À la suite de la rencontre à la Maison-Blanche entre le maire élu de New York, Zohran Mamdani, et Donald Trump, au cours de laquelle le soi-disant « socialiste démocrate » et le fasciste aspirant dictateur ont échangé des plaisanteries et des éloges mutuels, Jacobin, l'organe officieux des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), a publié une série d'articles saluant cette rencontre et louant la capitulation de Mamdani devant Trump comme un tour de force politique.
L'un des articles les plus significatifs est un commentaire de Christopher Marquis intitulé « Trump et Mamdani s'accordent sur l'État, mais pas sur ceux qu'il sert ». Dans cet article, Marquis, professeur de gestion à l'université de Cambridge, soutient que l'État capitaliste n'est pas intrinsèquement hostile aux intérêts de la classe ouvrière et qu'il peut, sous la pression de la « gauche », être contraint de servir les besoins des travailleurs ou être carrément saisi par eux.
Cet argument illustre le rôle des DSA et de la pseudo-gauche bourgeoise en général dans la promotion des illusions dans le Parti démocrate et le soutien au système capitaliste, qui se précipite vers le fascisme et la guerre mondiale, en le défendant contre le défi révolutionnaire venant de la classe ouvrière.
Cet article n'est pas un exercice académique. Il s'agit d'un manifeste politique des DSA et du milieu petit-bourgeois privilégié de Jacobin, justifiant leur collaboration ouverte avec une administration fasciste et défendant l'État capitaliste lui-même. Le titre affirmant que « Trump et Mamdani sont d'accord sur l'État » est correct. Il existe un accord sous-jacent entre les deux, ainsi qu'avec les DSA, selon lequel l'État existant est sacro-saint.
Marquis et Jacobin se donnent beaucoup de mal pour rassurer l'oligarchie patronale en lui affirmant qu'elle n'a rien à craindre de leur soi-disant « socialisme démocratique ».
« Sur les questions fondamentales de l'organisation de l'économie, écrit Marquis, Trump n'est pas si différent de Mamdani. » À un moment donné, il résume l'objectif pathétique de Mamdani et compagnie comme consistant à donner à l'État « un coup de pouce ferme vers la valeur publique ». Au cas où il subsisterait des inquiétudes, il écrit : « Lorsque Mamdani propose des politiques socialistes démocratiques, il ne suggère pas d'abolir les marchés [...] ».
Marquis définit la « question sous-jacente » comme étant la « gouvernance économique » [c'est nous qui soulignons]. Il s'agit là d'une fausse affirmation qui pourrait être tirée des discours de n'importe quel politicien démocrate ordinaire.
En réalité, la question sous-jacente est celle des relations sociales de production sous le capitalisme, dans lequel les capitalistes possèdent les moyens de production et les travailleurs, qui produisent toute la richesse, ne possèdent rien d'autre que leur force de travail, qu'ils doivent vendre à leurs exploiteurs en échange d'un salaire. Ces relations génèrent une lutte des classes irréconciliable, qui conduit soit au renversement révolutionnaire du capitalisme par la classe ouvrière et à l'établissement d'un État ouvrier et du socialisme, basés sur la propriété commune des moyens de production, l'égalité et la production pour les besoins sociaux plutôt que pour le profit privé, soit à une descente dans la barbarie fasciste et la guerre nucléaire.
Il n'y a pas la moindre allusion à la lutte des classes ou à la révolution ouvrière dans l'article de Jacobin, ni dans la politique des DSA et de Mamdani. Au contraire, c'est leur plus grande crainte, qui les conduit dans les bras du représentant fasciste de l'oligarchie, Trump.
Un gouvernement de l'oligarchie, pour l’oligarchie
Il est frappant de constater que la présentation de la situation politique par Marquis, formulée dans un jargon abstrait et académique, ne donne aucune idée des niveaux stupéfiants et sans précédent de concentration des richesses et d'inégalité sociale dans l'Amérique d'aujourd'hui. Elle ne dit rien du pogrom fasciste de Trump contre les immigrants, de son déploiement anticonstitutionnel de troupes dans les grandes villes, des pouvoirs dictatoriaux qu’il s’est arrogés, de son soutien au génocide à Gaza ou de ses attaques militaires illégales contre l'Iran, le Venezuela et d'autres pays.
Cela n'est toutefois pas surprenant dans un commentaire qui soutient que l'appareil d'État n'est pas, par nature, un instrument de la classe dirigeante et qu'il peut être gagné, au moins en partie, à la cause des travailleurs. Il serait en effet peu commode de reconnaître les faits qui montrent que l'administration Trump est le gouvernement d’une oligarchie financière qui ne rend de comptes à personne et qui ne représente qu'une infime fraction de la population.
Dans sa récente conférence intitulée « Où va l'Amérique ? Oligarchie, dictature et crise révolutionnaire du capitalisme », le président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site, David North, a brossé un portrait dévastateur de la société américaine contemporaine. Il a passé en revue « l'effondrement sans précédent dans l'histoire de la démocratie américaine » dans un contexte marqué par la montée en puissance d'une oligarchie ultra-riche exerçant un pouvoir politique direct. Il a noté que 16 des 25 principaux collaborateurs nommés par Trump font partie des 813 milliardaires du pays, dans un pays où le 1 % le plus riche détient des dizaines de milliers de milliards de dollars de richesse, tandis que 75 % des Américains vivent au jour le jour et que près de la moitié des enfants sont pauvres ou issus de familles à faibles revenus. Comme le WSWS l'a souligné à plusieurs reprises, de tels niveaux d'inégalité sont incompatibles avec les formes démocratiques de gouvernement.
Dans son ouvrage fondateur de 1916, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Vladimir Lénine décrivait les ravages monstrueux causés à la classe ouvrière par le « capitalisme monopolistique d'État », avec sa concentration massive de richesse et de pouvoir économique entre les mains d'un nombre relativement restreint de géants industriels. L'impérialisme, écrivait Lénine, signifiait « la réaction sur toute la ligne ». Mais la croissance du pouvoir oligarchique aujourd'hui a porté la concentration des richesses au sommet bien au-delà de ce qui existait à l'époque de Lénine.
La fonction de classe de l'État n'a jamais été aussi évidente, rendant absurde la politique des DSA qui consiste à tenter quelques réformes superficielles du statu quo capitaliste.
L'argument de Marquis n'est pas seulement erroné sur le plan théorique. Il remplit une fonction de classe bien définie. Le magazine Jacobin est un organe des DSA et d'une couche plus large de la classe moyenne aisée regroupée dans le monde universitaire, les ONG et la bureaucratie syndicale. Ce milieu est devenu socialement et politiquement dépendant de l'État capitaliste : des subventions publiques, des postes permanents, des fondations et des espaces « de gauche » gérés par le Parti démocrate. Ses intérêts matériels le lient à la préservation de l'ordre existant, même s'il cultive une image de gauche à travers une rhétorique sur le « socialisme démocratique » et la politique identitaire.
Le marxisme et l'État
En opposition à ce qu’affirment Jacobin et les DSA, il est nécessaire de réaffirmer les principes fondamentaux du marxisme sur l'État. Lénine a expliqué que l'État est
le produit et la manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables. L'État surgit là, au moment et dans la mesure où, objectivement, les contradictions de classes ne peuvent être conciliées. Et inversement : l'existence de l'État prouve que les contradictions de classes sont inconciliables.
L'État n'est pas un arbitre qui se tient au-dessus de la société, mais le pouvoir organisé d'une classe pour en opprimer une autre. Ses « détachements spéciaux d'hommes armés, prisons, etc. » existent pour maintenir la domination de la classe exploiteuse.
En septembre 1917, à l'approche de la révolution d'octobre, Lénine a écrit L'État et la révolution précisément pour combattre le type de réformisme propagé aujourd'hui par Jacobin. Lénine a écrit alors qu'il se cachait de la répression déclenchée contre les bolcheviks par le gouvernement provisoire bourgeois à la suite des manifestations de masse de la classe ouvrière en juillet. Il rédigea cette brochure à la suite du coup d'État militaire manqué du général Kornilov à la fin du mois d'août, afin de préparer le parti à diriger les ouvriers et les soldats dans le renversement armé du gouvernement bourgeois et l'établissement d'un État ouvrier.
Lénine mena une guerre théorique et politique contre tous ceux qui cherchaient à adapter le marxisme au parlementarisme bourgeois et au réformisme social. Parmi eux figurait Karl Kautsky, théoricien de premier plan du Parti social-démocrate allemand et de la Deuxième Internationale, qui s'opposait au renversement révolutionnaire et à la destruction de l'État capitaliste et prônait une voie pacifique et parlementaire vers le socialisme. Lénine combattait en même temps les tendances droitières au sein de la direction bolchevique.
Au début de sa préface à L'État et la révolution, Lénine écrivait :
La lutte pour soustraire les masses laborieuses à l'influence de la bourgeoisie en général, et de la bourgeoisie impérialiste en particulier, est impossible sans une lutte contre les préjugés opportunistes à l'égard de l'« État ».
Il expliquait que la leçon centrale de la Commune de Paris de 1871 était que la classe ouvrière ne pouvait pas simplement prendre le contrôle de l'appareil d'État bourgeois et l'utiliser à ses propres fins. Elle devait le démanteler et le remplacer par des organes du pouvoir ouvrier.
Dans un contexte de guerre et de bouleversements révolutionnaires, Lénine entreprit une « fouille historique » systématique des travaux de Marx et Engels sur l'État afin d'armer le Parti bolchevique et la classe ouvrière internationale en vue de la prise du pouvoir. Trotsky a noté que Lénine considérait cela comme si crucial que, craignant d'être assassiné, il a demandé à ses camarades de publier ses carnets préparatoires sur « Le marxisme et l'État » s'il venait à être tué. (Voir « Des Journées de juillet au coup d’État de Kornilov : L’État et la révolution de Lénine »).
Lénine soulignait que sous l'impérialisme, l'appareil répressif de l'État capitaliste prenait des « proportions monstrueuses », tandis que la démocratie devenait un voile pour le militarisme et la violence policière. La tâche du prolétariat n'était pas de « redessiner les frontières » (cf. Jacobin) au sein de cet appareil, mais de le détruire et de construire un État ouvrier basé sur de nouvelles institutions radicalement démocratiques (les soviets) comme instruments de la transformation socialiste.
Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui. Les pourvoyeurs antimarxistes d'illusions dans la réforme sociale, de Syriza en Grèce à Podemos en Espagne, en passant par le Parti de gauche en Allemagne et Sanders aux États-Unis, ont tous trahi la classe ouvrière. La classe ouvrière doit établir son indépendance politique et organisationnelle par rapport à tous les partis et agences de la classe capitaliste, des démocrates à la pseudo-gauche et aux bureaucraties syndicales.
Des comités de base doivent être créés sur les lieux de travail, dans les écoles et dans les communautés ouvrières aux États-Unis et à l'échelle internationale, affiliés à l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC). Le parti révolutionnaire – le Comité international de la Quatrième Internationale et sa section américaine, le Parti de l’égalité socialiste – doit être construit pour diriger la lutte visant à exproprier l'oligarchie et à renverser le régime capitaliste.
Les conditions objectives de la révolution socialiste mûrissent rapidement. Les mêmes processus technologiques et économiques, tels que l'IA, qui ont conduit à la montée de l'oligarchie, créent également la base matérielle de la radicalisation politique des masses ouvrières. La question décisive est la construction d'une direction révolutionnaire capable de transformer ce mouvement objectif en une lutte consciente pour le pouvoir.
