La sécurité et la Quatrième Internationale

Sylvia Ageloff et l’assassinat de Léon Trotsky

Partie 2

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Le 20 août 1940, Léon Trotsky a été assassiné par l’agent stalinien Ramón Mercader à Coyoacán, dans la banlieue de Mexico. L’accès de Mercader au grand révolutionnaire a été rendu possible grâce à sa relation avec Sylvia Ageloff, membre du Socialist Worker Party (SWP). Au lendemain de l’assassinat, Ageloff s’est présentée comme une victime innocente de la duplicité de Mercader, une affirmation qui n’a jamais été contestée par le SWP.

Cette série d’articles constitue la première enquête systématique du mouvement trotskyste sur le rôle d’Ageloff et poursuit le travail du Comité international de la Quatrième Internationale et de son enquête La sécurité et la Quatrième Internationale. Elle sera publiée en quatre parties.

Été 1938: Des contradictions apparaissent dans l’histoire de Mornard alors qu’il finance le séjour d’Ageloff

Dans son livre de 2015, Ramón Mercader: The Man of the Piolet (L’homme au piolet), Eduard Puigventós López écrit: «Un jour, Jac [Jacques Mornard] a dit à Sylvia qu’il avait dû rentrer soudainement en Belgique parce que ses parents avaient eu un accident (bien que cela contredisait le fait qu’il ait dit que son père était mort en 1926).» [31]

En juillet 1938, précisément au moment où Rudolf Klement disparaît à Paris, Mornard interrompt ses contacts avec Ageloff sous prétexte de devoir se rendre à Bruxelles. Notablement, la police mexicaine relate un témoignage d’Ageloff: «Elle est également allée à Bruxelles sur sa propre décision spontanée, et même si elle avait envoyé un télégramme à Jackson, en proposant qu’elle allait le rencontrer là-bas, elle ne l’a cependant pas trouvé. Tout cela s’est produit en août 1938». [32] Le moment de la disparition d’Ageloff de Paris correspond à la période où la police poursuivait ses recherches pour retrouver le corps de Klement et où le mouvement trotskyste enquêtait sur le rôle de la GPU dans sa disparition.

À Paris, Ageloff n’a rencontré aucun des amis de Mornard, mais elle lui a présenté ses contacts dans le mouvement trotskyste. Dans la déposition d’Ageloff à la police mexicaine, elle a déclaré qu’il «avait suspendu ses relations» avec ses amis. Le rapport de police a poursuivi: «Il ne fréquentait que le même groupe d’amis que la déclarante [Ageloff], ses camarades américains et français». [33]

Mornard a commencé à payer Ageloff pour des travaux de traduction. Marie Craipeau, l’épouse du trotskyste français Yvan Craipeau, qui était très proche d’Ageloff lorsqu’elle était en France, est devenue méfiante. Craipeau a expliqué plus tard:

Étonnamment, il lui a proposé qu’elle traduise des articles sur la psychologie de l’anglais au français pour une agence, et j’ai aidé Sylvia à taper ses textes. Nous avons reçu un bon salaire pour cela. Plus tard, un jour où nous travaillions, je me suis soudainement arrêtée, les doigts posés sur le clavier, et je lui ai dit: «Écoute, Sylvia, ça n’a aucun sens. Il n’y a pas d’emplois comme celui-ci qui soient aussi bien payés». Alors nous nous sommes assises sur le lit, en allumant une cigarette comme avant, et nous l’avons analysée. Il ne s’intéressait pas à la politique. ... Il ne participait pas à nos discussions... Et alors? Nous avons pensé qu’il était tellement fou amoureux, qu’il ne voulait pas qu’elle parte. C’était notre conclusion. [34]

Plus tard dans l’été, Mornard a proposé à Ageloff de prendre un autre emploi, cette fois en écrivant des articles de psychologie pour une compagnie appelée «Argus Press». À ce poste, Ageloff recevait 3000 francs par mois directement de Mornard, et non par l’intermédiaire de la compagnie elle-même, et elle n’était pas autorisée à savoir où les articles étaient publiés ni à les lire dans leur forme finale. [35]

L’auteur Gregorio Luri (The Promised Sky: A Woman at the Service of Stalin - Le ciel promis: Une femme au service de Staline) a expliqué: «Il n’y avait pas un seul psychologue en France qui aurait reçu cette somme, quelle que soit sa renommée. Mais Sylvia ne se doutait de rien». [36] Luri a ajouté: «Si nous analysons les faits froidement, c’est-à-dire de manière impartiale, ce qui n’était évidemment pas le cas de Sylvia, nous découvrons rapidement que les faits que Ramón lui offrait à propos de lui-même n’étaient pas cohérents.» [37]

Juillet-septembre 1938: Ageloff présente Mornard aux délégués en Europe participant à la conférence à venir de fondation de la Quatrième Internationale

Ageloff s’était rendu en Europe pour aider à la préparation minutieuse du mouvement trotskyste international en vue de sa conférence de fondation à Paris. La conférence était initialement prévue au moment de l’arrivée d’Ageloff en France, mais elle a ensuite été reportée au début du mois de septembre en raison de préoccupations croissantes en matière de sécurité.

Dans la période précédant la conférence, la campagne de la GPU contre le mouvement trotskyste avait atteint son paroxysme. En juillet, peu après l’arrivée d’Ageloff à Paris, la GPU a assassiné Rudolf Klement, le secrétaire de la Quatrième Internationale, dont le corps décapité et démembré s’est échoué sur les rives de la Seine. Peu avant la disparition de Klement, la GPU lui avait volé une valise contenant des documents relatifs aux plans de la conférence fondatrice.

Les trotskystes français proches de Klement savaient qu’il était homosexuel. Ils pensaient qu’un homme avec lequel il avait entamé une relation intime était, en fait, une taupe de la GPU qui avait aidé à mettre en place l’assassinat. [38] Bien que cela ait mis en évidence la méthode de la GPU pour attirer les victimes par le biais de relations personnelles, Ageloff a non seulement poursuivi sa relation avec l’inconnu Mornard, mais elle l’a bientôt présenté aux dirigeants trotskystes qui se préparaient à assister à la conférence fondatrice de la Quatrième Internationale.

Lors de son procès pénal au Mexique, Mercader a témoigné qu’Ageloff lui avait présenté «Yvan», une référence à Yvan Craipeau, qui était un délégué à la conférence et avec qui il était assez proche pour l’appeler par son prénom. Il a poursuivi:

En septembre 1938, je savais déjà que Sylvia Ageloff était trotskyste, qu’elle avait des relations avec des trotskystes et qu’elle était membre du parti trotskyste, bien que sur ce dernier point je ne me souvienne pas si Sylvia l’avait dit spécifiquement; et à l’occasion, parfois juste avec Sylvia et parfois avec ses amis ou camarades nous faisions de nombreuses excursions, nous allions au château Theyry, [sic] à Verdun, à Metz, à Touts, à Blois, à Chartres, à Dauville, etc., et parmi ces camarades qui étaient des amis trotskystes de Sylvia, je me souviens de Manni, Waltha, Naty, Frank, Elizabeth et d’autres. [39]

Les rapports du FBI des semaines qui ont suivi le meurtre de Trotsky montrent que des informateurs confidentiels ont rapporté que Mornard-Mercader «avait été invité à dîner chez Manuel Garrett», un représentant américain à la conférence fondatrice en septembre. [40] C’est à ce «Manni» que Mercader a fait référence lors de son procès au Mexique.

Le «Naty» mentionné par Mercader était le trotskyste américain Nathan Gould, qui a également participé à la conférence fondatrice en tant que représentant du Socialist Workers Party.

Ageloff était également liée à Mark Zborowski.

Selon l’ancien général soviétique et historien russe Dmitri Volkogonov, dont l’accès aux archives restreintes de la GPU lui a donné une vue unique des activités de la police secrète stalinienne en Europe à cette époque, Ageloff «était connue de Zborowski grâce à leur travail commun au sein du secrétariat». [41]

Le livre historique illustré français de 2010 Les Amants de Sylvia, de Gani Jakupi, se base en grande partie sur des entretiens avec Marie Craipeau et affirme que Zborowski était présent lorsque Weil et Ageloff ont été présentés pour la première fois à «Mornard». [42] Dans son témoignage confidentiel de 1956 devant la sous-commission du Sénat américain sur l’Étendue de l’activité soviétique aux États-Unis, Zborowski reconnaît connaître Ageloff, bien qu’il affirme de manière évasive avoir perdu la mémoire et ne donne pas d’autres détails. [43]

Septembre 1938: Ageloff invite Mornard à la conférence de fondation de la Quatrième Internationale

Lorsque la conférence s’est ouverte début septembre dans une propriété de la banlieue parisienne appartenant à Albert et Marguerite Rosmer, Ageloff était à l’intérieur en tant que traductrice russe, travaillant avec Zborowski, le délégué représentant la section russe de l’opposition.

L’historien Robert Jackson Alexander a décrit les conditions extrêmement dangereuses dans lesquelles l’événement se déroulait et a expliqué les précautions de sécurité prises pour la conférence fondatrice:

La réunion qui a officiellement créé la Quatrième Internationale s’est déroulée au plus fort de la crise de Munich, à un moment où la menace d’une nouvelle guerre mondiale semblait imminente. Les trotskystes ont dû prendre des mesures de sécurité extrêmes pour assurer l’accomplissement de leur mission en toute sécurité. Ils devaient se protéger non seulement de l’ingérence éventuelle de la police française, mais, plus important encore, des tentatives de la GPU soviétique de perturber la réunion et peut-être de tuer une partie ou la totalité des participants. …

Ceux qui ont participé à la réunion ont cherché à être aussi circonspects que possible quant à leur destination et à ce qu’ils allaient faire. Ainsi, ils ont emprunté plusieurs itinéraires différents de Paris à la maison Rosmer. ... Pour des raisons de sécurité, il était nécessaire que la réunion ne dure pas plus d’une journée. [44]

La direction du mouvement était tellement préoccupée par le risque de compromettre le voyage des délégués et la sécurité des hôtes qu’«après l’ajournement de la réunion, il a été annoncé que la conférence de fondation de la Quatrième Internationale s’était tenue «quelque part en Suisse». [45]

Malgré les dangers auxquels étaient confrontés les délégués, Ageloff a amené Mornard sur le lieu de la conférence, et le futur assassin de Trotsky est resté assis dehors dans la cour pendant toute la durée de la conférence, observant les participants et discutant avec eux pendant les pauses.

Luri a écrit:

Sylvia a participé à cette réunion en tant que traductrice. Ramón l’a accompagnée jusqu’à la maison des Rosmer, mais lui ayant dit qu’il n’avait pas le moindre intérêt pour les discussions politiques qui se déroulaient à l’intérieur, il s’est limité à l’attendre dans le jardin et à parler pendant les pauses de thèmes non pertinents avec les participants. Il a trouvé qu’il était facile d’établir des relations avec des étrangers. [46]

Puigventós a également expliqué que Mornard «est resté dans le jardin, fumant et passant le temps. Il a rencontré un certain nombre de délégués, parce qu’ils étaient des amis de sa petite amie...» [47]

La conférence fondatrice n’avait pas échappé à la GPU. Les délégués internationaux sont tous rentrés dans leur pays et la GPU a rapidement informé leurs espions et assassins locaux.

La décision d’Ageloff d’amener Mornard à la conférence était une violation irresponsable de la sécurité qui aurait dû entraîner son expulsion du parti. Tragiquement, le Socialist Workers Party, reflétant l’immaturité politique du mouvement ouvrier américain, a laissé passer de tels incidents sans les examiner. Cette faiblesse politique allait avoir des conséquences dévastatrices pour la sécurité personnelle de Léon Trotsky.

Après que la GPU a assassiné plusieurs des alliés les plus importants de Trotsky en Europe de l’Ouest, et Trotsky étant de plus en plus isolé au Mexique, l’attention de la GPU s’est déplacée outre-Atlantique, où un réseau d’agents à Mexico et à New York s’est rapproché de Trotsky. Le Socialist Workers Party, l’organisation désormais principalement responsable de la survie physique de Trotsky, n’était pas politiquement préparé à cette menace.

Plusieurs mois après la conférence fondatrice, au début de 1939, Ageloff est retourné aux États-Unis. Elle était devenue un élément essentiel de la conspiration de la GPU pour assassiner Trotsky.

Septembre 1939: Mornard change d’identité et se rend illégalement à New York

Lorsque Mornard arrive à New York sur le paquebot Ile de France le 3 septembre 1939, l’étape suivante de la campagne de la GPU était bien engagée. Il ne s’appellera plus «Jacques Mornard», mais «Frank Jacson». Il utilisait un faux passeport canadien, disait-il, et affirmait qu’il fuyait la conscription dans les forces armées belges. On apprendra plus tard que la GPU lui avait fourni le passeport de Tony Babich, un volontaire canadien mort pendant la guerre civile espagnole.

Il n’était pas facile d’émigrer d’Europe vers les États-Unis à cette époque. Avec l’invasion de la Pologne par Hitler le 1er septembre 1939, plusieurs milliers de personnes ont tenté de quitter l’Europe mais n’ont pas pu entrer aux États-Unis en raison des graves restrictions imposées par l’administration Roosevelt en matière d’immigration. Seulement trois mois plus tôt, le gouvernement américain avait refusé à 900 réfugiés juifs allemands se trouvant à bord du HMS St-Louis de débarquer aux États-Unis.

Après l’assassinat de Trotsky, le FBI a appris avec intérêt que «Frank Jacson» avait pu entrer aux États-Unis à cette époque par un «Ordre exécutif». Un rapport du FBI stipule: «Il a été autorisé à entrer aux États-Unis par ce que l’on appelle un «Ordre exécutif», ce qui signifie apparemment qu’il a été autorisé sur ordre du siège des Services de l’immigration à Washington DC». [48] J. Edgar Hoover a rapidement transmis ce rapport au secrétaire d’État adjoint Adolf Berle et au contre-amiral Walter Anderson, chef du renseignement naval. [49] Il n’existe aucun autre document public sur la signification de l’«Ordre exécutif» de Mornard, ni sur la manière dont il a obtenu cet ordre en voyageant avec le faux passeport d’un membre décédé du Parti communiste canadien.

À New York, Ageloff a présenté «Jacson» à ses camarades du SWP. L’une de ces personnes était Lillian Pollak, qui a décrit Ageloff dans une interview de 2011 comme «l’une de mes amis les plus proches.» Pollak, qui était dans le SWP et qui avait également visité Trotsky au Mexique, s’était immédiatement méfiée de Jacson-Mornard:

Il est venu lui rendre visite, et le jour de son arrivée, un ami et moi sommes allés jusqu’à l’endroit où ils [séjournaient], et il était assis dehors, seul. J’ai dit à mon ami: «Passons par là. …» Quand nous l’avons dépassé, j’ai dit: «Il avait un regard si sombre sur son visage, ça m’a fait peur.» C’est le type qui vient d’arriver d’Europe pour voir sa petite amie? J’ai commencé à chanter cette chanson de Fred Astaire et Ginger Rogers, elle était très populaire: «A strange romance, my friend, this is/A strange romance, with no kisses.» (Une étrange romance, mon ami, c’est une étrange romance, sans baisers.) [50]

Pollak, qui est resté amie avec Ageloff jusqu’à la mort de cette dernière en 1995, a écrit un mémoire/roman autobiographique en 2008 intitulé The Sweetest Dream: Love, Lies, and Assassination, qui met en scène un personnage nommé Sylvia Ageloff. Elle a écrit que pendant qu’ils étaient tous les trois à New York en 1939, Ageloff a dit à Pollak que Jacson-Mornard «est en effet allé avec moi chez Rosmer quand nous avons eu la réunion de la 4e internationale, mais qu’il est resté dehors et n’a pas voulu entrer. Je voulais qu’il rencontre Shachtman, Cannon et Etienne. ...» a-t-elle déclaré, laissant entendre une relation plus étroite avec Zborowski et un désir de rapprocher Jacson-Mornard des dirigeants du SWP. [51]

Jacson-Mornard a séjourné aux États-Unis pendant une brève période, puis s’est rendu à Mexico. En décembre 1939, Ageloff a reçu une lettre d’un médecin qui lui dit qu’elle avait un problème de sinus qui nécessitait un climat plus chaud. [52]

L’historien Bertrand Patenaude a cru qu’il s’agissait d’un prétexte: «Alors que les vacances de Noël approchaient, Sylvia a simulé une maladie pour abandonner son travail d’assistante sociale à New York, utilisant un certificat médical qui disait qu’elle souffrait de douleurs aux sinus et avait besoin d’un climat plus chaud pour récupérer». [53] Puigventós a également déclaré que «Sylvia a expliqué cela des années plus tard, en insinuant qu’elle avait exagéré sa douleur pour avoir une bonne excuse pour aller voir Jac.» [54]

Sa demande de congé a été acceptée et elle s’est rendue au Mexique en janvier. Le cercle de la GPU se refermait autour de Trotsky au Mexique. L’année 1940 sera sa dernière.

Janvier 1940: Ageloff et Jacson-Mornard se réunissent à Mexico; il est présenté à la famille de Trotsky

Ageloff est arrivé à Mexico, où un réseau d’agents GPU s’était établi.

Peu après son arrivée au Mexique, Ageloff a commencé à visiter l’enceinte de Trotsky, utilisant la relation que ses sœurs avaient développée avec Trotsky et sa femme Natalia Sedova pour s’intégrer comme «amie» de la maisonnée.

En 1950, le chef des services secrets de la police de Mexico, le général Leandro Sanchez Salazar, en collaboration avec l’ancien chef du POUM, Julián Gorkin, a écrit un livre intitulé Murder in Mexico, détaillant l’assassinat et certains aspects de l’enquête mexicaine. Un chapitre du livre, écrit par Gorkin, explique les méthodes de la GPU pour introduire des gens comme Ageloff et Jacson à la maison des Trotsky:

Toutes les intuitions du monde ne suffisent pas pour découvrir l’agent ennemi lorsque ce dernier est présenté comme un ami et un camarade. S’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas d’espions ni d’agents provocateurs; ou en tout cas pas tant que ça. Tous les services de police les utilisent en abondance, surtout à une époque comme la nôtre. Mais personne n’a jamais égalé la GPU et la Gestapo dans l’art diabolique de préparer leurs agents et de les introduire dans les lieux les plus appropriés à la tâche qu’ils doivent accomplir.

Il est possible à cet égard que la GPU soit plus qualifiée que la Gestapo. Ses agents ne sont pas seulement des mercenaires attirés par l’appât du gain ou poussés par l’esprit d’aventure, mais des fanatiques toujours prêts à sacrifier leur vie et leur liberté pour ce qu’ils imaginent être leur devoir le plus rigide. En outre, ils savent que de l’accomplissement de ce «devoir» dépend leur propre existence. En ce sens, ils sont des espions constamment espionnés, des terroristes sur lesquels pèse constamment la menace de la terreur. Il existe depuis longtemps des écoles à Moscou et à Leningrad pour la préparation des agents de la GPU destinés à servir à l’étranger. Trotsky connaissait bien ces écoles, puisqu’il a contribué à leur création. [55]

Julián Gorkin (Source: Fundación Andreu Nin) [Photo: Fundación Andreu Nin]

L’«amitié» d’Ageloff avec la famille Trotsky a suivi un modèle de la GPU. En France, en 1937, une Suissesse de 29 ans, Renata Steiner, s’était liée d’amitié avec Lev Sedov et son épouse, Jeanne Martin des Palliers. Steiner était une agente de la GPU, qui a suivi et fait des reportages non seulement sur Sedov, mais aussi sur Ignace Reiss. Les efforts de Steiner pour retrouver Reiss et sa femme, Elisabeth Poretsky, ont aidé la GPU à localiser et à tuer le transfuge de la GPU en septembre 1937 près de Lausanne, en Suisse. Poretsky s’est rappelée de Steiner comme suit:

[Steiner] devait faire connaissance avec les Sedov, qui étaient en vacances à Antibes, dans le sud de la France. Il n’y avait pas grand-chose à faire en échange d’un visa [pour l’Union soviétique] et ce n’était pas désagréable. Elle a pris une chambre à côté des Sedov. On lui a donné de l’argent et des vêtements, et tout ce qu’elle avait à faire était de faire un rapport sur les déplacements de Sedov. [56]

Et à New York, une autre agente de la GPU, Sylvia Franklin (née Callen), a commencé à travailler comme secrétaire de James P. Cannon en 1938. Elle était devenue une amie personnelle de Cannon, et en particulier de sa femme, Rose Karsner, que Louis Budenz décrivait comme une «amie proche» de l’agente de la GPU. Pendant neuf ans, Sylvia Franklin a transmis toute la correspondance de la Quatrième Internationale du bureau de Cannon à ses gestionnaires de la GPU à New York.

Dans le cas d’Ageloff, Luri a écrit qu’en ces premiers mois de 1940, «Sylvia s’est rendue à plusieurs reprises à la maison des Trotsky à Coyoacán. Lors de sa première visite, elle a déclaré que Jackson [sic] était entré aux États-Unis avec un faux passeport, mais personne n’a manifesté beaucoup d’intérêt à son égard et personne n’a demandé plus de détails». [58]

Entre janvier et la mi-mars, alors qu’Ageloff visite le complexe, Jacson-Mornard fait ses premières apparitions lorsqu’il dépose Ageloff. Bien qu’il ne soit pas encore entré dans la maison des Trotsky, il discute avec les gardes de Trotsky et avec la police mexicaine stationnée à l’extérieur.

Au cours de ces mois, Ageloff et Jacson-Mornard ont développé une relation étroite avec Alfred et Marguerite Rosmer, les hôtes de la conférence fondatrice de la Quatrième Internationale, qui vivent maintenant avec Trotsky à Coyoacán.

Puigventós a expliqué: «Sylvia avait une relation très étroite avec les Rosmer, principalement avec Marguerite, à qui elle confiait ses inquiétudes et ses doutes», et «Ramón est [également] tombé dans les bonnes grâces des Rosmer». «Ils se sont retrouvés à se parler à la porte de la maison de Trotsky. ... Il a rapidement obtenu leur confiance, ils ont échangé quelques mots et ils ont invité Jacson à manger ou à faire des promenades. ... Les bonnes relations venaient surtout de Marguerite, qui voyait en Ramón un garçon intelligent, attentionné et généreux, un type sympathique et très séduisant. [59]

Le compagnon d’Ageloff «commença à s’attirer les faveurs des membres de la maisonnée des Trotsky», faisant des courses pour les Rosmer et offrant sa Buick pour aider les membres de l’entourage. [60]

Mais Jacson-Mornard n’était pas encore entré dans l’enceinte et ne s’était pas encore fait connaître de Trotsky. Ageloff a prolongé son séjour à Mexico en informant son employeur qu’elle était toujours malade et avait besoin d’un congé supplémentaire. Luri a expliqué:

Le 26 février, Sylvia a envoyé un télégramme au Département de la protection sociale de New York, expliquant que bien que son autorisation de maladie ait expiré le 1er mars, elle était obligée de retarder son retour en raison d’une aggravation de son état de santé. Elle a déclaré qu’elle enverrait un certificat médical dans les prochains jours. À compter du 1er mars, elle a officiellement demandé une prolongation de sa période de maladie jusqu’au 1er avril et a joint un certificat signé par le médecin A. Zollinger de Mexico le 24 février. Ce médecin a confirmé que sa sinusite s’aggravait et a recommandé à Sylvia de rester dans un climat plus chaud comme celui du Mexique pendant au moins un mois supplémentaire. Il est pour le moins curieux qu’elle ait fait appel au docteur Zollinger, car sa spécialité était la gynécologie. C’est le médecin qui avait aidé Frida Kahlo à avorter lors de sa troisième grossesse. [61]

Mars 1940: L’incident de l’immeuble Ermita

En mars, il y a eu un incident qui – comme Ageloff l’a prétendu plus tard à la police mexicaine suite à son arrestation – a suscité des inquiétudes dans son propre esprit quant à la nature des activités de Jacson-Mornard.

Ageloff savait que Jacson-Mornard possédait un bureau d’affaires, où il prétendait effectuer son travail d’import/export. Selon Sylvia, lorsqu’elle lui a demandé où se trouvait son bureau, il a répondu que son adresse était le bureau numéro 820 de l’immeuble Ermita, dans le quartier de Tacubaya.

Ageloff a affirmé que lorsque ses propres efforts pour joindre Jacson-Mornard par téléphone ont échoué, elle a demandé à sa sœur Hilda, qui était également à Mexico à ce moment-là, de visiter l’immeuble Ermita. Hilda était la soeur qui avait passé trois mois et demi en Union soviétique en 1931.

Luri, relatant le témoignage d’Ageloff, a expliqué:

Hilda a fait la découverte surprenante qu’il n’y avait pas de chambre 820 à l’immeuble Ermita. Lorsqu’elle l’a dit à Sylvia, les deux femmes ont essayé de trouver une explication à ce fait inattendu. Elles ont émis l’hypothèse que Ramón collaborait en réalité secrètement avec le gouvernement britannique. ... Sylvia raconta tout cela à Margaret Rosmer, y compris ses craintes que Ramón soit un agent britannique. Margaret l’a calmée. [62]

Ageloff a déclaré qu’elle avait demandé à Jacson-Mornard d’expliquer pourquoi on lui avait donné une fausse adresse. Il a répondu que le numéro de chambre était en fait 620, et non 820, et qu’il s’était mal exprimé. Selon les informations dont dispose l’avocat de Trotsky et membre du Comité national du SWP, Albert Goldman, «Marguerite Rosmer est allée au bâtiment et a en fait trouvé un garçon de bureau qui lui a dit que c’était le bureau de Jacson». [63]

À la suite de l’attentat du 24 mai contre Trotsky, mais bien avant l’attaque du mois d’août, il est apparu publiquement que la chambre 620 de l’immeuble Ermita avait été louée par le chef de l’équipe d’assassins, David Alfaro Siqueiros. [64]

Cette histoire bizarre, racontée par Ageloff elle-même à la police, est extrêmement incriminante. Elle établit qu’Ageloff avait développé des inquiétudes quant à la crédibilité de Jacson-Mornard en mars 1940, cinq mois avant l’assassinat. De plus, elle avait exprimé des inquiétudes qu’il puisse être un agent britannique! Si elle avait ces soupçons, pourquoi Ageloff a-t-elle poursuivi sa relation avec cet homme? La crainte qu’il puisse être un agent aurait certainement contraint Ageloff à soupçonner qu’elle était utilisée par Jacson-Mornard dans un but inconnu et, selon toute vraisemblance, criminel.

De plus, pourquoi – si elle soupçonnait qu’il pouvait être un agent – n’a-t-elle envisagé que la possibilité qu’il travaille pour les services secrets britanniques? Pourquoi la possibilité beaucoup plus probable que Jacson-Mornard soit un agent de la GPU ne lui est-elle pas venue à l’esprit?

L’affirmation selon laquelle Jacson-Mornard pouvait être un agent britannique aurait été conforme à la position de la bureaucratie stalinienne de l’époque. En mars 1940, le pacte «Hitler-Staline» était en vigueur et la machine de propagande mondiale des staliniens est passée de la représentation de Trotsky comme un agent de l’Allemagne nazie à sa dénonciation comme un agent de l’impérialisme britannique. Le parti communiste mexicain, en particulier, dénonçait violemment Trotsky et exigeait son expulsion du pays en tant qu’«agent des services de renseignement anglais». [65]

Le souvenir de Sylvia Ageloff – si jamais il avait une moindre part de vérité – soulève également des questions sur le rôle de Marguerite Rosmer. Pourquoi a-t-elle «calmé» Ageloff, plutôt que de la mettre fortement en garde contre le maintien d’une relation avec un individu douteux? Pourquoi Rosmer n’a-t-elle pas informé Trotsky et Natalia Sedova des inquiétudes prétendument soulevées par Ageloff au sujet de son compagnon personnel?

De plus, la confirmation, largement rapportée dans la presse mexicaine après la tentative d’assassinat du 24 mai, que l’adresse de l’immeuble Ermita donnée par Jacson-Mornard était la même que celle utilisée par Siqueiros ne pouvait laisser aucun doute sur le fait que l’amant d’Ageloff était un agent stalinien. Après l’assassinat, le trotskyste mexicain Octavio Fernández a confirmé qu’Ageloff n’avait jamais dit à Trotsky ou à ses gardes que Jacson-Mornard avait une adresse dans l’immeuble Ermita, même après que l’adresse de Siqueiros y ait été connue et que ses liens avec la GPU soient devenus clairement évidents. [66]

Il y a encore une autre question: pourquoi Ageloff a-t-elle raconté cette histoire à la police mexicaine? Tentait-elle de démontrer, à l’appui de sa déclaration d’innocence, qu’elle avait nourri des inquiétudes au sujet de Jacson, mais qu’elle avait été rassurée par l’expérience politique de Marguerite Rosmer? Les réponses à ces questions sont cachées dans le tissu compliqué de mensonges, de demi-vérités et d’alibis qui ont été construits après l’assassinat.

Mars 1940: Ageloff a-t-elle participé à un rassemblement stalinien avec Mercader?

Ageloff a raconté un deuxième incident à la police après son arrestation, expliquant qu’elle avait assisté à une réunion stalinienne dans le centre de Mexico le même mois de mars. Luri a résumé ce qui suit à partir de la déclaration d’Ageloff aux autorités:

Au mois de mars, les communistes mexicains ont organisé une conférence ouvertement anti-trotskyste au Théâtre des Bellas Artes. Sylvia a voulu y aller pour écouter. Bien que Ramón ait résisté, il a finalement accepté de l’accompagner. James Ford, un Américain noir que la CPUSA avait présenté comme son candidat à la vice-présidence en 1932 et qui avait visité l’Espagne pendant la guerre civile, a pris la parole. Il a attaqué Trotsky si fermement que Sylvia a voulu répondre publiquement à ses arguments, mais Ramón l’a arrêté, lui saisissant le bras pour l’empêcher de parler. [67]

Si Ageloff avait effectivement assisté au rassemblement, cela aurait été extrêmement dangereux pour un trotskyste solitaire, surtout s’il avait visité l’enceinte de Trotsky. Les staliniens avaient fait usage de violence à plusieurs reprises contre des trotskystes lors de réunions publiques.

De plus, si Ageloff avait assisté à un événement stalinien avec Jacson-Mornard, il est probable que ce dernier aurait été reconnu comme Ramón Mercader par les nombreux exilés staliniens catalans qui vivaient au Mexique. Le fils de Caridad del Rio, dirigeant du stalinisme catalan, était facilement identifiable par les membres de la vague d’immigrants communistes qui ont quitté l’Espagne pour le Mexique après la victoire de Franco. Le président Cardenas a accordé l’asile général à tous les réfugiés de l’Espagne républicaine.

Après l’attentat, lorsque les photos de l’assassin ont commencé à apparaître dans la presse mexicaine, la communauté stalinienne espagnole en exil n’avait aucun doute quant à la véritable identité de l’assassin. Luri a noté que «Rossend Cabré, qui était un camarade de Ramón depuis leur époque au sein du parti communiste de Catalogne, l’a identifié lorsqu’il a ouvert les journaux. «C’est Ramón Mercader», a-t-il déclaré. La nouvelle a circulé de bouche à oreille entre les Espagnols exilés». [68]

Luri a cité un autre stalinien catalan en exil, Arturo García Igual, qui a déclaré: «Lorsque la presse mexicaine a spéculé sur l’identité de celui qui a détruit la tête de Trotsky avec un piolet, «Jacson-Mornard», nous savions tous que c’était Ramón Mercader du PSUC [le Parti socialiste unifié stalinien de Catalogne]». [69]

Si Ageloff a assisté à la réunion, peut-être dans un acte d’indiscrétion, a-t-elle estimé qu’elle devait inventer une histoire au cas où elle aurait été vue par quelqu’un qui en aurait fait part aux enquêteurs? L’histoire a-t-elle été inventée pour tenter d’altérer ses accréditations de trotskyste authentique, tout en présentant Jacson-Mornard sous un jour favorable?

Fin mars 1940: Ageloff fait entrer Jacson-Mornard dans la maison de Trotsky avant de partir pour New York

Ageloff a quitté Mexico pour retourner à New York à la fin du mois de mars. Jusqu’alors, Jacson n’était pas entré dans la maison des Trotsky et n’avait que déposé Ageloff à l’extérieur. Mais avant son départ, Ageloff a fait entrer Jacson-Mornard dans la maison: la première fois qu’il y entrait.

Luri a écrit: «Le 26 mars, Sylvia est rentrée à New York, mais elle est d’abord allée dire au revoir à Trotsky accompagné de Ramón, qui entrait ainsi pour la première fois à l’intérieur de la maison». [70]

Ageloff dira plus tard à la police mexicaine qu’avant de partir pour New York, elle a demandé à Jacson-Mornard de ne pas se rendre chez les Trotsky sans elle. [71]

Si cela était vrai, cela signifierait que ses soupçons sur cet homme étaient si sérieux qu’elle le considérait comme une menace pour la vie de Trotsky. Pourquoi, alors, l’aurait-elle fait entrer dans l’enceinte de Trotsky au moment où ses soupçons grandissaient? Si elle commençait à avoir des doutes sur sa fiabilité, pourquoi n’a-t-elle pas communiqué cela à Trotsky ou à ses gardes? L’incident concernant l’adresse de Jacson-Mornard à l’immeuble Ermita avait eu lieu au début du même mois. Pourquoi a-t-elle alors décidé d’amener chez Trotsky un homme qu’elle prétendait pouvoir être un agent britannique? Pourquoi lui donner une vue de la disposition de l’intérieur? Cette information a-t-elle été utilisée pour permettre aux attaquants de mai d’avoir une connaissance de l’intérieur de la maison? Ageloff testait-elle si les gardes lui permettraient d’entrer?

Avec le départ d’Ageloff pour New York, Jacson-Mornard s’installe dans les appartements de Shirley Court, où il restera jusqu’en juin. Les appartements Shirley Court étaient situés au 139 Calzada Manuel Villalongín, juste au nord du Paseo de la Reforma dans le centre de Mexico, à neuf pâtés de maisons du 55 Calle Dinamarka, où la GPU avait établi un siège opérationnel dans la ville.

Pendant cette période, Jacson-Mornard a rencontré à plusieurs reprises sa mère et le principal responsable de la GPU, Leonid Eitingon, qui avait été chargé de gérer les aspects mexicains de l’assassinat. Marguerite Rosmer s’est également rendue à plusieurs reprises dans les appartements de Shirley Court pendant cette période. [72]

L’attentat du 24 mai 1940

Au petit matin du 24 mai, un groupe d’hommes armés dirigé par le peintre stalinien David Alfaro Siqueiros est entré dans l’enceinte de Trotsky. Une fois dans la cour, les staliniens ont ouvert le feu mais n’ont pas réussi à atteindre Trotsky ou ses gardes. Ils n’ont réussi qu’à tirer dans le pied de Sieva, le jeune petit-fils de Trotsky.

Les attaquants ont également tenté de mettre le feu aux archives et aux documents de Trotsky. De nombreux documents importants venaient d’être apportés à Mexico à partir des archives européennes de Trotsky par Marguerite et Alfred Rosmer, qui étaient arrivés dans l’enceinte peu avant l’attaque.

Le bureau de Trotsky à Coyoacán (Source: David North) [Photo by David North]

Selon Dmitri Volkogonov, les Rosmer «ont séjourné pendant plusieurs semaines, ayant apporté avec eux un grand nombre de livres et de lettres, ainsi qu’une partie des archives de Trotsky. [73] Volkogonov fait référence aux archives des services de renseignement soviétiques, notant que les Rosmer sont arrivés au Mexique également pour défendre Mark Zborowski. Alfred Rosmer «s’est porté garant de la fiabilité [de Zborowski] dans sa vie» et a donné «la meilleure description de son caractère», a écrit Volkogonov en citant des documents des services de renseignement. [74]

Bien que l’attaque du 24 mai ait échoué, l’assaut a révélé que les attaquants staliniens avaient une connaissance intime de la disposition du complexe et étaient capables de coincer les défenseurs avec des tirs de suppression à partir de divers points stratégiques.

Le rôle de Robert Sheldon Harte

Les assaillants ont été autorisés à entrer dans l’enceinte par le garde de Trotsky, Robert Sheldon Harte. Après l’attaque, Harte a été emmené avec les assaillants, qui l’ont ensuite assassiné.

Après la dissolution de l’Union soviétique, des câbles de la GPU décryptés – les «papiers de Venona» – établiront que Harte était, en fait, un agent de la GPU. Immédiatement après l’attaque du 24 mai, il y avait déjà de nombreuses preuves de la complicité de Harte, notamment le témoignage d’un policier qui a vu Harte s’enfuir avec la GPU de son plein gré et une déclaration du père de Harte révélant que son fils avait une affiche de Staline dans sa chambre à New York.

Trotsky a déclaré publiquement que la mort de Harte aux mains de la GPU «est un argument convaincant» contre son rôle d’agent. Cependant, Trotsky n’a pas exclu la possibilité de la complicité de Harte dans l’attentat. Il a écrit le 25 juin 1940:

En réalité, la pénétration d’un agent de Staline dans ma maison aurait pu indiquer uniquement que la GPU avait réussi à tromper mes amis de New York, qui m’ont recommandé Bob Sheldon. Toute personne bien informée sait que la GPU inonde de ses agents toutes les organisations de travailleurs et les institutions étatiques du monde entier. Pour cela, elle dépense chaque année des dizaines de millions de dollars [c’est nous qui soulignons]. [75]

L’enquêteur de la police mexicaine Leandro Sanchez Salazar, qui pensait dès le départ que Harte était un agent de la GPU, a identifié les implications de la reconnaissance de Harte comme participant à l’attaque du 24 mai. Il a écrit: «Si l’on admettait que Sheldon était un espion, cela placerait la question de la responsabilité sur les principaux trotskystes de New York, qui l’avaient envoyé au Mexique». [76]

Mais le SWP a placé sa confiance sans aucune critique dans l’innocence de Harte et n’a fait aucun effort supplémentaire pour examiner attentivement la manière dont les personnes avaient été autorisées à entrer dans le complexe de Coyoacán et à accéder à Trotsky. Une enquête sérieuse sur les antécédents de Harte aurait certainement révélé ses liens au mouvement stalinien. Une étude de cette désastreuse violation de la sécurité aurait très bien pu conduire le SWP à entreprendre un examen de toutes les personnes qui avaient été autorisées à entrer dans la villa sur l’Avenida Viena. Il est difficile de croire qu’un tel examen n’aurait pas soulevé des questions sur Frank Jacson-Jacques Mornard et Sylvia Ageloff.

Après l’attentat du 24 mai: la nouvelle mission de Jacson-Mornard

À Moscou, l’échec de l’attentat du 24 mai a été considéré comme un désastre politique. Selon Volkogonov, lorsque la nouvelle est parvenue à Staline:

La nouvelle de l’échec de la tentative d’assassinat a mis Staline en rage. Le chef de la GPU, Lavrentiy Beria, a dû endurer ses paroles de colère, alors que les personnes associées à l’opération pouvaient s’attendre à un sort similaire à celui de Shpigelglas [77], qui avait été arrêté. Tout reposait désormais sur l’action d’un opérateur individuel installé de longue date au Mexique et qui se préparait à remplir sa mission. [78]

Jacson-Mornard n’a appris l’existence de sa mission qu’après l’échec de l’attentat du 24 mai. Volkogonov a affirmé:

Au début, le jeune Espagnol ne s’attendait pas à devoir se salir les mains avec le meurtre de Trotsky, mais le 26 ou le 27 mai 1940, quelques jours après l’attentat manqué contre Trotsky, Eitingon se retire secrètement avec Mercader et fait le point sur la situation. Il lui a expliqué qu’il ne ferait qu’«exécuter une sentence juste» prononcée à Moscou, et que cet énorme honneur ferait de lui un héros pour toujours. Mercader ne pouvait pas désobéir. Il avait déjà vu en Espagne comment la désobéissance pouvait prendre fin. Lorsqu’une de ses connaissances républicaines fut soupçonnée en Catalogne de liens avec le POUM, elle disparut sans laisser de traces. Mercader avait appris que c’était la loi de la révolution: les faibles et ceux sur lesquels on ne pouvait compter étaient liquidés. [79]

On ne sait pas dans quelle mesure Eitingon a expliqué la nouvelle affectation à Jacson-Mornard à ces dates. Deux semaines plus tard, cependant, Jacson-Mornard devait se rendre à New York pour rencontrer ses gestionnaires de la GPU, et il est probable que c’est là que la véritable signification de sa nouvelle mission a été expliquée plus en détail.

Un autre haut responsable de la GPU, Pavel Sudoplatov, qui, aux côtés d’Eitingon, a été chargé du complot visant à tuer Trotsky, a confirmé que Mercader a reçu sa nouvelle mission après le 24 mai. Sudoplatov a raconté une conversation qu’il a eue avec Mercader à Moscou en 1969, neuf ans après la libération de ce dernier d’une prison mexicaine.

Mercader a dit à Sudoplatov qu’il ne pensait pas être impliqué dans un complot visant à tuer Trotsky avant les jours qui ont suivi l’attentat raté du 24 mai. Jusqu’alors, Mercader était considéré comme un atout à long terme de la GPU fonctionnant au sein du mouvement trotskyste. «Ramón savait, naturellement, qu’il était membre de l’équipe de lutte contre le trotskysme au Mexique», a écrit Sudoplatov, «mais il ne s’attendait pas à ce qu’il soit l’assassin» jusqu’après le 24 mai. [80]

28 mai 1940: Jacson-Mornard rencontre Trotsky pour la première fois

Selon la femme de Trotsky, Natalia Sedova, «Notre première rencontre avec le mari de Sylvia Ageloff, «Jacson», a eu lieu le 28 mai à 9h le matin». [81]

Dans The Prophet Outcast, la troisième partie de sa biographie en triptyque de Trotsky, l’historien polonais Isaac Deutscher écrit que cette première rencontre avait été organisée sous un autre prétexte très utile:

C’est le 28 mai, quelques jours après l’assaut, que l’assassin s’est retrouvé pour la première fois face à face avec Trotsky. La rencontre n’aurait pas pu être plus fortuite. Les Rosmer s’apprêtaient à quitter le Mexique et à embarquer sur un bateau à Veracruz; et «Jacson» avait proposé de les y emmener dans sa voiture, en prétendant qu’il devait de toute façon se rendre à Veracruz, pour l’un de ses voyages d’affaires habituels. Il est venu les chercher tôt le matin et on lui a demandé d’attendre dans la cour jusqu’à ce qu’ils soient prêts. En entrant, il rencontra Trotsky, qui était encore aux clapiers pour nourrir les lapins. [82]

À cette date, Sedova a également voyagé avec Jacson-Mornard à Veracruz pour déposer les Rosmer. [83] Puigventós a écrit que Sedova se souviendra plus tard «que Jacson a dû demander à plusieurs reprises son chemin vers Veracruz, ce qui est étrange étant donné qu’il a dit qu’il devait se rendre fréquemment dans cette ville.» [84]

Selon Luri, les Rosmer ont déclaré qu’ils se rendaient à Paris via New York, bien qu’à cette époque les armées d’Hitler approchaient de Paris, qui est tombée le 14 juin. [85] Les Rosmer sont restés à New York et ont rencontré Ageloff et Jacson-Mornard lorsque ce dernier s’y rendit en juin pour rencontrer ses gestionnaires de la GPU. À cette époque, d’autres agents staliniens au Mexique convergeaient vers New York, où ils rencontreraient bientôt Jacson-Mornard. Le Caridad del Rio y était arrivé le 21 mai, après avoir quitté Mexico en passant par Cuba. [87]

11 juin 1940: Jacson-Mornard rencontre Cannon et Dobbs

Au Mexique, le 11 juin, Jacson-Mornard a rencontré des membres importants du SWP, dont James Cannon et Farrell Dobbs, qui avaient voyagé pour préparer la sécurité de Trotsky à la suite de l’attaque du mois de mai. Comme l’a écrit David North dans «La dernière année de Trotsky»:

Au cours de leur voyage à Coyoacán, les dirigeants du SWP ont inspecté la villa et approuvé les travaux de construction qui permettraient de fortifier l'enceinte contre les attaques. Malgré leur engagement sincère pour la défense de Trotsky, leurs efforts ont été sapés par un niveau inquiétant d'insouciance personnelle. Même s'il reste des questions sans réponse sur le rôle de Sheldon Harte dans l'attaque du 24 mai, rien n'indique que les dirigeants du SWP aient adopté une attitude plus prudente à l'égard de leurs associations personnelles. Étant donné la campagne continue contre Trotsky dans la presse stalinienne, il aurait dû être clair pour les dirigeants du SWP que l'environnement politique à Mexico était dangereux et que la capitale grouillait d'agents de la GPU déterminés à éliminer Trotsky.

Néanmoins, le soir du 11 juin, James P. Cannon et Farrell Dobbs ont accepté une invitation à dîner à l’hôtel Geneva, suivie d’un verre dans un autre lieu. L’hôte des deux dirigeants du SWP était Jacson-Mornard. Cette rencontre a été rapportée par Cannon au cours d’une brève enquête interne menée par la direction du SWP après l’assassinat. Cette information a toutefois été dissimulée aux membres de la base du parti. [88]

Bien que Sylvia Ageloff n’était pas au Mexique au moment de cette rencontre, il est probable qu’elle s’était arrangée pour présenter Jacson-Mornard à Cannon et Dobbs. Lillian Pollak se souvient que Sylvia Ageloff lui avait dit en 1939 qu’elle voulait lui présenter Cannon et d’autres dirigeants du SWP. Elle avait peut-être déjà fait les présentations à l’automne 1939, lorsque Jacson-Mornard s’était rendu à New York. Lors de ce voyage, Ageloff lui a en effet présenté un certain nombre de ses camarades du SWP, et Cannon et Dobbs étaient tous deux dans la ville à cette époque.

S’ils n’avaient pas été présentés avant 1940, cela aurait correspondu au comportement d’Ageloff d’avoir suggéré que Cannon et Dobbs fassent appel à Jacson-Mornard à leur arrivée au Mexique. C’est toujours elle qui présentait Jacson-Mornard aux dirigeants de la Quatrième Internationale. À Paris, Ageloff a présenté Jacson-Mornard aux délégués de sa conférence fondatrice. À Coyoacán, elle l’a fait venir dans l’enceinte et l’a présenté à ses habitants. Cannon et Dobbs ne seraient pas sortis avec un parfait inconnu. Il aurait été présenté comme le compagnon de Sylvia. Une fois de plus, elle a été le lien qui a intégré l’assassin de Trotsky de plus en plus profondément dans le mouvement trotskyste.

Jacson-Mornard était sur le point de partir pour New York. Mais avant d’y aller, il a laissé sa voiture dans l’enceinte de la villa de Trotsky, ce qui lui donnera plus tard la prétention de revenir la chercher à son retour à Mexico. [89]

12 juin 1940: Ageloff permet à Jacson-Mornard d’entrer aux États-Unis

Le 12 juin, le consulat américain à Mexico a accédé à la demande d’entrée aux États-Unis de Jacson-Mornard. Le lendemain, il devait s’envoler pour New York.

En juin 1940, il reste extrêmement difficile pour un étranger d’entrer aux États-Unis. L’invasion de la France par Hitler était en cours et il y avait un exode de réfugiés du continent européen. Les normes d’immigration très restrictives de l’administration Roosevelt étaient en vigueur.

Pour que Jacson-Mornard puisse se rendre aux États-Unis, il devait présenter plusieurs références de citoyens américains qui accepteraient de se porter garants de la véracité de sa demande. Même avec ces références, Jacson-Mornard n’a pas obtenu le droit de rester aux États-Unis pendant une période prolongée. Il est entré aux États-Unis uniquement pour se rendre dans un autre pays et il a dû présenter des preuves qu’il avait acheté des billets pour quitter les États-Unis. Il n’a obtenu l’autorisation de rester que pour la courte période nécessaire pour prendre son vol de correspondance au départ des États-Unis. Il a dû fournir une adresse aux États-Unis où il resterait pendant sa brève escale.

Un mémorandum du FBI du 24 août 1940 de J. Edgar Hoover intitulé «Re: Frank Jacson, Sylvia Ageloff, Espionage» montre que les références de Jacson-Mornard étaient Sylvia Ageloff et les membres du SWP Henry Schultz et Evelyn Reed. [90] Reed est devenue plus tard l’épouse du dirigeant de longue date du SWP, George Novack, qui a aidé l’agent Mark Zborowski de la GPU à entrer aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Lors de sa demande de visa, Jacson-Mornard a déclaré qu’il prévoyait de s’arrêter à New York pendant deux jours seulement avant de se rendre à Montréal, au Canada. Sur la demande, il a indiqué que son adresse permanente était le 1269, rue Saint-Denis à Montréal. [91] Jacson-Mornard n’avait aucune intention de se rendre à Montréal, et le «1269 rue St-Denis» était une adresse inexistante.

Un rapport séparé du FBI rédigé par J. Edgar Hoover a commenté la demande de permis de voyage de Jacson-Mornard:

Il avait l’intention de rester aux États-Unis pendant environ deux jours, où son adresse serait le 50 Livingston Street, Brooklyn, New York. Il a fourni comme référence ce qui suit:

Sylvia Ageloff, 50 rue Livingston

Brooklyn, New York

... Lors de la demande du certificat de transit susmentionné, Jacson a présenté une lettre de la Via Mexicana de Aviacion datée du 12 juin 1940, qui indiquait que Jacson avait précédemment déposé de l’argent pour un billet d’avion à destination de Montréal, au Canada, et qu’une réservation avait été faite pour ce voyage. [92]

Le 24 août également, Hoover a envoyé un mémorandum séparé à B.E. Sackett, un agent spécial responsable du bureau du FBI à New York. Hoover a répété les noms et adresses d’Ageloff, Evelyn Reed et Henry Schultz. Apparemment, croyant qu’une enquête sur les individus qui avaient permis les voyages de Jacson-Mornard permettrait de découvrir des agents de la GPU aux États-Unis, Hoover a déclaré ce qui suit:

Le Bureau souhaite qu’une enquête très minutieuse et approfondie soit menée sur cette question dans la zone couverte par votre bureau de terrain [c’est-à-dire à New York]. Tous les efforts possibles doivent être déployés pour vérifier toutes les informations disponibles concernant les antécédents, les associés et les activités de Jackson. Comme vous en avez été informé précédemment, le Bureau souhaite que toutes les précautions soient prises pour éviter toute publicité de quelque nature que ce soit concernant cette enquête. [93]

Hoover ne voulait pas alerter les agents de la GPU qu’il pensait être à sa portée. Il a exigé que l’agence procède discrètement à son enquête.

À suivre

***

Notes:

[Les sources originales non indiquées sont disponibles dans la première partie].

[31] Ibid. à 2575.

[32] Barrón Cruz, p. 136.

[33] Puigventós à 2433.

[34] Alain Dugrand, Trotski: Mexico 1937-1940 (Mexico City: Siglo XXI de España Editores, 1992), p. 63.

[35] Barrón Cruz, p. 72.

[36] Luri, p. 223.

[37] Ibid, p. 220.

[38] Entretien de David North avec Jean van Heijenoort, 10 septembre 1975.

[39] Puigventós à 2467, en référence à l'Archivo General de la Nación, Mexique. Tribunal Superior de la Justicia del D.F. Año 1940.Caja 3265. Folio 602993, p. 73.

[40] Robert J. Alexander, International Trotskyism, 1929-1985: A Documented Analysis of the Movement (Duke University Press, 1991), p. 270.

[41] Dmitri Volkogonov, Trotsky: The Eternal Revolutionary (New York: The Free Press, 1996), p. 402.

[42] Gani Jakupi, Les Amants de Sylvia (Paris: Futuropolis, 2010), p. 11-14.

[43] Témoignage confidentiel de l'exécutif du 29 février 1956, p. 268.

[44] Alexander, p. 268.

[45] Ibid.

[46] Luri, p. 223.

[47] Puigventós à 2462.

[48] Rapport du FBI de l'agent George Starr, daté du 4 septembre 1940.

[49] Mémoires de J. Edgar Hoover datés du 17 septembre 1940.

[50] Voir: «Class Struggle: Education Workers Newsletter », numéro 3, avril-mai 2012, p. 15-16. Disponible ici.

[51] Lillian Pollak, The Sweetest Dream: Love, Lies and Assassination, (New York: iUniverse, 2008) p. 267. Bien que Lillian Pollak ait affirmé que le livre était une «fiction», dans l'interview de 2011 mentionnée ci-dessus, elle déclare que «les incidents que je décris dans le livre se sont réellement produits».

[52] Luri, p. 237.

[53] Bertrand Patenaude, Trotsky: Downfall of a Revolutionary (New York: Harper, 2009), édition kindle, p. 244-45.

[54] Puigventós à 3517.

[55] Leandro Sanchez Salazar et Julian Gorkin, Murder in Mexico (New York: Secker &Warbig, 1950) pp. 88-89.

[56] Elisabeth K. Poretsky, Our Own People (University of Michigan Press, 1969) p. 238.

[57] Louis Budenz, Men Without Faces (New York: Harper and Brothers), 1950, p. 126.

[58] Luri, p. 238.

[59] Puigventós à 146.

[60] How the GPU Murdered Trotsky (Londres: New Park Publications, 1981) p. 103.

[61] Luri, p. 238.

[62] Ibid, p. 239.

[63] Albert Goldman, The Assassination of Leon Trotsky: The Proofs of Stalin’s Guilt (New York: Pioneer Publishers, 1940), p. 16.

[64] Ibid.

[65] Par exemple, voir «How Stalin pressured Mexico for Trotsky’s deportation», El Pais, 15 septembre 2016.

[66] Olivia Gall, Trotsky en Mexico y la vida política en tiempos de Lázaro Cárdenas (1937-1940) (Mexico DF: UNAM, 2012), p. 354-55.

[67] Luri, p. 237.

[68] Ibid, p. 255.

[69] Ibid.

[70] p. 240.

[71] Ibid.

[72] Rapport du FBI du 27 août 1940.

[73] Volkogonov, p. 451.

[74] Ibid, p. 452.

[75] Léon Trotsky, «GPU Tried to Cover Murder with Slander», Socialist Appeal, 25 juin 1940.

[76] Sanchez Salazar, p. 96.

[77] Sergey Spigelglas a dirigé les efforts de la GPU pour assassiner les dirigeants trotskystes européens tout au long des années 1930 et a été le contact de Zborowski. Il a été arrêté par les staliniens en 1938, en grande partie parce que Trotsky n'avait pas été tué. Il a été torturé et exécuté en 1941.

[78] Volkogonov, p. 454.

[79] Ibid, p. 459.

[80] Pavel Sudoplatov et Anatoli Sudoplatov, Special Tasks: The Memoirs of an Unwanted Witness—A Soviet Spymaster (Little, Brown & Co., 1994), p. 77-78.

[81] «Natalia Trotsky Answers A Foul Slander», Appel socialiste, 26 octobre 1940.

[82] Isaac Deutscher, The Prophet Outcast: Trotsky, 1929–1940 (Oxford University Press, 1963), p. 495.

[83] Puigventós à l'emplacement 4.383.

[84] Ibid. à 4403.

[85] Luri, p. 244.

[86] Selon Reinier Tosstorff, les Rosmer ne sont pas rentrés en France en 1940 à cause de la guerre et sont restés aux États-Unis. Voir: Reiner Tosstorff, The Red International of Labour Unions (RILU) 1930–1937 (Chicago: Haymarket Books, 2018), p. 858.

[87] Luri, p. 241.

[88] David North, «La dernière année de Trotsky», World Socialist Web Site, 29 août 2020.

[89] Puigventós à 4527.

[90] 24 août 1940, rapport du FBI «Re: Frank Jacson, Sylvia Ageloff, Espionage,» de J. Edgar Hoover à B.E. Sackett.

[91] Rapport du FBI du 23 août 1940 de l'agent C.H. Carson à Clegg.

[92] Rapport du FBI de J. Edgar Hoover daté du 24 août 1940.

[93] Ibid.

(Article paru en anglais le 6 février 2021)

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