Un membre de la SAG-AFTRA s’exprime : Pourquoi les acteurs et les scénaristes en grève ont besoin de comités de base

Ce qui suit est un appel lancé par un acteur pour la création de comités de base parmi les acteurs et les scénaristes, en grève depuis des mois. Tous ceux qui souhaitent former et constituer de tels comités sont priés de cliquer sur ce lien.

Le moment est venu.

Nous sommes à la croisée des chemins. Les travailleurs de tout le pays se soulèvent contre un système inhumain et criminel qui est constamment à la recherche de nouveaux moyens d’exploiter et de voler notre travail. Alors que les PDG pathologiquement avides sont incapables de produire quoi que ce soit par eux-mêmes, leur génie consiste à élaborer de nouvelles méthodes pour extraire de la valeur jusqu’à la dernière goutte des travailleurs, au mépris de la dignité humaine et de la survie du climat.

En tant que membre de SAG depuis trois décennies, j’ai vu que nous avons été forcés de travailler plus d’heures pour un salaire moindre et des avantages encore plus réduits. Avec 98 % des membres du syndicat, j’ai voté en faveur d’une grève au printemps dernier. Nous ne pouvons pas continuer à travailler dans ces conditions, avec la menace toujours plus grande de l’IA qui se profile à l’horizon pour nous voler encore plus de travail.

Scénaristes et acteurs en grève lors du «Solidarity Rally» à Los Angeles, 22 août 2023

Malheureusement, dans de nombreux cas, les patrons des studios, mais aussi la bureaucratie syndicale censée nous représenter, nous ont dit que nos revendications n’étaient pas réalistes. Pour cette raison, il est impératif que nous formions des comités de base afin de nous forger une voie nouvelle et puissante, de sorte que nous ne soyons pas dépendants des dirigeants syndicaux qui nous tiennent dans l’ignorance, avec des négociations secrètes, des accords conclus sans notre consentement, et des accords qui nous sont imposés sans discussion.

Un comité de base fonctionnerait de manière démocratique et transparente, constamment contrôlé et testé par les travailleurs, avec une communication honnête, non seulement avec les membres de la SAG-AFTRA et de la WGA, mais avec toutes les sections de la classe ouvrière.

Lorsque j’arpente le piquet de grève chaque jour, je suis encouragé par la présence de centaines d’autres acteurs, scénaristes, membres de l’IATSE, enseignants, infirmières, teamsters, travailleurs du SEIU — c’est une belle démonstration de solidarité multiraciale et multigénérationnelle. Contrairement à la perception populaire, la plupart des acteurs travaillent extrêmement dur en échange d’un niveau de vie qui frôle la pauvreté. Nous avons souvent deux ou trois emplois supplémentaires pour continuer à avoir le privilège d’essayer d’obtenir un ou deux emplois d’acteur par an, qui ne suffiront pas à nous faire vivre financièrement, mais qui suffiront à nourrir nos âmes pendant de courtes périodes. Les bonnes années, des dizaines d’auditions peuvent déboucher sur un seul emploi, mais il arrive souvent que l’on en passe encore plus pour décrocher un rôle, année après année. Cela signifie qu’on nous dit «non» des milliers de fois. Et c’est le rejet le plus aimable qui soit. D’autres fois, on nous dit que nous sommes trop lourdes, trop maigres, pas assez sexy, trop travesties, trop vieilles, que nous avons trop eu recours à la chirurgie esthétique… la liste des explications qui nous écrasent l’âme est longue. Les rejets sont douloureux, mais ils alimentent aussi notre flamme. Nous acceptons les refus parce que nous avons de grands rêves. En tant qu’artistes, nous connaissons notre histoire. Les meilleures œuvres d’art touchent les gens d’une manière qu’ils ne soupçonnaient pas. Lorsque les étoiles s’alignent, un film ou un spectacle peut galvaniser une nation, mettre en lumière des atrocités, nous faire voir nous-mêmes et les uns les autres avec une complexité et une compréhension nouvelles. Nous vivons pour faire rire et pleurer le public. À un certain niveau, nous voulons tous changer le monde, même si ce n’est qu’une personne à la fois.

L’ironie pour les patrons des studios est qu’ils ont construit un système si cruel et si peu gratifiant matériellement pour tant de gens qu’ils ont créé 160,000 acteurs qui sont prêts à entamer une grève longue et douloureuse. Voilà ce que nous faisons. Nous nous battons, nous travaillons de longues heures, nous nous débrouillons à peine. Nous sommes constamment menacés de perdre nos maisons, de ne pas gagner assez pour l’assurance maladie, de nous entendre dire que nous sommes remplaçables de façon imminente.

C’est ce que nous faisons tout au long de la journée. Année après année.

Et grâce à cette formation, nous avons la force de tenir bon. Nous sommes déterminés à tout arrêter pour obtenir ce que nous méritons.

C’est pourquoi j’ai trouvé particulièrement exaspérant d’être informé des accords intérimaires au début de la grève. J’ai entendu toutes les justifications pour expliquer pourquoi il s’agit de «bonnes choses», mais le but d’une grève est d’arrêter l’industrie. Retenir notre travail. D’infliger un maximum de souffrance financière. Dès qu’il y a des fissures dans la solidarité des travailleurs, nous montrons à quel point nous ne sommes pas sérieux. Nous donnons une lueur d’espoir aux patrons.

Outre le fait qu’ils révèlent la faiblesse des tactiques de négociation de la bureaucratie syndicale, ces accords n’ont pas été approuvés par les membres de la base. Ils ont été présentés comme une affaire réglée, sans aucun apport démocratique. Et si vous prenez le temps de parler aux acteurs sur la ligne de grève, vous saurez que nous sommes très majoritairement mécontents de cette concession.

Outre les accords intérimaires, il existe d’autres points d’accord dont on nous a parlé et qui ont également été conclus sans discussion ni approbation des membres du syndicat. Au début de la COVID, SAG a assuré certaines des meilleures protections sur le plateau de tournage de toute l’industrie du pays. Des tests quotidiens, des vaccins et des masques ont été utilisés pour garantir notre sécurité au travail. Mais alors que la COVID déferle vague après vague, les protections que nos «dirigeants» se sont battus pour supprimer ne sont pas restées en vigueur, ce qui nous met tous en danger.

Nous avons besoin d’un comité de base pour décider de nos demandes démocratiquement, avec un contrôle du processus de négociation, en insistant sur la responsabilité totale. Qu’il s’agisse des indemnités résiduelles, des ajustements au coût de la vie, de la protection contre l’IA ou des conditions de travail, nous devrions tous avoir notre mot à dire sur la manière dont nous voulons que notre lieu de travail soit géré. À cette fin, il est essentiel que les livres comptables des studios soient transparents, afin que les acteurs et les scénaristes puissent voir exactement combien de profits notre travail a générés. C’est ce dont nous avons besoin et ce sur quoi nous devons insister, même si certains nous reprochent nos exigences «irréalistes».

Acteurs et scénaristes en grève à New York, juillet 2023

Un syndicat dont 87 % des membres n’ont pas droit aux soins de santé parce qu’ils gagnent moins de 26,000 dollars par an n’est manifestement pas en mesure de protéger ses 160,000 membres de la cruauté de conglomérats internationaux qui vendraient leurs propres enfants pour gagner un peu plus d’argent.

Les directeurs de studio peuvent bien jacasser sur ce qui est «réaliste» tout en écrivant des poèmes sur leurs yachts et en détruisant les entreprises les unes après les autres, mais en fin de compte, ils ne peuvent pas faire de l’art sans nous. Ils ont besoin de nous. Pour l’instant, ils ont l’illusion de pouvoir voler le fruit de notre travail pour créer plus de contenu, mais même eux comprennent que le point de départ de tous les projets d’IA est l’art que nous avons déjà créé. Il n’y aura pas de nouvelles idées, pas d’étincelles de génie, pas de véritable art. Il n’y aura qu’un nouveau remake d’une autre suite de plus de propriété intellectuelle, qui sera dicté par l’affiche du film du département marketing et les produits dérivés qu’ils pensent pouvoir vendre.

À bien des égards, c’est ainsi que fonctionne déjà Hollywood. Les quelques perles qui sortent et qui marchent fantastiquement bien sont toujours rejetées comme des anomalies, tandis que les franchises à un milliard de dollars reçoivent tout l’amour des magnats des studios. Le résultat net est la seule chose qu’ils voient.

En ce sens, Hollywood n’est pas différent de toutes les autres industries. Les dirigeants coupent les coins ronds à tous les niveaux, exploitent leurs employés, les forcent à travailler dans des conditions inhumaines, tout en volant leur travail et en s’en vantant auprès des actionnaires. C’est le monde qu’ils qualifient de «réaliste», où leurs travailleurs sont forcés de considérer la possession d’une maison comme un luxe, les études supérieures comme un fardeau de dettes à vie, et les traitements médicaux vitaux comme un chemin vers la faillite.

Toutes les entreprises «prospères» aux États-Unis et dans le monde ont mis au point ce système barbare consistant à piller leurs travailleurs pour en tirer un maximum de profit. Elles bénéficient d’une énorme solidarité de classe puisqu’elles passent leurs vacances ensemble dans les Hamptons et mettent en commun leurs richesses obscènes pour acheter des politiciens et des gouvernements entiers, garantissant ainsi un monde où elles se débarrassent des réglementations et échappent à toute conséquence de leur comportement criminel.

Selon l’Economic Policy Institute, les travailleurs américains se font voler environ 50 milliards de dollars par an, ce qui dépasse tous les vols, cambriolages et vols de véhicules à moteur combinés. La majorité de ces salaires volés ne sont jamais récupérés par les travailleurs.

Des membres de la SAG-AFTRA en grève devant les studios Sunset Gowers à Los Angeles, le 18 juillet 2023.

Telles sont les conditions auxquelles nous sommes tous confrontés, quel que soit notre secteur d’activité. Les 1 % ont tout l’argent et les oreilles des personnes les plus puissantes du monde. Mais nous avons quelque chose qu’ils n’ont pas : nous avons la main-d’œuvre qu’ils doivent voler pour survivre. Et nous avons la force du nombre de notre côté.

C’est pourquoi il est vital que nous formions des comités de base au sein de chaque industrie et que nous unissions nos forces parmi tous les secteurs de la classe ouvrière, tant aux États-Unis qu’à l’échelle internationale. Nous ne pouvons pas faire confiance à la bureaucratie syndicale pour affronter les titans de l’industrie, dont la seule mission est de nous détruire et avec lesquels les dirigeants syndicaux sont déjà bien trop proches.

Un comité de la base de SAG-AFTRA se battrait pour élargir la grève, en incluant l’IATSE, les Teamsters et tous les secteurs de l’industrie du divertissement. Nous nous adresserions directement aux travailleurs de l’hôtellerie, aux enseignants, aux infirmières, aux débardeurs et à toutes les catégories de travailleurs en lutte, en contournant la bureaucratie syndicale, qui préfère nous séparer et nous confiner.

Nous venons de voir l’accord UPS qui a été immédiatement qualifié d’«historique» par toutes les factions des médias corporatistes, avec peu d’attention pour les petits caractères, et encore moins pour les travailleurs de base qui dénoncent le processus qui les a laissés sur le carreau, et qui se sentent maintenant obligés de voter pour un contrat qui est tout à fait insuffisant. Le compromis sur les salaires maintient les travailleurs en dessous des salaires qu’ils percevaient il y a quelques années, et l’accord «historique» maintient un système à deux vitesses pour les travailleurs à temps partiel, qui devront compléter leur salaire par des emplois supplémentaires. Il s’agit là d’une énorme trahison à l’égard d’un syndicat qui a voté à 97 % pour autoriser la grève. 340 000 travailleurs ayant refusé de travailler auraient coûté des milliards de dollars à l’économie américaine (c’est-à-dire aux PDG et aux actionnaires), ce qui aurait donné aux travailleurs un énorme pouvoir sur les patrons qui les maltraitent et volent leur travail. Le pouvoir devrait toujours être entre les mains des travailleurs qui génèrent les profits. Et pourtant, nous voyons comment cette histoire se déroule.

Nous ne pouvons pas permettre que les grèves de la SAG-AFTRA et de la WGA, ou toute autre grève qui se répand dans notre pays, continuent d’être soit interdites par le président et le Congrès, comme dans le cas des cheminots, soit brusquement évitées par des accords qui sont célébrés avant même que les travailleurs aient eu l’occasion de les lire, comme dans le cas d’UPS.

La seule façon de lutter contre ces conglomérats internationaux qui possèdent tous les aspects de notre monde est de former des comités de base, de mobiliser les travailleurs de tous les secteurs de l’industrie et de faire connaître nos revendications. Ce n’est pas le moment de faire des concessions qui ne feront qu’entraîner notre propre disparition. Nous devons nous unir et mettre à genoux ces PDG pathologiquement avides.

Il s’agit d’une lutte des classes. Nous devons commencer à agir en conséquence.

(Article paru en anglais le 29 août 2023)

Loading