Suivant l’exemple de la classe dirigeante, Québec solidaire reste muet sur la révolte des travailleurs en France

Même si le président français Emmanuel Macron a imposé sa loi sur les retraites au moyen de la violente répression étatique et grâce au rôle traitre des syndicats, l'opposition ouvrière de masse à l'austérité capitaliste qui dure depuis des mois se poursuit en France. Une autre journée de mobilisation est prévue le 6 juin.

Manifestation de masse devant le Panthéon à Paris (photo: WSWS)

Malgré les liens historiques et culturels qui rattachent la province du Québec à la France, liens souvent célébrés par la classe dirigeante québécoise pour ses propres raisons, la classe politique et les grands médias ont peu parlé de ces événements au Québec.

C’est notamment le cas pour Québec solidaire, dont les prétentions «de gauche» cachent une profonde hostilité à la lutte des classes. Ayant lu entre les lignes des quelques reportages et commentaires qui ont paru dans la presse capitaliste, QS a jugé qu'il valait mieux demeurer silencieux sur les événements d’une portée historique mondiale qui se déroulent outre-Atlantique.

Ce provincialisme borné découle de la perspective nationaliste qui anime Québec solidaire et qui se traduit dans sa promotion de l’indépendance du Québec – la création d’une troisième république impérialiste en Amérique du Nord qui ferait partie de l’OTAN et de NORAD – et dans son orientation traditionnelle vers le Parti québécois, historiquement associé au projet indépendantiste réactionnaire.

Mais la réalité objective n'est pas déterminée par ce que la petite-bourgeoisie en pense. Depuis plus de trois mois, la classe ouvrière française est en révolte contre l’assaut sur les retraites du président de droite et ex-banquier Emmanuel Macron. Quatre-vingts pour cent de la population s'oppose à cette «réforme». Des manifestations et des grèves impliquant des millions de travailleurs ont secoué le pays.

Le gouvernement Macron a répondu par des mesures dignes d'un État policier. Il a déployé une répression sauvage contre les manifestants tout en utilisant l' article 49.3 de la Constitution, une clause anti-démocratique qui permet au gouvernement de bâillonner l'Assemblée législative pour imposer son diktat. Cela a discrédité non seulement Macron, dénoncé par de larges couches de la population comme le «président des riches», mais le système politique français en son ensemble.

Des questions vitales de perspective politique sont en jeu. Comme l’a souligné le Parti de l'égalité socialiste en France, la situation politique dans le pays est objectivement révolutionnaire. L'adoption de la réforme des retraites

confronte les masses de travailleurs à une dure réalité: ils ne mènent pas une lutte syndicale visant à convaincre Macron, mais une lutte politique contre l’État capitaliste. Macron dirige un État policier au service d’une oligarchie capitaliste enracinée qui gouverne contre le peuple. Pour détourner des centaines de milliards d’euros vers les ultra-riches et vers son «économie de guerre européenne», Macron réagit aux luttes non pas en modifiant ses politiques, mais par des violences policières sanglantes et des arrestations en masse.

La voie à suivre … est de préparer une grève générale pour faire chuter Macron et abolir les pouvoirs de la présidence. Cette proposition a le soutien des deux tiers des Français, qui veulent une grève qui bloquerait l’économie et vaincrait Macron. Mais sa réalisation nécessitera de mobiliser toute la puissance industrielle et politique de la classe ouvrière. On ne peut laisser cette lutte aux mains des appareils syndicaux: elle nécessite la construction de nouvelles organisations de la base dans une lutte politique posant la question du pouvoir.

Ce programme révolutionnaire attire l’hostilité organique des groupes de la pseudo-gauche qui représentent des couches aisées de la classe moyenne, comme Québec solidaire et ses partis «cousins» en Europe – SYRIZA en Grèce, Die Linke en Allemagne, Podemos en Espagne. Ces derniers, lorsqu’ils ont été au pouvoir, ont imposé l'austérité capitaliste et appuyé l’OTAN.

La révolte de la classe ouvrière française fait partie d’une explosion de la lutte de classe sur tout le continent européen, avec de puissantes vagues de grèves au Portugal, en Allemagne et au Royaume-Uni.

Cela survient dans le contexte de la guerre de l'OTAN en Ukraine contre la Russie et d'un vaste détournement financier par les gouvernements capitalistes pour mener ce conflit qui pourrait se transformer en guerre mondiale. Les coupes dans les retraites de Macron visent d'ailleurs à financer un réarmement massif de la France, à hauteur de 90 milliards d'euros additionnels pour le budget militaire.

Soulignant son caractère pro-impérialiste, QS a toujours été silencieux sur le réarmement massif annoncé en 2017 par le gouvernement libéral canadien de Justin Trudeau. Depuis le début de la guerre en Ukraine, il a déposé deux motions, adoptées à l'unanimité par l'Assemblée nationale au Québec, qui reprennent le mensonge d'une agression «non provoquée» de la Russie sur l'Ukraine et cachent le rôle provocateur joué par l'OTAN, sous l’égide des États-Unis et dont fait partie le Canada.

La révolte de masse en France et sur le continent européen est aussi en réaction à la pire inflation depuis 40 ans, aux inégalités sociales qui atteignent des sommets et au tournant de la classe capitaliste vers des formes autoritaires de gouvernement. L’élite dirigeante québécoise sait qu'elle fait face également à une classe ouvrière en colère contre les conditions sociales intolérables causées par la crise du système capitaliste. En Ontario voisine, des appels à une grève générale se sont fait entendre en automne dernier après que 55.000 travailleurs de l'éducation ont courageusement défié une loi anti-grève du gouvernement conservateur d'ultra-droite de Doug Ford.

C'est pour cela que la classe politique du Québec passe largement sous silence les événements en France. Elle craint comme la peste que les actions courageuses des travailleurs là-bas n'inspirent leurs frères et sœurs de classe au Québec, au Canada et aux États-Unis, et ne solidifient les liens historiques de solidarité et de fraternité ouvrières des deux côtés de l'Atlantique.

Les quelques commentaires ayant paru dans la presse bourgeoise expriment cette inquiétude. Par exemple, un chroniqueur du journal Le Devoir, proche des milieux nationalistes québécois, reconnaît que l'opposition à la réforme des retraites n'est qu'un «exutoire des profonds malaises de la société française» et déplore le «déni démocratique» du président français qui ne fait que «préparer la prochaine explosion».

Mathieu Bock-Côté, chroniqueur au Journal de Montréal (JdM), vante constamment les «racines catholiques françaises» de la population québécoise pour attiser les braises du chauvinisme anti-immigrants. Même s’il était sur place en mars et écrit régulièrement pour la presse française, il a seulement publié deux articles dans le JdM sur les événements en France, entièrement consacrés à dénoncer «l'insurrection» contre Macron. Malgré son vitriol contre les syndicats, il est conscient de leur rôle pour étouffer la résistance des travailleurs, écrivant que «certes, la France est en révolte», mais c’est «une révolte encadrée par les syndicats».

Ces derniers font tout pour torpiller le mouvement de masse contre la «réforme» des retraites en la transformant en appels futiles dirigés vers l’Assemblée nationale qui a déjà endossé la loi de Macron. Alors que les travailleurs en France doivent comprendre le rôle des forces de la pseudo-gauche (comme Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise et le Nouveau parti anticapitaliste) qui cherchent à les enchaîner aux syndicats pro-capitalistes, les travailleurs au Québec doivent tirer les mêmes conclusions à propos de Québec solidaire et des groupes pseudo-marxistes (tels que Gauche socialiste et La riposte socialiste) qui évoluent en son sein et le présentent comme un instrument de lutte pour le socialisme.

L'attitude indifférente et hostile de Québec solidaire à la révolte de la classe ouvrière française montre une fois de plus que les travailleurs au Québec n’y trouveront pas un allié dans leurs propres luttes. Ils trouveront plutôt en Québec solidaire un ennemi politique qui cherchera à les duper avec des phrases de «gauche» tout en les subordonnant à la bureaucratie syndicale pro-capitaliste et en semant l'illusion que les politiciens capitalistes peuvent «entendre raison» si on leur met de la pression.

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