Le syndicat des Teamsters met fin à la lutte des cheminots du Canadien Pacifique

Vous travaillez au CP? Communiquez avec nouset joignez la lutte pour mettre sur pied un comité des travailleurs de la base afin de pousser de l’avant le combat pour de meilleurs salaires et conditions de travail des cheminots partout en Amérique du Nord!

Tôt le mardi matin 22 mars, le syndicat des Teamsters a annoncé qu’il mettait fin à la lutte des 3000 mécaniciens, chefs de train et travailleurs de cour de triage du Chemin de fer Canadien Pacifique contre leur régime de travail pénible et dangereux, leurs pensions misérables et la stagnation de leurs salaires. Le syndicat a ordonné aux travailleurs des opérations du CP à travers le Canada de lever tous les piquets de grève et de reprendre le travail à partir de midi, heure locale, mardi.

Cédant aux demandes de la direction, appuyée par le gouvernement Trudeau, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) a accepté de soumettre à l’arbitrage exécutoire les 24 principales questions contractuelles encore en litige. Ce faisant, le syndicat a cédé le droit légal des travailleurs de faire la grève, de faire la grève du zèleou de lutter de quelque façon que ce soit pour faire valoir leurs revendications. Les conditions d’emploi des travailleurs de CP Rail seront désormais dictées par un arbitre nommé par le gouvernement et favorable aux grandes entreprises. Par conséquent, aucun des griefs des travailleurs ne sera sérieusement abordé, et encore moins résolu.

Toutefois, les travailleurs ne peuvent et ne veulent aucunement abandonner leur lutte contre les conditions d’exploitation brutales que le CP leur a imposées dans sa quête de profits toujours plus grands et de dividendes pour ses investisseurs. Pour organiser une contre-offensive, comme le souligne l’article suivant publié lundi soir, les travailleurs doivent prendre la lutte en main en mettant sur pied un comité de la base qui s’oppose à la fois à la direction et aux Teamsters pro-patronat.

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Le conflit de travail entre le Chemin de fer Canadien Pacifique et les 3000 mécaniciens, chefs de train et travailleurs de cour de triage qu’il emploie dans ses installations à travers le Canada s’est rapidement transformé en une confrontation de classe dont l’issue aura un impact majeur sur la lutte de classe partout en Amérique du Nord.

Ligne de piquetage de travailleurs de CP Rail à Moose Jaw, en Saskatchewan (Photo: Teamsters Division 510)

Les travailleurs, que le CP a mis en lock-out à 0h01 dimanche, sont déterminés à mettre fin à un régime de travail brutal qui ravage leur vie familiale et met en péril tant leur sécurité personnelle que celle du public. Ils luttent également pour une amélioration des salaires et des pensions après des années de stagnation des revenus et de contrats au rabais successifs. Au début du mois, les travailleurs ont voté à 96,7 % en faveur d’une grève.

Toutefois, en raison du sabotage de leurs efforts par leur syndicat des Teamsters, c’est le Canadien Pacifique, deuxième chemin de fer du Canada et sixième d’Amérique du Nord, qui a pris l’offensive.

Avec son lock-out, CP Rail mobilise les grandes entreprises et l’establishment politique des deux côtés de la frontière canado-américaine pour faire pression sur le gouvernement libéral fédéral dirigé par Justin Trudeau afin qu’il adopte rapidement une loi de retour au travail au Parlement. Une telle loi priverait les travailleurs du rail de leurs droits de grève et de négociation collective et donnerait à un arbitre nommé par le gouvernement et favorable aux grandes entreprises le pouvoir de dicter leurs conditions d’emploi.

Les plus grands groupes de pression du monde des affaires au Canada, allant du Conseil canadien des affaires à la Chambre de commerce du Canada, en passant par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, ainsi que les premiers ministres du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta, implorent le gouvernement de forcer les travailleurs de CP Rail à reprendre le travail. De nombreuses organisations commerciales américaines, ainsi que les sénateurs et les gouverneurs de plus d’une demi-douzaine d’États de l’Ouest et des Plaines, leur ont emboité le pas.

En exigeant l’intervention de l’État contre les travailleurs de CP Rail, ces forces invoquent cyniquement l’impact de la fermeture des opérations canadiennes du chemin de fer sur les chaînes d’approvisionnement et, par conséquent, sur les prix à la consommation et les emplois des travailleurs. Cette prise de position est entièrement frauduleuse. Comme le prouvent la politique désastreuse de la classe dirigeante en Amérique du Nord en matière de pandémie, une politique qui entraîne des décès massifs et des bouleversements socio-économiques majeurs pour les travailleurs, ainsi que sa guerre par procuration contre la Russie en Ukraine avec la série de sanctions économiques qui l’accompagne, sa préoccupation n’est certainement pas le fonctionnement rationnel de l’économie, mais bien l’accumulation de profits plus importants et l’avancement de ses intérêts impérialistes prédateurs sur la scène mondiale.

Le gouvernement libéral de Trudeau a, à plusieurs reprises, rendu illégales ou menacé de rendre illégales les actions militantes des travailleurs. En avril dernier, il a utilisé une loi d’urgence pour briser la grève des débardeurs du Port de Montréal, et en décembre 2018, il a criminalisé une campagne de grèves tournantes des postiers. Mais il préfère cependant s’appuyer sur la bureaucratie syndicale, avec laquelle il entretient un partenariat étroit, pour étouffer la lutte des travailleurs de CP Rail.

Le ministre du Travail, Seamus O’Regan, prétend que le gouvernement libéral veut un «accord négocié». Mais le langage qu’il utilise montre clairement que les négociations, qui se poursuivent sous l’égide d’un médiateur fédéral malgré le fait que le CP ait mis les travailleurs en lock-out et qu’il réclame une loi de retour au travail, sont une imposture. Alors même qu’il affirme publiquement son soutien aux «négociations», le gouvernement prépare une loi de retour au travail et menace, derrière des portes closes, de priver les travailleurs du rail de leurs droits, s’il n’a pas déjà lancé un ultimatum explicite aux bureaucrates des Teamsters quant à la date à laquelle un «accord» doit être conclu.

«Nous voulons une résolution, et nous la voulons maintenant, a déclaré O’Regan dimanche. Cet arrêt de travail ne peut pas survenir à un pire moment».

Les travailleurs de la base au CP voient maintenant le vrai visage du gouvernement Trudeau, un gouvernement qui se vante depuis deux ans d’être «pro-travailleur» alors qu’il verse des sommes sans précédent dans les coffres des grandes entreprises et de l’oligarchie financière et agit comme fer de lance de la politique «des profits avant les vies» de l’élite dirigeante pendant la pandémie.

«Je peux vous garantir que Trudeau va nous forcer à retourner au travail, sans même penser à la vie des travailleurs», déclare un conducteur de CP Rail au World Socialist Web Site. Il va nous forcer à reprendre le travail, quelles que soient nos revendications de grève.

Les travailleurs du CP Rail ont des ennemis puissants dressés contre eux. Mais plus puissants encore sont leurs alliés potentiels que sont les dizaines de millions de travailleurs en Amérique du Nord qui font face aux mêmes problèmes essentiels – la détérioration de leur niveau de vie, des conditions de travail dangereuses, l’austérité, l’accélération des cadences de travail et la guerre – nés de l’acharnement de l’élite dirigeante capitaliste à extraire toujours plus de profits.

L’an dernier a été marqué par une vague continue de luttes ouvrières au Canada et aux États-Unis. Les travailleurs cherchent à résister à une nouvelle érosion de leurs salaires réels en raison de l’inflation galopante. Ils sont déterminés à récupérer les réductions de pension et autres reculs qu’ils ont subis, et demandent à être protégé contre les effets de la pandémie. Ces luttes comprennent les grèves des mineurs de Vale à Sudbury, en Ontario, des travailleurs du secteur public provincial au Nouveau-Brunswick, des travailleurs de Volvo Truck en Virginie, des travailleurs de Kellogg’s dans plusieurs usines américaines et la grève en cours de 4500 éducateurs à Minneapolis, au Minnesota.

Au cours des derniers jours, les travailleurs de CP Rail, lors de discussions avec le WSWS, ont dressé un tableau accablant des horaires et des règles de travail punitifs que l’entreprise leur impose par le biais d’un régime disciplinaire brutal, ainsi que de son indifférence à l’égard de la sécurité des travailleurs.

«On a beau nous appeler 'l’épine dorsale du Canada', l’industrie fait bien tout ce qu’elle veut avec nous», a déclaré un travailleur au WSWS.

Selon un autre cheminot d’expérience, «Ils réduisent effectivement les travailleurs, hommes et femmes du CP bien formés, à une position de repli, en leur imposant une pression constante qui leur fait craindre de perdre leur emploi si jamais ils osaient parler lorsque les actions qui leur sont demandées les mettent en danger, eux, leurs collègues ou le public.»

Les conditions de travail auxquelles sont confrontés les travailleurs du CP sont semblables à celles des travailleurs de l’industrie de base et du transport, le travail sur demande et de plus en plus de travailleurs professionnels au Canada et à l’étranger. La classe dirigeante, dans sa volonté de maintenir ouvertes les écoles en pleine pandémie de COVID-19 afin que les parents des élèves puissent être contraints de continuer à générer des profits, démontre qu’elle est aussi indifférente à la santé et au bien-être des enseignants et des élèves qu’à ceux des cheminots et des travailleurs d’abattoirs.

Deux facteurs expliquent le caractère impitoyable de la réaction du Canadien Pacifique et de l’ensemble de la classe dirigeante face à la lutte des cheminots. Premièrement, ils considèrent que la lutte des cheminots va à l’encontre de leurs plans – en particulier ceux des sociétés pétrolières et agro-industrielles du Canada et des chemins de fer qui transportent leurs marchandises – qui est de profiter de la guerre contre la Russie. Deuxièmement, et plus fondamentalement, ils craignent qu’elle ne serve de catalyseur à une mobilisation plus vaste de la classe ouvrière.

Le plus grand obstacle qui empêche les travailleurs de CP Rail d’étendre leur lutte et d’en faire le fer de lance d’une contre-offensive de la classe ouvrière, c’est les Teamsters et, plus généralement parlant, l’ensemble de tous les syndicats pro-patronat. Depuis des décennies, les syndicats au Canada, comme partout ailleurs dans le monde, répriment systématiquement toute lutte de classe tout en s’intégrant de plus en plus à la gestion des entreprises et à l’État.

Depuis le début des négociations entre le CP et la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) en septembre dernier, le syndicat a fait tout ce qui était en son pouvoir pour démobiliser les travailleurs de la base, en les tenant notamment dans l’ignorance des négociations.

À l’approche de la date limite du lock-out, la CFTC a cédé à la demande du CP de régler les 24 principaux points en litige par arbitrage exécutoire. En d’autres termes, elle accepte de renoncer au droit des travailleurs de faire la grève ou d’utiliser tout autre moyen de lutte pour obtenir satisfaction à leurs justes revendications.

Par ailleurs, selon le porte-parole de la CFTC, Dave Fulton, la direction a «changé les règles du jeu» et annoncé qu’elle poursuivrait le lock-out à moins que le syndicat ne lui permette de dicter des conditions qui garantiraient que l’arbitre se plie à ses exigences dans tous les domaines.

Les travailleurs étant maintenant en lock-out, le syndicat a officiellement proclamé une grève. Mais il n’a pas l’intention de faire quoi que ce soit pour rallier le soutien du reste de la classe ouvrière. En témoigne l’empressement des dirigeants de la CFTC à rester à la table des négociations, alors même que CP Rail réclame une loi gouvernementale de retour au travail, qu’il accuse les travailleurs de faire grève illégalement et qu’il promet, selon les mots mêmes du PDG Keith Creel, d’explorer «toutes les avenues pour remédier à ce comportement scandaleux».

Les droits démocratiques fondamentaux des travailleurs, notamment le droit de grève, ne cessent d’être de plus en plus attaqués depuis des décennies. Les travailleurs du rail, tant au Canadien Pacifique qu’au Canadien National, la plus grande compagnie de chemin de fer au Canada, ont été ciblés à plusieurs reprises, surtout au cours des 13 dernières années.

Non seulement les syndicats se plient toujours aux lois de retour au travail et veillent à les faire respecter, mais dans leur peur d’un développement d’un mouvement insurrectionnel de la classe ouvrière, ils comptent de plus en plus sur l’adoption ou la menace de ces lois pour fournir un prétexte à leur court-circuitage des luttes des travailleurs.

Une place spéciale dans ce théâtre politique est réservée au Nouveau Parti démocratique (NPD), parti parrainé par les syndicats. Les gouvernements provinciaux du NPD ne se sont jamais gênés pour adopter à maintes reprises des lois briseuses de grève. Mais en règle générale, les sociaux-démocrates préfèrent condamner de telles lois au Parlement, tout en travaillant avec la bureaucratie syndicale pour ramener les travailleurs au travail en affirmant que la «lutte doit se poursuivre» devant les tribunaux capitalistes et lors des élections.

Lundi, le chef du NPD fédéral, Jagmeet Singh, a annoncé que son parti n’appuierait pas quelque législation privant les travailleurs de CP Rail de leur droit de grève et de négociation collective, affirmant qu’il serait «cavalier» de procéder de la sorte pour le moment. Mais c’est là une prise de position insignifiante de la pire espèce. Advenant que les libéraux introduisent une telle loi, elle sera rapidement adoptée grâce à l’appui des conservateurs de l’opposition officielle. Autrement le NPD continuerait, comme toujours, de soutenir le gouvernement libéral minoritaire au Parlement, comme il le fait depuis 2019.

Lundi soir, on apprenait que le NPD était sur le point de signer un «accord de confiance et d’approvisionnement» avec les libéraux, en vertu duquel les sociaux-démocrates canadiens s’engageront à maintenir le gouvernement Trudeau au pouvoir jusqu’en 2025. Et ce, dans des conditions où le gouvernement libéral joue un rôle de premier plan dans les pressions exercées sur les puissances de l’OTAN pour qu’elles adoptent une position encore plus belliqueuse à l’égard de la Russie dans la guerre en Ukraine, et où il passe, au niveau national, de «l’aide et de la relance en cas de pandémie» à l’austérité.

Les travailleurs de CP Rail doivent suivre l’exemple des travailleurs du BNSF, la plus grande compagnie de chemin de fer en Amérique du Nord et se joindre à eux dans le Comité des travailleurs de la base du BNSF) qu’ils ont récemment formé pour se mobiliser dans la lutte contre l’entreprise, indépendamment des syndicats pro-patronaux et en opposition à eux.

La semaine dernière, le Comité des travailleurs de la base du BNSF a publié une déclaration: «Appuyez la grève au Canadien Pacifique! Pour un mouvement uni des cheminots nord-américains contre les réductions de salaire et les horaires abusifs!» appelant les travailleurs du CP à former leur propre comité de base et à se joindre aux travailleurs du BNSF pour «discuter d’une stratégie commune et de construire un mouvement puissant, organisé par des comités de la base, indépendants des syndicats et des partis politiques pro-patronaux dans chaque pays».

Comme les travailleurs du CP Rail, les travailleurs de BNSF font face à une attaque de l’État. Les tribunaux américains ont en effet émis une injonction leur interdisant de faire grève ou d’entreprendre toute action syndicale qui s’opposerait à la politique punitive de présence «Hi-Viz» imposée par la direction.

L’alignement des grandes entreprises contre les travailleurs du Canadien Pacifique et l’injonction contre les travailleurs du BNSF soulignent que les travailleurs ne combattent pas seulement un employeur particulièrement réactionnaire, mais bien plutôt la classe dirigeante dans son ensemble, ses représentants politiques et l’État. Par conséquent, ils sont confrontés à une lutte politique.

Les actions industrielles militantes – comprenant les préparatifs pour défier toute loi de retour au travail – doivent être liées à la lutte pour établir un gouvernement ouvrier afin d’instituer des politiques socialistes en opposition au programme de la classe dirigeante de pandémie sans fin, de bas salaires, de conditions de travail brutales, d’austérité et de guerre.

(Article paru en anglais le 23 mars 2022)

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