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Des enseignants français parlent de la crise dans l'éducation

Antoine Lerougetel
12 juillet 2002

Didier et Marie-Claire Cottrelle sont enseignants à Amiens, ville industrielle de 132.000 habitants dans le nord de la France. Didier travaille dans un lycée (élèves de 15 à 18 ou 19 ans) avec une bonne proportion d'élèves des cités d'Amiens Nord où habite grand nombre de la population immigrée et ouvrière de la ville. Marie-Claire travaille dans un collège (de 11 à 15 ans). Tous deux sont militants du syndicat de l'éducation Sud Education (Solidaires, Unitaires, Démocratiques), syndicat formé et dirigé par des gens issus des tendances petites-bourgeoises 'd'extrême-gauche'.

Le WSWS a interviewé Didier et Marie-Claire avant le deuxième tour des élections législatives du 16 juin dont le résultat fut l'élection à l'Assemblée nationale d'une majorité de droite gaulliste conduite par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin.

Il ressort clairement de l'entretien que les deux enseignants aspirent à l'égalité dans l'éducation et à un niveau d'enseignement élevé pour tous et non pas seulement pour une élite. Ils révèlent que des gouvernements successifs des Quatrième et Cinquième républiques, surtout ceux du président Mitterrand et des administrations du Parti socialiste, ont trahi cette aspiration tout en la revendiquant de façon démagogique pour maintenir une base populaire.

L'expansion de l'éducation sous De Gaulle, Pompidou et Giscard d'Estaing pendant la croissance de l'après guerre, 'les trente glorieuses', céda la place à l'austérité et aux coupes budgétaires de la fin des années 70 et du début des années 80. Sous le gouvernement du Premier ministre socialiste Lionel Jospin et ses ministres d'éducation Claude Allègre et Jacques Lang les mesures d'austérité s'aggravèrent.

Des gens sans formation et sous payés furent recrutés pour combler le manque de personnel. Allègre et Lang introduisirent une série de gadgets dont l'avantage principal était de ne représenter aucun coût supplémentaire pour l'éducation nationale, et tout cela aux frais de l'enseignement normal. Ces gadgets furent imposés sans vraie consultation et à différents degrés d'approbation, tacite ou explicite, ou d'opposition platonique de la part des syndicats enseignants. Allègre a systématiquement calomnié et insulté les enseignants pour essayer de les isoler et de mobiliser les parents contre eux.

Le Parti communiste, partenaire dans le gouvernement de « Gauche Plurielle » de Jospin, a défendu Allègre jusqu'au bout, même quand quelques 800.000 travailleurs de l'éducation ont fait grève contre sa politique le 16 mars 2000, grève peut-être la plus importante de l'éducation nationale française. Des initiatives pour lancer une grève générale illimitée de l'éducation contre la politique du gouvernement Jospin furent bloqués par les efforts acharnés des bureaucraties syndicales de la FSU (Fédération de Syndicats Unitaires), actuellement la fédération principale dans le primaire et le secondaire avec 180.000 adhérents), Force Ouvrière, la CGT dirigée par les staliniens, et leurs amis de « l'extrême gauche » de Lutte Ouvrière, La Ligue Communiste Révolutionnaire et le Parti des travailleurs. Néanmoins, Jospin fut contraint de limoger Allègre onze jours plus tard.

Le consentement donné par les principaux syndicats enseignants à la politique libérale et leur soumission au gouvernement et au ministre de l'éducation Allègre ont provoqué l'effondrement de la confiance des professeurs dans leurs syndicats.

Le vide en matière de direction créé par les trahisons éhontées des principaux syndicats enseignants a ouvert la voie à Sud Education, qui se présente comme une alternative non bureaucratisée et militante. Cependant, la direction de Sud, qui a une perspective réformiste de gauche, se limite à réclamer un siège à la table des négociations et à proposer certaines protections contre les ravages du capitalisme mondialisé.

La futilité essentielle de ce projet et l'impuissance de Sud se reflètent dans le découragement des Cottrelle et leur sentiment d'impasse. Les attaques systématiques menées par des gouvernements de « gauche » et de droite, ne peuvent être contrées que par la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière sur un programme socialiste.

 

* * *

WSWS : Quelles sont vos expériences dans l'éducation avec Jospin et Allègre ?

Marie-Claire Cottrelle : Bon, le problème dans l'éducation nationale c'est la précarisation et le gel du recrutement des fonctionnaires.

Nous dans les lycées et les collèges, on ne nous recrute pas suffisamment. Autrefois il y avait des Maîtres Auxiliaires qui avaient finalement obtenu un statut, qui étaient repris d'année en année, et maintenant on a des Vacataires qui sont pris pour 200 heures et après c'est fini, ou bien des Contractuels qui ont un contrat de travail pour la durée d'un remplacement. Ils peuvent être mis à la porte du jour au lendemain et il n'ont aucune formation. Pour obtenir ce contrat il leur suffit de déposer leurs vux et le lendemain matin ils peuvent être mis en place sans aucune préparation.

WSWS : Et cela a été fait pour des raisons financières ?

M-CC : Oh oui. Autrefois dans le primaire on avait ce qu'on appelait des Classes d'adaptation et des Classes de perfectionnement pour tous les élèves qui avaient de sérieuses difficultés. On a supprimé les postes, on a remis les enfants en classes normales et on les fait passer d'année en année malgré leurs difficultés.

Parfois nous avons en collèges des sections d'éducation spécialisée (SEGPA). Mais là aussi le recrutement est pratiquement arrêté, donc on met des Maîtres Auxiliaires, des Contractuels. Normalement au départ, en SEGPA l'instituteur prenait un groupe de 15 élèves maximum, maintenant on en est à 20.

Didier Cottrelle : C'est peut-être l'idée du Collège Unique. L'une des idées des années 70- 80 c'était que tous les élèves à partir de la 6e et jusqu'en 3e, les quatre premières années après le primaire, étaient dans une structure éducative commune dans laquelle ils devaient apprendre tous à peu près la même chose. C'est ce qu'on a appelé le Collège Unique. Mais en fait cela a abouti à ce qu'un gros paquet d'élèves est arrivé en collège et on n'est jamais arrivé à leur donner un enseignement commun de qualité.

Ce choix de dire on donne une éducation de qualité commune dans les collèges à l'ensemble des gamins aurait dû s'accompagner d'un effort budgétaire pour l'éducation très important alors que c'est exactement le contraire qui s'est produit. Il y a eu alors toute sortes de stratégies par les parents d'élèves des classes les plus aisées qui se débrouillaient toujours pour choisir des options (le latin, l'allemand,) pour que leurs enfants se retrouvent dans le même collège, dans des classes privilégiées, où il y a davantage de moyens, où on met les professeurs les plus anciens de l'établissement, les plus aguerris, où ils sont moins nombreux. C'est-à-dire qu'il y a un détournement de moyens. Les élèves issus des classes sociales les plus aisées concentrent les moyens complémentaires donnés à l'établissement pour leur enseignement à eux et les gamins issus de milieux plus simples ou en difficulté ne profitent pas de ces moyens : ils se retrouvent avec des profs débutants, dans des classes plus nombreuses.

WSWS : Est-ce que tout cela s'est produit sous le gouvernement Jospin ?

M-CC : Non, cela avait déjà commencé avant mais ça a continué. Il y a dix ans, le maximum par classe c'était 24. Maintenant, c'est 30. C'est sous les gouvernements successifs de Miterrand que cela s'est dégradé.

DC : Il y a aussi l'introduction des Itinéraires de Découverte. Cela veut dire un enseignement différencié dans les collèges.[ Deux heures d'enseignement sont retirées pour que les élèves « découvrent » le monde qui les entoure, chaque collège décide du contenu de ces deux heures]. Il y a des endroits où les gamins vont faire latin plus histoire ancienne ; ailleurs ce sera la découverte du milieu professionnel- usinage et petite entreprise. C'est un moyen de réintroduire, presque officiellement, les filières au collège. Et c'est le gouvernement Jospin qui a fait ça en disant 'on trouve une solution'.

WSWS : Alors quel est le rôle du nouveau gouvernement et que va-t-il faire face à cela ?

M-CC : Les délinquants, essentiellement à partir de 13 ­ 14 ans, seront mis dans des centres fermés c'est-à-dire des maisons de correction. Ce sont ces élèves que nous avons en collège et qui nous posent problème. Il est vrai qu'on en a qui sont déjà surveillés par la Justice. Ils seront à moitié avec des éducateurs, des instructeurs, et à moitié avec des gens de la police. C'est des prisons, c'est fermé. Toutes les expériences ont montré que deux ans après on retrouve ces jeunes en prison. Tous les éducateurs sont contre mais cela fait partie de la politique de sécurité.

DC : Il faut dire que c'est une idée de judiciarisation de la jeunesse. On ne peut pas mettre des gamins de 14 ans en prison, alors on les met dans des centres fermés jusqu'à la majorité. Et puis il y a les gamins qui nous posent problème en milieu scolaire mais qui ne sont pas des délinquants et pour eux il y a les classes-relais où ils restent trois ou quatre mois. Il y a là des enseignants spécialisés mais aussi des gens qui relèvent du ministère de la Justice. Cela devient policier, moi c'est la vision que j'ai de l'enseignement.

On refait des filières qui vont devenir finalement très sélectives en permettant aux meilleurs de se retrouver dans les filières les plus nobles et puis tous les autres il faut qu'ils se taisent au point que ceux qui embêtent trop le monde, on les enferme et ceux qui embêtent un peu moins le monde, on les dirige vers les filières professionnelles de façon à ce qu'ils aient un boulot très vite.

Jusqu'à aujourd'hui, dans le cadre des études professionnelles, on pouvait prétendre à évoluer et même revenir dans l'enseignement général. Alors que là c'est terminé. Les gamins orientés dans les filières professionnelles seront bons à se présenter chez un employeur dès qu'ils auront reçu la formation ad-hoc en deux ans. Plus de possibilité d'évolution, ils seront entièrement dépendants du bassin d'emploi local parce que les patrons auront le droit d'indiquer quel va être le contenu des programmes dans ces diplômes professionnels. Tout ça c'est programmé.

WSWS : Comment combattre cette situation ?

M-CC : C'est la difficulté. Je sais que mes collègues qui enseignent en 3e, ils n'en peuvent plus avec la moitié de ces classes. Maintenant on n'a plus un milieu, à l'intérieur de l'éducation nationale, de profs qui veulent réagir contre les filières. On est très partagés.

DC : Même les gens qui ont un discours de gauche, ils en bavent tellement dans certains établissements, qu'ils disent que certains jeunes n'ont pas leur place dans l'enseignement actuel. En fait, il n'y a pas eu les moyens de la politique qui a été mise en place. Il y a eu une massification énorme. Les professeurs les plus anciens qui avaient l'habitude d'avoir des élèves de la bonne société ont vu arriver des élèves d'origines plus variées. Les exigences scolaires sont restées à peu près les mêmes avec des groupes classes qui sont restés aussi importants, des volumes horaires qui sont restés les mêmes et des méthodes élitistes qui n'ont pas changé. Il y a 30 ans, il y avait seulement 10% de la population qui pouvait accéder au lycée- on a gardé le nom de lycée mais le sens réel est totalement différent. Il y a 40 ans il y avait encore un examen d'entrée en 6e. Maintenant il y a entre 60 à 70% de la population qui va au lycée. On a des attitudes réactionnaires à cause de cela d'une certaine couche de professeurs.

Même moi, quand tu te retrouves pendant un an en difficulté devant un public scolaire et tu ne sais pas quoi faire et bien il y a des moments où tu commences à penser 'ils font chier'. Je me retrouve avec des gamins qui ont été orientés dans des filières royales et qui ne s'en sortent pas. Ils ratent le baccalauréat, ils doublent, ils triplent et ils sortent du système scolaire avec rien, que dalle ! Ils passent six ans au lycée et ils sortent sans rien- et puis après et bien ils deviennent chiants. Il y a des moments, on a envie de les engueuler, c'est clair et net.

WSWS : Quelle est la perspective de Sud devant cette situation ?

DC : Théoriquement on doit encourager les luttes, mais pratiquement on est très peu nombreuxActuellement notre bagarre c'était contre le Lycée des Métiers, parce que c'est une des contradictions de la gauche. C'est une mesure qui a été annoncée par Jean-Luc Mélanchon au forum de Porto Allègre et c'est la réponse de Mélanchon aux menaces de privatisation de l'enseignement. Il y a de plus en plus de jeunes qui ont des contrats d'apprentissage ou qui sont formés par les Chambres de Commerce au lieu de suivre l'enseignement général. Donc Mélanchon et compagnie disent que si on veut maintenir une structure scolaire il faut accepter ce Lycée des Métiers, c'est un moyen de sauver le service public.

En fait, les formations professionnelles dispensées par l'éducation nationale seront regroupées dans une seule structure organisant un partenariat avec les entreprises du bassin d'emploi. Donc dans mon lycée ce sera avec les concessionnaires automobile Peugeot et Citroën. Ils viendront assurer des compléments de formation aux gamins qui iront systématiquement en stage chez eux, et dans cette structure, il sera possible à tout élève de devenir à tout moment apprenti, autrement dit de changer de statut et donc il n'est plus dans l'éducation nationale.

M-CC : Il y a deux choses : Ce sont les patrons qui disent ce qu'il faut qu'on leur enseigne et les patrons participent à l'évaluation.

DC : Si à un moment donné, dans l'automobile il y a besoin important de main-d'uvre ils viennent chercher les gamins alors qu'ils sont encore en formation et n'ont pas encore les diplômes. Ils les font bosser le temps nécessaire dans l'entreprise, puis ensuite ils pourront revenir dans le circuit scolaire par le système de validation des acquis professionnels. C'est plus que de la flexibilité : Ils viennent les chercher à l'école, ils les sortent du système scolaire et quand il faudrait licencier et bien non, on les remet à l'école.

WSWS : Que peut faire SUD face à cette situation ?

DC : Je ne sais pas. Je te dis, je ne sais pas. A mon avis il va se passer quelque chose, mais je ne sais pas quoi. C'est le néant le plus total, le néant démocratique complet. Pas de débat pour les présidentielles, pas de débat pour les législatives à part la sécurité, et poil au nez ! A mon avis, ça va se payer un jour. Ca ne peut que se payer.

WSWS : Nous avons appelé au boycott du second tour des élections présidentielles car la classe ouvrière n'avait aucun choix dans ces élections ; nous avons appelé à rejeter les deux candidats et organiser la lutte car voter pour Chirac n'est pas un moyen de lutter contre le fascisme. Il faut une politique indépendante pour la classe ouvrière.

M-CC : Il y a aussi un problème des syndicats : les gros syndicats sont devenus des syndicats qui gèrent. La CGT se fait toute petite, ne bouge pas parce qu'elle veut entrer dans la Confédération européenne des syndicats. Quand tu es ouvrier ou chômeur, il n'y a personne pour te défendre. Il n'y a plus un syndicat qui bouge : c'est là d'abord que cela pêche.

WSWS : Il y a eu quand même un sursaut avec la montée de Le Pen. Les jeunes ont bougé, mais plus maintenant car cela a été canalisé derrière la campagne pour Chirac.

DC : Moi j'y vois un phénomène purement médiatique.

WSWS : Il y avait 500 000 personnes à Paris. Il y avait des éléments du Parti Socialiste qui demandaient que ces manifestations cessent. Ce n'était pas seulement médiatique. Qu'a dit Sud ?

DC : On a dit en gros qu'on appelait à voter Chirac.

M-CC : C'est le Groupe des dix [G10, la confédération de Sud] qui a réagi : battre l'extrême-droite dans la rue et dans les urnes. Il y a eu débat à Sud et on n'était pas tous d'accord - comme nulle part. C'est pour cela qu'il n'y a pas eu d'appel dans les journaux. On était divisés. Le bureau du G10 a décidé sans vraiment consulter les syndicats.

WSWS : La montée du fascisme n'est pas une question électorale. Le Pen a progressé à cause de la politique corrompue de la gauche, et il y a beaucoup de gens qui en ont assez et qui ont protesté.

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