La menace d’une loi spéciale plane sur les travailleurs de la construction au Québec

Depuis le 30 avril de cette année, les quelque 192.000 travailleurs de la construction au Québec sont sans conventions collectives.

Des négociations sont en cours entre l’Association de la construction du Québec (ACQ), qui représente la partie patronale, et l’Alliance syndicale de la construction, qui regroupe les cinq syndicats de la construction (FTQ-Construction, Conseil provincial, Syndicat québécois de la construction, CSD Construction et CSN-Construction).

Ces négociations sont dominées par les exigences de l’ACQ pour de nouvelles attaques sur les salaires, les pensions, les avantages sociaux et les conditions de travail.

Même si l’Alliance syndicale garde les travailleurs dans le noir quant au contenu des négociations, tout indique qu’elle a accepté des concessions majeures. Elle a soumis dimanche une «offre finale» qu’elle admet correspondre à la plupart des exigences patronales. Et son porte-parole, Éric Boisjoly, a fait savoir que les parties «sont à un cheveu de s’entendre» sur «de gros enjeux d’avantages sociaux».

Le seul point en litige porterait sur la demande patronale qu’une application soit installée sur les téléphones personnels des travailleurs afin de contrôler les heures passées sur les chantiers. Tout en se montrant ouverte à une telle application, l’Alliance syndicale dit craindre pour la vie privée des travailleurs à cause de la géolocalisation et demande que la proposition soit exclue des négociations actuelles et soumise à discussion ultérieure.

Lundi soir, l’ACQ n’avait toujours pas donné une réponse officielle à l’offre syndicale de dimanche. Les deux parties ont convenu de poursuivre les négociations mardi.

Il n’est pas exclu que l’ACQ rejette l’offre de l’Alliance syndicale afin de provoquer une grève (qui peut légalement commencer dès le 25 mai), sachant que le gouvernement pro-patronal de la CAQ (Coalition Avenir Québec) se tient prêt à intervenir rapidement avec une loi spéciale de retour au travail.

Lorsque ce scénario a été invoqué, le ministre du Travail Jean Boulet a fait savoir qu’«il n’y a rien qui est exclu», tout en affirmant qu’«on ne peut pas ... tolérer un conflit». Toute décision contraignante d’un arbitre nommé par le gouvernement de François Legault serait certainement à l’avantage de la partie patronale.

Il faut lancer un avertissement à tous les travailleurs de la construction: l’Alliance syndicale se prépare à imposer de nouvelles conventions collectives remplies de concessions majeures – que ce soit par une «négociation» bidon de laquelle les travailleurs de la base ont été complètement exclus dès le départ, ou par la soumission à une loi spéciale anti-démocratique contre laquelle les chefs syndicaux ne vont pas lever le petit doigt.

Il existe une alternative à cette voie de la trahison. Au même moment où se tiennent les négociations dans la construction, plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public québécois sont toujours sans conventions collectives. Malgré les efforts des syndicats de la construction et du secteur public pour les isoler, les travailleurs de ces deux domaines font face objectivement aux mêmes attaques sur les salaires et conditions de travail, et aux mêmes menaces de loi spéciale, par le patronat et son gouvernement.

Une lutte unifiée de ces deux sections de travailleurs, qui ont un immense poids social combiné, aurait le potentiel de déclencher une véritable contre-offensive de toute la classe ouvrière, au Québec et partout au Canada, contre tout le programme d’austérité capitaliste de l’élite dirigeante.

Comme dans plusieurs autres secteurs d’activité, les travailleurs de la construction font face depuis des années à une attaque sans fin sur leurs salaires et leurs conditions. Dans les négociations actuelles, les syndicats demandaient initialement 12,2% d’augmentations salariales sur 4 ans alors que l’ACQ offrait 7,5%. Le journal économique Les Affaires rapportait dernièrement que les syndicats auraient réduit leur demande à un maigre 8,2%, ce qui représente au mieux un gel des salaires réels pour les 4 prochaines années.

Parmi les autres nombreux reculs que veut imposer le patronat, il y a l’assurance médicale collective (la MEDIC) et les régimes de retraite, auxquels l’ACQ veut que les travailleurs contribuent davantage de leurs propres poches.

Pendant ce temps, les conditions de travail dans l’industrie continuent d’empirer. Selon un sondage effectué en janvier par la Commission de la construction du Québec, 35% des nouveaux travailleurs quittent le domaine après seulement cinq ans. Parmi les raisons évoquées pour ces départs, 50% des répondants mentionnent les délais de production trop courts et la précarité d’emploi. Par ailleurs, un travailleur sur 3 trouve que le secteur n’est pas assez sécuritaire. Et à juste titre, car même si l’industrie de la construction ne compte que pour 5% de la main-d’œuvre, elle représente 25% des décès survenus au Québec suite à des accidents de travail.

C’est ce contexte qui alimente une colère montante parmi les travailleurs de la construction et qui, en retour, augmente le danger d’une loi spéciale – et la nécessité pour les travailleurs de la construction de se préparer à un affrontement politique avec le gouvernement Legault et toute l’élite dirigeante qu’il représente.

Comme en 2013 sous le gouvernement péquiste de Pauline Marois et en 2017 sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard, l’État capitaliste se prépare à utiliser une fois de plus tous les outils répressifs à sa disposition pour soutenir l’assaut de la bourgeoisie sur les salaires et les conditions des travailleurs.

Rappelons qu’en 2017, la Coalition Avenir Québec de François Legault, alors dans l’opposition, avait pleinement appuyé Couillard quand il a adopté sa loi spéciale 142 pour illégaliser une grève des travailleurs de la construction.

De plus, il y a quelques semaines à peine, le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau a criminalisé la grève des 1150 débardeurs du port de Montréal après seulement 4 jours avec le plein appui de son homologue du Québec.

Les travailleurs de la construction sont prêts à lutter mais ils sont confrontés à une bureaucratie syndicale pro-capitaliste qui travaille pour imposer les demandes patronales et qui étouffe systématiquement la résistance des travailleurs au nom de la «paix sociale».

Lors de la grève de 2017, par exemple, ce sont les dirigeants de l’Alliance syndicale qui avaient imposé le respect de la loi spéciale de retour au travail, craignant qu’une désobéissance des travailleurs de la construction ne serve d’étincelle à un mouvement de masse contre le gouvernement libéral détesté de Philippe Couillard.

La grève courageuse des grutiers en juin 2018 est un autre exemple flagrant de cette coopération entre la bureaucratie syndicale et la grande entreprise. À l’époque, 2.000 grutiers avaient fait la grève pendant 8 jours en raison d’une baisse importante dans les exigences de formation pour les nouveaux opérateurs, ce qui représentait une grosse menace pour la santé et la sécurité sur les chantiers. Après avoir défié une ordonnance du tribunal et même la FTQ construction, l’appareil syndical les a finalement forcés à retourner au travail et à accepter cet important recul.

Au cours de la dernière année, la pandémie de COVID-19 a coûté la vie à plus de 11.000 Québécois et près de 25.000 Canadiens. Elle a également démasqué le rôle des syndicats en tant que complices de l’élite dirigeante pour imposer la «réouverture de l’économie», c’est-à-dire le maintien d’un flot continu de profits, laissant le virus se propager librement dans la population en y apportant la mort et la souffrance à une échelle massive.

Il y a eu, au début de la pandémie au printemps 2020, une puissante intervention des travailleurs de la construction pour forcer la fermeture de plusieurs chantiers et pousser les gouvernements à instaurer un confinement. Mais depuis, les syndicats ont collaboré avec les gouvernements Legault et Trudeau pour forcer ces travailleurs à travailler durant pratiquement toute la crise sanitaire, mettant leur santé et leur vie, et celles de leurs familles, en grand danger.

Les milieux de travail et les écoles sont, depuis le début de la deuxième vague, les plus grands vecteurs de propagation du coronavirus. Les chantiers de construction n’ont pas fait exception à la règle, comme en témoignent les 1.400 plaintes déposées par les travailleurs et les 17.686 avis de correction émis à des entrepreneurs entre le 13 mars 2020 et le 5 mai 2021.

À la fin avril cette année, 34 chantiers comptaient une éclosion, soit 3 fois plus que la moyenne hebdomadaire depuis novembre dernier, et 70 établissements comptaient une éclosion, soit plus du double de mars.

Les travailleurs de la construction doivent prendre contrôle de leur lutte, en la retirant des mains de l’Alliance syndicale, s’ils ne veulent pas être confrontés à une nouvelle entente de trahison, qu’elle soit «négociée» ou imposée par loi spéciale.

Ils doivent former des comités de la base, entièrement indépendants des syndicats pro-capitalistes, afin de mobiliser toute la classe ouvrière dans une lutte unifiée pour la défense des emplois et des conditions de travail de tous.

Cette mobilisation industrielle des travailleurs doit être associée au développement d’un mouvement politique de masse pour la formation d’un gouvernement ouvrier qui réorganisera l’économie afin de satisfaire les besoins sociaux, et non les profits d’une minorité.

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