu par l’Iran, le plus grand bloc de députés au parlement irakien.
Le gouvernement est toutefois confronté à l’opposition d’un bloc dirigé par le leader chiite populiste et religieux Muqtada Al-Sadr, qui a remporté le plus grand nombre de sièges parlementaires aux élections nationales de 2021. Les «sadristes», qui exigent le retrait de toutes les forces étrangères d’Irak, y compris des troupes américaines et des milices soutenues par l’Iran, ont refusé de rejoindre le gouvernement actuel.
Les frappes américaines ne feront qu’attiser l’opposition populaire à la présence militaire américaine dans le pays, ajoutant ainsi à la volatilité politique.
La semaine dernière, des journalistes de la chaîne américaine PBS se sont rendus dans l’ouest de l’Irak, où l’armée américaine a frappé plusieurs villes dans le cadre de ses représailles du 2 février, provoquant des réactions de colère de la part de la population locale. Ce jour-là, des bombardiers B-1B à capacité nucléaire ont largué plus de 125 bombes sur 85 cibles réparties sur sept sites en Irak et en Syrie.
La ville d’Akashat, située près de la frontière syrienne, a été lourdement touchée par ces frappes. Largement abandonnée après les combats avec ISIS, elle est sous le contrôle de la 13e brigade des Forces de mobilisation populaire (PMF), un groupe de forces paramilitaires formé pour combattre ISIS et qui fait désormais officiellement partie des forces de sécurité irakiennes.
Des témoins oculaires ont déclaré à PBS que le premier missile avait frappé l’hôpital militaire, tuant les cinq personnes qui s’y trouvaient et détruisant l’ambulance. Au total, 17 membres des PMF ont été tués.
Le commandant des PMF, Qasem Musleh, a nié catégoriquement toute implication avec les milices opérant sous le nom de Résistance islamique en Irak et qui ont attaqué les forces américaines. «J’espère que les États-Unis dévoileront une seule preuve de l’existence d’un soutien aux factions de la résistance. Il n’y avait pas de dirigeants ici, comme ils l’ont prétendu, ni de personnes ayant des liens avec des pays étrangers ni de personnes ayant participé à des attaques contre les forces de la coalition».
Dans la ville d’Al-Qaim, où se trouve une base du Hezbollah de Kata’ib, PBS s’est entretenu avec Anmar Al-Rawi, dont le frère a été tué par un tir de missile américain sur la maison familiale. «Bien sûr, leur attaque [celle des États-Unis] était une réaction à l’attaque qu’ils avaient subie, mais leur réponse est tombée sur les civils, pas sur les militaires. Aucun membre du Hezbollah de Kata’ib n’a été tué. Ils savaient qu’il y avait des munitions sur la base et que les civils seraient touchés».
Un chef tribal local, Sheik Ragheb Al-Karbouli, a averti que les hostilités pourraient conduire à «une guerre régionale imprévisible». Interrogé sur les moyens d’éviter un tel conflit, il a déclaré sans détour: «La solution à la solution est la question palestinienne. Un État palestinien indépendant jouissant d’une pleine souveraineté permettra d’instaurer la sécurité et la paix dans toute la région».
Ni Israël, ni les États-Unis et leurs alliés n’ont la moindre intention de créer un État palestinien indépendant ou de résoudre l’oppression du peuple palestinien. Au contraire, l’armée israélienne s’apprête à intensifier sa guerre barbare en s’attaquant à Rafah, où un million de réfugiés d’autres parties de Gaza sont rassemblés dans des conditions atroces.
L’affirmation des États-Unis qu’ils cherchent à éviter une guerre régionale plus large, répétées à l’envi, est mensongère. La guerre israélienne contre les Palestiniens alimente les conflits plus vastes en cours au Moyen-Orient alors qu’États-Unis et Israël intensifient leurs frappes dans la région.
Samedi, un drone israélien a frappé une voiture près de la ville portuaire de Sidon, au sud du Liban, tuant au moins deux personnes et en blessant deux autres. Cette attaque est l’une des plus avancées à l’intérieur du Liban, où Israël a mené de nombreuses frappes dans le cadre d’une guerre non déclarée contre la milice du Hezbollah, soutenue par l’Iran. La cible semble avoir été un responsable du Hamas, Basel Saleh, qui serait chargé de recruter des combattants du Hamas à Gaza et en Cisjordanie.
L’armée israélienne a mené des frappes aériennes sur plusieurs sites à la périphérie de la capitale syrienne, Damas, samedi. L’Observatoire syrien des droits de l’homme, basé en Grande-Bretagne, a déclaré que l’une des frappes avait touché un immeuble d’habitation à l’ouest de la capitale, tuant trois personnes. L’observatoire a indiqué qu’il s’agissait de la dixième frappe israélienne sur le territoire syrien depuis le début de l’année.
Les États-Unis ont échangé de nouvelles frappes militaires avec la milice Houthi au Yémen. Le commandement central américain a annoncé samedi que ses navires de guerre avaient détruit deux drones mobiles, quatre missiles de croisière anti-navires et un missile de croisière qui menaçaient des navires en mer Rouge. En outre, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont mené plusieurs frappes aériennes sur des zones tenues par les Houthis au Yémen, y compris sur la capitale Sanaa.
(Article paru en anglais le 12 février 2024)