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L'opportunisme en pratique : la réponse des groupes de gauche français à l'élection présidentielle


Par Peter Schwarz
Le 6 mai 2002

Les résultats du premier tour des élections présidentielles en France ont mis une énorme responsabilité sur les épaules des partis de la gauche socialiste. Le fait que trois millions d'électeurs, soit plus de 10 pour cent de l'électorat aient voté pour Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière (LO), Olivier Besancenot de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) et Daniel Gluckstein du Parti des Travailleurs (PT), reflète la recherche d'une alternative progressiste et socialiste à la politique du gouvernement Jospin (Parti Socialiste) qui a essuyé une débâcle électorale.

Il est difficile de surestimer l'importance de ces événements. Les résultats électoraux ne fournissent qu'un reflet déformé des véritables forces sociales. Ils sont un instantané statique d'un processus dynamique. Lors d'une élection proprement dite, chaque vote a la même importance, mais pour l'évolution sociale future, tous les votes ne sont pas pareils.

Le vote en France doit être vu comme l'expression d'une société de plus en plus polarisée entre une élite privilégiée et la vaste majorité de la population dont le niveau de vie stagne ou diminue. Les masses n'ont aucune perspective claire et ne voient pas d'issue à la crise, sauf qu'elles rejettent de plus en plus les partis officiels qui gouvernent, tant les gaullistes que la coalition dirigée par le Parti socialiste. Certains ont opté pour les trois candidats de la gauche socialiste. D'autres, trompés par la démagogie populiste de droite de Le Pen, ont voté pour lui et son Front national. Même parmi les électeurs de l'extrême droite, les sympathisants fascistes sont une minorité distincte.

Le plus grand danger immédiat qui se dresse devant les travailleurs français n'est pas une prise du pouvoir par les fascistes mais le maintien de la subordination de la classe ouvrière, au nom de la « défense de la République », à Chirac et à l'establishment politique bourgeois qui, comme l'a démontré le second tour des élections, comprend les partis de gauche officiels: socialiste, communiste et vert.

Le progrès social, y compris la lutte contre le danger représenté par Le Pen, dépend en fin de compte de la possibilité de bâtir un mouvement indépendant de la classe ouvrière. Mais jusqu'à présent, aucun des trois partis non gouvernementaux se réclamant du trotskysme n'a démontré la moindre intention d'assumer cette responsabilité. Tous trois ont réagi à la défaite de Jospin et à la poussée électorale en faveur de Le Pen par des formules évasives et des faux-fuyants, faisant preuve d'un opportunisme le plus flagrant.

Parti des Travailleurs

De la façon la plus claire possible, le Parti des Travailleurs (PT), dont le candidat Daniel Gluckstein a reçu 130.000 votes, a rejeté toute responsabilité politique. Après la fermeture des bureaux de vote, le parti a littéralement disparu de la scène. Il n'a pas participé aux manifestations contre Le Pen et ne s'est engagé dans aucune action publique. Le site Web du parti n'a pas été mis à jour depuis le 20 avril, et son journal hebdomadaire ne peut être obtenu que difficilement.

À la veille de l'élection, Gluckstein a déclaré, « les travailleurs et la jeunesse vont entrer dans une période indiscutablement difficile. Mais nous sommes confiants dans leur capacité à trouver par eux-mêmes, dans leur propre mobilisation, toutes les ressources permettant de trouver des solutions ». On ne pourrait réagir à la situation qui s'est développée le 21 avril de façon plus lâche et évasive. En réponse à la question, que faut-il faire, Gluckstein répond à ses électeurs: je suis confiant dans votre capacité à trouver une réponse.

Sinon, il les réfère à la bureaucratie syndicale. « Comme cela fut le cas dans de nombreuses circonstances difficiles du passé, la défense de la démocratie passera nécessairement par la capacité des organisations syndicales confédérées à forger l'unité des travailleurs et de leurs organisations pour la défense de leurs droits et garanties, et de la démocratie ».

Les déclarations de Gluckstein remettent l'existence même du PT en question. Si la classe ouvrière peut trouver la solution par elle même à la crise politique, pourquoi aurait-elle besoin de son propre parti ? Et comment a-t-elle pu se retrouver dans cette situation difficile ?

Quant aux syndicats, ils ont une grande part de responsabilité dans la crise actuelle. En France comme ailleurs dans le monde, ils ont évolué fortement vers la droite et cessé il y a longtemps de défendre les droits démocratiques et les gains sociaux. Au cours des cinq dernières années, ils ont étroitement collaboré avec le gouvernement Jospin. Renvoyer les travailleurs qui ont voté contre Jospin à la bureaucratie syndicale corrompue et discréditée est tellement absurde qu'il se passe de tout autre commentaire.

Le comportement lâche et évasif du PT suite à l'élection est notamment attribuable au fait que la défaite de Jospin est une débâcle de la propre politique du PT. Une grande partie de la direction actuelle du Parti socialiste, dont Lionel Jospin, a été éduquée par le PT ou ses prédécesseurs.

Dans les années 1970, Jospin était un membre clandestin de l'Organisation communiste internationaliste (OCI), et a gravi les rangs du Parti socialiste jusqu'à devenir le plus proche allié de François Mitterrand et même le secrétaire du PS. À cette époque, l'OCI, prédécesseur du PT, ne se lassait pas de répéter que la collaboration des bureaucraties du Parti socialiste et du Parti communiste représentait la réalisation du front unique de la classe ouvrière, et soutenait Mitterrand.

Dans les années 1980, lorsque Mitterrand au cours de son premier mandant à la présidence se tourna abruptement vers la droite, l'OCI évolua à sa façon en créant le PT. Plusieurs membres en vue désertèrent alors l'organisation et adhérèrent au Parti socialiste où ils occupèrent des postes dirigeants. Ils mirent en pratique ce qu'ils avaient appris à l'OCI: comment couvrir une politique essentiellement de droite avec une phraséologie de gauche.

Le PT conserva également ses vieilles méthodes: à la lutte ouverte pour une perspective socialiste, il préféra les manuvres en coulisse, recherchant l'écoute des bureaucrates syndicalistes influents et des positions au sein de l'appareil syndical. La direction du syndicat Force Ouvrière (FO) était largement sous son influence. Le président de FO consultait régulièrement Pierre Lambert, le dirigeant principal du PT.

La défaite de Jospin représente un coup dévastateur pour ce type de politique. Elle démontre clairement que de nombreux travailleurs n'accepteront plus de se laisser tromper et qu'ils recherchent une alternative. Le PT a réagi à ces développements par le silence.

Ligue Communiste Révolutionnaire

Dans cette élection, la Ligue communiste révolutionnaire a continué le rôle qu'elle joue depuis longtemps dans la politique française : contenir les forces sociales parmi les jeunes, les intellectuels et les travailleurs qui menacent de briser le carcan politique de l'establishment. Elle s'arrange toujours pour adopter la rhétorique la plus radicale tout en s'assurant que ses slogans et ses actions ne nuisent aucunement à ses nombreux liens avec l'establishment politique.

La recommandation officielle du parti pour les élections du 5 mai, confirmée par le comité central, allait complètement dans ce sens: « Il faut barrer la route à Le Pen, le pire ennemi des travailleurs, dans la rue comme dans les élections. »

Cette formule impliquait un vote pour Chirac, et a été interprétée en tant que tel par des dirigeants en vue du parti. Le 2 mai, le candidat présidentiel de la LCR Olivier Besancenot appelait à l'élection de Chirac sur Europe-1 et ajoutait : « ...on propose à tous les électeurs d'aller se laver les mains le soir même [après avoir voté Chirac], et d'organiser un troisième tour social en descendant le plus massivement possible dans la rue dès dimanche soir.» Daniel Bensaid, un autre dirigeant bien connu du parti s'exprimait sensiblement de la même manière lors d'une assemblée du 1er mai : « Dimanche on chasse Le Pen et dès lundi on chasse Chirac » déclarait-il.

Cette formulation laissait la porte ouverte à de violentes tirades verbales contre Chirac, sans imposer une ligne de conduite précise. L'organisation de jeunesse de la LCR, qui s'est abstenue de tout appel à voter pour le président haï, s'est spécialisée dans ce type d'attaques. Un vote pour Chirac provoquait de toute évidence une forte résistance parmi les jeunes.

En général, l'intervention de la LCR a été caractérisée par ses efforts pour cacher les dangers qui résulteraient d'une victoire massive de Chirac grâce aux suffrages de la classe ouvrière. Dans les conditions créées après le premier tour, la seule possibilité d'unir la classe ouvrière contre Chirac et Le Pen aurait été un boycott organisé des élections, tel que proposé par le comité de rédaction du World Socialist Web Site. Ceci a été rejeté par la LCR, qui préfère lancer à tort et à travers des appels démagogiques pour une mobilisation des jeunes et des travailleurs dans la rue, etc., etc.

Mais, sur la base de quelle perspective les jeunes et les travailleurs devraient-ils descendre dans la rue, si au même moment la LCR leur demande de voter Chirac? « Autour de revendications sociales », répond la LCR. En d'autres termes, ils devraient légitimer la présidence de Chirac en lui donnant leurs votes et ensuite faire pression sur lui pour obtenir ce qu'ils n'ont pas réussi à obtenir jusqu'ici en faisant pression sur Jospin. Cette conception est absurde.

Il y a une raison évidente pourquoi la LCR ne s'oppose pas à l'élection de Chirac. Elle perdrait trop de ses amis. L'effondrement de la gauche gouvernementale et le score surprenant de leur propre candidat Besancenot, qui a reçu 1,2 million de votes, ont réveillé chez les dirigeants de la LCR de nouveaux espoirs pour la construction d'un large mouvement centriste, où ils pourraient jouer un rôle important.

Immédiatement après le premier tour, le bureau politique de la LCR déclarait : « La question d'une nouvelle force anticapitaliste, d'un nouveau parti des travailleurs et de la jeunesse est posée avec acuité. » Selon la LCR, un tel parti devrait d'abord s'appuyer sur les forces qui ont soutenu les candidatures de Besancenot et de Laguiller, ensuite sur les mouvements sociaux qui luttent contre le fascisme et la mondialisation, et finalement sur les membres des partis communiste, socialiste et écologiste, qui cherchent les voies d'une alternative politique.

Le 30 avril, le dirigeant de la LCR, Alain Krivine donnait une entrevue au Figaro où il se faisait encore plus clair : « La direction des Verts et celle du PC nous ont également demandé une rencontre. Ce que nous accepterons, bien sûr. Sur un très long terme, je pense que l'implosion du PC pourra ... faire naître un nouveau parti féministe, écologiste, anticapitaliste, qui ne se réduise pas à l'extrême gauche telle qu'elle est actuellement. Les milliers d'orphelins d'un parti politique, adhérents à des syndicats ou à des mouvements associatifs, pourront également s'y retrouver. »

Les candidats au type de parti dont rêve Krivine ont appelé presqu'à l'unanimité à voter pour Chirac: les syndicats, les partis de la «gauche plurielle», et des organisations comme celle pour la défense des Sans-Papiers, ATTAC, Ras l'Front ! et AC !, où les membres de la LCR jouent un rôle actif. En soutenant Chirac, ils envoient un signal clair à l'élite dirigeante qu'elle peut compter sur eux. Ils respectent le cadre institutionnel et ne permettront pas qu'un mouvement social le fasse voler en éclats.

Le mouvement de gauche auquel aspire Krivine n'est donc pas anti-capitaliste. Il devrait plutôt servir à remplacer la «gauche plurielle», qui a servi l'establishment français avec tant de succès durant les cinq dernières années, mais qui a échoué au premier tour des élections.

Lutte Ouvrière

Il a fallu près d'une semaine à Lutte Ouvrière pour donner une consigne ferme quant aux élections du 5 mai. Le samedi 27 avril, Arlette Laguiller faisait paraître un communiqué disant ceci: «Lutte Ouvrière n'appelle pas à l'abstention mais appelle à se rendre aux urnes pour voter blanc ou nul». Deux jours plus tard, le parti publiait un éditorial intitulé : « Contre Le Pen mais pas pour Chirac : Une enveloppe vide dans l'urne ». Cette prise de position fut précédée d'une semaine de revirements et de déclarations ambiguës.

Le soir du premier tour, Laguiller déclarait à la télévision que l'on ne pouvait combattre Le Pen en soutenant Chirac, déclaration qui fut généralement interprétée comme un appel à l'abstention au second tour. Mais dès le lendemain était publiée une déclaration écrite commençant ainsi : « Je n'appelle pas à l'abstention au second tour de l'élection présidentielle ». La déclaration poursuivait par un rejet catégorique de Le Pen et moins catégorique de Chirac. Beaucoup de travailleurs seraient tentés de voter Chirac pour faire barrage à Le Pen, mais Laguiller quant à elle, ne croyait pas que les travailleurs aient intérêt à ce que l'élection de Chirac soit un plébiscite. Elle refusa de donner une consigne concrète pour le vote.

La déclaration ne pouvait être interprétée que comme suit: personnellement, Laguiller n'approuvait pas le soutien à Chirac, mais elle n'appelait pas d'autres à suivre son exemple. Ce qu'elle a confirmé le jour même dans un éditorial: « Bien entendu, chacun doit faire le choix qui lui semble le plus justifié, mais chacun devra penser à ce que ce choix pourrait entraîner pour l'avenir ».

Cette position dénote une profonde passivité. Elle est caractéristique de centristes qui ne sont pas prêts à appeler les choses par leur nom, et qui, lorsqu'ils sont finalement obligés de le faire, ne se sentent aucunement dans l'obligation d'en tirer sérieusement les conséquences politiques. Les marxistes révolutionnaires ont toujours considéré que leur tâche était de lutter contre l'opinion publique bourgeoise afin d'armer les travailleurs contre cette pression de la classe dominante, et ce, en mettant de l'avant leur programme indépendant. Lutte Ouvrière ne fait rien de la sorte. Durant tout le temps que les médias et la gauche officielle se sont efforcés d'attirer les travailleurs dans le camp de Chirac, Lutte Ouvrière a refusé d'entreprendre la moindre contre-offensive. LO a traité la question de façon tout à fait complaisante, comme si elle disait: «Non merci, cela ne me concerne pas vraiment!» Politiquement, c'est une capitulation devant la campagne pro-Chirac. Lutte Ouvrière refuse formellement de se ranger dans le camp pro-Chirac, mais sans démontrer le moindre signe d'initiative révolutionnaire.

De nombreuses indications trahissent les conflits aigus présents au sein de l'organisation à propos de sa réaction au vote pour Le Pen. La tendance minoritaire qui publie régulièrement une colonne dans l'organe du parti a appelé à l'abstention dès que les résultats du premier tour ont été connus. Ses représentants n'ont pas proposé un boycott actif, mais seulement que les supporters de LO ignorent le second tour des élections. Les travailleurs, ont-ils écrit, n'auraient aucun choix au second tour. La tendance minoritaire de LO a recommandé que les travailleurs se préparent dans les grèves et dans la rue pour le combat qui naîtra inévitablement au lendemain du vote.

Encore une fois, cette position est une expression de passivité politique, mais ce coup-ci maquillée des propos du syndicalisme militant. Il ne semble pas être venu à l'idée des représentants de la tendance minoritaire qu'un point de vue actif d'opposition aux élections sous la forme d'un boycott organisé était la prémisse essentielle du travail de préparation des travailleurs pour les luttes à venir. Au lieu de mener une lutte déterminée contre la vaste alliance qui tentait d'enchaîner les travailleurs à Chirac, la tendance minoritaire a tout simplement tourné le dos aux élections.

De l'autre côté, Laguiller a subi la pression des médias et du Parti communiste qui ont réagi avec rage à son refus d'appeler ouvertement à voter pour Chirac. Le quotidien libéral de gauche Libération, dirigé par des anciens maoïstes, a joué un rôle particulièrement malveillant à cet égard. Le journal a vigoureusement soutenu que la gauche devrait prendre la tête de la campagne pour assurer un vote en faveur de Chirac. Le quotidien est allé jusqu'à publier un article particulièrement malsain où Laguiller était décrite comme l'épouse idéale pour Le Pen. L'Humanité, le journal du Parti communiste, a également fait appel au type de calomnies staliniennes qui caractérise l'histoire de ce parti, accusant Laguiller de suivre une «stratégie de démarcation suicidaire » et de « faire ainsi le jeu du Front National».

Lutte Ouvrière a réagi à cette pression de façon typique : le parti s'est replié sur lui-même et a sombré dans la léthargie politique. L'appel lancé par l'organisation pour un vote blanc ou nul visait, faut-il croire, à étouffer l'opposition ardente de certains membres et supporters. Il ne représentait pas une cassure avec sa position jusqu'ici passive. Le parti n'a fait aucune tentative pour mener une campagne active pour défendre sa position ou même convaincre ses membres.

Lors de la manifestation de masse du 1er mai à Paris, Lutte Ouvrière n'a fait aucune diffusion sérieuse de tracts ou de déclarations politiques. Les vendeurs de journaux de LO étaient également invisibles. Le contingent du parti à la manifestation était rigoureusement tenu à l'écart des autres manifestants derrière un cordon de responsables de LO.

La seule organisation ayant appelé les manifestants, par le biais de milliers de tracts, à entreprendre un boycott actif, était le Comité International de la Quatrième Internationale et son organe de presse, le World Socialist Web Site.

Compte tenu des prétentions révolutionnaires de LO et du fait que ce parti a réussi à recueillir pour une deuxième fois un total de 1,6 million de votes pour son candidat présidentiel, et à la lumière de la crise profonde des institutions bourgeoises et de la gauche officielle, on aurait pu s'attendre à ce que LO prenne tous les moyens à sa disposition pour exploiter la situation. La défaite des partis gouvernementaux de gauche et l'effondrement du Parti communiste offraient une opportunité exceptionnelle pour clarifier des questions fondamentales de perspective politique.

Mais un tel point de vue d'initiative politique est tout à fait étranger à Lutte Ouvrière. Cette organisation n'a même pas senti le besoin de publier un numéro spécial de son journal. Les rares commentaires sur les élections qui ont paru dans sa presse n'ont pas dépassé, comme à l'accoutumée, quelques lignes ou quelques paragraphes.

LO n'a pas su montrer le moindre intérêt à éclairer la nouvelle situation politique sous ses nombreuses facettes, à répliquer intensément aux arguments de ses adversaires politiques (les autres partis de gauche socialistes, les partis gouvernementaux de gauche et de droite, les fascistes) afin d'éduquer et d'armer les travailleurs. Les organisations révolutionnaires sont toujours mises à l'essai lors des grands événements politiques. À cet égard, Lutte Ouvrière a échoué lamentablement.

Quiconque a suivi l'évolution de cette organisation depuis un certain temps ne sera pas surpris par un tel développement. Bien que l'organisation prétende se baser sur le trotskysme, elle a toujours rejeté l'adhésion à la Quatrième Internationale, le parti mondial de la révolution socialiste fondé par Léon Trotsky. LO a justifié sa position en soutenant qu'une telle adhésion nuirait aux liens du parti avec le milieu ouvrier.

Dans un texte de 1983 passant son histoire en revue, LO affirmait: «Parce que Lutte ouvrière était un très petit groupe, elle défendait la position qu'elle devait consacrer toutes ses énergies à s'enraciner dans la classe ouvrière et que rien d'autre n'importait» (Lutte ouvrière dans le mouvement trotskyste). Incapable de comprendre qu'une orientation prolétarienne ne peut être maintenue que sur la base d'une orientation internationale, LO mettait en opposition ses liens dans le milieu ouvrier à la construction d'un parti international.

Depuis sa fondation en 1956, le parti a mené une existence tranquille au sein des cercles syndicaux nationaux, profondément convaincu que la classe ouvrière n'était plus révolutionnaire et qu'il n'y avait pas de possibilité qu'elle le devienne dans un avenir prévisible.

Alors que le parti a critiqué la direction syndicale de temps en temps, LO est régulièrement venu à son secours lorsque la bureaucratie trahissait une lutte des travailleurs. Ce fut le cas en 1995, lorsqu'une immense vague de grèves a menacé le gouvernement Juppé. Lutte ouvrière a alors rejeté tout appel à la démission du gouvernement et est devenue l'avocat politique de la direction syndicale lorsque cette dernière a fini par vendre le mouvement de grève.

Au cours de la dernière campagne électorale, la perspective étroite de L0, limitée aux questions syndicales les plus immédiates, a occasionnellement pris des formes étranges. Laguiller a réussi à s'adresser une heure durant à des centaines de partisans sans mentionner un seul événement international : ni la guerre en Afghanistan (de laquelle les troupes françaises sont partie prenante), ni les événements au Moyen-Orient ou aux Balkans. On pourrait penser que la France est une île isolée sur une autre planète.

En même temps, Lutte ouvrière semblait plus en état de choc qu'encouragée par ses succès électoraux. LO s'attarde à diminuer l'importance de son propre vote et à nier qu'il en résulte la moindre responsabilité politique. C'était le cas en 1995, et ce l'est encore aujourd'hui.

Un commentaire sur les résultats électoraux publié dans le numéro du 26 avril de Lutte ouvrière insistait avec un sentiment de soulagement sur «la stabilité de cet électorat» pour ensuite souligner que les électeurs qui avaient voté pour LO ne partageaient pas nécessairement ses buts communistes: «C'est aussi un électorat qui sait qu'Arlette Laguiller se revendique du communisme et n'en est pas gêné, même quand il n'y adhère pas.» Personne ne peut nier que les électeurs qui ont donné leur soutien à Laguiller l'ont fait pour un éventail de raisons, mais il faut poser la question d'une façon active et non négative, à savoir: comment développer le potentiel socialiste exprimé dans un vote aussi important de 1,6 million de voix?

Dans sa déclaration du 26 avril, Lutte ouvrière a accueilli les résultats électoraux de la LCR et du PT dans les mots suivants: «la présence de plusieurs candidats d'extrême gauche représentant des politiques différentes et s'adressant à des milieux différents n'est pas un handicap mais une richesse. »

LO a ensuite offert ses vux de succès à la LCR dans sa tentative de réunir un melting-pot centriste : «Et nous nous réjouissons du fait que, forte de son électorat qui atteint un niveau significatif, presque du même ordre que celui d'Arlette Laguiller en 1995, la LCR puisse prendre elle-même l'initiative, qu'elle nous avait recommandé alors, de proposer la construction d'un parti "à la gauche de la gauche" ou "100% à gauche" aux différentes forces politiques, associatives, anti-mondialisation, etc. avec lesquelles elle a l'habitude de travailler. »

Cette absence de la moindre initiative politique en faveur d'un point de vue défensif, contemplatif et profondément pessimiste constitue la «culture de l'opportunisme» qui est profondément enracinée au sein de l'organisation de LO. Dans une brochure publiée en 1996 qui traitait du mouvement de grève contre le gouvernement Juppé de l'époque, David Walsh du World Socialist Web Site écrivait : « Une caractéristique tout à fait remarquable de ce milieu est ce qu'on pourrait appeler la culture de l'opportunisme. Il était impossible de rencontrer un membre de Lutte ouvrière ou de la LCR ou un de leurs sympathisants qui pût ne serait-ce qu'imaginer devoir soulever une question ou défendre un principe qui ne fût pas déjà dans l'air et plus ou moins accepté par la majorité des travailleurs. C'étaient là des gens qui n'avaient aucun muscle politique. »

Les formes grotesques d'opportunisme exhibées par les trois mouvements de «gauche» révèlent un problème auquel font face les travailleurs à travers le monde: le déclin de la conscience politique suite à des décennies de domination des bureaucraties staliniennes et sociales-démocrates sur la classe ouvrière.

Comme ils l'ont démontré au cours de l'élection actuelle, le PT, la LCR et LO n'ont aucun solution à ce problème: en fait, ils ne comprennent même pas qu'un tel problème existe. Le World Socialist Web Site s'est donné pour tâche de résoudre ce problème par la construction d'un parti véritablement international et socialiste. Nous lançons un appel à tous ceux en France qui cherchent une alternative politique à lire régulièrement et à soutenir notre site web, l'instrument central pour la réalisation de cette perspective révolutionnaire.

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