Depuis près de 100 jours, sous une chaleur torride, quelque 10.000 membres de la WGA (Writers Guild of America – Guilde des scénariste d’Amérique) sont en grève. Environ 60.000 membres de la SAG-AFTRA (Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists) ont rejoint les scénaristes en grève le mois dernier, ce qui a entraîné l’arrêt de grandes productions non seulement aux États-Unis mais dans le monde.

Ces deux dernières semaines, des politiciens en vue du Parti démocrate, Karen Bass, la maire de Los Angeles, et Gavin Newsom, gouverneur de Californie, ont publié des déclarations proposant de négocier un accord entre les acteurs et scénaristes en grève et les studios représentés par l’AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers).

Le 26 juillet, de nombreux médias ont confirmé que le gouverneur Newsom, qui avait déjà proposé sa médiation au début de la grève des scénaristes, le 2 mai, avait de nouveau pris contact avec les dirigeants des studios et les hauts responsables syndicaux pour leur proposer son aide dans la recherche d’un accord.

«Il est clair que les parties sont encore très éloignées l’une de l’autre. Mais M. Newsom est profondément préoccupé par l’impact qu’une grève prolongée peut avoir sur l’économie de la région et de l’État» avait déclaré à l’agence AP Anthony York, conseiller principal de Newsom pour la communication le mois dernier. Selon York, Newsom et des «membres importants» de son administration avaient été en contact avec les deux parties tout au long de l’été.

Newsom est loin d’être un médiateur impartial. Selon OpenSecrets, parmi les principaux contributeurs à sa campagne de réélection en 2021 figurent des studios et des sociétés de production comme Dreamworks (97.200 dollars), Bad Robot Productions (64.800 dollars), Chuck Lorre Productions (64.800 dollars) et Netflix (62.500 dollars). Reed Hastings, cofondateur de Netflix, a également donné à Gavin Newsom 3 millions de dollars en 2021.

La semaine suivante, le 4 août, la maire de Los Angeles, Bass, publiait une déclaration inquiète, affirmant que la grève avait atteint un «point d’inflexion important» et qu’elle avait des «effets d’entraînement sur notre économie, ainsi que sur celle de l’État et du pays».

«Il est essentiel, a déclaré Bass, que cette situation soit résolue immédiatement afin que Los Angeles se remette sur les rails » a déclaré l’ex-députée de Californie, l’une des 211 démocrates ayant voté avec 79 républicains pour bloquer la grève des chemins de fer l’an dernier «je suis prête à m’engager personnellement avec toutes les parties de toutes les manières possibles pour aider à régler les choses».

La déclaration de Bass doit être vue par les travailleurs en grève comme un sérieux avertissement. Comme elle l’a fait avec les travailleurs en grève des écoles de Los Angeles au début de l’année, Bass et le Parti démocrate, avec leurs adjoints des bureaucraties syndicales, cherchent à étrangler la grève et à imposer un contrat.

Mardi, Bass a répondu à la grève d’une journée des 11.000 employés municipaux de Los Angeles contre les bas salaires et les horaires de travail épuisants en mettant en place un plan de service d’urgence et elle a promis que «la ville de Los Angeles ne s’arrêterait pas».

Newsom et Bass ne sont que les derniers d’une série de politiciens du Parti démocrate et de bureaucrates syndicaux à intervenir dans la grève des travailleurs du spectacle. Le mois dernier, la députée de New York et collègue briseuse de grève du rail, Alexandria Ocasio-Cortez, a visité un piquet de grève à New York avec la présidente de l’AFL-CIO, Liz Shuler.

Outre Newsom et Bass, d’autres démocrates de premier plan on été avancés comme possibles «médiateurs», notamment le ‘Second Gentleman’ (le mari de la vice-présidente Kamala Harris) Doug Emhoff. Emhoff possède une maison dans la riche ville de Burbank, en Californie ; c’est un ancien avocat d’affaires qui a représenté de grandes sociétés de divertissement ainsi que «le géant pharmaceutique Merck et Dolarian Capital, un marchand d’armes, dans une affaire liée à la vente d’armes en Afghanistan», selon le New York Times.

Pour contrer les manœuvres des démocrates, il est impératif que les travailleurs en grève forment des comités de la base pour faire passer prise des décisions et pouvoir des bureaucrates syndicaux de la WGA et de la SAG-AFTRA aux mains des travailleurs eux-mêmes. Ces comités devraient formuler les propres revendications des travailleurs et nommer des travailleurs combatifs et de confiance pour superviser les négociations ; celles-ci doivent être retransmises en direct et non tenues à huis clos. Les travailleurs doivent être prêts à faire échouer toute tentative de la bureaucratie syndicale et des démocrates d'imposer un nouveau contrat favorable à l'entreprise. Dans le même temps, les acteurs et les scénaristes doivent s'unir aux travailleurs des hôtels et des villes, à ceux d'UPS et des ports, et à ceux d'autres secteurs, pour lancer une contre-offensive sociale et politique.

La semaine dernière, le World Socialist Web Site s’est entretenu avec Ken, un membre de la SAG-AFTRA en grève. Comme pratiquement tous les acteurs qui travaillent, Ken ne peut pas subsister avec les maigres salaires qu’il tire de son métier et est obligé d’avoir un deuxième emploi chez un grand détaillant. Après s’être blessé au travail l’année dernière, Ken reprendra son second emploi la semaine prochaine.

«Si je ne reprenais pas mon travail de 9h à 5h dans une semaine et demie, je me ferais du souci. Beaucoup de gens s’en font. Lorsque je quitte le piquet de grève, j’entends les gens dire : ‘‘ il faut que j’aille chercher un carton de nourriture à la banque alimentaire du quartier”».

«Je touche des indemnités pour accident du travail depuis janvier et j’ai dû vendre mes actions pour ne pas mourir de faim. Maintenant, je n’en ai plus. Avec l’indemnisation des accidents du travail, vous devez toujours payer votre assurance maladie pour la maintenir, car l’indemnisation des accidents du travail ne la couvre pas».

«Je paie 110 dollars toutes les deux semaines de ma poche, et en janvier et mars, à cause des mercredis supplémentaires du mois, j’ai dû payer 330 dollars. J’avais obtenu des rallonges sur mes factures d’électricité et de téléphone, et je me suis dit: “Au diable, je vais encaisser mes actions, je n’ai plus à m’inquiéter”. Quand je les ai encaissées, j’avais moins de 100 dollars d’économies et moins de 50 dollars sur mon compte courant».

Comme l’écrasante majorité des acteurs qui travaillent, Ken n’atteint pas le seuil actuel de 26.470 dollars pour bénéficier d’une assurance. «J’ai Kaiser. J’ai le meilleur plan d’assurance que je puisse obtenir de [l’entreprise]. Pour certains, il faut gagner au moins 29.000 dollars par an pour avoir droit à l’assurance, et cela ne vous donne droit qu’à l’assurance pour l’année suivante».

«Vous avez gagné 25 ou 29.000 dollars cette année, l’année prochaine vous pourrez bénéficier de l’assurance SAG. Eh bien, j’ai besoin d’une assurance aujourd’hui. Le seuil est si haut et le travail si rare, comment est-on censé pouvoir l’obtenir? Je participe à quelques groupes Facebook avec des acteurs de fond, et tout ce dont les gens parlent, “c’est de savoir où s’inscrire à COBRA [Continuation de l’assurance maladie] et, “ce qu’il faut faire”, “quelles sont vos activités secondaires, quels sont les emplois que vous occupez”, etc. Je vois des gens qui font toutes sortes de petits trucs pour joindre les deux bouts».

«C’est triste de voir que des gens travaillent si dur, mais ne parviennent pas à franchir le seuil qui leur permettrait de bénéficier d’une assurance maladie. J’ai 56 ans et je suis heureux d’avoir une assurance. Je peux aller faire un bilan de santé comme je l’ai fait hier. Si j’avais dû payer de ma poche, cela m’aurait coûté quelques centaines de dollars. Bon, j’aurais le pu remettre à plus tard. Et si j’attrappe quelque chose et que je reporte ma visite médicale parce que je n’ai pas d'argent?».

«Vous savez, l’un des avantages d’adhérer à SAG c’est qu’ils vous disent que vous bénéficiez d’une excellente assurance, mais ils ne vous disent pas, quand vous adhérez, combien vous devez gagner pour l’obtenir».

Ken a déclaré qu’en plus d’augmentations de salaire substantielles, tout accord de principe doit inclure des augmentations pour le coût de la vie. «Si le coût de la vie augmente, mon salaire doit augmenter. Il devrait être lié à l’inflation. Chaque fois que l’inflation augmente, votre salaire augmente».

À l'instar de nombreux travailleurs en grève, comme l'actrice et comédienne Sarah Silverman, Ken a dénoncé les «accords parallèles» que certains acteurs, avec la bénédiction de la SAG-AFTRA, ont conclus avec des studios qui ne font pas partie de l'AMPTP.

«Je n’ai pas entendu grand-chose sur ce que ça implique, mais j’ai entendu dire que c’est ce qui se passe», a déclaré Ken. «Ils ont cherché des échappatoires et ont trouvé une solution. Quand ce journaliste lui a demandé s’il pensait que ces accords compromettaient la grève, Ken a répondu: «À 1.000 pour cent. C’est du genre, ‘‘Mais qu’est-ce que vous faites, là !”».

«Je crois que Sarah Silverman les a dénoncés. Non mais ça ne va pas ? Pourquoi tournez-vous un film? D’accord, je suppose que le film ne fait pas partie des choses qu’on peut arrêter par la grève. Mais vous défiez le principe même de ce que nous essayons de faire».

Réfléchissant au soutien international que les travailleurs américains ont reçu de leurs collègues australiens, Ken a répondu: «Oui, dans le Queensland! Je pense que c’est incroyable et que c’est formidable. Quelle solidarité! Hier, je portais mon tee-shirt de grève à mon rendez-vous chez le médecin. Les médecins et les infirmières m’ont dit: “Hé, nous sommes tous pour la grève”, donc beaucoup de gens comprennent ce qui se passe. Il y a aussi UPS et les travailleurs de l’hôtellerie, et nous nous battons tous pour la même chose».

(Article paru d’abord en anglais le 9 août 2023)