L'appel lancé par Zarah Sultana lors du congrès fondateur de Your Party en faveur de la nationalisation de l'ensemble de l'économie et de la prise en main de la société par la classe ouvrière a fait l'objet d'attaques virulentes de la part du chef du parti, Jeremy Corbyn, et des gredins politiques que sont Owen Jones, George Galloway et Tariq Ali.
S'exprimant lors de la conférence fondatrice à Liverpool le 30 novembre, Sultana a déclaré :
« Nous ne sommes pas là pour de simples ajustements à un système défaillant. Nous ne sommes pas là pour baisser quelques factures et instaurer un impôt sur la fortune. Nous sommes là pour une transformation fondamentale de la société afin de remplacer le capitalisme par le socialisme. »
Cela signifie la démocratie dans chaque lieu de travail, chaque communauté, chaque aspect de la vie. Alors oui, nous allons revenir sur les échecs du thatchérisme en reprenant le contrôle public de l'eau, de l'énergie, des chemins de fer, des transports et des communications. Mais notre ambition ne doit pas s'arrêter là. Nous devons étendre nos ambitions à d’autres secteurs : la banque, l'agroalimentaire, le bâtiment et bien d'autres. Car nous connaissons cette vérité fondamentale : la classe ouvrière est plus apte à gérer la société que les milliardaires, les profiteurs et les criminels de guerre qui nous gouvernent aujourd'hui.
Elle tint des propos similaires lors de son meeting de pré-conférence le vendredi soir.
Des millions de travailleurs et de jeunes partagent probablement l'avis de Sultana. Le classement des personnes les plus riches du Sunday Times de cette année révèle que 156 milliardaires britanniques détiennent une fortune cumulée de 772,8 milliards de livres sterling, tandis que 21 pour cent de la population du Royaume-Uni (14,3 millions de personnes) vivent dans la pauvreté. À l'échelle mondiale, 3 028 milliardaires possèdent 15 800 milliards de dollars, et 81 d'entre eux sont plus riches que la moitié la plus pauvre de la population mondiale.
Le soutien du public à la renationalisation des chemins de fer, de la poste, des bus, des compagnies des eaux et de l'énergie britanniques – privatisées et ruinées par les gouvernements conservateurs et travaillistes successifs – est massif. Le capitalisme est largement discrédité : selon YouGov, 38 pour cent de la population soutient le socialisme. Parmi les 18-34 ans, 56 pour cent pensent que le socialisme améliorerait leur vie, et 20 pour cent des 18-24 ans ont une opinion favorable du communisme ( contre seulement 2 pour cent pour le fascisme).
Réaction d'Owen Jones
Les appels à la « renationalisation » sont depuis longtemps la marque de fabrique des députés travaillistes et des bureaucrates syndicaux «de gauche». Cependant, Sultana a lié son plaidoyer pour la nationalisation à la substitution du capitalisme par le socialisme, insistant sur le fait que c'était une « vérité fondamentale » que la classe ouvrière puisse mieux gérer la société que les milliardaires.
Le chroniqueur du Guardian Owen Jones, un commentateur insipide de la pseudo-gauche mais apprécié des milieux de la classe-moyenne supérieure, était visiblement agacé par ses propositions. Il a interviewé Sultana samedi : « On vous a interrogée hier sur vos projets pour le pays, et vous avez répondu : “ Nationaliser toute l’économie”. Concrètement, à quoi cela ressemble-t-il ? »
Sultana répondit : « Cela ressemble à une transformation socialiste du pays où l’on nationalise les services publics, l’énergie, les transports, les communications, y compris Internet. Mais nous devons aussi élargir nos horizons […] » Jones l’interrompit : « Mais pas toute l’économie. »

Sultana poursuivit : « Nous devons avoir une économie socialiste. Cela implique que les travailleurs gèrent leur lieu de travail par le biais de coopératives. » Interrogée sur la question de savoir si cela signifiait une propriété démocratique, elle a répondu : « Cela signifie que toute l’économie soit gérée par les travailleurs, et non par les milliardaires et les multinationales qui la contrôlent aujourd’hui. »
Jones peinait à dissimuler son hostilité : « Donc, si je comprends bien, je m'intéresse juste aux kiosques, aux petits cafés, ce genre de choses ? » Sultana répondit : « Aux coopératives ouvrières », avant qu'il ne la coupe à nouveau. Elle confirma : «L'économie entière sous le contrôle des travailleurs, que ce soit par la nationalisation, les coopératives ouvrières |…] Et quand on s'intéresse notamment à l'alimentation, cela signifie examiner tout le système de production alimentaire et le placer sous le contrôle des travailleurs. »
Jones publia son interview avec Sultana le lundi 1er décembre sur X, avec le titre « Nationaliser toute l'économie ? ». Elle a été visionnée 1,7 million de fois.
En entendant la suggestion de Sultana que la classe ouvrière devait gouverner la société, Jones fut déconcerté. Ses pensées se tournèrent vers ce qui lui était le plus cher, et il imagina son café habituel réquisitionné par des conseils ouvriers.
Jeremy Corbyn : « Je ne sais pas ce que signifie la nationalisation. »
Le lendemain matin, Jones publia une nouvelle interview de Corbyn, qui a ridiculisé les propos de Sultana. Jones a tweeté: « Il est raisonnable d’assumer que Jeremy Corbyn n’est pas favorable à une politique de nationalisation de l’ensemble de l’économie. »
Assis aux côtés de Corbyn, Jones a cité l'appel de Sultana à « nationaliser toute l'économie », demandant à Corbyn : « Qu'en pensez-vous ? » Corbyn a répondu : « Je ne suis pas sûr de ce que cela signifie. Honnêtement, je n'en suis pas sûr. » [Jones rit]

Corbyn a poursuivi : « Je souhaite que les grands secteurs comme l’énergie et les services publics tels que la poste, les chemins de fer et l’eau soient nationalisés. Et je souhaite voir se concrétiser les projets sur lesquels John McDonnell et moi avons travaillé avant les élections de 2017 et 2019, concernant la Banque d’investissement. » Il a conclu : « Il faut être clair : la priorité, c’est la pauvreté et les inégalités dans ce pays » — comme si ces problèmes n’étaient pas la conséquence directe de la concentration des richesses entre les mains de l’oligarchie capitaliste !
Il est révélateur que Corbyn cite les programmes électoraux du Labour (Parti travailliste) de 2017 et 2019 , rédigés sous sa direction (et soutenus à l'époque par Sultana). Malgré un appel sans effet à la renationalisation des chemins de fer, de l'eau et de l'énergie (après l'expiration de leurs contrats privés, bien entendu !), les programmes de Corbyn promettaient de « faire de la Grande-Bretagne un meilleur endroit pour faire des affaires », évoquaient des quotas d'immigration et s'engageaient à respecter les objectifs de dépenses de l'OTAN et à maintenir le programme d'armement nucléaire Trident.
Accompagné d'une opération de « charme préélectorale type thé et biscuit» avec des dirigeants de la City de Londres, le porte-parole de la Finance du cabinet ministériel fantôme de Corbyn, John McDonnell, s'était vanté ainsi pendant la campagne électorale de 2017 : « D'une certaine manière, la situation est absurde. Ils viennent nous chercher pour être rassurés face à un gouvernement qui s'effondre. Jeremy Corbyn et moi sommes donc les stabilisateurs du capitalisme. »
Lorsqu'il était à la tête du Labour, les défenseurs de Corbyn ont sans scrupules vanté son programme tout en excusant ses « lacunes » (oui, son soutien à l'OTAN a été qualifié ainsi), arguant qu'il ne pouvait « aller plus loin » en raison de la vive opposition de l'aile blairiste dominante au sein du groupe parlementaire travailliste. Désormais libéré de leur emprise, à la tête de son propre parti, Corbyn mène des politiques pseudo-réformistes tout aussi tièdes et évasives que celles qu'il défendait sous l'égide du Parti travailliste.
Tariq Ali s'en prend au socialisme
Le 1er décembre au soir, Tariq Ali, homme politique vieillissant et banqueroutier, s'est joint aux attaques contre Sultana. Répondant à son appel à la nationalisation des sociétés des milliardaires, il a tweeté :
« Des intentions louables, certes, mais de la pure rhétorique. Tony Benn et Ken Livingstone [dirigeants travaillistes des années 1980] avaient tous deux d'excellents économistes socialistes à leur service, qui ont élaboré des plans crédibles. Les économies entièrement nationalisées de l'ex-Union soviétique et de la Chine (et de Cuba aussi) n'ont tout simplement pas fonctionné. NOUS avons eu d'énormes débats à ce sujet au sein de la gauche internationale. Zarah devrait se faire conseiller. Ce qu'elle dit va faire rire, et on le comprend. L'expérience du XXe siècle nous apprend que ce type de maximalisme détruit les économies. Il faut en débattre ouvertement et dans un esprit de camaraderie. J'ai gémi en l'entendant dire ça pour la première fois. »
Les « grands débats » au sein de la « gauche mondiale » évoqués par Ali étaient menés par des partis pablistes et tenants du capitalisme d'État, ainsi que par des universitaires pseudo de gauche, qui ont soutenu la restauration du capitalisme par les bureaucraties staliniennes en Union soviétique, en Europe de l'Est et en Chine. Ali a dédié son ouvrage de 1988, La Révolution d'en haut, à Boris Eltsine, affirmant que « Gorbatchev représente un courant progressiste et réformiste au sein de l'élite soviétique, dont le programme, s'il aboutit, constituera un gain considérable pour les socialistes et les démocrates à l'échelle mondiale. L'ampleur des opérations de Gorbatchev rappelle, en réalité, les efforts du président américain du XIXe siècle : Abraham Lincoln. »
La victoire de Lincoln dans la Guerre de Sécession a entraîné l'abolition de l'esclavage, privant ainsi le Sud de 4 milliards de dollars de richesses, soit l'équivalent de 42 000 milliards de dollars actuels. La perestroïka de Gorbatchev, qui a abouti à la dissolution de l'URSS en 1991, a anéanti les derniers acquis sociaux de la révolution d'Octobre 1917. Le ministre des Finances nommé par Eltsine, Egor Gaïdar, a mis en œuvre une politique de « thérapie de choc » pro-marché, privatisant les biens de l'État, supprimant le contrôle des prix et provoquant l'effondrement du niveau de vie de la classe ouvrière, ce qui a instauré un régime d'oligarques capitalistes.
L'insistance d'Ali à affirmer que les économies nationalisées « ne fonctionnent pas » est une tromperie cynique. Comme l'écrivait Léon Trotsky dans La Révolution trahie : Qu'est-ce que l'Union soviétique et où va-t-elle ? (1935), la nationalisation de la production et la planification étatique introduites par l'État ouvrier avaient prouvé que: « le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital, mais dans une arène économique qui couvre le sixième de la surface du globe; non dans le langage de la dialectique, mais dans celui du fer, du ciment et de l'électricité. Si même l'U.R.S.S. devait succomber sous les coups portés de l'extérieur et sous les fautes de ses dirigeants – ce qui, nous l'espérons fermement, nous sera épargné – il resterait, gage de l'avenir, ce fait indestructible que seule la révolution prolétarienne a permis à un pays arriéré d'obtenir en moins de vingt ans des résultats sans précédent dans l'histoire. »
Pour Lénine, Trotsky et les bolcheviks, la prise du pouvoir en Russie n'était que le prélude à la révolution mondiale. S'opposant au programme national-autarcique de Staline, prônant un « socialisme dans un seul pays », Trotsky et l'Opposition de gauche affirmaient que le socialisme pouvait se construire exclusivement sur les ressources, les technologies et le travail coopératif de l'économie mondiale, par l'extension de la révolution à l'échelle planétaire. Sans cela, avertit plus tard Trotsky, la bureaucratie soviétique, instrument de l'impérialisme et soucieuse de consolider ses privilèges, œuvrerait pour restaurer capitalisme.
Selon Ali, la principale leçon du XXe siècle est que le « maximalisme » (c’est-à-dire le renversement de la propriété privée des moyens de production) détruit les économies. Ali est tout simplement un anticommuniste ordinaire. Pour les marxistes, la véritable leçon du XXe siècle est que l’impérialisme, fondé sur le système capitaliste des États-nations, a plongé l’humanité dans le fascisme et deux guerres mondiales, causant la mort d’environ 85 millions de personnes, et qu’il doit être renversé et remplacé par le socialisme.
La classe ouvrière, qui s'est soulevée par millions au siècle dernier pour mettre fin à l'ordre capitaliste, a été trahie par la social-démocratie et le stalinisme. Pour Ali, anti-trotskyste de toujours, cette histoire est une abomination. Il « gémit » désormais à la simple évocation de la nationalisation, et comment pourrait-il en être autrement ? Ali a vendu son manoir de six chambres à Highgate, dans le nord de Londres, il y a dix ans pour presque 5 millions de livres sterling et incarne à merveille la pseudo-gauche aisée d'aujourd'hui.
Galloway salue le modèle chinois
Le mardi matin, George Galloway s'est joint à la polémique, en tweetant en réponse à l'interview de Jones avec Sultana :
Nous ne voulons pas « nationaliser toute l'économie » ni, comme elle l'a dit plus tôt, « tout prendre ». En grandissant, nous avons abandonné les enfantillages. Nous voulons une économie comme celle de la Chine, où l'État joue un rôle déterminant dans l'économie mixte et où le peuple prime...
Galloway défend le capitalisme chinois et son exploitation de la classe ouvrière, orchestré par le Parti communiste chinois (PCC) stalinien pour le compte des multinationales et des investisseurs. L’« économie mixte » qu’il présente comme modèle compte 450 milliardaires, le deuxième plus grand nombre au monde, dont les intérêts sont défendus sans pitié par le PCC, qui réprime les droits sociaux et démocratiques de la classe ouvrière.
Exigeant de Sultana qu'elle « abandonne ses enfantillages », Galloway s'exprime en tant que figure emblématique du milieu travailliste et stalinien britannique, et en fervent défenseur de l'unité « gauche-droite ». Allié à Nigel Farage [de l’extrême droite] et à l'aile droite du Parti conservateur lors du référendum sur le Brexit, il a ensuite cherché à conclure un accord électoral avec le Parti du Brexit de Farage, précurseur immédiat de Reform UK. Il est politiquement toxique.
Labour : l’article 4 de sa constitution et la Révolution russe
Les figures de proue des politiciens britanniques de « la gauche » s'en prennent à Sultana car elles craignent que la classe ouvrière, et notamment sa jeunesse, rompent avec le Parti travailliste pour se tourner vers le socialisme. Ce processus de réorientation oblige à une confrontation avec des questions historiques et politiques fondamentales. C'est pourquoi, face aux appels de Sultana à la nationalisation visant les milliardaires, ses détracteurs s'empressent de déclarer que tout débat à ce sujet doit être stoppé.
Ce faisant, ils reprochent à Sultana de défendre le programme réformiste qu'ils ont eux-mêmes autrefois défendu et que le Parti travailliste, du moins en apparence, a continué de soutenir jusqu'en 1995, date à laquelle le New Labour de Tony Blair a rejeté l'article 4 de la constitution du parti. Cet article définissait l'objectif ultime du Parti travailliste comme suit :
Afin de garantir aux travailleurs, qu'ils soient manuels ou intellectuels, le plein fruit de leur travail et la répartition la plus équitable possible de celui-ci, sur la base de la propriété commune des moyens de production, de distribution et d'échange, et du meilleur système possible d'administration et de contrôle populaires de chaque secteur ou service.
Sidney Webb rédigea l'article 4 en novembre 1917, en réponse directe à la Révolution russe. Il a travaillé avec les dirigeants du Parti travailliste indépendant (ILP) Arthur Henderson et Ramsay MacDonald pour réviser programme, structure et constitution du Parti travailliste afin de mieux éloigner la classe ouvrière de la révolution et l’orienter vers ce que Henderson appelait « un changement social ordonné par des méthodes constitutionnelles ».
L'impact mondial de la Révolution russe fut immense, et la Grande-Bretagne n'y fit pas exception. Le dirigeant travailliste Aneurin Bevan se souvint plus tard avoir vu des mineurs gallois « se précipiter les uns vers les autres dans les rues, les larmes aux yeux, se serrant la main et disant : ‘Enfin, c'est arrivé” […] La révolution de 1917 fut perçue par la classe ouvrière de Grande-Bretagne non comme un désastre social, mais comme l'un des événements les plus émancipateurs de l'histoire de l'humanité. »
La nationalisation de l'industrie et de la production par le haut, qu'elle soit menée par des gouvernements réformistes ou (plus largement) par les régimes staliniens d'Europe de l'Est après la Seconde Guerre mondiale, ne peut instaurer le socialisme. Ce dernier requiert la mobilisation révolutionnaire consciente de la classe ouvrière pour renverser l'État capitaliste et établir le pouvoir des travailleurs.
Au cours du XXe siècle, et plus particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, la classe dirigeante britannique s'est appuyée sur la bureaucratie travailliste pour promouvoir l'idée d'une voie parlementaire vers le socialisme. Le gouvernement travailliste d'Attlee a nationalisé en 1945 un cinquième de l'industrie britannique. Il a instauré l'État-social, avec notamment la gratuité des soins de santé pour tous, le logement social et les retraites publiques, non par altruisme, mais pour prévenir une révolution et détourner la classe ouvrière du marxisme. Cette époque est révolue. Aujourd'hui, ni Corbyn ni la « gauche » discréditée du Parti travailliste ne font de telles promesses. Résoudre la crise de la direction de la classe ouvrière et construire un véritable parti socialiste de masse qui unisse les travailleurs du monde entier et achève l'ère de la révolution socialiste mondiale commencée en 1917 est à présent la tache urgente à accomplir.
(Article paru en anglais le 8 décembre 2025)
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The Historical and International Foundations of the Socialist Equality Party (Britain)
